Aoi et Mitsuki revinrent plus rapidement que je ne l'aurais cru. Une demie-heure à peine s'était écoulée entre leur première téléportation et la suivante. Tomoe, qui avait eu pour mission de suivre leur avancée tout au long de cette récupération afin de s'assurer que tout se passait correctement, rouvrit les yeux quelques secondes avant que le quintuor ne réapparaissent dans la salle des Masters, restant silencieuse.

Les enfants furent rapidement pris en charge, et lorsque les informations nécessaires à la poursuite de la mission furent récupérées, j'invitai Akira à me suivre dans mon bureau, sans vraiment lui laisser le choix, accompagnée de quelques Masters volontaires.

Une fois la porte franchie, je désignai le canapé à Akira et m'installai sur le siège en face de lui. Je lui servis un verre d'eau avant de finalement prendre la parole.

-J'aimerais que tu me racontes en détail ce qu'il s'est déroulé pendant ces trois dernières années pour vous.

Un sourire paisible s'étire sur les lèvres d'Akira et il secoue la main pour dire au-revoir aux adolescents. Il ne veut pas qu'ils se posent trop de questions  sur lui et qu'ils s'inquiètent.
Le petit Takeshi fait de même, par contre la jeune Hameline tire une sale tronche.

— T'es encore plus flippant quand tu souris...

Le sourire d'Akira se crispe.

— Un jour je vais t'apprendre le respect, petite conne... Fait-il à voix basse, la mâchoire serrée.


Ainsi, notre justicier est escorté jusqu'au bureau de la directrice. Il suit Hideko, les mains dans les poches. Son regard parcours le bureau en long, en large...

— Sympa la déco'. Ça faisait un bail que j'étais pas venu ici.

Akira est à son aise et il s'assoit confortablement.

Puis, il observe les gestes d'Hideko avec un grand calme, sans montrer ses émotions. Il a toujours été étonné de se voir traité avec douceur par elle.

Il l'écoute et affiche un sourire en coin.

— 3 ans à raconter, ça faire long. Mais j'vais essayer de te résumer tout ça :

Akira gratte sa petite barbe et commence son histoire.

— Au départ, Karasu était juste un putain de fantôme.
On chopait des infos, par-ci par-là, mais on n'avait rien de concret sur lui. On tombait juste sur des groupes de fanatiques, des monsieur et madame tout-le-monde, qui voyaient Karasu comme le messie et Terrae comme le mal incarné. C'était des gens manipulables, des marionnettes... mais Ys a voulu qu'on les fume quand même.

Il y a comme une pointe de regret sur la fin.

— Karasu contrôlait pas mal de gens et d'entreprises sans y être directement lié. Mais on a pu remonter jusqu'à l'un de ses cadre en Corée du sud, un proprio' d'un Casino de luxe...
Je suppose que tu sais déjà ce qui s'est passé là-bas... comme tu y as envoyé Ipiu et Athéna.

Akira fait un pause et c'est là qu'il commence à s'égarer.

— J'ai un bon souvenir de là-bas. Le quartier des putes était vraiment cool et les milf coréennes ça envoie du lourd. Ajoute-t-il avec une bonne dose de nostalgie.

Une question lui traverse l'esprit : Peut-il encore utiliser le terme "milf" alors qu'il a dépassé la trentaine ?

Akira s'installa en face de moi. Son sourire en coin me laissa de marbre et je ne réagis pas, me remémorant simplement la dernière interaction qu'il avait eue avec les adolescents qu'il avait ramenés.

Je restais concentrée sur la suite de son discours. J'arquai un sourcil à la mention de ces personnes fragiles tuées par Ys. La poursuite de cette secte fantôme et pourtant omniprésente. Je hochai simplement la tête quand il mentionna le casino, me rappelant du rapport d'Ipiu et Athéna à l'époque.

Ys avait-il déjà commis l'irréparable avant de vriller ainsi ? A quel point était-il fragile aussi, lui, finalement ? Tout avait basculé du jour au lendemain. Il n'y avait pas d'autre terme. Son esprit avait vrillé, et rien ni personne n'avait pu lui faire entendre raison. Tant que sa vendetta personnelle n'était pas menée à son terme, il n'entendrait plus rien ni personne. Alors en l'état des choses actuelles, où en était-il ? Avait-il assouvi sa soif de sang ?

J'ignorais sa remarque sur les femmes, me concentrant plutôt sur la suite du récit. Si Akira semblait avoir grandi, tout ne changeait pas pour autant.

-Et après ça, que s'est-il passé ? Comment en êtes-vous venus à vous attaquer... Au Centre ?

Car c'était bien ça la finalité. Ces adolescents qui étaient revenus aujourd'hui, ils n'étaient pas issus de Karasu. Mais bien du Centre. Non ?

Akira lève un sourcil et avance la lèvre inférieur, il est un peu déçu qu'Hideko ne s'intéresse pas plus à ses aventures en Corée. Pour lui, c'est le moment le plus intéressant et amusant de l'histoire.

— Les pistes nous ont menées dans l'un de ces désert en Amérique, le Great quelque-chose... C'est là, dans une base souterraine, qu'était planqué le boss de Karasu. Ça ressemblait pas mal à ce qu'on raconte sur le Centre mais c'était différent. J'pense qu'ils tavaillent ensemble.

Akira boit une belle gorgée d'eau et pousse un soupir. Il fouille ensuite dans la poche intérieure de sa veste et en sort le fameux paquet de clope de Ys. Il commence à retirer des cigarettes une par une.

— J'te passe les détails sur ce qui s'est passé à l'intérieur. Mais en gros, il y avait des types armés, des scientifiques chelou et un grand taré qui se prend pour un sauveur.

Akira regarde Hideko droit dans les yeux afin de lui transmettre les paroles de Karasu.

— "Nous ne sommes pas vos ennemis, nous sommes votre salut..." C'est ce qu'il a dit.

Une fois le paquet de cigarettes vide, Akira le lève au-dessus de la table basse et le retourne. Une clé USB tombe.

— J'voulais la filer discrètement à Mitsuki avant, mais elle n'en a pas voulu. Tu auras tout ce que tu veux savoir là-dedans. Les plans d'une arme capable de raser Terrae, un gant qui pourrait rivaliser avec l'Avatar, des combinaisons pour faire des super-soldats, des machines avec pour seul carburant un Terraen...
Et l'origine de tout ça : les machines à cristaux bricolées par Mitsuki.

Akira se penche en avant et pose ses coudes sur ses genoux.

— Entre ça et les cristaux qui tombent du camion, j'commence à me demander si tous tes Masters sont digne de confiance.

Le récit d'Akira me fit arquer un sourcil. S'ils avaient pu pénétrer dans autant de bases, et surtout dans l'une des plus grosses bases apparemment des anti-terraens, ce n'était pas si étonnant que les défenses du Centre aient pu être aussi perfectionnées contre les Terraens. Car Karasu et le Centre travaillant ensemble... Alors eux avaient déjà eu l'expérience d'un affrontement contre des Terraens, et avaient pu se préparer en conséquence. En revanche, nous, nous n'avions encore jamais affronté aussi directement le Centre, sur leur terrain. Si Akira et Ys avaient été là et avaient pu nous nourrir de leurs expériences avant que nous lancions cette énorme opération... Moins de Terraens auraient été blessés. Car nous étions préparés, certes, mais ils l'étaient finalement plus, à cause d'Akira et Ys.

Je retins un soupir face à l'insinuation d'Akira. Je n'avais pas de temps à perdre avec des reproches puérils, masqués sous un questionnement clairement orienté.

Je tendis la main pour saisir la clé USB, lançant un regard entendu aux Masters qui avaient décidé de m'accompagner ici pour l'entretien. Je la fis tourner légèrement dans ma main, mes yeux rivés dessus, avant de reporter mon attention sur Akira.

-Merci.

Je glissai ensuite la clé dans la poche de mon pantalon afin de pouvoir l'utiliser plus tard - et éviter que, peut-être, il décide finalement de la reprendre - et repris la parole.

-Maintenant, est-ce que tu pourrais m'expliquer pourquoi Ys et toi n'êtes pas restés ensemble jusqu'à la fin ?

J'avais évidemment ma petite idée sur le sujet, mais aucune des visions qu'avaient pu avoir nos Voyants ne donnaient suffisamment de détails pour que nous puissions savoir ce qui s'était réellement passé, et l'état dans lequel se trouvait Ys à l'heure actuelle. Information qui était absolument primordiale pour nos deux Masters qui étaient retournées en mission.

Akira se permet un peu de répit. Il se lève, se balade dans le bureau d'Hideko les mains dans les poches.

Il va près de la fenêtre et observe ce qu'il se passe dans la cour. Quelques occupants de Terrae passent sous son regard.

— Il se battait seulement pour se venger et j'ai pas compris pourquoi, ce con a voulu jouer les héros. Il a récupérer ces données pour Terrae et s'est fait sauter avec la base. Répond-t-il sans regarder Hideko, l'épaule appuyée sur l'encadrement de la fenêtre. Et moi je ne tenais plus debout, alors il m'a confié cette clé et m'a foutu dehors.

Akira lâche un petit ricanement.

— Tout ce qu'il a fait c'est gagner du temps.

Puis Akira pose à nouveaux ses yeux sur Hideko.

— Et de votre coté il s'est passé quoi ? Ça n'a pas l'air d'être la joie en ce moment.

Il n'est pas au courant de leur guerre avec le Centre, il a juste décelé la fatigue chez la plupart des Masters qu'il a croisé.

— Vous vous êtes pris un autre attentat dans la gueule depuis ?

Jouant avec la clé USB entre mes doigts, je restais songeuse. Il avait récupéré cette clé pour Terrae...? Tout son périple restait une énigme à mes yeux. Pourquoi avait-il choisi d'agir ainsi ? Pourquoi avait-il foncé tête baissée ? Nous aurions pu agir ensemble. Parce que je devais le reconnaître, bien que les raisons de son départ ainsi que les différents meurtres qu'il avait enchaîné nous poussent à le considérer comme un traître, Ys avait continué à... agir pour Terrae. Allant jusqu'à donner sa vie pour faire sauter une base ennemie. La façon d'agir n'était pas la bonne, mais il avait gardé la volonté, jusqu'au bout, d'agir pour cette patrie qui l'avait, dès lors qu'il était parti d'ici, considérée comme un traître.

Je relevai le regard vers Akira alors qu'il la questionnait sur ce qu'il s'était passé à Terrae. Son allusion à un autre attentat ne me fit pas rire et je fronçai légèrement les sourcils, lassée par son immaturité.

-Donc pour toi, Ys est mort ?

Je marquais une pause, décidant de ne pas répondre à ses questions ; il ne méritait pas encore de savoir ce qui s'était passé ici.

-Après ton départ du bureau, tu vas être escorté jusqu'à l'hôpital où tu recevras des soins pour tes blessures. Les droits de visite seront réglementés et tu ne pourras voir les enfants que tu as ramenés que s'ils le souhaitent également et si nous l'autorisons. Tes pouvoirs vont t'être retirés dès ton arrivée dans ta chambre d'hôpital et ne te serons pas rendus jusqu'à nouvel ordre - nous attendons de toi que tu nous prouves ta bonne foi en revenant ici, sinon nous procéderons à ton départ de l'Institut comme nous le faisons habituellement pour tous ceux qui souhaitent partir. Un suivi psychologique te sera également imposé, il commencera dès demain et se poursuivra même après la sortie de l'hôpital. Tu seras également équipé d'un bracelet électronique afin que nous puissions nous assurer que tu ne t'enfuis pas encore pour disparaître dans la nature. Nous nous reverrons à la sortie de l'hôpital pour déterminer le reste des sanctions, notamment les travaux d'intérêt généraux ; il va falloir travailler dans les pays où vous avez détruit des structures dans les villes pour aider à la reconstruction. Tu seras accompagné souvent de Nikkou qui se chargera de faire les aller-retours pour toi. Si tu as des questions, c'est le moment. S'il y a d'autres choses que tu souhaites me dire concernant votre... mission, c'est le moment également.

Et lorsque tu seras à l'hôpital et que tu dormiras, un Télépathe se chargera également de placer un verrou psychologique t'interdisant formellement de faire le moindre mal à autrui au risque de le payer toi-même par une douleur insupportable... Une décision qu'il n'a pas été facile de prendre, et qui a beaucoup agité la salle des Masters, mais qui s'est également révélée être nécessaire pour protéger ceux que tu as déjà pu agresser ici...

— J'évite de me faire de faux espoirs, comme ça j'suis jamais déçu dans la vie. Répond-Akira au sujet de Ys.

Il s'approche d'Hideko et pose un cristal noir sur la table. Il s'effrite facilement et il ne dégage aucune énergie.

— J'ai senti son énergie disparaitre et vu la gueule de son dernier cristal, j'imagine que son créateur est dans le même état. J'ai pas cherché plus loin, je t'avoue.

Puis Hideko lui fait un petit monologue sans répondre à sa question. Akira lève un sourcil et ose montrer une pointe de dépit.

— Pff, t'façon j'finirais bien par le savoir...

Il soupire. Les sanctions d'Hideko et des Masters ont l'air de peu l'affecter. Peut-être a-t-il l'habitude d'être un animal en cage ou bien est-il prêt à assumer ses erreurs pour une fois.

Akira reste debout, mains dans les poches. Pas la peine de se rassoir, cette discussion touche bientôt à sa fin.

— Fais c'que t'as à faire... Répond-t-il, avant de lâcher un petit rire. A t'entendre, on dirait que tu culpabilises.

Il continue de la regarder, l'air de rien.

— J'comptais faire de mal à personne, mais si ça peut en rassurer certains alors allons-y.

Mais une discussion ne se termine jamais de manière aussi simple avec Akira ; ce serait mal le connaitre.

— Par contre, t'as pas plus raffiné ou sexy que Nikkou à m'proposer ? Les Tonnerres c'est des vraies têtes à claques.

Il voit dans le regard de la directrice qu'il n'est pas en position de négocier.

— Aller, sois sympa quoi...

Mes yeux se posèrent sur le cristal qu'Akira avait déposé sur la table basse. Je jetai un regard aux Masters présents. Il faudrait l'analyser. Est-ce qu'il se décomposait vraiment parce qu'Ys était parti ? Ou bien avait-il subi l'explosion qu'avait décrite Akira...?

Je reportais cependant mon regard sur le Feu. Culpabiliser ? Non, peut-être plutôt lassée de devoir passer par là alors que tout aurait été si simple s'ils n'étaient pas partis de Terrae...

Je lâchai un soupir en secouant la tête. Je me servis un verre d'eau et resservis également Akira avant de boire quelques gorgées.

-Me voilà donc rassurée, répondis-je alors qu'il avançait qu'il n'avait plus prévu de blesser qui que ce soit ici.

Je me relevai de mon siège pour poser mon regard sur le blond, arquant un sourcil.

-Si tu préfères t'y rendre en avion et perdre un temps considérable dans le trajet, je te laisse trouver un Master qui acceptera de t'accompagner. Sinon, ce sera Nikkou.

Je me tournai vers la porte, où une équipe de l'hôpital venait d'arriver pour récupérer Akira. Ryu s'avança également dans la pièce, prêt à utiliser sa greffe pour bloquer ses pouvoirs.

-Est-ce que tu es prêt ou est-ce qu'il reste des choses dont tu veux discuter ?

Akira lâche un long soupir plaintif. S'il doit se déplacer un peu partout dans le monde, il va forcément devoir se coltiner un Tonnerre pour l'accompagner.

Et des Masters téléporteurs, y'en a pas des masses. Ses autres choix sont :
• Mitsuki et sa gueule d'enterrement...
• Nicolas à qui il a cassé la gueule dès leur première rencontre...

— Va pour Nikkou... Souffle-t-il, dépité.

Leur petit échange se termine là-dessus et l'équipe de l'hôpital, accompagnée de Ryu, viennent le chercher.

Et avant de partir Akira fait quelque chose de simple et pourtant de rare venant de lui. Il fait un sourire sincère à Hideko.

— On doit pas te rendre la vie facile avec nos conneries. Parfois j'me demande comment tu fais pour ne pas péter un câble avec tous ces connards qui veulent s'en prendre à Terrae... Faudra que tu m'explique comment tu fais un jour.

Il se dirige vers la sortie et fait un signe de la main de dos, pour lui dire au revoir.
— A plus ma belle.

Et il croise le regard de Ryu.
— Roh, c'est bon j'vais pas te la piquer ta meuf.

Même s'il n'y verrait aucun inconvénient...