Je vois bien que mon aide le soulagerait, mais qu'il ne veut pas m'obliger. Il est gentil. Je souris quand il insiste en disant que je ne suis pas obligée.

Ça me fait plaisir ! Je ne travaille pas aujourd'hui alors autant mettre à profit mon temps libre.

En vrai, je suis encore en train de d'assimiler qu'il est papa. Je propose quelques idées pour essayer de m'en remettre, et Huo a l'air motivé par la table de chevet. J'acquiesce et m'approche du fatras de bois. J'attrape une feuille et fais un dessin grossier. Une petite table de chevet toute en rondeur. Je me dis qu je pourrais toujours arrondir les angles à la ponceuse et tout lisser au papier de verre pour éviter les échardes. Avec un peu de peinture et du vernis ça serait parfait. Je montre le dessin à Huo.

Elle est assez basse pour que si ton petit a envie de l'utiliser pour dessiner, il soit à l'aise assis, avec assez de place dessous pour ses jambes. Je peux même rajouter un tiroir je pense.

Je me dis qu'un enfant, ça va certainement utiliser le mobilier pour quelque chose d'autre que sa fonction principale. Alors autant y penser en avance et le renforcer...
Une fois qu'on s'est mis d'accord avec Huo, je rassemble les matériaux dont je vais avoir besoin : principalement des planches plus ou moins épaisses, et quatre anciens pieds de table. Je commence à la scie, coupant les planches et les pieds aux tailles adéquates. Puis j'assemble les planches de la tablette avec des chevilles en bois trouvées au fond d'un placard. C'est bien en libre-service ici ?
Une fois les planches prêtes, je pars à la recherche de la perceuse. Je sais qu'il y en a une, je l'ai vue en cherchant les téléphones. Et après quelques instants, la voilà ! Je la brandis fièrement et l'active. Son "Vrrr-vr" vaillant me fait sourire.

Super elle est chargée. Est-ce que tu te sens de percer et visser le cadre de la table ? Demandé-je en souriant.

J'ai envie qu'il fasse des choses aussi, qu'il se sente fier d'avoir réussi à faire un truc pour ton fils.

Elle est sympa Tori. Enfin, disons qu'une fois sortie de sa panique c'est plus cool de la voir un peu souriante. Elle a l'air de s'y connaitre plus que moi en termes de bricolage en tout cas, c'est sur. Puis si elle a rien d'autre à faire, je me sens pas coupable de la monopoliser un peu.

— Oh, t'as un bon coup de crayon. Merci.

Je regarde le dessin de plus près en faisant attention aux proportions qu'elle a utilisé et jette un œil aux quelques planches en vrac sur l'établi. Je pense qu'on devrait avoir plus ou moins ce qu'il faut pour les matériaux. Il nous manque des outils par contre.

Ce qui est sur, c'est que la miss sait ce qu'elle fait. Je la laisse plus ou moins prendre la direction du truc vu que c'est son idée de design et qu'elle me plait. Je tiens un peu les planches quand elle les coupe et la regarde assembler le tout avec des petites chevilles en bois. Elle repart vers les étagères et revient avec une perceuse qu'elle active avec un bruit qui me tire un sourire.

— Hm, j'dois être capable de faire ça, ouais.

J'examine l'instrument quelques minutes, le temps d'être sur de comprendre comment il marche et je pose les planches qui seront le plateau de notre petite table à plat. La perceuse vibre un peu fort dans mes mains mais j'arrive à la garder droite et je perce les trous aux endroits que m'indique Tori. Je jette un œil au résultat et acquiesce, satisfait. Ça a pas l'air trop mal.

— Tu crois qu'on la peint après ? Ou vaut mieux juste la poncer et la vernir ?

J'y connais pas grand chose en menuiserie mais peut-être que Fai préfèrera un truc un peu coloré ? Après c'est vrai que le bois peint ça vieillit pas toujours très bien...

Huo me complimente sur mon coup de crayon et j'avoue que mes joues me semblent un peu plus chaudes sur le coup. Je n'ai pourtant pas fait très attention à ce que je dessinais : quelques traits à peu près droits, un minimum de précision sur le design pour qu'on ne se trompe pas, et voilà. C'est à peu près tout. Mais j'aime tellement dessiner en général que son compliment me fait très plaisir.

Après l'accord du Master sur le design, on se met au travail. Je commence le sciage et le montage des pièces, en essayant d'utiliser le moins de clous possible. Comme c'est pour un petit enfant, je veux éviter le moindre risque de blessure. J'ai pas envie d'avoir un papa furieux sur le dos à cause de ça. Donc je fais la maximum avec des chevilles en bois. Huo m'aide bien, il tient les planches pour moi, m'aide à m'assurer que rien ne dépasse et que tout soit droit. Je finis par me diriger vers les armoires pour chercher un dernier outil, malgré tout indispensable.

Le bruit de la perceuse arrache un sourire au papa, ce qui a pour conséquence de me faire sourire moi aussi. Je lui propose de fixer la planche qui servira de tablette pour que son fils puisse dessiner ou jouer dessus. Quand il me dit être en mesure de faire ça, je lui passe la perceuse et l'observe faire, lui donnant de temps en temps un conseil sur sa façon de tenir la vis ou la perceuse. Il se débrouille bien et bientôt le petit bureau est tout prêt. Pourtant, ce bois aux couleurs disparates fait un peu meuble de récup'. C'est pas super joli juste "comme ça". Huo semble être sur la même longueur d'onde.  Ses questions me laissent un instant pensive.

Je crois... Attends un instant !

Et me revoilà plongée dans les placards. Je cherche une ponceuse, mais aussi des pots de peinture et du vernis. L'important est de voir ce qu'on a à disposition. Il y a plusieurs pots de peinture : du bordeaux, du jaune bouton-d'or, du gris clair et du bleu roi. Je sors tous les pots et derrière, je déniche un grand pot de vernis à bois. Plus que la ponceuse. En passant à un autre placard, je découvre ce que je cherchais.

Voilà. Je voulais juste être sûre qu'on avait tout ce qu'il fallait. Du coup, je propose qu'on ponce d'abord, qu'on mette une petite couche de peinture dessus et qu'on finisse par du vernis histoire que ça s'écaille pas trop vite. Dis-je.

Je me tourne vers Huo, la ponceuse à la main.

Par contre pour le ponçage, j'ai pas vu de lunettes de protection...

J'aime bien le résultat primaire de notre petite table. Elle est encore brute de décoffrage mais ça peut s'arranger facilement. Et comme elle est pas grande, je pense que Fai pourra continuer à l'utiliser même plus tard avec juste un futon. Enfin si il choisit pas de dormir sur un lit mais on en est pas encore tout à fait là.

Par contre c'est vrai que comme on a utilisé de la récup, c'est pas tout le même bois. Ça donne un aspect un peu étrange au meuble avec des planches plus foncées par endroit, ou plus rouges.

Du coup, Tori va fouiller un peu plus dans les étagères et ramène des pots de peinture et même ce qui ressemble à une ponceuse. Je hausse un sourcil impressionné quand elle ramène tout d'un coup à notre établi. Elle a des sacrés bras en fait...

— Ça a l'air d'un bon plan.

J'examine un peu les couleurs de peinture qu'elle a trouvé. En vrai faire les pieds en gris et le plateau en bleu ça a l'air d'une idée. C'est des couleurs assez neutres pour qu'elles détonnent pas mais c'est pas non plus terne. Je relève le regarde vers Tori quand elle mentionne des lunettes.

— Hm, c'est que du ponçage, après. Si tu mets pas ton nez au dessus ça devrait aller. Ça va faire de la poussière mais si tu la mets pas trop fort, ça va pas gicler, je pense.

Pas que j'y connais grand chose en menuiserie mais de ce que je sais, poncer c'est plus poussière qu'échardes. Je désigne la ponceuse d'un geste.

— Tu veux le faire ?

On dirait bien que les couleurs plaisent à Huo. Tant mieux, sinon il aurait fallu aller acheter le nécessaire au Village et je n'étais pas très enthousiasmée à l'idée de ressortir aujourd'hui, pas avec les événements du matin. La chute était encore trop fraîche dans mon esprit. Donc à la place, si on peut utiliser les couleurs à disposition ici, ça me va très bien. Reste l'histoire de la ponceuse... Il n'y a pas de protection, ce qui m'inquiète un peu. J'ai déjà entendu parler de gens qui ont été blessés, parce que la lame de leur ponceuse s'est cassée. Ou est-ce que c'était une scie circulaire ? Je ne sais plus. Dans tous les cas, je préfère signaler ça au Master histoire qu'on soit bien d'accord que ça pourrait être dangereux.

Il a raison, si ce n'est que de la poussière, on risque juste d'éternuer... Au pire, il y aura un petit accident de pouvoirs, voilà tout. Il me propose de le faire et j'accepte d'un hochement de tête en branchant la machine.

Je pense que c'est mieux... Je n'ai pas envie de rendre à ton fils un papa estropié ou borgne. Plaisanté-je.

J'active la ponceuse et me mets au travail. Je commence par les côtés, qui ont le plus de zones rugueuses et d'échardes. Comme l'avait dit Huo, ça ne lance pas des éclats de bois partout, donc à part une odeur fraîche de bois et un peu de poussière, on s'en sort bien. Petit à petit la petite table prend un peu plus forme. Je décide d'insister sur les coins afin qu'ils soient bien ronds pour que l'enfant ne se cogne pas dessus. Une fois que tout est bien lisse, j'éteins la ponceuse et la débranche. Je la pose sur un établi, près des pots de peinture.

Et voilà, plus qu'à peindre... Est-ce que tu sais comment tu veux placer les couleurs ? Demandé-je.

C'est lui qui connaît l'enfant, après tout.

Tori acquiesce et prend la ponceuse pour la brancher. Je rigole doucement et roule un peu des yeux quand elle parle de me rendre en mauvais état. C'est pas une ponceuse électrique qui va me faire mal. Je veux dire, j'ai croisé des instruments autrement plus dangereux dans ma vie. Genre. Des sabres japonais. Et des flingues. Je veux dire, j'suis pas non plus au niveau de Nico, loin de là, mais j'ai quelques cicatrices.

— Ça me donnerait un charme piratesque, pourtant ! J'suis sûr que ma chérie trouverait ça cool. (Non.)

En vrai elle paniquerait, je pense. Mais peut-être qu'au prochain Halloween je peux me déguiser en pirate. J'suis déjà roux, je suis sûr que je ferais un cosplay décent de Shanks dans One Piece. Me manque que le sabre et les cicatrices sur l’œil. Je connais des gens qui se débrouillent en maquillage, en plus.

J'observe Tori qui s'applique à bien lisser la surface et les angles de notre petit début de table. Ça prend forme petit à petit et j'aime beaucoup ce que je vois. Le plateau a une jolie forme avec des bords arrondis maintenant et ça rend très bien.

— Je me disais, du gris pour les pieds et le plateau en bleu ? Ça ira bien ensemble.

Je me penche vers notre petite création et souffle doucement sur le plateau, faisant s'envoler un petit nuage de fine poussière de bois.

— Hm, ça a fait pas mal de poussière. Est-ce qu'il vaudrait pas mieux passer un chiffon ou une éponge humide avant ? Histoire d'être sûr que ça fasse pas des trucs bizarres avec la peinture ?

Bah oui, ce serait con que la peinture se mélange à la sciure de bois et que ça fasse des reliefs.

Je le vois du coin de l’œil qui s'amuse de ma remarque sur l'importance de le rendre en bon état à sa famille. Je souffle par le nez, moi aussi amusée. Mais en vérité, je plaisante à moitié. 90% de Terrae possède des pouvoirs de fou furieux, et je ne veux pas prendre le risque de me retrouver avec une furie aux fesses ! Et pourtant la remarque de Huo me tire un éclat de rire.

Je suis pas sûre, hein ! Et dans tous les cas, on va éviter. Conclus-je.

J'active la ponceuse et commence le travail de lissage des surfaces. Aucune écharde ne sera tolérée, surtout pour un meuble pour enfant. Surtout pour un enfant de Terrae. Je ne sais pas si le petit a des pouvoirs, tiens... Le temps que j'y pense j'ai terminé et me tourne vers le papa pour avoir son avis sur la peinture. Huo décrète du gris pour les pieds et du bleu pour le plateau.

Bonne idée, ça sera moins triste que l'inverse ! Et dans tous les cas c'est des couleurs passe-partout, donc ça devrait pas jurer dans sa chambre. Confirmé-je.

Je me recule pour observer le petit meuble dans on ensemble et le Master en profite pour souffler un peu dessus. Un nuage de poussière de bois se soulève. Ah oui, avant de peindre... Huo m'enlève les mots de la bouche. En effet hors de question que la peinture soit ruinée par de la sciure et des poussières. J'acquiesce et pars chercher de quoi. Je finis par jeter mon dévolu sur un petit torchon microfibres. Je le passe rapidement sous l'eau et l'essore le plus possible. Je ne voudrais pas que le bois de la table s'imbibe d'eau, ça aussi ça ruinerait la peinture. Je passe le chiffon sur toute la petite table avec attention, enlevant tous les copeaux et la sciure. Une fois satisfaite, je lance un pinceau à Huo et en prends un aussi.

Je fais les pieds et tu fais le plateau ?

Comme ça je peux reposer un peu mes pauvres genoux toujours douloureux après ma chute plus tôt dans la journée.

Ça me fait plaisir de la voir qui rigole à mes blagues nulles. Pas pour mon égo, hein ! Encore que… Mais elle a l'air bien plus détendue quand elle sourit et ça se voit qu'elle aime m'aider à bricoler comme ça. J'espère que le résultat sera à la hauteur de ses attentes. De mon côté, j'avais pas espoir d'un truc incroyable mais elle m'a bien aidé à tirer un objet plus que présentable de mes idées imprécises.

Elle approuve mes choix de couleur pour la peinture, au moins. Même si j'avoue que du jaune avec du bordeaux ça conviendrait possiblement plus à un enfant, ça peut jurer plus facilement avec la déco.

Tori s'empare d'un chiffon qu'elle mouille pour bien enlever toute la poussière du ponçage avant qu'on s'installe avec les pots de peinture et les éléments de la table. J'acquiesce et prend le plateau avant de tremper mon pinceau dans le bleu. J'essaye de m'appliquer à ne pas faire de coulure et à mettre une couche bien uniforme mais le bois absorbe un peu la peinture donc c'est plus compliqué que je pensais, en fait.

— C'est vraiment gentil de m'aider, au fait. Fin, je sais que c'est pour me remercier mais vraiment tu avais aucune obligation.

C'est le genre de chose qui parait pas forcément évident quand on vient d'arriver. Ça parait étrange maintenant que je regarde ça d'un autre œil mais l'idée d'une vraie communauté comme celle de Terrae me paraissait tellement improbable quand je suis arrivé ici. C'est pas juste des mots. C'est une vraie présence, une vraie entraide.

— D'où est-ce que tu viens, Tori ? Si c'est pas indiscret.

Il me semble qu'elle parle un truc à consonance hispanique mais j'ai jamais été très doué pour les langues romanes donc je peux me tromper. Puis bon le temps que j'arrive à peindre tout le plateau, on peut bien faire un peu la conversation.

Je laisse à Huo le soin de peindre le petit meuble, une fois celui-ci bien propre. La peinture sur le bois légèrement humide est un peu dure à appliquer, et Huo a un peu de mal. Je l'observe faire en me demandant si j'ai pas une astuce pour ce genre de souci, mais non... Rien ne me vient. Le Master me tire de mes réflexions. Je souris face à sa gratitude.

Ça me fait plaisir, vraiment. J'aime bien bricoler et je n'avais pas grand chose de prévu pour le reste de la journée. Et puis tu m'as vraiment sauvé quelque chose de très précieux avec ce téléphone alors je t'en dois une.

Je fais une pause pour regarder les coups de pinceau de Huo.

D'ailleurs, pour que la peinture tienne bien, on pourra faire plusieurs couches, comme ça on est sûr qu'on ne verra plus le bois à travers. Suggéré-je.

Maintenant que je suis impliquée dans ce cadeau, j'ai envie d'aller jusqu'au bout et qu'il soit parfait. Je me mets à la recherche d'un autre pinceau et de vernis à bois pour éviter que la peinture ne s'écaille trop vite. Au même moment, Huo me pose une question, alors je lui réponds un peu distraitement, le dos tourné.

Non non, ça me gêne pas. Je viens du Brésil, pas loin de Rio. Mais bon, j'ai pas trop connu l'effervescence de la ville ou les carnavals, moi j'étais plutôt du côté des favelas. Et toi ?

Je renvoie la balle tout en passant à un autre placard, je suis sûre d'avoir vu un pot de vernis quelque part non d'un chien... En baissant les yeux je tombe enfin dessus.

Bingo !! On pourra mettre ça une fois que la peinture aura séché.

Je sors le vernis qui s'avère en plus être du vernis mat. De quoi laisser voir les belles couleurs ! Je reviens auprès d'Huo pour vérifier que tout se passe bien et écouter sa réponse. J'attrape alors un pinceau à mon tour pour peindre les pieds comme convenu.

C'est relaxant en fait, les travaux manuels. Je le savais déjà, hein, mais ça se confirme. Puis, je sais pas, le fait de fabriquer entièrement quelque chose pour mon petit garçon ça me procure une immense satisfaction. Au moins, Tori a l'air d'apprécier me filer un coup de main pour ça. J'aurais pas voulu qu'elle se sente obligée de m'aider par reconnaissance.

— Oui, bon plan. Je laisserai les différents morceaux ici et je reviendrai faire une deuxième couche demain, histoire que ce soit bien sec.

Tori semble avoir une idée de plus donc elle retourne fouiller dans les étagères pour… Je sais pas, elle a pas dit. Peut-être du vernis ? Sa réponse est un peu distraite mais tout à fait intelligible. Je suis pas trop surpris d'apprendre qu'elle a grandi dans un quartier défavorisé, ça se sent dans son attitude mais ça fait plaisir de voir qu'elle reste quelqu'un de positif malgré tout.

— Hong Kong, en Chine. Mes parents étaient des gens assez normaux mais je suis parti à mes 18 ans et j'ai pas très bien tourné avant d'arriver à Terrae.

Euphémisme, vraiment. Mais bon, expliquer mon histoire personnelle, on va éviter. Si elle a grandit dans des favelas, elle doit pas avoir eu une super expérience avec tout ce qui est cartel.

— Oh, bonne idée ! Ça évitera que la peinture s'écaille trop vite. Merci.

Je termine la première face du plateau et le repose avant de m'attaquer au dessous. En vrai, j'ai peur que la peinture ait des traces si je le laisse à plat. Il vaut peut-être mieux le poser sur la tranche le temps que je finisse.

— Tu as pas encore été initiée, nan ? Tu as dit que tu étais là que depuis un mois. C'est pas trop compliqué de t'adapter à Terrae, ça va ?

Bah ouais, c'est chaud de se retrouver d'un coup dans un endroit comme Terrae quand tu viens de quelque part d'aussi différent que les favelas de Rio.

Je propose à Huo de faire a peinture en plusieurs étapes et il est d'accord. J'acquiesce quand il me dit qu'il repassera pour passer une seconde couche demain.

Ok, oui c'est mieux de bien laisser sécher. Tu auras besoin d'aide ? Si c'est genre dans l'aprem, je peux venir, j'aurais fini de travailler. Proposé-je.

Et puis une autre idée me vient alors je file chercher dans les placards. Pendant ce temps, on en vient à parler de nos origines. Huo m'apprend qu'il est de Hong Kong. Je hausse un sourcil. C'est une grande ville, ça aussi. Comme Rio. Je me demande si là-bas aussi il y a des quartiers comme les favelas. Bien sûr il est hors de question de demander quelque chose comme ça. C'est impoli, et comme vient de le dire le Master, il a lui aussi eu un passé houleux apparemment. Je ne voudrais pas faire ressurgir de mauvais souvenirs. Donc je me contente de hocher la tête.

Je comprends... Moi aussi j'ai pas trop bien tourné, mais il faut croire que Terrae est là pour nous rattraper. Plaisanté-je à demi.

En tout cas, c'est ce qui s'est passé pour moi. Sinon... Je tente un instant d'imaginer ma vie. Non, vraiment je crois que j'aurais fini par crever de faim dans un caniveau. Je trouve ce que je cherchais (du vernis !) et reviens vers Huo qui a bien avancé sa part. Il n'a pas trop l'air de savoir comment poser le côté coloré alors j'attrape des restes de planches et les dispose à distance égale.

Tiens, poses-y dessus, ça fera moins de traces.

Je m'attaque ensuite à la peinture des pieds. C'est assez facile mais la peinture grise est un peu moins opaque que la bleue, et je mets plus de temps que je pensais. Ça me laisse néanmoins le temps de répondre à la prochaine question de Huo.

Aha non je suis pas encore initiée. En vrai, j'appréhende. Je trouve que toute cette histoire de pouvoirs est assez flippante. Vraiment, ça me fait peur déjà chez les autres, alors que moi, j'en ai. Je ne sais pas si c'est une bonne idée.

Référence à mon pétage de câble pendant le dernier match de ma carrière. J'ai envoyé quelqu'un à l'hosto juste avec mes poings, alors avec des pouvoirs... J'ai peur de ce que ça pourrait produire.

Et toi alors ? Si t'as un pitchoune, tu dois être là depuis un moment non ? À moins que tu sois arrivé avec lui ? Questionné-je. Bien sûr aucune obligation de répondre, hein. Si tu veux pas en parler, tu as juste à le dire.

Je lui souris un peu quand elle dit que Terrae est là pour nous rattraper. Et en vrai, j'ai le recul de le dire maintenant mais Terrae m'a sauvé la vie. Peut-être que j'aurais pas fini six pieds sous terre mais vraiment c'est pas certain.

Peut-être que j'aurais réussi à passer au delà, peut-être que je me serais fait tuer en essayant de venger Xiao ou bien peut-être que non. C'est peu probable. J'essaye de ne pas penser à ce "et si" particulier.

Tori revient et me donne quelques bouts de planches pour pouvoir poser le plateau et finir la peinture. Je la remercie d'un sourire et m'attelle à terminer ma couche de peinture en essayant de toujours garder une surface lisse et égale. Enfin, comme je peux, hein.

— Oh merci, c'est pile ce qui me fallait.

Je l'observe un instant pendant qu'elle commence à peindre les pieds tout en répondant à ma question. Elle a l'air de pas être très à l'aise avec l'idée de la magie. C'est sûr que ça peut faire peur au début mais Terrae… Enfin on essaye de tout faire pour que ça se passe bien. On peut pas toujours éviter les dérapages parce qu'on reste des êtres humains mais on fait de notre mieux pour les limiter.

— Ça me dérange pas. Et j'suis là depuis… Pfiou, plus de dix ans. J'étais juste un mec paumé dans sa vie et maintenant j'suis papa.

Toujours pas marié, par ailleurs, mais on va pas aborder les sujets qui fâchent tout de suite, hein.

— Qu'est-ce qui te fais si peur avec les pouvoirs ? Tu pense que tu arriveras pas à te contrôler ?

C'est légitime, en vrai, quand on a un passé trouble. Mais justement, en apprenant à maitriser ses pouvoirs, la plupart des Terraens apprennent à se maitriser eux-mêmes. Ce qui pourrait être une métaphore facile mais le schéma est simple, en vrai. Perdre le contrôle signifie souvent faire du mal à quelqu'un ou soi-même donc on apprend à contrôler ses émotions pour contrôler ses pouvoirs.

Utiliser des planches pour poser le plateau le temps qu'il sèche semble être une bonne idée. Huo me remercie avant de se reconcentrer sur sa peinture. Je fais la même chose en répondant à sa question. Eh oui, pas encore initiée. Je ne suis pas là depuis si longtemps après tout. Et puis l'idée d'avoir soudain des pouvoirs... Je ne sais pas, je n'y suis pas encore tout à fait habituée. Et je ne sais pas si c'est une bonne idée... C'est comme confier un couteau bien aiguisé à un gamin : on obtient un danger ambulant, pour lui comme pour les autres.

Je décide de changer de sujet. Enfin, pas vraiment, mais je retourne sa question contre Huo. Après tout, si il me pose des questions, j'ai bien le droit d'en faire autant. Enfin, en toute politesse bien sûr. J'ai pas été élevée par des loups. Et Huo m'annonce qu'il est là depuis plus de dix ans. D'un seul coup, je me demande quel âge il a... Avec un marmot, au moins trente ans non ? Enfin, je peux parler, j'en ai vingt-six... Je ne suis pas bien loin de lui. Sa réponse me tire un sourire.

Ça change un homme tant que ça, un enfant ? Demandé-je.

Est-ce que j'avais changé Mama, moi aussi ? D'un seul coup, je me demande comment elle était avant de me découvrir sur le paillasson devant sa porte. Est-ce que je l'ai changée en bien ? J'espère. Je me reconcentre sur notre discussion. Huo ramène l'histoire des pouvoirs sur le tapis. Je me compose un air détaché et hausse les épaules, les yeux fixés sur mes couches de peinture.

Je suppose que ça doit venir de ma culture. Au brésil on aime pas trop la magie. Les sorciers - on les appelle bruxo - sont considérés comme de mauvaises personnes. Alors j'ai un peu peur de toute cette histoire de magie. Puis je sais pas, l'idée d'une chose qu'on réveille en moi et que je ne comprends pas ni ne maîtrise... Pas fan non plus.

J'explique ça d'un ton détaché, comme si je parlais de la pluie et du beau temps, mais au fond, j'ai le cœur qui bat la chamade. Parce que je suis bien ici... Et que j'ai peur que si je refuse les pouvoirs, on me demande de partir. Je perdrais alors les amis que je commence enfin à me faire, une nouvelle maison et un lieu où je me sens bien. J'ai peur de tout perdre encore une fois.

Sa question me tire un sourire et je me pose un instant pour réfléchir à ma réponse. Est-ce que ça m’a changé ? Surement. Mais au final, qu’est-ce qui nous change le plus dans notre vie ? On ne peut pas juste dire qu’on reste la même personne du début à la fin, on rencontre des gens, on vit des choses. La vie n’est pas quelque chose de statique sinon ce n’est pas une vie. Enfin je crois.

– Oui et non ? Ça a changé mon rythme de vie et mes priorités, forcément. Mais c’est pas… Enfin pour moi c’est pas un changement radical ou soudain. Être papa ça m’a pas fait devenir quelqu’un d’autre. Je suis toujours moi, j’ai juste une personne de plus dans ma vie pour qui je serai prêt à tout.

Ce qui est pas forcément rassurant dit comme ça mais… Enfin c’est un peu ce que je considère comme la base de ma personnalité d’adulte. Personne ne fait de mal à mes proches.

– Hmm… Personne ne te forcera à passer l’initiation si tu ne t’y sens pas prête. Le but c’est de te donner une opportunité, pas de t’enrôler de force.

Je fais la moue, pensif. On a pas forcément dû lui expliquer d’où viennent les pouvoirs de façon précise. Surtout si elle s’est enfuie à chaque fois que quelqu’un a voulu lui montrer une flamme.

– Les pouvoirs… C’est vrai qu’au début on peut avoir du mal à les maîtriser mais c’est pour ça qu’on appose un sceau dessus à l’initiation. Tu n’auras pas un niveau de puissance qui te permettra de faire quelque chose de grave, aux autres ou à toi. Pas plus qu’avec tes poings.

J’hésite un instant avant de soupirer tout bas. Je lui envoie un sourire que j’espère rassurant. Je peux sentir son Vide un peu. Mais ça c’est personnel et je veux pas lui faire peur mais…

– Tori… Quand on t’as proposé de venir à Terrae, on t’a promis qu’on pouvait t’aider à combler ce Vide qui est en toi. C’est pas des paroles en l’air. J’ai été à ta place au début, je pensais que mes pouvoirs ne pouvaient que détruire parce que c’est la seule chose qu’on peut faire avec le Feu. Mais les intentions ont de l’importance aussi. Et même si je crois pas au destin, je crois que quand il s’agit de magie les choses arrivent pas par hasard.