Oui, super ! Encore une fois !

Je me déplace pour observer le placement de jambe de Tori, elle est en train d'apprendre à faire un flip contre un mur. Je devrais peut-être dire que je suis en train de lui apprendre, mais je veux lui laisser le mérite, elle apprend bien trop vite pour que je le lui vole. C'est une élève impressionnante, elle est très décidée, elle recommence dès qu'elle échoue, persévère, comprend rapidement les mouvements. Quelque part, elle me rappelle Elwynn, elle a cette même rage d'avancer. Mais elle est plus rêveuse, moins rentre dedans, sa réserve n'est pas placée au même endroit.

Depuis notre rencontre officielle, nous nous sommes revus quelques fois. Pas pour des moments difficiles comme on s'était proposés, mais pour des moments de parkour. Je lui montre un peu ce que je sais faire, et ça a l'air de lui plaire. Elle a déjà compris pas mal de choses, les sauts de bases, les passages de bras. J'ai demandé à Alice si elle était d'accord pour me construire un petit lieu d'entrainement, rien d'encombrant, juste quelques murs de terre, de différentes hauteurs, pour pouvoir s'exercer à plusieurs sauts.

Alors que Tori s'exécute de nouveau, je m'approche d'elle avec un grand sourire et tend dans la main en l'air pour high five.

C'est ça, t'as compris le mouvement. Je suis vraiment impressioné, tu progresses à une vitesse fulgurante !

Je lui tends ensuite sa bouteille d'eau, comme je suis un peu resté sur le côté.

Tiens. Ca va ? Tu te sens comment ?

Les encouragements de Roman me font comme d'habitude monter le rouge aux joues. J'ai tellement assimilé les entraînements de tout type à un coach qui me hurle dessus que le moindre compliment déclenche chez moi une furieuse envie de faire encore mieux, de couiner et de sauter partout. Mais au lieu de faire ça, je canalise cette énergie pour m'exécuter et faire un nouveau flip.

C'est la figure du jour. On a déjà quelques entraînements derrière nous, toujours très agréables. J'avais déjà la forme physique pour commencer dans de bonnes conditions, si bien qu'entre ça et les compliments de Roman, je progresse vite. J'ai déjà acquis les bases et on commence les sauts un peu plus durs. Bien sûr ce n'est que le début mais ça me fait du bien de faire bouger mon corps d'une autre façon.

Quand Roman lève la main, je tape dedans en m'efforçant de garder un air détendu et souris.

C'est le super coaching ça ! Ça fait du bien un coach qui gueule pas sur les gens. Dis-je avec sincérité.

Et puis eh, être entraînée par un type sympa, de bonne humeur, avec de l'humour et pas dégueu à regarder... Ça motive. Je prends la bouteille d'eau que me tend l'Air avec reconnaissance et en bois quelques gorgées rafraîchissantes. Ici, dans la forêt, je peux me permettre de m'entraîner en short et en brassière sans être dérangée par les regards des gens. Je commence à connaître Roman, et si c'est un grand blagueur, il est très respectueux alors je n'ai pas peur de montrer ma peau face à lui. Et c'est bienvenu quand on sait à quel point il fait chaud actuellement.

Qu'est-ce que tu veux faire maintenant ? On peut tester un petit enchaînement ou faire une pause. Dis-je.

Si on fait une pause, il y a des chances pour que ma curiosité ait le fin mot. J'aimerais bien en savoir plus sur lui...

Tori ne dit rien quand je la félicite, mais comme à chaque fois, elle évite de me regarder, et j'ai fini par remarquer avec le temps que ses joues rosissent un peu parfois. Je me demande si c'est à chaque fois ou de temps en temps, mais ça n'a pas vraiment d'importance, parce qu'elle reste concentrée. Elle réussit de nouveau, elle a compris la mécanique, la sensation, ce qu'il faut ressentir, comment ne pas avoir peur, décoller entièrement son corps pour retomber sans se blesser. Elle a toujours l'air d'apprécier, et je crois que je peux comprendre. Les cours de danse me font beaucoup de bien, c'est trop chouette de pouvoir expérimenter autre chose avec son corps quand on le connait pourtant bien.

Je remarque aussi qu'elle sourit beaucoup plus qu'au début, et je m'en donne un peu de mérite, ça veut dire qu'elle se sent à l'aise avec moi, et c'est essentiel pour qu'elle progresse... En plus de rendre l'échange quand même carrément agréable. Je ris à sa remarque.

Oh n'en fais pas trop quand même.

Je souris en haussant les épaules, prenant faussement un air idiot.

Oui je me doute bien... Je trouve ça plutôt normal pourtant je veux dire... t'es une élève super sérieuse, je vois pas dans quel monde j'ai besoin de crier dessus.

Je le dis en souriant, sur un ton léger, mais c'est le genre de trucs sur lequel je peux me braquer quand j'ai quelqu'un qui crie sur les autres en pensant les faire progresser. Je sais que j'ai tendance à beaucoup féliciter et encourager, là où Elwynn par exemple est beaucoup plus neutre, moins enthousiaste, mais tout aussi sérieuse et attentionnée dans le fond. On a pas besoin de descendre les gens pour les pousser loin.

Je passe une main vers l'arrière dans mes cheveux, et la laisse derrière, le coude en l'air pendant le temps de répondre, avec un sourire.

Tu me dis si t'as besoin d'une pause parce que pour la suite... Je te propose qu'on passe à ta première course.

Mes yeux brillent de malice. Quand je dis course, c'est bien une course. Elle a les mouvements, elle a passé des obstacles sans courir, juste pour apprendre à les passer. Comme on apprend chaque mouvement séparément d'une choré. Là, ce serait son premier vrai parkour.

Evidemment si tu veux te poser deux secondes pour récupérer, on a le temps. Et puis comme ça j'peux m'échaffer tranquille, parce que tu la feras pas toute seule.

Je lui fais un clin d'oeil, puis étire mes deux bras vers le ciel, tout sourire. Partager une course, c'est peut-être un des trucs que je préfère. Je lui ai jamais dit à elle, mais c'est un truc que j'aime vraiment énormément.

Mon compliment fait rire Roman et je prends un air faussement offusqué.

- Hé ! Je suis sincère !

Mais un sourire revient vite sur mes lèvres. Je ne peux clairement pas avoir l'air fâché plus longtemps. L'endorphine libérée par notre session me rend presque euphorique. Ces entraînements sont très vite devenus mes moments préférés de la journée. Quand je sais qu'on en a un de prévu bientôt, je suis (et je cite mon collègue de la boulangerie) "beaucoup plus agréable à vivre". Bon c'est vrai, on peut pas dire que je sois un régal à côtoyer, quoique ça dépend de la personne à qui vous demanderez... Mais de là à insinuer que je suis pas agréable ! Mais je digresse.

Roman rebondit sur la partie "coach qui hurle sur ses athlètes" et je hausse les épaules.

Oh tu sais comment sont les coach en combat... Stricts, bougons... Des vieux grincheux quoi. Mais à part ça il prenait soin de nous !

Je me demande ce qu'il devient... Parfois j'hésite à lui envoyer un message, mais j'ai trop peur de me prendre un truc du genre "c'est qui ?". Je crois que ça me ferait trop mal au coeur. Et d'un autre côté je sens que cette blessure là se referme lentement. Je ne me sens plus triste ni trahie. Juste... Neutre. Ce constat ne provoque en moi qu'un vague haussement d'épaule interne. Meh.

Du coup, je reviens au présent et demande à Roman ce qu'il veut faire. Et là, LÀ. Ma première course !! Une vraie course, en courant (c'est bien Tori...), avec des vrais obstacles et tout !! Je sens la soudaine poussée d'adrénaline. J'ai envie d'y aller maintenant, tout de suite ! ET EN PLUS ROMAN LA FAIT AVEC MOI. C'est le plus beau jour de ma vie. Je tempère mon excitation et réponds avec un mouvement désinvolte des épaules :

J'ai pas forcément besoin d'une pause mais je crois que c'est mieux que tu t'échauffes oui. Je m'en voudrais si tu te blessais, en plus je suis une brêle avec mes pouvoirs ! Dis-je en plaisantant.

C'est plus que je ne les utilise jamais, mais du coup en effet je ne suis pas certaine que je pourrais soigner Roman si il se faisait un claquage. Du coup, à la place, je m'assois sur le tapis de feuilles en bordure de notre petit espace d'entraînement.

On peut parler en attendant. Dis, raconte-moi un peu. Qu'est-ce que tu aimes faire en dehors du Parkour ? Tu as un job ? Demandé-je.

J'ai envie de lui demander plein plein de choses mais on va commencer par ça.

Je me mets à rire de plus belle et, comme souvent quand je capitule, lève les mains en l'air brièvement.

Ok ok, je prends alors !

Ca ressemble pas mal à ça les entrainements, on est sérieux, on blague pas, puis on se taquine l'un l'autre. J'utilise taquine parce que c'est vraiment ça la majorité du temps, on se taille pas non plus, ça reste bon enfant. La plupart du temps. Je me permets de plus en plus d'aller titiller plus loin, et elle me le rend bien. Elle prend confiance et moi aussi, et je suis content d'arriver à me lier d'amitié avec d'autres, seul. De sacrés progrès dirait ma psy !

Je hausse les épaules quand elle me répond l'air benet, et secoue la tête.

J'ai jamais connu de coach en combat ! Par contre mes profs de sports étaient comme ça aussi. Puis on m'a toujours parlé de coachs typiquement dans le genre que tu décris, alors je te crois. La seule actuelle que je connaisse c'est Elwynn et je la trouve stricte mais pas bougonne. Et elle crie pas sur les gens. Et elle est pas vieille. Grincheuse par contre... ça dépend des jours !

Tailler ses amis, je vous ai dit. Bon ça reste mimi, et elle sait qu'Elwynn est proche de moi, j'ai déjà parlé d'elle quelques fois. J'hésite à lui demander si son coach lui manque, peut-être qu'il représentait beaucoup pour elle. Petu-être qu'elle le déteste aussi, alors je pose pas la question pour l'instant.

Quand je lui propose sa course, je vois un éclair dans ses yeux, bref. Je crois qu'elle est contente, mais elle me répond par un signe de tête à peine heureux. Je ris intérieurement, j'espère que ça lui plaît quand même, de mon côté je ne démords pas de mon côté enjoué. Je ricane tout en continuant de m'étirer les bras, puis je passe aux jambes.

Je me doute, tu veux jamais faire de pauses. Mais je te suis reconnaissant de me laisser m'échauffer héhé ! Surtout si on est deux bras cassés à pas pouvoir me soigner.

Je commence à sautiller sur place rapidement, levant haut les genoux tout en la regardant s'asseoir. Elle me demande ce que j'aime faire, si j'ai un job.

T'as un job ? / Tu fais quoi dans la vie alors ? / Il est sympa ton style, tu bosses dans la mode ?

Je cligne des yeux, chasse comme je peux les souvenirs, les voix, les regards. Je cherche celui de Tori pour m'ancrer.

Euuh, bah, en dehors du parkour, j'adore danser. Enfin j'aime me dépenser quoi mais danser j'aime vraiment beaucoup.

Je me place bien droit et commence à échauffer mes chevilles avec application.

Euh puis sinon j'aime bien manger aussi, et cuisiner, j'essaie de m'améliorer, je suis pas le plus doué encore... Et euh, voilà. J'ai pas encore de boulot parce que j'ai pas cherché, quand je suis arrivé j'étais pas en état pour trouver, et là je commence à me dire qu'il faudrait que je cherche.

Je fais tourner mes bras dans les airs en parlant.

J'ai juste aucune idée de quoi faire.

Je me tourne vers elle, tends mes bras vers l'avant et me laisse tomber jusqu'au sol en me rattrapant comme si j'étais tout léger. Mes yeux à la hauteur des siens, je lui souris en demandant.

Et toi, t'occupes comment tes journées en dehors de nos entrainements et de la boulangerie ?

J'attends sa réponse, puis pousse sur mes pieds, jette mes jambes en l'air, équilibre mes bras et je me retrouve en piquet.

Quand Roman accepte enfin mon compliment en riant, je croise les bras et souffle par le nez d'un air déterminé.

Bien.

Puis mon expression se craquelle et laisse passer un nouveau sourire. Depuis que nous avons commencé les entraînements, je souris beaucoup plus, et je ris même. En même temps Roman est un grand enfant et je me sens bien à ses côtés. Et j'ai plus l'habitude d'interagir avec des hommes, vu que j'ai grandi avec les gars du quartier. Alors ça me vient plus naturellement. Il me rappelle un peu mon enfance, dans le bon sens de la chose.

On discute et on en vient aux coachs. Lui n'en a pas eu, me dit-il. D'un côté j'ai envie de lui dire "tant mieux, tu n'as pas raté grand chose !" mais je ne sais pas exactement ce qu'il a vécu alors je me retiens et l'écoute parler d'Elwynn. Je l'ai croisée au déménagement de Katsuyo. Elle m'a impressionnée par sa carrure et sa gentillesse. Et comme en parle Roman, j'ai vite compris que c'était une bonne personne. Assise par terre, je tends la jambe pour donner un petit coup de pied dans la cheville du grand brun.

Fais gaffe, je vais finir par aller lui répéter. Elle te rendra la vie infernale héhé ! Pouffé-je.

Je lui dis toujours la même chose quand il commence à clasher Elwynn dans son dos, mais c'est de l'esbroufe. Je n'oserais jamais aller voir cette femme que je connais à peine pour lui dire "Roman, il dit que t'es une grincheuse !". On dirait un enfant, ce serait ridicule et la pauvre Elwynn ne comprendrait pas d'où ça vient.

Je tape en rythme avec mes pieds sur le sol, l'impatience me gagnant aussi sûrement qu'un pur sang avant une course. J'ai envie d'y aller, mais comme le dit Roman, l'échauffement est important, et on est deux bras cassés avec nos pouvoirs. Mieux vaut ne pas se blesser. Même si... Je me demande un instant en observant Roman si je serais capable de le porter. Je me demande combien il pèse. Mes joues s'échauffent comme je détourne le regard. Ça ne me regarde pas, à quoi je pense ?! À la place je lance quelques questions, par curiosité.

Il semble se troubler un instant. Alors que je détaille son visage pour comprendre quelle est cette expression étrange, il capte mon regard. Je cille et reste figée. Danser, manger, cuisiner. Ce sont de chouettes passe-temps. Un sourire passe sur mon visage.

Je n'ai jamais dansé, je me demande ce que ça fait comme sensation. Pour le boulot, prends ton temps, enfin si tu as encore des économies de côté. Mais je veux dire ne te mets pas la pression... Commence par réfléchir à ce qui te plairait.

J'ai pris le premier job qu'on m'a proposé parce que j'avais besoin d'argent, c'est là le souci de je pas avoir de compte en banque. Mais finalement je me plais bien à la boulangerie. Le visage de Roman est maintenant face au mien et je cligne à nouveau des yeux. Puis il change de position, se dressant sur les mains. Sans y penser, j'incline la tête pour me mettre dans son sens.

Bonne question... Je n'ai pas vraiment de passe-temps. Je vais au gymnase m'entraîner avec des poids, je vais courir... Je passe dire coucou à Alyona ou je l'invite boire le thé.

Le souvenir de Angie passe un instant dans ma tête, puis celui de ma rencontre avec Bourdon-Ariana. Un sourire revient flotter sur mes lèvres.

Je suppose que j'aime bien dessiner... Et chanter, quand personne ne me regarde.

De ma position assise, je prends appui sur mes bras et m'équilibre pour rejoindre Roman dans son accrobatie.

Tu as fait des études ? Demandé-je curieuse.

On rit ensemble, c'est fluide, c'est chouette. On discute tranquillement et puis j'me fous gentiment de la gueule d'Elwynn, et Tori me cogne gentiment, et de nouveau je prends la position de la victime, en me marrant à moitié.

Bah non mais elle le sait ! C'est une grincheuse, mais c'est ça qui la rend attachante aussi !

Et je me lance dans une pseudo imitation en exagérant ses mimiques.

Gngngn qui a pris mon classeur voilà ça m'saoule comme si j'avais le temps gngngng !

Evidemment, je l'imite comme ça mais je laisse voir que je l'aime très fort. Parce que je fais pas ça pour les gens en qui j'ai pas confiance. Ou alors c'est que j'ai décidé qu'ils méritaient. Et puis, El' est au courant que je fais ça. Et elle me le rend bien. Mais j'aime bien quand Tori fait mine de me menacer, et ça a l'air de l'amuser beaucoup, alors je continue. L'éternel cancre, que voulez-vous...

Je m'échauffe et je vois bien qu'elle trépigne, pas étonnant vu les étoiles dans les yeux qu'elle avait quand j'ai proposé qu'on court ensemble. Alors j'essaie de m'activer rapidement. Sa question me renvoie un peu loin mais je réussis à revenir vite et ne pas me laisser submerger par les images. Elle me sourit, et je lui réponds avec la même expression quand elle me dit se demander ce que ça fait de danser.

C'est hyper libérateur je trouve ! Faut être à l'aise j'imagine, mais j'aime beaucoup. Si un jour ça te dit, on pourra aller danser ensemble.

Et puis elle me parle du boulot, et je me retrouve proche d'elle. Je souris un peu.

J'essaie de trouver mais y a un moment donné je vais plus pouvoir compter sur les aides financières... Je vais bien finir par trouver !

Je la regarde à l'envers et elle penche la tête pour mieux me voir. Je la vois mieux aussi, elle est vraiment mignonne. Ca me tire un sourire. Elle me raconte ce qu'elle fait, et effectivement, c'est des activités tranquille, mais c'est chouette aussi.

C'est déjà pas mal je trouve. Tu passes du temps entourée des personnes que tu aimes et faire des choses qui te plaisent en dehors du taff. Pas tout le monde peut en dire autant !

Mes yeux s'ouvrent grand, l'air très intéressés et impressionés d'un coup.

Oh tu dessines ! C'est génial ! Je suis toujours très admiratif des gens qui savent dessiner. Et tu chantes...

Elle se met lentement dans la même position que moi, et on se face, à l'envers. Ca me tire un grand sourire, j'aime beaucoup ce qui se passe.

Je comprends, c'est un peu ton truc à toi.

Je ne le dis pas parce que je me doute que c'est super intime, mais j'aimerais beaucoup l'entendre chanter une fois. Savoir quelle voix elle a, comment elle prononce, ce qu'elle aime chanter. La question qui suit touche aux études. Je plonge mon regard dans le sien un instant, je me demande ce que je pourrai lui dire. Je finis par sourire un petit peu.

Hmm non. Je me suis arrêté après le lycée, quand j'ai eu 18 ans.

Je glisse en roulade et me tourne vers elle de nouveau, secoue un peu mon corps.

J'imagine que toi t'as surtout bossé la MMA.

J'attends qu'elle se redresse pour poser doucement une main sur son épaule.

Ok Madame Mignonne, prête à courir ?

Roman me fait rire avec ses imitations. On sent qu'il adore Elwynn. Je me demande un instant si elle et lui se connaissent d'avant Terrae. Mais on a toujours évité la question du passé alors je respecte ça et garde mes interrogations pour moi. En plus ça fait un peu jalouse alors que je ne le suis pas, et je n'ai d'ailleurs aucun droit de l'être.

On continue de discuter, et on passe sur les hobbies. Un drôle d'air passe sur le visage de Roman et je me demande si je n'ai pas fait une boulette, mais son sourire me rassure. Il aime surtout faire des activités physiques en fait. Quand il me parle de la danse, je suis curieuse, je n'ai jamais dansé à proprement parlé. En fait, en fouillant dans ma mémoire, je n'ai jamais dansé tout court. Il me propose alors qu'on aille danser ensemble et je cligne des yeux un instant. Danser. Ensemble. Je m'efforce de ne pas laisser paraître mon trouble et prie pour que le fait qu'il soit en train de s'échauffer l'empêche de voir mon visage rougir.

Et bah pourquoi pas. Ça pourrait être intéressant. Dis-je en espérant avoir l'air un peu détaché.

Puis on change pour parler boulot et Roman m'apprend qu'il n'a pas de travail. Je souris avec douceur.

Mais oui, tu trouveras. Peut-être poste une annonce sur le tableau d'affichage, avec ce que tu sais faire ou aimes faire. Je sais que ça a marché pour d'autres. Ne perds pas courage, ça va finir par se faire. Dis-je pour l'encourager.

Il se met ensuite sur les mains et je me penche pour l'observer. Il est gentil, à me rassurer sur mes passe-temps. Mais en vrai je sais que ce n'est pas grand chose. J'aimerais trouver d'autres choses à faire, mais je n'aime ni le bruit ni les endroits bondés. Alors la boîte, la salle d'arcade ou la patinoire, c'est compliqué. Je me rends compte que j'aurais pu aller à la piscine et recommencer à nager. C'est bon pour le cardio. Puis je m'imagine en maillot de bain en public et l'idée me paraît soudain beaucoup moins bonne.
Quand je dis à Roman que je dessine et que je chante, il écarquille les yeux et je souris, amusée.

Tout doux bijou, j'ai jamais dit que je savais ! J'aime bien, c'est tout. Je dis en riant.

Je me mets dans la même position que lui, les bras tendus. Je suis à peu près à la même hauteur que lui comme ça, c'est drôle. J'apprécie qu'il respecte mon envie d'intimité, mais une part de moi n'a pas non plus envie qu'il pense que c'est une chose que j'interdis aux autres de voir. Je hausse les épaules (enfin, c'est plus un geste bizarre de la tête).

C'est surtout que je n'ai jamais osé chanter devant d'autres personnes. Je sais pas si ma voix rend bien, ni si je chante juste. Bref, si ça se trouve c'est pas glorieux.

C'est une excuse, Ariana a dit que je chantais bien, mais ce n'est qu'une personne ! Finalement, je change de nouveau de sujet. J'ai l'impression de lui faire subir un interrogatoire. Il plonge son regard dans le mien et il me faut toute ma volonté pour ne pas piquer un nouveau fard. Il est allé jusqu'au lycée ? Je suis impressionnée. D'une petite poussée, je bascule en pont et me relève en gainant les abdos. Puis je me tourne vers lui.

J'ai jamais été à l'école à vrai dire. Ma mère n'avait pas vraiment les sous, alors elle m'a appris les bases comme elle a pu, et après ça j'ai gagné mon pain en faisant de petites missions pour les gars du quartier. J'ai commencé le MMA qu'à 20 ans, crois-le ou non !

De 10 à 15 ans, j'ai fait des petits boulots pour les gars, et ensuite j'ai fait des combats de rue. Pas très glorieux. Je préfère ne rien en dire tant qu'il ne me questionne pas dessus. Roman s'approche et pose une main sur mon épaules. Un grand sourire apparaît sur mon visage et je dois faire un effort pour ne pas trépigner sur place.

Oh oui ! Parée, chef ! Je te suis ?

C'est plus simple si il ouvre la marche, il connaît mieux les parcours faisables dans la forêt.

Elle a l'air vite fait intéressée par la danse, alors je me dis qu'on verra si je me le sens, et qu'elle en a envie. Je ne fais pas trp attention à son visage et j'espère ne pas l'avoir gênée outre mesure. Je n'insiste pas, je lui fais juste un sourire entendu, je serai très heureux de danser avec elle si elle en avait envie. Mon sourire grandit quand elle m'encourage de nouveau, elle est douce et chercher vraiment à me réconforter.

J'espère, mais ça devrait le faire. Merci Tori, ça me fait plaisir.

On continue nos accrobaties, et j'ai l'impression que la question des hobbies est pas super évidente pour elle non plus, mais je me dis que c'est logique, ça touche aussi à ce qui nous plaît, et parfois c'est vraiment intime, ou lier à des choses moins positives. J'espère que ça la blesse pas que je pose des questions, mais elle semble plutôt amusée par mon enthousiasme. Je souris de plus belle. J'ai une moue un peu moqueuse avant qu'elle ajoute qu'elle n'a jamais vraiment chanté pour les autres. Je décide de garder le même air goguenard.

Je suis presque certain que tu te débrouilles bien, pour quelqu'un qui a jamais fait de cours de chant.

Et puis je tire la langue, la tête en bas ça doit être étrange à voir, et je lui souris, plus tendre.

En tout cas si un jour tu te dis que t'aimerais bien partager, je serai ravi de t'entendre chanter. En échange de la danse héhé !

Je vanne vite pour ne pas la gêner et la laisser sur un truc qui pourrait lui mettre une pression. Elle me demande ensuite si j'ai fait des études. A noter : il faut que je l'invite à boire un verre ou qu'on se voit pour discuter, si elle a tant de questions, et comme je l'aime bien, je peux très bien y répondre. Pas à tout facilement mais je peux essayer. Je lui réponds simplement avant de rouler. Elle tombe en pont, et je la regarde se relever. Je n'exprime rien, ne laisse pas voir sur mon visage qu'elle est un peu stylée quand elle fait ça. Que je la trouve classe. En l'écoutant, je me rapproche d'elle. Mes sourcils se lèvent un peu, un début de mine inquiète se dessine sur mon visage. Tout ce qu'elle dit résonne avec ce qu'a vécu Elwynn. Avec la gamine que j'ai accueillie y a des années de ça. Je regarde Tori, vraiment, et je trouve ça d'autant plus impressionnant. Qu'elle soit là, forte et puissante, qu'elle ai eu une carrière internationale, qu'elle soit debout, qu'elle soit vivante.

Vivante.

Mon coeur se serre, et j'esquisse un geste vers elle, ma main vers son bras. J'ai envie de la prendre dans mes bras, de pleurer aussi, mais je baisse un peu la tête, et pose légèrement le dos de ma main contre le haut de son bras, comme un signe de courage mais très... léger. Pas appuyer dessus. J'oublie trop souvent que moi j'ai eu la chance d'aller à l'école. D'avoir une famille qui manquait de moyens mais en avait déjà un peu. Que j'ai pas grandi dans le pire pays. Elle finit par me dire qu'elle a commencé la MMA a 20 ans. Je lève la tête vers elle lentement, et mes yeux s'écarquille, je suis ébahi. Complètement. J'ai un léger mouvement de recul de la tête, avant de la secouer et de reprendre ce sourire taquin. Je lève un sourcil, clairement plus charmeur que d'habitude.

Mais en fait, t'es encore plus un génie que ce que je croyais... Damn, à 20 ans, mais t'es quel genre de meuf badass en fait ?

C'est si tard. C'est clairement un truc de fou. Je lui lâche mon meilleur clin d'oeil.

J'ai hâte d'en savoir plus, on remet ça plus tard si tu veux bien ?

Parce qu'avant on va courir un peu hein, maintenant que je suis chaud. Elle a l'air très très motivée à commencer. Ca me tire un sourire.

Alright. Tu me suis sur le départ, et si tu y arrives ensuite, essaie de rester à ma hauteur ok ? Ce sera plus sympa.

Je lâche son épaule, et sautille sur place en regardant le parcours, avant de me rappeler de quelque chose. Je me tourne vers elle de nouveau.

Au fait ! J'ai réfléchi, à tont surnom. Madame Mignonne ça avait l'air de te gêner un peu. Alors j'me suis dit que Miss Panthère ça t'irait bien. T'es badass, aussi forte et souple qu'elles. Et puis t'as la même peau, on pourra plus se moquer de toi comme ça. Ni dire que c'est moche, parce qu'elles sont trop belles les panthères.

Je lui souris, gentiment, sincèrement. Rien de moqueur ou de joueur pour une fois. Je viens poser mon doigt sur son nez doucement. Je laisse un petit silence.

Allez cours maintenant.

Tout ce qu'elle connait bien revient au galop, l'humeur amusée, les yeux rieurs, et je détalle, prenant quelques mètres d'avance. Je passe le premier obstacle sans ralentir, les mains en avant, mon passage de jambes fluide. Première leçon, à tous les élèves que j'ai jamais eu : jamais se laisser distraire. Même quand on est face à quelqu'un de sincère

J'encourage Roman et il me remercie, alors je lui offre un sourire. Puis vient la question de la danse pour lui, et du chant pour moi. Les hobbies tout ça... Mes joues prennent une couleur plus prononcée sous les compliments de l'Air. Qu'est-ce qui m'a pris d'en parler ?! Maintenant je ne sais plus comment me sortir de cette situation. Le voir me tirer la langue la tête en bas est une chose tellement bizarre que je ne peux m'empêcher de rire. Ça manque de me faire perdre l'équilibre d'ailleurs ! Quand son expression change, je me cache derrière mes cils, mais lance quand même :

Peut-être... Un jour.

Si c'est lui, pourquoi pas. Je suis sûre qu'il ne me jugera pas. Puis le sujet passe sur les études, et on se relève. Je lui réponds, c'est normal que je partage un peu de mon passé aussi. Et je sais pas, je vois son regard changer, encore une fois on dirait qu'il se perd quelque part. J'ai envie de le toucher pour le ramener ici, mais je le laisse parce que je ne sais pas comment il réagirait. Et au final c'est lui qui bouge, il tend la main. L'instant se suspend alors que je me retrouve moi aussi un peu hésitante. Et puis je casse ça en continuant de parler. J'ai envie de me frapper pour avoir fait ça. Mais c'est trop tard, et Roman s'extasie déjà sur ma carrière. Je hausse les épaules.

J'ai pas vraiment de mérite, j'ai commencé par des combats clandestins, à quoi... quinze ans ? Seize peut-être. Ça aide vachement, après j'ai plus eu qu'à apprendre les règles du MMA.

Mais on va s'arrêter là pour les révélations. Il me dit qu'il a hâte d'en savoir plus... Non, vraiment, tu n'as pas hâte. C'est pas joli, le reste. Mais je ne dis rien, garde un visage neutre, et acquiesce. Puis on rentre enfin dans le vif du sujet du jour : la course !! Alors forcément, j'oublie tout ce qui vient de se passer, je suis dans les starting-blocks.

Pigé ! On fait ça !

Je le regarde sautiller sur place, mes pieds bien ancrés dans le sol. Je connais ma foulée, je sais que si je fais pareil, je risque juste de partir trop fort et de m'essouffler. Donc j'attends. Et, alors que je crois qu'il va s'élancer, il s'arrête et se tourne vers moi. Je suis complètement prise de court, si bien que je ne bouge pas. Miss Panthère ? J'ai vu un jaguar une fois dans mon pays, je crois que ça y ressemble. C'était une rencontre très impressionnante, l'animal, même calme, était massif et très musclé. Et ses yeux... Je sors de mon souvenir en sentant Roman me toucher le bout du nez. Je cligne des yeux puis les baisse un peu timidement. Je suis très touchée par son idée, d'autant plus que je sens bien que son côté plaisantin a disparu.

C'est mieux que "le Zèbre" ou "la Vache"... Il va falloir que je trouve mieux que Monsieur Hippo alors ! Dis-je, dans une tentative de plaisanterie que j'abandonne juste après.

Je lève les yeux et capte son regard. Un sourire doux, bien différents de ceux que je fais d'habitude, étire mes lèvres.

Merci.

Et, juste comme ça, le Roman rieur revient. Il profite que je sois désarçonnée pour détaller et prendre de l'avance. Je lâche un cri de protestation avant de le suivre. J'aurais dû sautiller comme lui ! Heureusement, mes jambes sont des machines et rapidement, je suis sur ses talons. Le premier obstacle arrive et j'imite mon professeur pour le passer. C'est un saut basique que je passe sans effort. On l'a tellement travaillé que le geste s'est ancré en moi au même titre que les coups. La course promet d'être incroyable !

Je lui reparlerai d'aller danser ou de chanter plus tard, mais je n'oublie pas, c'est bien encré dans mon cerveau. On parle plutôt de comment elle a commencé le MMA, et j'ai l'air impressioné. Je le suis. Je ris quand elle dit qu'elle a pas de mérite.

T'es littéralement en train de dire "Euh j'ai pas de mérite j'ai commencé à me faire de l'expérience tôt", tu t'en rends compte ? Non parce que, bien sûr que t'as du mérite. Bon, c'était des combats de rue, y a des gens qui aiment pas, mais ça n'en reste pas moins une expérience valable, tant pis pour les rageux !

Bon comme ça euh, c'est clair : je suis à l'aise avec les combats de rue. Beaucoup plus que ce qu'elle croit peut-être. Je me doute que ça devait pas être tout rose, y a des choses qui se sentent, elle a dû le voir chez moi aussi. Mais on verra ça plus tard, hein ? Avec la danse, le chant, et toutes les questions qu'elle a envie de me poser, toutes les choses que j'ai envie de savoir sur elle.

Avant de partir, je lui annonce le surnom que j'ai trouvé pour elle, c'est une proposition. Elle est pas obligée de l'accepter. Mais ça a l'air de la toucher. Je suis content. Elle revient doucement à la réalité quand je lui touche le nez, et baisse les yeux doucement. Elle est très très cute. Je sais que c'est différent de ses autres surnom. Justement. Take back the power El' dirait. Elle finit par de nouveau croiser mon regard, et elle me sourit. Un sourire, gods. Mes yeux pétillent d'abord de tendresse et parce que je la trouve super belle, avant que la malice prenne le dessus.

Ouais, j'ai fait le coup du gars charmant. Ce sera ni le premier ni le dernier. Dans ma course, j'ai pas le temps pour rire à son cri de désarroi, mais si je pouvais, je le ferai. Elle tient le rythme, j'essaie pas de la semer non plus. On passe le premier obstacle, elle s'en sort super bien. Je pousse un cri de joie bref, allonge quelques unes de mes foulées, comme si j'allais m'envoler, avant de reprendre le rythme pour passer le prochain obstacle, similaire au précédent, enchainée avec un autre, plus haut, qui demande un passage de jambes plus haut, et une fois en haut, je choisis la voie des airs. Je saute à pieds joints au dessus du vide, pieds en avant, pour atterrir sur le prochain un peu plus bas à quelques mètres au plus. Ma vitesse n'a pas baissée du tout pendant les franchissements, je tourne la tête brièvement pour vérifier que Tori arrive à suivre.

Je suis surprise par la facilité avec laquelle Roman accepte l'idée de me voir dans des combats de rue. C'est comme si il était habitué à ça... Et ça fait naître encore plus de questions dans mon esprit, sans que je n'ose les poser bien sûr... Alors à la place, je souris.

Je voulais juste dire que je n'ai pas commencé si tard que ça ! Je trempe dedans depuis un moment. Enfin, trempais, vu que ma carrière est terminée.

Une mise à la retraite forcée certes mais elle est finie, c'est comme ça. Je me demande un instant si il a eu vent de la raison pour laquelle j'ai été obligée de m'arrêter. Ce n'est pas une question à laquelle j'ai hâte de répondre mais j'y répondrais si c'est Roman qui la pose. Je me sens en confiance avec lui. Et il me prouve une nouvelle fois que je peux lui faire confiance lorsqu'un moment de douceur passe entre nous. Il ne cherche ni à en profiter ni à l'étirer et à la place, reprend son air habituel, joyeux et pétillant.

Il détale sans prévenir et je le suis avec un cri de protestation, mais je m'amuse comme une petite folle. Cette adrénaline que je trouvais dans mes combats coule de nouveau dans mes veines pour mon plus grand plaisir. Et je n'ai besoin de faire mal à personne cette fois ! Je passe le premier obstacle sans souci, le mouvement est enregistré dans mon corps maintenant. Au même instant, un déclic se fait en moi. Je réalise que je n'aimais pas réellement combattre. Enfin j'aimais ça, si. Mais pour l'adrénaline, pour sentir mes muscle bouger et sentir mon corps être partagé entre énergie et douleur. Mais faire mal aux autres, non, ça ne me plaisait pas vraiment. C'était un passage obligé pour toutes les sensations que je cherchaient, qui m'aidaient à oublier Mama. Toutes ces pensées se bousculent sous mon crâne, ce qui a pour résultat un passage maladroit du début de l'obstacle suivant.

Quand je vois Roman sauter, je le suis, mais je suis trop dans ma tête. J'ai perdu ma concentration et je vise mal mon atterrissage. J'atterris sur les talons, un peu trop en avant et glisse sur la surface lisse. La chute n'est pas très violente, je finis sur les fesses et me rattrape avec les mains. Un peu plus loin, je vois Roman qui s'est retourné pour voir si je suivais. Sans attendre, je me relève et lève le pouce malgré la douleur cuisante sur mon derrière et mes paumes et le rattrape en quelques foulées.

Rien de cassé, j'ai juste mal visé ! on peut continuer ! Je le rassure avec un sourire.

Heureusement, je suis assez en forme pour être à peine essoufflée. Et si j'ai les joues rouges, c'est juste le contrecoup de la course, pas du tout la honte d'avoir chuté comme une débile, noooon.

Je hausse les épaules, l'air malin. Apprendre les règles d'une discipline aussi exigeante, passer les niveaux, les compétitions sans blessures pour en arriver à son niveau, à cet âge, c'est loin d'être rien, ou de perdre son mérite parce qu'elle a combattu un peu dans la rue. La meilleure combattante que je connaisse est une excellente compétitrice parce qu'elle a appris à se battre en dojo dès son plus jeune âge, ça, c'est une autre forme de mérite en effet. Mais je n'ajoute rien, je sens que j'ai déjà posé beaucoup et je ne veux pas la gêner outre mesure.

On file ensuite, elle tient l'allure, j'en doutais pas, on passe le premier obstacle, et quand je me retourne, je vois qu'elle a ralenti. Je rétréci mes foulées, reste à portée d'oreille, j'ai peur qu'elle se soit mal réceptionnée, mais mon regard reste interrogateur pour l'instant, je lui fais confiance. Elle ne tarde pas à me rattraper alors que je reprends le rythme. Elle me confirme que tout va bien, je souris et tend mon pouce pour le haut. Ok.

On pourrait me reprocher de pas m'inquiéter. En fait, je trouverai ça infantilisant de stopper la course si elle me dit que ça va. Et que je vois que physiquement elle suit le rythme. Donc je continue, le prochain obstacle a été posé lui aussi par Alice, un mur de terre plus grand que nous qui ne se franchit pas aisément. Je me cale à sa hauteur.

Passe en premier vas-y !

On a vu ensemble pour passer un obstacle plus haut, la prise d'appui sur le mur, le passage des bras, des jambes, et la réception de l'autre côté. Mais on l'a jamais fait en course. Je la laisse prendre un peu d'avance, pour qu'elle le passe comme elle l'entend, à son rythme, et surtout pour assurer une chute en arrière.

Roman, qui avait ralenti pour me permettre de le rattraper après ma chute ridicule, repart à nouveau à un rythme soutenu et je le suis en essuyant la terre et les épines de pin accrochées à mes vêtements. Je reprends à peine confiance que déjà le prochain obstacle se profile. Et pas un facile : un mur qui me dépasse en taille. En approchant j'essaie de me rappeler tout ce que Roman m'avait appris sur ce genre de passage. Mon esprit mouline un instant dans le vide avant de s'accrocher à quelques mots, puis les étapes me reviennent. Roman se cale près de moi et m'encourage à y aller en première.

Ok. Réponds-je juste pour économiser mon souffle.

Hors de question de chuter cette fois-ci. Surtout si il me regarde. Je me concentre et accélère ma course. D'abord, prendre appui sur le mur comme pour "courir" dessus. Ma basket droite dérape sur la terre légèrement friable, mais je m'en sors et parviens à attraper le haut du mur. Je prend un temps pour souffler, laisser la colonne vertébrale s'étirer. Puis je tire sur mes bras comme pour une traction et me voilà au dessus de l'obstacle. De l'autre côté, j'ai un moment l'impression que le sol s'éloigne de moi. Si j'avais su que je pouvais avoir le vertige...

Pas de temps à perdre, je fais souplement passer mes jambes et hésite un instant entre me laisser pendre pour diminuer la hauteur ou sauter tout simplement et effectuer une roulade pour amortir. Puis, parce que j'ai envie d'effacer ma bourde précédente et surtout parce que j'ai envie de montrer ce que je sais faire, je me décide pour le saut. L'air siffle un instant à mes oreilles et je plie les genoux en touchant le sol. Une roulade dans les feuilles plus tard, je me redresse et me retourne pour attendre Roman.

Tori est dans sa tête. Je peux le voir sur son visage, comme quand j'explique quelque chose et qu'elle cherche à comprendre, à disséquer. C'est pas qu'une machine de guerre, c'est une excellente élève, presque scolaire. Oh loin de moi l'idée qu'elle était à l'aise à l'école, mais elle s'applique. Je la regarde s'élancer, j'espère voir ce moment, l'éclair où elle se laisse guider par ses pieds et où elle s'envole.

Ca ne sera pas pour aujourd'hui. C'est pas grave, je suis patient. Et elle montre toute sa discipline : chaque mouvement est bien exécuté, elle a encore de quoi progresser en vitesse et surtout pour être à l'aise, mais tout est bon. Elle prend le temps de sauter, j'arrive presque à la hauteur du mur. Elle décide et saute. Ca m'arrache un sourire. J'accélère à peine, donne une impulsion à mes jambes. Ma taille m'avantage, j'atteinds le haut du mur facilement et je donne un simple coup d'un pied pour finir de me projeter au dessus en poussant. Dans l'élan je plie mes jambes, et mes pieds frappe le bord du mur du côté de Tori qui roule en bas. Je pousse un "Wouhouuu !" pour la féliciter en même temps que je projette mon corps en l'air.

Les bras en équilibre sur le côté, je fais un joli salto, léger comme si j'étais en suspension dans l'air, avant d'atterrir à côté d'elle et de rouler sur une épaule pour le relever immédiatement et continuer de courir. Je n'ai pas ralenti une seule fois dans toute la manoeuvre : c'est ça la force du parkour. Je croise son regard et lui tire la langue dans l'effort pour continuer. Le dernier obstacle nous attend en face. Un petit muret, au-dessus du genou. Juste avant une descente. On a pas bossé ça ensemble. Je tape doucement son épaule en courant avant d'accélérer pour la dépasser.

T'es la meilleure !

Improvise, t'es géniale. Tu vas y arriver. Je me jette presque sur le dernier obstacle en retenant un rire de joie. C'est fou comme je me sens vivant quand je cours. Je jette mon corps en parallèle avec le sol, les pieds légèrement au dessus du reste de mon corps. Une fois au-dessus du muret je replie mon corps sur lui-même, accroupi même pas une seconde pour pousser sur le mur sans me propulser trop haut, et faire une belle spirale, les jambes droites en 180 en l'air pour atterrir un peu plus bas, accroupi de nouveau.