Encore un mois passé ici. Ça fait combien de temps que je suis arrivée maintenant ? Peu importe, après tout. En arrivant ce matin, il n'y a pas grand monde dans le gymnase, ce qui me convient très bien. J'entre d'un pas beaucoup plus délié que ces derniers temps. Après m'être coincé le dos j'ai dû attendre que les effets de la séance de kiné se fassent sentir et voilà quelque jours maintenant que je n'ai plus aucune douleur. J'ai donc pris ça pour la fin de la guérison et me suis immédiatement habillée d'un sweat et d'un jogging noir pour aller reprendre mes activités.

J'ai commencé par une petite heure de course, à la fois pour m'échauffer et pour me vider la tête des nouveaux cauchemars qui ont peuplé ma nuit. Puis, une fois que j'ai senti que mon corps était assez remis en route, je suis allée à la salle de sport ou comme ils l'appellent ici, le gymnase. J'ai découvert qu'il y avait ici beaucoup moins de manifestations de pouvoirs que dans la salle d'entraînement, qui est elle faite pour travailler lesdits pouvoirs.

Bref, j'entre dans le gymnase et me dirige vers les sacs de frappe qui sont au fond. L'un d'eux est occupé par un type tatoué, cheveux courts. Je m'approche et retire mon sweat. Ici il fait plus chaud, et j'ai prévu le coup en ne portant qu'une brassière de sport en dessous. Je pointe un sac et m'adresse au type :

Hé, ça t'embête si je me mets là ?

Politesse oblige, je préfère demander. Si ça le gêne, je commencerais par d'autres exercices.

Sans déc ça fait combien de temps que j'ai pas tapé sur un truc? Deux ans? Trois peut être même. Le sport y'as pas de problème ça me vide la tête mais ça fait cinqs minutes que je suis bloqué devant ce sac de frappe a pas osé envoyer la moindre patate. On a beau dire ce qu'on veut. Ouai je vais mieux. J'ai pas eu de crise de violence depuis un moment, en tout cas depuis que j'ai arrêter l'alcool et la came. Faut dire qu'avoir les idées clair ça aide pas mal a contrôler ses émotions. Mais je sais pas l'idée d'envoyé des coups ça me fait peur. Justement parce que j'en ai envie en fait et que si j'ai bien appris un truc en désintoxe c'est qu'il faut avoir peur de ce qu'on a envie de faire. Alors ma psy d'irait justement que ça m'aiderait a extériorisé, et que vaux mieux que ce soit sur un sac que sur un type, mais je viens a me demander si me battre était pas juste une addiction comme les autres. J'ai peur que ce premier coup puisse être comme le premier joint d'un lycéen. Un allé simple vers la spirale.

De toute façon je peux plus me défiler. Tout le monde est littéralement sur le front en ce moment. J'ai passé ma vie a me battre pour des conneries et je suis pas là pour un truc qui compte vraiment. Alors j'envoie le premier coup. C'est vraiment digne d'un gosse qui enverrait son poing pendant qu'il se bat avec son frère mais c'est un premier pas. Puis j'enchaine. Techniquement c'est pauvre, autant par appréhension que par manque de pratique. Mais le feeling revient peut a peut et j'envoie des coup qui font un peut vacillé le sac.

Je suis arrêter au milieu d'une session par une voix que je reconnais pas.

-De? Ah nan t'inquiète pas, j'ai déjà assez de mal a en gérer un alors deux je te dit pas je risquerais de perdre.

Je l'ai jamais vue elle. Et genre jamais vue même du coin de l'œil parce que c'est vraiment pas le genre de personne que tu loupe. Déjà parce qu'une meuf qui me fait complexer sur mes tours de bras ça me dit rien puis bon le vitiligo aussi ça ressort du décor en général.

Je reprend ma séance tranquille et putain je me dit que je voudrait pas être le sac en face d'elle. Je sens l'impact de ses coups d'ici et je me dit que si c'était moi je serais bon pour quelques côtes en moins.

-Et bhe, dans le doute rappelle moi de pas te faire chier je tiens a ma mâchoire. J'imagine que t'es une habituée c'est pas le genre de coup qu'on envoie au hasard ça. Genre comme les miens.

Ouai je sais ce que vous allez dire. Baxter tu fais exactement comme les types reloues que tu déteste tant. Les gens viennent là pour taper ou soulever des trucs pas faire la discute. Mais là j'ai besoin de parler pour m'encrer sur un truc et essayer d'envoyer mes coups plus naturellement.

Les coups du gars à côté sont assez hésitants. Je ne sais pas pourquoi il s'est mis aux sacs si il galère, mais sa réponse m'indique que ça doit faire un moment qu'il s'y est pas remis. Un regard rapide me confirme que c'est le cas.Il a le placement de quelqu'un qui sait taper, mais on voit tout de suite l'hésitation.

Je le laisse à ses balbutiements et attaque une série de frappes en n'utilisant que mes bras et la bascule de mes hanches pour commencer. Comme je veux encore ménager mon dos, je reste sur des coups simples, me focalisant sur leur précision et leur portée. Les coups claquent et la chaîne où est accroché le sac produit des bruits métalliques quand celui-ci se met à se balancer. Je sens que je n'ai pas encore retrouvé toute ma mobilité. C'est franchement frustrant, mais ça me suffit pour une séance courte. Je me rends compte que j'ai totalement zappé de prendre des bandes et très vite mes phalanges sont brûlées au contact de la toile du sac. Le commentaire du gars à côté me permet de faire une pause. Je lui jette un regard méfiant et hausse les épaules.

Ouais, on peut dire que je suis habituée. Lâché-je d'un ton un peu sec, le souffle court.

Après l'heure de course, j'ai du mal à enchaîner. Le cardio a pris cher pendant la pause. C'est pas que je n'ai pas envie de discuter, mais je ne connais pas le type et même si il fait de l'humour, bah... Je le connais pas quoi.
L'image d'Alyona, au moment où elle m'a accueillie à Terrae me traverse l'esprit. Elle non plus ne me connaissait pas quand elle s'est retrouvée devant moi. Pourtant elle a été adorable avec moi. Et allez, en plus je me suis juré d'être plus sympa ! Voilà que je me sens coupable.
Je plie et déplie les doigts pour éviter que ma poigne se raidisse.

Désolée. Oui, j'ai l'habitude, j'étais combattante pro en MMA. Ça fait un moment que tu as pas tapé sur quelque chose non ? Dis-je d'un ton plus aimable en désignant son sac d'un geste du menton.

Il fait froid non? Ah non c'est son ton. Bon faillais s'y attendre j'aurais réagi pareil. Faut dire que c'est même étonnant de ma part d'avoir commencer une conversation.

-Ça se voit tant que ça? Ouai bon j'avoue ça se voit tant que ça.

Je renvoie une série de coup, comme pour prouver quelque chose, et je me loupe sur le dernier, venant me donner en prime une petite douleur au poignet.

-Fuck! Je mentais pas quand je disait que y'avait moyen qu'un sac de frappe me batte.

Ma psy dirait que c'est un bon signe, que ça montre mes efforts. Mes ancien potes diraient que je suis devenu vieux et mou. 'fin ils l'auraient pas dit comme ça ils auraient surement étaient plus insultants et je les aurais surement démonté pour leurs prouver le contraire et leur apprendre le respect. Mais bon beaucoup de chose ont changé hein. Moi ce que j'en pense c'est que je viens de me blesser contre un sac de frappe et que bordel j'ai quand même l'air con.

-Je me suis jamais battue dans la cage, encore moins en pro, mais j'aurais penser que ça serait comme le vélo. Ça se voit surement pas mais a une époque tout ça c'était naturel pour moi.

Et voilà mon ego mal placé qui vient se trouver des justifications. A pas loin près je lui sort un trophée de bagarreur de rue. Première place des crack-heads et des mafieux y'as de quoi être fier.

Le gars a l'air sympa, pas du genre à se moquer ou à me faire chier pour un rien. Du coup, je me détends un peu et le regarde frapper. Quand son dernier coup lui tord le poignet je retiens à grand peine une grimace. Ça a pas dû faire du bien ça... Si il continue dans cette lancée, il va finir par vraiment se faire mal. Je lui aurais bien prêté des bandes pour renforcer ses articulations mais j'ai même oublié les miennes. Du coup, un peu machinalement, je lui prend le bras et le monte un peu pour placer son coude à la hauteur de son épaule. Puis j'attrape son avant-bras.

C'est parce que t’alignes pas ton poignet correctement. Regarde, si tu veux renforcer ton coup et éviter de te faire mal, il faut que tu alignes tes articulations.

Je joins le geste à la parole en corrigeant son poignet qu'il tient un peu cassé. Je l'aligne avec le coude pour que ça forme une ligne droite.

Voilà comme ça. Et ensuite, tu frappes pas avec ton bras, mais avec ta hanche. La bascule se fait à partir de là. Un pied devant l'autre, là. Je lui mets un petit coup avec ma basket dans sa chaussure jusqu'à ce qu'il recule un pied là où je veux. Et avec cette posture, c'est tout ton corps qui peut tourner et ça donne de l'élan et de la force à ton coup.

Je me recule et observe sa posture. Beaucoup mieux, même si je vois encore quelques petites choses à améliorer. Je me rends compte alors que j'ai fait tout ça sans son accord.

Désolée, t'avais peut-être pas envie que je fourre mon nez là-dedans... Mais ouais, ça peut se perdre un peu. Puis la technique en pro est pas la même que dans les combats de rue.

J'en sais quelque chose pour avoir fait les deux. Et je suppose que s'il avait l'habitude de distribuer des gnons, si c'était pas en pro c'était dans la rue. Je hausse les épaules.

Vas-y essaie de frapper avec cette nouvelle posture ? Proposé-je.

Je me surprend a me dire que je dois surement la faire chier a déblatérer comme un paumé, j'ai vraiment l'air du gars relou qu'essaye de draguer une meuf en boîte, sauf que là on est dans un gymnase et que la meuf en question aurait pas besoin d'appelé le videur parce qu'elle pourrait me démolir moi et le videur.

Ducoup quand je voie qu'elle rapproche sa main de la mienne je me vois déjà au sol a me justifier sauf qu'en fait non, elle se la joue coach sportif et m'indique comment régler ma posture, et part m'indique j'entend elle me manipule comme un pantin désarticulé. D'où je viens la technique c'était le dernier de nos soucis, globalement quand t'envoyer une patate si le mec en face était pas en états de te la rendre c'était que t'avais réussi et si il te la rendais bha... on recommençais  ça jusqu'as la "réussite" d'un des deux.

-Nan nan tranquille tout conseil est bon a prendre, je préfère largement ça plutôt que de voir écris "Tué par un sac de frappe" sur mon épitaphe.

Et du coup j'accepte sa proposition et j'envoie une droite sêche sur le sac, cette fois c'est bien plus efficace, en tout cas assez pour l'envoyer balancer et le faire revenir vers moi. J'ai beau être un peu rouillé j'arrive quand même a l'éviter, technique pas ouf mais je garde mes reflexes.

-Eh beh faut croire que ça marche bien ton truc merci. Bon c'est un pâtissier qui te félicite donc ça vaut ce que ça vaut mais quand même.

Si on m'avais dit a l'époque que je présenterais comme Baxter le pâtissier je me serais bien marrer quand même.

-Ouai d'ailleurs je m'appelle Baxter enchanté. Nan parce que flemme de me faire appeler "le pâtissier" en fait.

Ipiu finirait pas l'apprendre je sais pas comment et en profiterait trop pour me faire chier avec pour le restant de mes jours.

La blague du gars m'arrache un sourire. Quelle épitaphe de merde ouais. Bon, heureusement, quand il frappe dans le sac et que celui-ci revient, il l'esquive. Pas d'épitaphe de merde pour cette fois. En tout cas mon conseil a porté ses fruits, son coup était plus précis et avait beaucoup plus de force. Je hoche la tête d'un air satisfait.

Beaucoup mieux, bravo. Le félicité-je.

Je mets moi-même une nouvelle série de coups dans mon sac, qui se balance sur sa chaîne. Mon dos ne me permet pas de faire les mouvements jusqu'au bout, mais mes coups avaient à peine perdu en puissance.

Je t'en prie, au moins tu ne risques plus de te faire mal comme ça. Dis-je quand il me remercie.

Pour qui je me prends à jouer les coachs alors que le mien ne veut plus entendre parler de moi ? Franchement, l'ironie de la situation me fait presque mal. Et puis je percute enfin la suite de sa phrase.

Ah ouais t'es pâtissier ?

Je retiens le "on dirait pas", parce que franchement j'ai peut-être été élevée dans les favelas, mais je connais la politesse. Et c'est pas poli. Par contre, ça veut dire qu'il bosse juste à côté de la boulangerie, et qu'on va être amenés à se recroiser. Bref, il se présente alors j'en fais de même.

Tu peux m'appeler Tori. J'ai décroché un travail à la boulangerie à côté du café-pâtisserie... Je viens de finir ma formation. C'est très différent du pain, la pâtisserie ? Demandé-je.

C'est drôle, je me disais que le gérant était sympa mais que travailler seule allait peut-être finir par me peser. On peut dire que la rencontre avec Baxter tombe à point nommé.

Téma j'ai même les félicitations du chef. Une machine je me tue a vous le dire. Bon elle viens me rappeler que je suis tout claquos en éclatant son sac mais on est là hein. De toute façon c'est pas une compétition hein. J'men fou tsé. Tu me donne un ans je suis champion de boxe hein.

-Tu sous estime ma maladresse général mais ouai y'as moins de risque comme ça.

Bha ça se voit que je suis patissier nan? Fin j'ai la dégaine quoi. Ptdr non.

-Ouai c'est un peut arriver au hasard je vais pas te mentir. C'est a peux près le seul truc qui rapporte des thunes que je sais faire.

Légalement on s'entend.

-Au début je bossais a la cafet mais c'était un peux chiant du coup quand mon pote a ouvert son café j'en ai profité et j'ai gratter ma place.

Jure? L'expression l'habit ne fait pas le moine a jamais été aussi vraie parce que tu nous voit tout les deux la première chose que tu dit c'est pas qu'on est boulangère et pâtissier.

-Lourd bien joué! Honnêtement dans mon livre une pâtisserie c'est juste du pain avec du sucre. Nan sérieusement a part les produit avec les quels on travaille c'est pas si différent que ça. Puis en général les boulanger on tendances a porter les deux casquettes moi j'ai juste finis par me spécialiser. C'est ma manière de dire que j'ai la flemme de faire les deux. Si ça t'intéresse je te montrerais, y'as pas de raison que tu soit la seule a faire la prof.  

C'est moi ou j'ai appris a me faire des potes? Chelou l'ambiance.

Oh, c'est un maladroit ? Après le fiasco de ses premiers coups... Oui, il est sûrement maladroit. Mais au moins en lui montrant les bases, il aura moins de chance de se blesser sérieusement. Cette fois il va s'en tirer avec quelques raideurs dans le poignet, c'est pas si pire. Bref, il m'annonce qu'il est pâtissier. Il a pas vraiment la dégaine qui va avec. Mais comme on dit là, ne pas juger un livre à sa couverture. Ouais je crois que c'est ça. Mais je le verrais plus comme homme de main ou je sais pas, yakuza ? Naaaah, il est trop cool pour ça. Quoique... Les gars de mon quartier étaient sympas aussi. Des fois ils me manquent un peu, d'ailleurs... Mais moins que Mama. Rien qu'y penser rouvre la plaie béante dans mon cœur. Je m'efforce de me concentrer sur ce que Baxter me dit.

Ah ouais. Je livre le pain à la cafète le matin... Ça a pas l'air super fun d'y bosser. 'Fin je pourrais pas, accueillir tout ce monde ça me filerait des angoisses.

J'ai jamais vraiment été à l'aise dans la foule. C'est pour ça que mes apparitions aux rencontres avec le public étaient si rares. Ça m'angoisse et après je deviens désagréable. Même moi je le remarque, c'est dire. Le gars me parle de la raison qui l'a poussé à être pâtissier plutôt que boulanger. Ça a l'air plutôt différent, mais principalement pour une chose : il faut suivre des recettes beaucoup plus complexes. Ça demande un livre de recettes, et qui dit livre, dit lire. J'hésite un instant... Mais il a été honnête avec moi au sujet de ses faiblesses. je me dois de l'être aussi.

Je viens de favelas près de Rio, alors lire c'est pas vraiment ce que je fais de mieux. Du coup, j'aurais pas pu devenir pâtissière. En boulangerie, les recettes sont assez simple pour les retenir. Et pour celles qui sont plus compliquées, j'ai pris un enregistrement audio du chef.

On dirait presque que je dis que je sais pas lire là. C'est pas le cas.

Je sais à peu près lire hein. Enfin, dans ma langue. C'est juste qu'apparemment je suis dyslexique. Du coup la lecture c'est toujours une vraie plaie.