Chrono : Dans la journée de la mission, Aoi a été assommée par un gaz soporifique et ne s'est pas réveillée. On doit être vers le début d'après-midi, elle était quand même assez fatiguée en terme d'utilisation des pouvoirs.


Ma tête est lourde lorsque j’émerge enfin. Je mets quelques longues secondes à me rendre compte d’où je suis, et surtout ce que je fais allongée ; la lumière blanche m’inquiète et je sursaute, respire bruyamment et regarde autour de moi avec crainte… Pour ma défense, les derniers souvenirs que j’ai datent du bunker, lorsque je soignais mes équipiers, il est donc possible que nous ayons été capturé. Et puis… et d’un coup, c’était noir, je ne me rappelle plus bien. Par contre, je sens bien que j’ai mal à la tête, comme si j’avais pris un gros coup ; mais voilà, mes mains ne sont pas restreintes ni attachées, on m’a enlevé mon casque et mon gilet pare-balle, et j’entends des bips qui me font penser à l’hôpital. Le mobilier m’avertis assez rapidement.

Ok, je me détends, c’est un environnement familier. Je me laisse couler dans le matelas, puis aperçois la masse de cheveux rousse près de moi. Aïe, je vais me faire engueuler. Huo a l’air mortifié, mais je suis là et je sens mon corps, donc ça va. Je n’ai pas de perfusion, donc a priori ça veut dire que mon état est stable. Par contre j’ai un bandage autour du cou, et… non, je ne me rappelle pas.

La bouche encore un peu pâteuse, comme si j’avais pris un somnifère — AH. — j’essaie de prononcer :

—Salut… On est quel jour ?

… Et là je capte que les bips, c’est pas les bips de l’hôpital, en fait, c’est juste mes oreilles qui bourdonnent encore. Oh, génial. Et ma gorge me fait super mal, j’ai la voix très érraillée.

Je demande le jour, pas l’heure, parce qu’il y a une horloge au mur pas loin, en fait. Je n’arrive juste pas à lire aussi loin.

—L'équipe ?

J'ai possiblement laissé Sylvia en plan avec les élèves dès que j'ai su que Aoi était rentrée. Le temps de récupérer Fai et j'ai filé à l'hosto. Tout va bien, tout va bien. Elle va bien.

A l'accueil on me donne un peu plus d'informations. Fai calé sur ma hanche s'agite. Il n'aime pas trop l'ambiance et je le comprends. Aoi a été endormi par une attaque avec un gaz soporifique donc elle est encore dans les vapes et ils ne savent pas encore exactement quand elle va se réveiller mais surement dans la journée.

Je négocie avec l'infirmière qui accepte de garder le petit. Je sais qu'il a envie de la voir mais je… Pas tout de suite. Pas dans cet état. J'ai besoin de quelques heures, de me recentrer et de parler avec Aoi. Et lui… Je veux pas qu'il la revoie tout de suite alors qu'elle est inconsciente dans un lit d'hosto.

Il chouine un peu mais accepte de rester avec les infirmières quand je lui promets qu'il verra Maman dès qu'elle sera réveillée. Il les connait un peu donc je sais que ça ira.

Je m'affale un peu sur une chaise à côté du lit et prend sa main dans la mienne. Elle a pas de perfusion, pas de gros bandage visible à part celui autour de son cou. Rien que ça déjà me serre un peu la gorge. Elle a juste l'air de dormir à part son air très fatigué.

Je sais pas combien de temps je reste comme ça à la regarder. A attendre qu'elle se réveille. J'ai gardé mon oreillette donc j'ai les dernières nouvelles de toutes les équipes puis plus rien et je l'enlève pour la poser sur la table de chevet.

J'entends les draps se froisser quand elle bouge et je me rassois. Lentement elle ouvre les yeux, le regard vague. Elle tourne la tête vers moi et je lui souris faiblement.

— Toujours le 19. T'as pas dormi très longtemps.

Je reprends sa main doucement, serre gentiment pour lui faire sentir ma présence. Elle a encore l'air à moitié dans le gaz mais elle s'inquiète déjà de l'équipe. Mais sa voix.

— Ils vont-

Pas bien. Enfin, ils sont pas les plus amochés mais ils sont vivants.

— Ils ont été rapatriés avec toi. Je sais pas dans quel état ils sont mais ils s'en sont tous tirés avec tous leurs membres.

J'ai eu tellement peur.

Pour faire passer ma léthargie, je serre et desserre régulièrement les doigts de ma main libre, comme pour recouvrer l’usage de mes membres. Main que je passe sur mes yeux pour me les frotter, pour retrouver le sens du toucher, me réveiller un peu, palper la bosse sur le côté de ma tête,… Enfin. Tout a l’air à peu près en ordre, à part mon mal de crâne carabiné et les blessures que mon adversaire m’avaient infligées. J’essaie de remettre en place les morceaux de cette journée dans mon esprit, mais tout s’effrite dans une brume désagréable… Au moins, nous sommes toujours le 19. Ca veut dire que je n’étais pas endormie trop longtemps… C’est ce que vient de dire Huo, mais je crois que je fais de l’écho.

Doucement, je serre les doigts d’Huo entre les miens, encore épuisée alors que je viens seulement d’émerger. Un baillement m’échappe et je fronce les sourcils à son hésitation.

—Jérémy… Il a été empoisonné, ça a été pris en charge ?

Je parle lentement, mais dans ma tête, ça va aussi vite que possible dans l’état actuel des choses. Pas bien vite, donc. Enfin. Bien sûr qu’ils s’en sont occupés, qu’est-ce que je raconte.

—C’était pas très glorieux, hein ?

Cette fois, je le regarde pour de vrai. Il a l’air au bord des larmes, je le connais. Oh non… Faut pas pleurer, mon coeur…

—Ca va aller, il faut juste que je me réveille, je lui assure.

Je baille encore et me repasse une main sur le visage.

—Il s’est passé quoi ? J’ai été assommée et on m’a mise sous morphine ?

Pourquoi on me mettrait sous morphine avec mes blessures…. …. J’ai encore tous mes membres, moi ? Je soulève faiblement la tête pour constater que oui, c’est bon, y a tout à la bonne place. Pfiouh.

Je vois qu'elle reprends un peu ses esprits. Son regard se fait plus précis et elle bouge lentement. Je grimace un peu parce que j'ai déjà été là. Fin, je veux dire à moitié drogué et cotonneux et amoché. Même que j'avais été assez stupide pour essayer de sortir de ma chambre avec une cheville pétée.

— Il ira bien. Je- Occupe toi de toi, ok Princesse ?

Non, c'est pas très glorieux mais j'ai pas assez de place dans mon coeur là tout de suite pour m'inquiéter pour tout le monde. Au moins elle est consciente et vivante et-  Ils sont tous revenus bien amochés. Nico et Aaron vont passer un bon moment à l'hosto sans parler de l'équipe de Mitsu.

— J'me suis tellement inquiété, je souffle.

Je caresse doucement le dos de sa main du pouce, esquive un peu son regard quand elle en vient à me regarder plus franchement en face. J'ai mal de la voir comme ça. J'suis quand même mieux de pas avoir emmené Fai. Il aurait pas compris et je- Je préfère parler au calme pour le moment.

— Ils ont diffusé un gaz soporifique dans le couloir où vous étiez.

Je souris un peu quand elle relève la tête pour regarder son corps comme pour s'assurer qu'il est là. Ouais, elle est bien shootée, encore.

— Comment tu te sens, Princesse ? Est-ce que tu veux que j'appelle quelqu'un ?

Si elle essaye de se lever je l’assomme.

Ma bouche se tord lorsqu’Huo me remet gentiment à ma place. Je peux comprendre le sentiment, mais il s’agit de nos amis et de mon équipe ; bien sûr que je veux savoir s’ils ont été pris en charge correctement. S’ils vont mieux. Si tout le monde est rentré. Est-ce que tout est fini ?

J’attrape ma main entre mes doigts pour lui sourire maladroitement. Je ne sais pas quoi lui répondre, je sais qu’il était inquiet… Qu’il aurait préféré que je reste, qu’on reste tous les deux. Chacun son tour de risquer sa vie, j’imagine…

—Oh… Je vois.

Un gaz, donc. Que je n’ai pas perçu. C’est d’un air ennuyé que je regarde à l’extérieur. En fait, non, je suis carrément mortifiée. Est-ce que j’avais utilisé trop d’énergie, ou bien est-ce que c’était le contrecoup de mon combat foireux contre nos ennemis qui m’a distraite ? J’ai un goût amer sur la langue — aussi bien physiquement que métaphoriquement — quand je me souviens des derniers instants avant le trou noir. C’était la merde partout… j’inspire et me passe l’autre main sur le visage.

—Non, ça va. (Je refais la moue, souffle finalement.) Je vais bien. Tu me fais un topo ? On devait venir en aide à l’équipe principale, mais on a pas pu… Enfin… Tout le monde est rentré, hein ?

Il ne faut pas croire, je suis soulagée d’être vivante et à la maison, mais je ne saurai jamais me détendre tant que je n’aurai pas la certitude que mes amis ne sont pas rentrés en vie et entiers eux aussi. J’observe le visage d’Huo, tendu et épuisé, avant de passer mon pouce sur sa joue.

—C’était effrayant, mais je vais bien. Promis.

Je suis encore un peu shootée pour réaliser pleinement, de toute manière.

Je serre doucement sa main et entrelace nos doigts. J'suis pas en colère, je- J'suis triste. Et inquiet. Et fatigué. J'suis fatigué qu'on doive se battre comme ça pour que des enfants aient le droit de vivre une vie normale. Pour que les gens arrêtent de nous voir comme des armes alors que nos pouvoirs devraient juste être un cadeau pour tous. C'est injuste.

Je ris un peu devant sa moue déçue quand je parle du gaz. Ouais. J'peux comprendre qu'elle se sente un peu mal de pas l'avoir détecté mais apparemment c'était vraiment très efficace comme produit, elle a juste pas eu le temps. Ça me pose question mais on verra tout ça plus tard.

— Hmhm. Y en a qui sont plus amochés que d'autres mais tout le monde ira bien. Avec du temps.

Je ferme les yeux et incline la tête dans la caresse. C'était terrifiant, même. Et je sais qu'on risque notre vie pour la bonne cause mais je… La prochaine fois ce sera mon tour. Et il faudra que je retourne là dehors et que je me prenne les conséquences médiatiques aussi et là juste je… Je veux pas penser à ça maintenant.

— Aaron est dans un sale état. Il a sur-abusé de sa greffe apparemment. Et Mitsu était inconsciente, je crois que c'est son groupe qui a pris le plus cher. J'crois que Nathan s'est pris des balles mais il va s'en sortir.

J'ai eu quelques update de l'état de toute le monde depuis que j'ai quitté la salle de cours avant mais il y en a qui étaient encore en soin donc...

— Erik et Jérémy étaient un peu amochés aussi mais ils iront bien. Et Elwynn aussi. Nikkou vous a sorti de la base à temps.

Je caresse le dos de sa main du pouce gentiment. Je pense pas qu'elle va le prendre bien mais il vaut mieux que je lui dise aussi.

— On a pas réussi à récupérer tous les gamins, seulement Lola et Miguel dans les copains de Aylan et trois autres dotés.

Je veux pas qu'elle le prenne comme un échec. On a porté un vrai coup au Centre avec cette opération et à l'avenir on sera encore mieux préparé.

La main d’Huo dans la mienne est bienvenue, comme un ancrage après tout ça… le rappel que tout est bien fini. C’est fou, ça n’a pas duré si longtemps, mais ça a été si intense, si douloureux aussi. Ma tête est encore cotonneuse, je sens que je suis pas encore tout à fait de retour, et même si j’arrive à écouter Huo, parfois je suis obligée de fermer les yeux pour assimiler et acquiescer faiblement en retour. Nous partageons ce moment ensemble, ces retrouvailles, alors que ma main est contre sa joue… Mais son compte-rendu est trop incomplet et me fait rouvrir les yeux, je les plante dans ceux de mon mari — fiancé, en fait, mais depuis le temps, je dis et pense bien ce que je veux. Je le scanne, le transperce. Et s’il ne me donne pas plus d’infos maintenant, dès que j’ai retrouvé la capacité à bouger correctement, je sors pour vérifier par moi-même.

J’aimerais contracter ma mâchoire, mais ça me fait mal — et me contracter comme ça, ça contracte ma gorge, aussi à cause du stress, et mes blessures se rappellent à moi. J’ai un flash du moment où le soldat m’a étranglée, et ma respiration se bloque, ma main se serre contre le drap. Des sueurs me coulent le long du dos, le coeur qui tambourine, cette fois, c’est bon, mes yeux sont grands ouverts, mais pas trop là.

Le constat me fait prendre conscience de l’ampleur de la merde que c’était, et je crois que je panique un peu. Comment ça, Aaron a sur-abusé de sa Greffe ; et comment ça, le groupe de Mitsuki a pris cher ? Ca tourne très fort dans ma tête, surtout quand je me souviens que Nathan était dans le groupe de Nicolas, Alice, Ariana, Norah… Mes amis. Je respire fort par le nez, la bouche résolument close, parce que je sais que si je l’ouvre, si je respire par la bouche n’importe comment, je vais partir en crise de panique, là, tout de suite, et hyperventiler. Alors je respire un peu par à-coup, des frissons remontant dans mon corps au fur et à mesure des nouvelles. C’est comme un uppercut en pleine gueule. Parce qu’en plus d’avoir été un échec à ma propre équipe, j’ai aussi été un échec à l’hôpital — là où on aurait eu besoin de moi.

Erik et Jérémy… Elwynn… Nikkou, merci. Sans que j’y réfléchisse, mes paumes se posent sur mes yeux pendant que je prends le temps de respirer et de contenir toutes les larmes qui y montent.

On ne les a même pas tous ramenés. C’est une catastrophe. Au moins, les autres vont bien. L’équipe principale va bien, même s’ils n’ont pas réussi à se porter à leur secours, pas vrai ? Mais le lieutenant qui les accompagnait a pris des balles. Et on n’a pas réussi à ramener tous les enfants… si seulement je m’étais pas endormie comme une putain d’abrutie. Si seulement je m’étais pas effondrée là, tête la première. J’aurais du le sentir, c’était un gaz. C’est à ma portée. Pourquoi ? On aurait pu essayer de ramener les autres. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? L’équipe de Mitsuki a dû être évacuée, je me souviens maintenant… c’est son équipe qui a pris le plus cher… Dans quel état elle est ? Faut que je sache, je veux la voir, savoir comment elle va. Ce n’était pas Aaron qui devait l’évacuer justement ? Mais…..

Alors que les informations se remettent en place progressivement, je me rends compte du trou béant que ça fait dans mon ventre et ma poitrine de ne pas avoir plus d’infos. Pourtant je suis paralysée, je ne bouge même plus, je suis incapable de répondre, je respire simplement difficilement, avec Huo près de moi, présent, au moins. Lui était en sécurité, et tout le monde est rentré. Mais certains se sont pris des balles. Le groupe de Mitsuki a pris cher, Aaron est dans un sale état. Pourquoi tu donnes pas de vraies informations, Huo ? Erik, Jérémy et Elwynn, je peux conceptualiser, parce que j’étais là. Je sais qu’ils avaient besoin de soins, mais que ce n’était pas dramatique, qu’avec les bons soins, ça irait. Surtout pour Jérémy, le poison ne pardonne pas… Oh, non, est-ce qu’ils l’ont pris à temps, le poison, si on était inconscients ? Est-ce qu’ils l’ont laissé se propager ??

Le contact d’Huo me ramène un instant, et j’écarte mes paumes de mes yeux, le visage trempé, un peu hallucinée.

Je me rends compte qu’Aria a réussi à ramener sa fille, et j’ai un sanglot, cette fois. Comme si je prenais conscience que plein de choses seraient différentes à partir d’aujourd’hui, pour tant d’entre nous. Et moi, je n’étais pas là.

Ma tête rejoint le torse d’Huo où je me blottis pour pleurer un peu, la gorge douloureuse, contenant une toux qui ne me ferait que plus mal. Je sais plus quoi dire. Mitsuki est de nouveau hospitalisée, Aaron aussi. Ca me brise le coeur, je sais pas comment il fait pour m’expliquer les choses avec cette distance, alors que rien ne va. Absolument rien.

—J-j’ai vraiment besoin de plus d’infos.

Il faut que j’aille aider les médecins et les guérisseurs. Je dois être auprès de mes collègues, pas ici.

Moi, ça va.
…
Et Nico, comment il va ?

J'ai pas envie de me remettre en tête tous les détails. Pas tout de suite. Parce qu'il y avait beaucoup trop de monde et surtout bien trop de gens que je considère comme mes amis et ma famille. Je profite un peu du moment tendre, de l'apaisement que ça me donne. J'avais besoin de ça, de sentir que ça ira même si ça va prendre du temps pour elle et les autres.

Et puis je sens qu'elle n'est pas satisfaite du peu que je lui donne. Et c'était aussi volontaire de ma part de pas tout lui dire parce que… Je la connais, elle va encore vouloir tout prendre sur ses épaules et là elle est pas en état d'être médecin. Je ferme les yeux un instant et retiens un soupire.

Je me lève et viens m'asseoir au bord du lit pour être plus près. Sa main a glissé de ma joue et ses yeux se font un peu vague. Je grimace et lui reprend la main doucement, masse un peu sa paume. Mais elle se recroqueville un peu, laisse échapper un sanglot étouffé et colle ses mains sur ses yeux. Elle est trop tendue, elle va se faire mal. Le moniteur qui mesure ses constantes avertira une infirmière si ça devient dangereux mais je sais très bien reconnaitre quand ma femme fait une crise de panique.

— Aoi. Respire, Princesse, ok ? Tout va bien, tu es en sécurité et personne n'est mort.

Je lui frotte les bras doucement, essaye de lui donner du contact, un point d'ancrage. Elle se calme un peu et se blottis contre moi. Les larmes tombent enfin et je la serre contre moi un peu. J'ai peur de lui faire mal mais j'ai aussi besoin de ce contact, là.

— Ça va aller mon amour.

Et je soupire un peu intérieurement parce que évidemment elle veut des infos. Mais il aurait fallu que je fasse quoi ? Si j'avais tout dit d'un coup, elle aurait paniqué aussi. Parce que ouais clairement, personne est ressorti indemne de cette mission.

— Aoi. Les autres sont bien pris en charge. Tout le monde est rentré et tes collègues s'en occupent. Je peux te donner un peu plus de détails mais promets moi que tu vas rester dans ton lit et te concentrer sur ta guérison.

Si elle essaye de se lever, j'appelle une infirmière et elle va se faire sédater. Personne a envie de voir ça.

Mes larmes me font mal, mais pas autant que les nouvelles qui tombent comme des bombes et rasent toutes mes certitudes. C’est trop douloureux à écouter, tout ça. Huo, au moins, est là ; il me frotte les bras, me garde contre lui, et je reste là sans bouger. J’acquiesce, parce que personne n’est mort et qu’au moins cette information-là, elle est réelle et tangible, autant que son corps tout chaud contre le mien.

Lentement, j’essaie de respirer alors qu’il reprend la parole, pour lui montrer que je peux le faire, que c’est juste un moment de faiblesse, que c’est juste que je me sens comme une grosse merde, pas parce que je vais mal.

Cette fois, je me mords la lèvre. C’est pas une phrase qui me plaît, mais je sais qu’il a raison. Je sais qu’il doit toujours me mettre un stop, parce que je me sens toujours investie d’une mission ici, et peut-être qu’aujourd’hui j’ai le droit de me dire que ma mission à moi, elle est terminée, même si on a merdé…

—Ok… Ok, je ferai cet effort, j’arrive à prononcer, après un long moment.

C’est dur. Mais je sais que j’en suis pas capable, alors il faut que j’arrête d’insister, que je me pose, que j’arrête. Je souffle. Comment il fait pour rester si calme ? Pourtant je sens son coeur qui s’agite, sa respiration douloureuse aussi. Et son regard. Pense à lui, un peu, Aoi ; arrête de vouloir courir résoudre tous les problèmes. Il y a des problèmes qui doivent attendre, parce qu’il n’y a que le temps qui peuvent les régler.

—Ca peut attendre. Si tu me dis qu’ils sont pris en charge… je te crois. Je te crois.

Je pince les lèvres, les yeux baissés, humides.

—C’est allé, toi ? Et Fai ?

Ça me fait tellement mal de la voir comme ça. Je me sens reconnaissant encore une fois d'avoir laissé Fai aux infirmières pour le moment. Quand Aoi se sentira mieux, ça lui fera surement du bien de lui faire un câlin mais qu'il la voit comme ça, je pense pas que ça aurait été un bon plan.

Je continue de la câliner doucement, essaye de lui transmettre mon amour et mon calme comme je peux. Et ça me fait pas plaisir de lui mettre un stop comme ça mais c'est nécessaire.

Elle a au moins l'air de l'intégrer et elle acquiesce. Je lui sourit doucement, essuie doucement une trace de larme sur sa joue. Moi aussi j'ai eu peur. Et c'est terrible que la mission soit pas un total succès comme on l'aurait espéré mais… Tout le monde est revenu même si certains un peu plus amochés que d'autres. Et on a quand même porté un coup au Centre. Je voit ça comme du positif pour le moment.

— Merci Princesse. Je sais que c'est pas facile.

Je me recale un peu plus confortablement contre elle sur le lit et prend ses mains dans les miennes. Je fais la moue quand elle redirige un peu la conversation vers moi et Fai mais bon… On va pas trop s'attarder sur son état. Elle est pas si pire j'imagine. J'essaye juste de pas trop regarder son cou.

— Ça va. Il voulait venir te voir tout de suite mais je… Je l'ai laissé avec les infirmières en attendant. Je voulais pas qu'il te voit comme ça.

Je presse un peu sa main dans la mienne. Je veux pas que notre petit garçon pense qu'on le laisse de côté non plus mais voir sa maman comme ça à son âge ? Non, je peux pas lui faire ça.

— Les gens se sont quand même serrés les coudes donc ce qu'on a fait avec Sylvia était pas totalement inutile mais… Enfin c'était dur d'avoir toutes les nouvelles à chaque fois et d'être là.

J'essaye de sourire un peu. La prochaine fois qu'on organise des missions, j'irai sur le terrain. Peut-être. J'aime vraiment pas me sentir inutile même si je sais que ce qu'on a fait était important aussi. C'est juste que… Enfin j'suis un sanguin aussi. Parfois j'ai besoin de me défouler et écrire un article bien dirigé est pas toujours aussi satisfaisant que mettre une bonne droite à un salaud pour lui casser quelques dents.

C’est trop dur, pourtant, de ne pas savoir. On a le temps de s’imaginer mille scénarios ; mais je sais que c’était le cas pour Huo aussi, il y a quelques heures à peine, le temps qu’on s’occupe de cette mission et que nous rentrions. Puisqu’il a fait cet effort, je le ferai, moi aussi. Je sais que ce n’est pas simple de rester en arrière et que je lui en ai beaucoup demandé ; et même si je n’ai pas été très utile, on aurait pu avoir besoin de moi… Et si aucune guérisseuse n’avait été là, ça aurait peut-être été un autre genre de catastrophe, n’est-ce pas ?

La tête contre lui, j’essaie de me caler sur sa respiration pour reprendre la mienne, les yeux à demi clos, un peu perdu dans mes pensées. Je caresse la peau de sa main, comme pour me reconnecter à ici et maintenant. Je n’acquiesce pas, j’ai trop mal à la tête, mais je réponds juste un “hmhm” pensif.

—Tu as bien fait, je chuchote.

Moi non plus, je n’aurais pas aimé qu’il me voie à mon réveil. Je lui ferai des bisous et des câlins tout à l’heure, et je me sentirai mieux une fois mon bébé entre les bras ; une fois son odeur dans mes narines, comme le parfum d’Huo qui me rassure un peu malgré moi. Ses mots me font un peu sourire dans mes larmes qui se tarissent, et dont le sel vient irriter la peau de mon visage.

—Je comprends. Mais c’est mieux que ne pas savoir, non ?

Doucement, ma main va rejoindre sa joue, et je la caresse gentiment. Il est tout tendre, mon Feu, je crois qu’il ne s’en rend pas compte.

—Vous avez fait comme vous avez pu… nous aussi, au final, je conclue avec un brin d’amertume. C’est mieux que de cacher aux gens ce qu’il se passe, tout ça est trop énorme.

Je m’éclaircis la gorge et toussote, grimaçant. Aie aie.

—Je crois que je me suis un peu reposée sur mes acquis, il va falloir que je reprenne les entraînements. Tu voudras ? Quand j’irai mieux, je veux dire.

C’est une vraie question, il va surtout vouloir que je me repose. Mais peut-être qu’il ne voudra plus que je reparte, après ça. Une partie de moi est toujours comme une enfant qu’on est prête à gronder, à qui on dira qu’elle n’a pas eu une suffisamment bonne note et sera punie. Même s’il n’est pas du genre à me reprocher ou m’empêcher de faire quoi que ce soit, je n’ai pas non plus envie qu’il pense que je souhaite absolument me mettre en danger.

Je respire lentement, ça me fait un bien fou de pouvoir juste la serrer contre moi comme ça. Ça me rassure plus que n'importe quel réassurance de Tomoe. Je sens que mon niveau de stress est bien redescendu. Et vraiment, j'suis content d'avoir pris la décision de laisser Fai plus bas. Parce que si il avait été là… Soit elle aurait tout verrouillé et décompensé plus tard, soit elle aurait craqué devant lui et se serait sentie super mal après.

Donc ouais, ça me conforte dans ma décision et elle a approuve donc c'est ok. Même si trésor faisait clairement la tronche quand je l'ai laissé et qu'il était inquiet mais au moins tout à l'heure ils pourront se faire des câlins sereinement.

Je lui souris un peu, incline ma tête dans la caresse qu'elle me donne. C'est vrai que ne pas savoir aurait été bien pire, au final. Et c'est aussi pour ça que j'étais volontaire pour m'occuper des autres avec Sylvia. Je voulais pas être à l'écart.

— Être transparent est toujours mieux mais tu connais mon avis là-dessus.

Je grimace en sympathie quand elle tousse et me lève un instant pour remplir un verre d'eau avec la carafe posée sur la table de chevet. Je le lui tend et hausse une épaule.

— Toujours partant pour qu'on s'entraîne, tu me connais.

Eh, en vrai. Ça fait longtemps qu'on a pas fait de missions ensemble. Pas sur que ça arrive maintenant, surtout avec Fai, mais ça empêche pas de continuer à s'améliorer. Puis, je sais pas, avec elle c'est toujours un challenge de trouver des trucs inédits comme elle me connait bien depuis le temps, ça devient dur de la surprendre.

— Enfin quand tu auras le feu vert, hein !

J'suis pas maso au point de tenter la colère des collègues de ma chérie. Ils savent où j'habite et croyez moi les médecins sont bien plus terrifiants que vous pensez.

La conversation est encore difficile pour moi, et je me remets lentement de mes émotions. C’est trop intense, encore, et tout tourbillonne ; mais je sais que ça ira, parce qu’il est là et que tout le monde est rentré. Je me répète ces mots comme un mantra, en boucle, pour convaincre mon cerveau encore bloqué dans une situation de stress ; alors je me répète ce que je sais sur les traumas, qu’il y aura plusieurs jours comme ça, peut-être des semaines, et qu’après ça ira mieux, car je suis résiliente. Et si ça ne va pas mieux, j’irai en parler à Sylvia, qui pourra me rediriger. C’est bien, comme ça ; c’est très bien, parce que je maîtrise, je peux contrôler. Je rationnalise, alors au fond de moi, tout va bien.

—Pourtant, tu n’es pas invisible, je plaisante.

Les pouvoirs des Feux, je ne les ai jamais trop compris. Enfin, l’Invisibilité, oui, un peu ; le Marionnettisme, en revanche, je me suis toujours dit que c’était un pouvoir offensif, de guerrier. Le genre qui empêche ses proches d’être blessés en retenant les opposants, qui retourne leurs armes contre eux, peut les contrôler à sa guise. Mon mari, il a des côtés comme ça, vilains lors des batailles. Mais il est trop doux pour aller faire la guerre. Quand je me remémore la matinée que je viens de vivre, je me dis que je ne voudrais jamais le voir sur le champ de bataille, dans la même situation. Et pourtant…

Je souris, faiblement, après ma quinte de toux un peu difficile. Il est allé me chercher un verre d’eau, trop mignon. J’ai presque eu envie de le retenir, mais en réalité ma bouche est sèche et irritée à cause des fumées, je ne m’en étais même pas rendu compte. On dirait que je ne suis pas encore tout à fait là. J’en prends quelques gorgées pour faire passer les résidus de toux qui veulent sortir après l'avoir remercié, puis souffle lentement, comme pour tester mes poumons, les larmes aux yeux… avant de rire un peu.

—C’est pas demain que je m’y remettrai, ne t’inquiète pas. Je crois qu’il me faudra des vacances. Et puis, il y a Noël à préparer.

Un instant, je songe à Karen. Est-ce qu’elle s’est inquiétée ?

—Je me disais qu’on pourrait proposer à Karen de venir… mais elle voudra peut-être le passer avec son ami Minoru. Hm…

Je glisse un oeil sur Huo.

—Peut-être que j’ai envie de passer Noël juste avec vous.

Peut-être ; je ne sais même plus. Je souris, glisse encore ma main sur la joue d’Huo, le regard un peu loin. Je sais ce qu’il va me répondre.

—C’est peut-être pas le moment d’y réfléchir, je sais.

Mais réfléchir, là, c’est tout ce que je peux faire.

J'avoue, j'ai roulé des yeux un peu. Elle était facile, celle-là. Mais vu les blagues que je fais des fois, je vais rien dire. J'suis pas encore au niveau de Aaron niveau blague de daron, au moins. J'ai le temps de m'entraîner pour être bien embarrassant quand Fai sera ado.

— Et c'est une injustice dont je ne me remettrai jamais.

Soyons honnête, c'est même carrément honteux ! J'aurais été un Invisible trop ouf, ça aurait été la meilleure combinaison avec mon taf et tout. Mais non. J'ai le pouvoir secondaire le plus inutile de tous. Et dites rien, je sais que vous l'avez tous pensé.

— Des vacances pour tout le monde seront pas de trop, je crois, ouais.

Et du repos, beaucoup de repos. Je hausse une épaule quand elle propose de ramener Karen pour Noël. Ça me dérangerait pas spécifiquement mais… Enfin ça va être le premier vrai Noël dont Fai peut se souvenir. J'avoue j'aimerai bien qu'on reste tous les trois ? Ce qui exclu pas d'inviter des gens un peu avant ou après mais. Enfin, j'sais pas. Au moins si on parle de ça, elle pense pas à autre chose.

— On peut l'inviter dans l'après-midi au pire ? Comme ça on fait la matinée juste nous trois, les cadeaux et un petit repas à la cool le midi et elle vient goûter ?

J'ai pas de souci à cuisiner pour une personne de plus. Et Karen… Bah je crois qu'elle devient un peu doucement pour Aoi ce que Nico est pour moi. Je trouve ça chouette qu'elle ait quelqu'un comme ça avec qui elle passe du temps même si elle est toujours en train de bitcher sur ses habitudes mais c'est comme ça qu'elle montre qu'elle tient aux gens.

— Faudra que tu te prépares au premier cadeau d'anniversaire de Fai. Il m'a posé plein de questions. Ce sera pas un collier de pâtes, promis.

Il a pas encore tout à fait la dextérité pour ça, en vrai. Mais j'ai senti que ça l'intéressait. En même temps, gâteau, tu m'étonnes qu'il aime le concept.

Je me cale contre ma chérie doucement, une jambe sur le bord du lit et un bras qui se glisse derrière ses épaules pour la serrer un peu contre moi.

— Je- J'suis soulagé que tu sois revenu, je murmure.

J'ai encore un peu d'inquiétude mais ça ira. Ils sont tous revenus. Dans un instant j'irai chercher Fai pour qu'ils se câlinent et ça ira encore mieux. Et quand on passera à l'étape suivante, je serai là. Et cette fois, peut-être bien que c'est moi qui partira.

Sa remarque me tire un rire un peu las, alors que je caresse sa joue de ma main, comme imprimant son visage dans mon esprit.

—Tu es un merveilleux Marionnettiste, ne t’en fais pas.

Je sais qu’il sera terrible sur le terrain, le jour où il y retournera. Huo peut avoir tendance à se dénigrer l’air de rien, en passant, comme ça… Mais en réalité, il est sérieux et on peut compter sur lui. Posé et contrôlé, suffisamment téméraire pour prendre des décisions rapides et justes, mais pas suffisamment impulsif pour se faire du mal ou faire du mal à son équipe. Le Huo qui a sauté par la fenêtre pour échapper à son ancien clan a bien changé… Et je sais que le jour où on aura besoin de lui, il fera des miracles. J’aurais aimé l’avoir près de moi, aujourd’hui, certaine que sa Greffe nous protégerait. Pourtant, pour le bien de Fai, il ne faut jamais que nous soyons dans la même équipe. L’avenir de Fai est plus importante que notre besoin de réassurance, il le sait…

—Ah ça c’est sûr, soufflé-je. J’ai hâte de dormir, je t’avoue. Ca me va, le midi et pour le goûter. Comme ça, on est tous les trois le soir, oui. C’est dommage, on n’a pas de père Noël…

Je n’y avais pas pensé, c’est bête hein ? Ce n’est pas que je ne veux pas passer du temps privilégié avec eux, mais je sais qu’Huo aime bien quand il y a du monde, en temps normal. Fêter avec tout le petit monde… Inclure la pauvre Karen, si elle est toute seule… Mais ce n’est peut-être pas mon rôle, tout ça, et il faut que je privilégie ma famille. J’imagine Fai tout heureux devant notre sapin de Noël, et ça me rappelle le sapin qui avait troué notre sol à l’époque, quand on était Terres tous les deux, durant l’Eclipse. Le repas où on a annoncé ma grossesse à Nicolas et Jérémy. Je pouffe un peu de rire et l’attire à moi, mon nez contre sa joue.

—Oh non, je suis trop curieuse maintenant ! J’accepterai même un collier de pâtes, promis.

Pas sûre qu’il ait la capacité de passer du fil dans des coquillettes cela étant, il est encore gauche mon bébé hein. Je me laisse aller à son étreinte, tranquillement, et je sens que le sommeil recommence à pointer son nez.

—Je suis là, je chuchote.

On reste un peu comme ça, avant que je me mette à somnoler un peu. Plus tard, je peux serrer mon bébé contre moi, soulagée. Et bientôt, je pourrai manger les bons repas de mon mari. Ca ira. On est ensemble, tout le monde est rentré. Tout ira bien, aujourd’hui et demain.