__–Aahhhh les geeeeens ça fait du bieeeeeen la chaleur et tout là.
__–Il est vrai que ces journées d’été étaient fort agréables. Je regrette, cela dit, de ne pas avoir eu l’occasion de faire l’introduction, aussi je vais m’en charger tout de suite. Les insanités de mon collègue sont peu propices à une mise en contexte décente.
__–Depuis quelques jours, Karen eut grand bonheur à constater que ses petits avaient enfin adopté un rythme de sommeil et de prise de repas plus régulier. Elle leur donnait toujours le sein, mais un nouvel univers d’expérimentations s’était ouverte à elle, vu qu’ils étaient désormais prêts pour consommer d’autres aliments que le lait maternel. Chaque repas était devenu un théâtre d’expériences.
__–Et puis, avec le retour à une vie plus calée sur des rythmes stables, Karen avait une un peu meilleure allure. Les cernes qui s’étaient gravés sur son visage pendant les mois passés ne voulaient plus partir, mais au moins semblaient-elles moins profondes, moins sombres… et elle avait un peu plus de temps devant elle pour recommencer à se maquiller et donc tâcher de les faire disparaître.
__–Être mère l’occupait toutefois toujours à plein temps : quand elle ne s’occupait pas directement de John et Boyce, ou à tout le moins les supervisait alors qu’ils s’affairaient sur leur tapis d’éveil ou à découvrir leur environnement, elle étudiait les pratiques éducatives, empruntait livres sur livres, lisait sites sur sites, consultait forums sur forums. Et puis, quand elle en avait assez de passer sa vie dans les couches, les biberons, les hochets et les berceaux et les écrits à leur sujet, elle se rendait à un entraînement dédié aux pouvoirs magiques, ou regardait un film, faisait une belle promenade, allait voir Minoru ou d’autres personnes, bref, essayait autant que faire se pouvait d’avoir une vie sociale et intellectuelle.
__–Présentement, elle avait décidé d’initier ses deux enfants au champ de fleur. Elle avait pris sa poussette, y avait embarqué une serviette de pique-nique, un soda, de l’eau, du chocolat et des abricots, bien mûrs, qu’elle ambitionnait de leur faire goûter.
__–Elle décida d’un placement qui convenait, s’y arrêta, alla chercher la couverture et—
__–WOH BORDEL C’EST QUOI ÇA.
__–… Je l’ignore, mais tu vas me le dire.
__–Bah chaipas frère, c’est quoi qui envoie la masse d’émotions touuutes flinguées, là ? Alors forcément en fait c’est juste mort de traîner dans un coin comme ça et de sentir ce bordel. Du coup Karen regarde partout, pour voir qui est genre, au bout de sa vie dans ce champ de fleurs, en fait.

Toi, tu as mal dormi, ça se voit. Pourquoi ça ? Parce que tu as la tête de l’enfant qui n’a pas eu son quota de sommeil. C’est vrai que le sommeil n,’est pas une chose que tu arrives à obtenir si facilement ces derniers temps. Depuis environ 2 mois pour être plus exact. Oh non, tu n’es pas insomniaque, mais juste que régulièrement, tu fais un cauchemars qui disparaît au réveil, mais qui te fait super peur. Et puis, tu as quand même un peu peur de dormir, inconsciemment. Ce n’est pas que tu vas hurler pourtant, juste que tu as cette peur idiote de ne plus ouvrir les yeux, comme Heinas. Après, ce n’est pas toutes les nuits, juste une partie seulement. C’est un détail d’importance puisque tu peux dormir le reste des nuits et rencontrer Morphée. Plus ou moins.

Bref, ce matin, tu n’es pas dans ton assiette, tu as sommeil alors tu te dis qu’un tour au soleil, ça peut que te donner de belles choses à dessiner pour ton papa. Tu ne veux pas qu’il sache pour tes mauvais rêves alors tu vas lui dessiner que de belles choses. Des choses que tu aimes beaucoup ou de ton quotidien comme s’il était un peu avec toi et qu’il puisse savoir de quoi tu parles. C’est donc avec une jolie robe jaune avec une marguerite brodée sur le côté gauche de la poitrine, les pieds nus, une petite culotte et ton sac de classe sur toi que tu quittes ta chambre.

Une fois dans un endroit tout beau, tu t’y assois. En plus dans le champ de fleurs, pour en être entourée de toute part, loin du vilain cauchemar de cette nuit. Là, tu ne peux que voir de belles choses qui donnent le sourire. Du coup, tu l’as et tu te mets à dessiner tout plein de fleurs différentes. Tu en remplis des feuilles et des feuilles.

Puis, les fleurs, étrangement, deviennent des visages fleuris pour finir par être un visage fade, morne, terne. Mort. Tu n’as pas fait attention, mais c’est ta sœur que tu viens de dessiner, sans sourire, morte. Morte. C’est ce qu’elle est. Morte. Toi, tu ne veux pas. Tu la veux vivante. Toute vivante. Comme toi, comme ces monstres qui te font si peur. De tristesse et de colère aussi, tu prends ton carnet avec ton crayon à papier et tu les lances loin dans les fleurs alors que tu recommences à pleurer en silence.

Heureusement, même si ce n’est pas trop autorisé, tu as toujours du chocolat dans ton sac. Tu en sors une tablette que tu entames aussitôt pour la dévorer à pleines dents, l’engloutissant à vitesse grand V, comme si ta vie en dépendait ! C’est ce qui te calme le plus facilement et rapidement. Tu ne peux pas avoir meilleur soutien émotionnel que le chocolat que tu aimes par dessus tout ! Ça, tu en as toujours sur toi, quitte à être hors-la-loi et de voler quelque part pour en avoir en réserve.

Tu te recroquevilles sur toi-même, maudissant de nouveau cet endroit, détestant les gens qui y vivent et le fait que ton papa soit loin d’ici. Tu veux vraiment le voir, là, tout de suite, maintenant. Il te manque trop ! Tu veux ton papa ! Tu crois que si tu demandes à Tomoe, tu pourras avoir un téléphone ?

__–J’AI TROUVÉ. LÀ. C’EST ELLE. En même temps y’a qu’elle. MAIS C’EST ELLE.
__–Grand Dieu, est-ce que quelqu’un peut le faire taire ?
__–Hé bien. Nous pouvons remercier John pour ses pleurs, sans doute suscités par l’irritation profonde de Karen qui se transmettait par l’exsudation d’encore plus d’émotions négatives, jusqu’à ce que les pleurs de son enfant lui firent saisir l’urgence qu’il y avait à se calmer.
__–Ouais. Alors on souffle un coup. On monte les barrières là comme Nico il a montré. Et puis aussi on le prend dans ses bras et on le calme, ouais. Puis fais pas ton jaloux Boyce, j’t’ai vu hein ! Bon ok il fait son jaloux. Pffff.
__–Par contre s’attaquer à la cause du problème c’est un bon plan aussi.
__–Et quel est-il ?
__–Bah là je t’ai dit, tu suis ou bien ? La mioche qui dessine des trucs ultra goths et tout.
__–Il est vrai que si elle se débrouillait bien considérant son âge du point de vue technique, ses thèmes choisis étaient quelque peu morbides et tranchaient d’une manière fort aiguë avec le paysage. Karen la regarda avaler une tablette, entière, ce qui était choquant en soi, puis se rouler en boule.
__–La PLS de la diabétique. Non mais on peut pas la laisser comme ça.
__–Certes. Karen s’approcha donc, donna un hochet à Boyce pour qu’il cessât de chouiner pour recevoir autant d’attention que son besson et se pencha, avec John dans les bras. Celui-ci n’avait d’yeux que pour la forme jaune qui irriguait les fleurs du sel de ses larmes : il la contemplait avec son air curieux de bébé qui ne connaît encore rien au monde. Elle tâcha de parler à cette petite avec une voix douce. Elle savait y faire avec les enfants, mais que quand ils étaient plus jeunes. La barre des sept ans était son maximum, au-delà, leur taux d’insupportabilité dépassait celui de mignonnerie.
__–« Hé gamine, s’passe quoi là ? Tu veux que j’t’emmène voir quelqu’un ? T’as mal quelque part ? »

Tu entends quelqu'un venir, mais tu n'as pas envie de faire d'effort là. Tu veux être tranquille, que personne ne te parle. Tu veux disparaître, être loin d'ici, mais genre beaucoup. Tu veux ton papa, lui faire un câlin, lui dire que tu l'aimes, que tu ne veux pas être loin de lui, mais tu ne peux pas et ça fait mal. Pourquoi personne ne veut que tu retournes voir ton papa ? Toi, ici, tu n'es pas heureuse, tu n'es pas bien du tout. Genre, vraiment pas du tout. Pas aujourd'hui en tout cas, pas alors que l'image de Heinas morte sur le canapé trotte dans ton esprit. Tu veux tellement lui faire un câlin. Alors tu te mets à pleurer, à déverser toute la tristesse et la douleur que tu ressens. Pourquoi ça fait si mal ?

Tu te recroqueville encore plus sur toi-même, mais la personne est là, devant toi. Alors tu lèves ton visage couvert de larmes vers elle. Elle a pas l'art si vieille, mais tu vois ses bébés, deux. Un dans ses bras et un dans une poussette. Oh, elle voulait faire une balade dans les fleurs et tu gâches tout ? Tu essayes de te calmer, d'essuyer ses larmes qui coulent toujours, en vain. Tu n'as même pas ta peluche dans ton sac et le chocolat a rien fait. Tu te sens si mal. C'est douloureux, trop pour toi qui n'est qu'une petite fillette de dix ans, perdue dans un endroit qui te fait peur.

- V-v-veux m-m-m-mon pa-p-pa.

C'est ce que tu essayes plus ou moins bien d'articuler entre tes sanglots d'enfant. Tu as envie d'être avec lui, loin de tout le reste. Juste avec ton papa puisque Heinas n'est plus possible pour toi. Elle est morte, elle ne reviendra pas, c'est ce que Camil a dis et c'est horrible parce que ton papa a confirmé et que la psychologue aussi. Toi, tu veux que ça soit faux, qu'elle soit là, avec toi, pour enlever la douleur que tu as tout le temps et qui est super forte aujourd'hui. Tu crois que ça va partir un jour ?

__–Ooohhhh mais nooooon la pauvre petiiiiiiite !
__–Euah… Moi-même, je dois avouer qu’il est ardu de ne pas ressentir quelque compassion à son égard. Karen fut au moins soulagée d’une chose ; cette petite ne s’était pas blessée, ce qui signifiait qu’elle n’allait pas être obligée de faire un détour par l’infirmerie. Elle regarda les environs. Personne d’autre pour s’en occuper, aucun parent qui semblait en quête de sa gamine. Ce devait être une de ces enfants recueillie par Terrae et qu’on laissait un peu livrés à elle-même, comme cet Arabe albinos qui fréquentait le bar régulièrement, ou cette rouquine à l’air sévère.
__–Ou comme Karen quoi.
__–Bon en attendant on répond quoi. Forcément, vu la relation de Karen avec ses darons, lui balancer un « t’façons les parents c’est des connards on est mieux sans eux » serait son genre, mais pas suuuuper adapté. Ça puis elle est mère et tout. Pareil, grosse envie de lui dire « bah t’es à Terrae maggle, fais avec », c’est bof. Enfin, typiquement le genre de truc que Karen aurait fait, en mode voilà j’ai cassé une gamine déjà détruite par la vie et tout, j’suis trop la meilleure, mais mdr ma grande j’te fais ressentir toutes ses émotions, tu peux paaaaaas.
__–« Euh, bah. Okay j’ai une idée. Tu veux bien prendre John dans tes bras cinq minutes ? C’est lui, c’est mon fils. Il est un peu timide, mais j’crois il t’aime bien et tout. On voulait pique-niquer ici au calme tu vois, après en vrai j’en ai pris large assez pour nous quatre. Si ça te botte. Déjà on va bouffer un coup puis on verra, hm ? »
__–Karen avait souvent plus faim qu’elle ne l’escomptait et le sevrage de ses enfants était presque fini, aussi prenait-elle des portions en plus pour leur faire goûter tout ce qu’elle pouvait. Elle allait donc déplier le tapis et sortir tout ce qu’elle avait préparé pour le goûter. Dont, oui, des gâteaux au chocolat.
__–« Coca ? »
__–C’est pas une Ricaine qui va te filer des trucs sains, c’est sûr.

La réponse de cette inconnue te laisse un peu perdue parce qu'en général, on s'inquiète d'une petite qui pleure. Les gens sont tout tristes avec toi ou alors ils font les gentils et tout en te proposant d'appeler ton papa. Là, elle est bizarre et tu ne comprends pas pourquoi elle fait ça. Est-ce qu'elle est un monstre elle-aussi d'ailleurs ? Et des bébés aussi peuvent être des monstres ? Tu crois que tu peux rester ou alors tu devrais fuir à toutes jambes ? Bon, soyons honnête, tu as les jambes toutes engourdies alors si jamais tu te lèves maintenant, tu vas retomber comme la vulgaire merde que tu es à cet instant. Ma pauvre petite, reprends-toi, tu la déranges. Elle voulait être tranquille avec ses enfants, c'est pour ça qu'elle est bizarre. Elle ne voulait pas qu'une gamine comme toi lui fasse perde son temps qui doit être précieux, tu en es sûre. Mais du coup, tu fais quoi toi ? Tu veux juste ton papa... Tu crois que si tu es gentille, tu pourrais avoir le droit d'utiliser son téléphone ? Tu vas demander à Tomoe un téléphone toi-aussi ! Enfin, quand tu oseras.

Oh, la voilà qu'elle te met un petit dans les bras et s'installe pour le goûter. Tu dois faire quoi toi maintenant ? Non, mais ce n'est pas une situation que tu arrives à traiter facilement, toi. Tu n'es pas très sociable alors tu ne sais pas quoi faire et te contentes de tenir le petit en la regardant faire. Elle a l'air gentille... Est-ce qu'elle est gentille vraiment ? Elle a des enfants, elle ne peut pas être méchante, pas vrai ? Tu n'es pas trop sûre, mais tu te dis que pour avoir son téléphone, ça peut être une bonne idée. Bon, ça se tente, non ? Tu as toujours les larmes aux yeux, mais elles ne coulent plus, c'est déjà ça, non ? Ça te permet de mieux voir les gâteaux au chocolat qu'elle sort. Ok, tu restes.

- V-v-v-voui.

Elle te propose du coca alors tu vas être gentille et dire oui. C'est méchant de refuser et toi, tu ne veux pas être méchante. Par contre, du petit dans tes bras, tu ne sais pas trop quoi en faire alors tu ne bouges pas d'un poil. Ça doit être comme une poupée, non ? Enfin, peut être que c'est plus fragile alors il ne faut pas que ça tombe par terre. Voilà, hop, interdiction de bouger, tu ne veux pas lui faire mal toi.

- C-c-c-c'est q-q-q-quoi s-s-s-son n-n-nom ?

Tu ne vas pas continuer à l'appeler bébé ou petit non plus, ça ne se fait pas !

__–Mdrrrr la p’tite qui fixe direct les gâteaux au chocolat, c’est bon on a compris ce qu’elle kiffe. Ils sont là, elle a juste à tendre le bras pour en prendre !
__–Mais, pas immédiatement : encore fallait-il s’assurer que sa prise sur John était correcte. Karen la regarda faire avec un air attentionné – et légèrement vachard –, repositionna ses bras pour que la tête de son fils ne dodelinât pas dans le vide, l’aida à le maintenir d’une seule main, de sorte à ce qu’elle pût se servir de l’autre pour manger. John tenait ainsi à moitié assis, posé contre son bras.
__–« Voiiilà, il est bien là, il est posé. »
__–Effectivement, le jeune John n’était pas mécontent de sa situation. Il était dans les bras d’une inconnue, certes, mais sa propre mère était non loin et la petite fille qui le tenait, si elle ne se signalait pas par sa dextérité dans le périlleux exercice du port de bébé, était à tout le moins animée de bonnes intentions et fort douce.
__–« Bah, John. Je te l’ai dit hein. »
__–… Ouais alors la douceur c’est pas trop le cas de l’autre conne, là, par contre. Tiens, bouffée d’anxiété d’Aéna qui te revient dans ta gueule. Ouais, t’as raison, ouais, lève tes barrières mentales, inspire un grand coup et souffle longtemps. Bouffonne va.
__–« Nan mais, t’inquiètes, tu t’en sors bien hein. De vrai et tout. Puis il a l’air de bien t’aimer, regarde. »
__–John lui-même observait avec curiosité cette étrange figure penchée sur lui.
__–Le verre de coca servi et à portée, le paquet de gâteaux au chocolat ouvert, Boyce dans ses propres bras, on pouvait commencer le petit goûter. Aussitôt sorti de sa poussette, il se désintéressa du hochet pour réclamer à manger.
__–« Okay petit monstre, mais d’abord ta purée, ça suffit de m’pomper les seins, là, oh. »
__–Aussi, sortit-elle deux petits tupperwares, en posa-elle un à côté d’Aéna et ouvrit l’autre.
__–« Tiens, si tu veux lui filer. John ça va c’est un facile, il va pas trop te péter les burnes, en plus. Par contre mange avant, je les entraîne à pas bouffer en même temps, parce que je pourrais pas gérer. Mate juste comment je m’démerde puis tu pourras faire pareil, ok ? »
__–C’était… Tout un exercice, de donner sa nourriture à Boyce. Celui-ci jugea la purée de légumes verts et de petits morceaux de poulets trop verte, d’une consistance inadaptée, avec un ratio protéines - légumes bien trop en défaveur du premier, aussi recracha-t-il la première bouchée sur son bavoir, avec un grand, profond, long soupir exténué de la part de Karen pour seul commentaire. La philosophie de Boyce en matière de repas était simple : se rendre oui, mais non sans résistance. Même à cinq mois, on a une notion de ce qu’est le panache.
__–« Allez, t’as fait genre, mais c’est la même qu’avant-hier, Stp Boyce. Promis, son frangin est plus facile. »
__–Celui-ci répondit par un éclat de rire à l’attention de sa mère, dont elle profita pour lui enfourner une autre bouchée, qu’il avala avec bien plus de joie.

Avec beaucoup d’attention, tu fais ce que Karen te dit de faire pour bien tenir le petit John dans les bras. Là, c’est sûr, tu ne vas plus bouger ! Tu n’es pas très douée, mais tu fais vraiment attention à ne pas risquer de faire mal à cette petite chose dans tes bras. Il y a un truc qui est bien avec toi, c’est que tu es rondouillarde donc qu’il ne peut qu’être assis confortablement sur toi. Parfois, ça peut avoir du bon d’avoir du surpoids, non ? Dans cette situation, tu es sûre qu’il doit aimer que ta jambe soit bien potelet pour recevoir son petit derrière. Enfin, tu l’espère car tu ne voudrais pas qu’il soit dans une mauvaise position. Il a l’air gentil.

- I-i-il est m-m-m-mign-gn-gnon.

En tout cas, il te fait sourire un petit peu. Ce n’est pas gagné, mais c’est toujours plus que ce que tu as pu offrir à cette inconnue jusqu’à présent, et surtout, c’est plus sincère ce qui est déjà un bon début. Ce n’est pas avec ça que tu vas cacher ton mal-être, mais tu vas quand même pas trop mal. Enfin, on va dire ça pour le moment. Il faut un début à tout et on va dire que c’est déjà pas mal alors il ne faut pas en demander trop non plus.

Avec beaucoup de timidité et de peur, tu viens prendre un gâteau au chocolat. Tu fais vraiment tout doucement et surtout, très lentement. C’est que tu veux être sûre de ne pas blesser John sans le vouloir. Là, s’il y a un souci, tu ne pourras que le voir, mais ça va, tu ne le fais pas tomber et c’est le principal ! Tu t’en voudrais tellement de lui faire mal. Déjà que tu n’as pas le moral alors si en plus tu rajoutes ça, c’est parti pour la tempête dans ta tête. Bon, c’est déjà le cas, mais en pire, ça serait mal.

Tu es en plein croquage de gâteau au chocolat quand la dame te parle à nouveau. Tu relèves donc les yeux vers elle, attendant qu’elle te dise que tu fais un truc nul avec John qui est vraiment trop mignon. C’est sûr, tu dois mal le tenir ou alors tu dois pas manger alors que tu l’as dans les bras. C’est forcément ça ! Tu trembles un peu, attendant de te faire fâcher. En même temps, elle fait peur la madame ! La voir te donne l’impression qu’elle a envie de te frapper. Tu crois qu’elle va le faire ?!

Ah non, c’est pour le repas. Ouf, t’as vraiment eu peur ! Par contre, elle parle bizarre. C’est quoi des burnes ? Tu regardes discrètement autour de toi, autant qu’une gamine peut le faire. Non, il n’y a rien que le petit John ne pourrait péter. Est-ce que tu crois que tu peux demander ? Le petit dans tes bras te met quand même un peu en confiance. C’est pas énorme, mais c’est déjà un début comme confiance. Qu’elle prenne ce qu’elle a, cette inconnue, à faire aussi peur.

- C-c-c-c’est q-quoi d-d-d-des b-b-b-b-bur-r-rn-nes ?

Oh, le petit Boyce, lui, te fait sourire aussi. Il est amusant à faire des caprices pour manger et à faire soupirer celle qui te fait peur. Elle a l’air moins effrayante à perdre la première bataille face à un petit bébé de cinq mois. Et le voilà qu’il rit même si sa mère l’a par surprise à ce moment. Ça a l’air un peu difficile, mais amusant de lui donner à manger. Tu regardes donc John avec un petit sourire alors que tu recroques dans ton propre gâteau. Lui sera plus simple elle a dis. Ça sera quand même amusant ?

__–Bah voilàààà, elle lâche une phrase, elle sourit, elle va mieux, bon c’est pas encore la teuf dans sa tête hein, mais déjà c’est vlà moins toxique dans l’air. Karen peut souffler un coup. Ça va, tu le vis comment de devoir faire en sorte que les gens autour de toi ils aillent bien pour que toi ce soit pareil ? Ça pas fait chier que ce soit parce que c’est bibi, ton pouvoir sensitif qui te fait genre, physiquement mal, donc là sur la pyramide de Maslow on bouffe les pâquerettes quoi ? Enfin. On fait avec ce qu’on a, hein.
__–… Tu connais la pyramide de Maslow, toi ?
__–Je suis un shlag, pas un inculte.
__–Argument acceptable. J’imagine que tu as encore des choses à dire sur la vague de peur qui assaillit cette petite ?
__–Dont on connaît pas le blaze, d’ailleurs. Mais bref. Ouais non bah, là en vrai ça va, du coup j’ai les protections activées et tout, Karen sent qu’elle a les miquettes en face mais ça l’atteint vlà moins.
__–Et mdr ma grande démerde-toi avec c’te question.
__–« Bah c’est. Les testicules, quoi. »
__–(Notons que Karen ne parlant qu’anglais, elle n’avait pas utilisé l’expression péter les burnes, mais son équivalent ; rustle your jimmies.)
__–« ‘fin bref. Au fait. J’m’appelle Karen. Et toi ? »
__–Pour revenir au conflit qui opposait Boyce à sa cuiller, le premier fut toutefois atteint dans son honneur, d’avoir perdu la deuxième manche. Il ne cédait, usuellement, pas avant la troisième, voire la quatrième. Aussi, quand la suivante arriva, il la repoussa d’un ample et brave geste, ce qui fit voler l’ustensile et son contenu sur le tapis. John assistait au spectacle avec consternation, si une émotion aussi complexe existait chez un bébé.
__–Pas vraiment. Il trouve juste ça marrant un peu.
__–Karen soupira encore, ramassa la purée renversée, l’envoya valdinguer dans la nature, maintenant qu’elle n’était plus comestible, donna la cuiller à Aéna et pointa son doigt devant Boyce.
__–« Ok, p’tite tête, tu veux faire le mec, bah regarde. »
__–Elle le fit crépiter. Un infime éclair bleuté saillit de son doigt, comme un petit serpent qui s’enroulait autour de ses phalanges avant de disparaître, ce qui fut accueilli d’une puissante exclamation de surprise et de joie : Boyce ouvrit grand la bouche pour prononcer des sons indistincts, qui indiquaient qu’il en réclamait plus… feinte que Karen utilisa :
__–« Allez, fourre-lui une bouchée pendant qu’il regarde ailleurs ! »

Oh, ça, tu sais ce que c’est. Donc les burnes, c’est les testicules. C’est pas étonnant qu’il y ait plusieurs mots pour dire la même chose alors ça doit aussi être le cas de ça. Si c’est un mot de grand, tu pourras le ressortir pour montrer que tu es une grande fille ! Tu crois que ça impressionnera les maîtres et maîtresses ? Enfin, il faut un contexte pour sortir ce genre de mot, mais quand même, ça serait bien ça ! Tu veux qu’on te prenne pour une grande fille alors ça serait parfait que tu puisses l’être avec le vocabulaire de cette personne qui te fait toujours peur.

- A-a-a-aén-n-na.

Oui, elle te fait super peur alors répondre sans bégayer sur ton prénom, ça risque d’être très compliqué. Tant pis, ça sera ainsi. Elle pourrait faire des efforts aussi. C’est elle l’adulte ! N’empêche, une adulte qui semble si méchante avec des bébés qui sont si gentils, c’est bizarre. T’es sûre que les jumeaux tiennent du papa pour être aussi gentil, surtout John qui ne bouge pas et qui est vraiment tout adorable à rester dans tes bras. En plus, toi, tu fais attention à ne pas bouger pour ne pas risquer de le faire tomber. Comme quoi, tu es une grande fille responsable !

Bon, tu finis avec une cuillère dans la main sans comprendre pourquoi, mais tu ne remets pas en cause Karen parce que tu te dis qu’elle pourrait se mettre en colère ce que tu ne veux absolument pas voir. Déjà qu’elle fait peur alors en colère, ça doit être pire qu’un monstre ! Chose qu’elle est déjà puisque tu la vois utiliser de la magie toute bleue. Toi, ça te fait peur, mais le petit Boyce semble plus amusé qu’autre chose. Est-ce que tu peux faire confiance à ce bébé ? Tu sais pas ce qui te fait avoir un geste de recule parce que si c’est un méchant monstre, tu ne veux pas être avec elle.

Mais voilà qu’elle veut juste nourrir son fils. Tu crois que tu dois lui obéir ? Surtout que ça veut dire te rapprocher d’elle en te penchant… Et John ? Avant d’obéir à Karen pour éviter de la mettre en colère, tu veilles quand même à le serrer contre toi pour pas le faire tomber. Tu veux vraiment pas le blesser, il est tout gentil lui ! Une fois fait avec l’habilité d’un éléphant, tu te penches pour mettre une bouchée de purée dans la bouche de Boyce. N’empêche, ça t’amuse et tu en souris même.

- Voilà !

__–A-a-a-aén-n-na ?
__–Fais pas le con, t’as compris. Et même Karen elle est moins emmerdante que toi, genre elle attend que la minotte ait fini, la reprend même pas et fait ok de la tête et tout, quoi. Non mais, y’a une évolution de fou, jamais de la vie elle aurait eu cette patience pour un bègue, avant que je rapplique !
__–Ô temps béni, hélas enfui…
__–Emporté par le vent, t’allais dire, sale merde ? Reprend la narration au lieu de dire des conneries.
__–… Soit.
__–Karen observa la prudence, tout à fait louable au demeurant, avec laquelle Aéna, donc, manipulait John. Celui-ci était comblé d’être ainsi tenu, aussi continua-t-il de somnoler avec un air content. Pour ce qui était de nourrir Boyce, elle réussit son coup et le stratagème put parvenir à ses fins. L’enfant, par réflexe, ferma ses mâchoires sur la nourriture et fut tout à fait perdu. Que venait-il de se passer ? Avait-il été dupé ? Cette nourriture n’était-elle pas succulente ? Et comment se faisait-il que c’était une autre personne qui le nourrissait ? Cela faisait beaucoup d’informations à traiter, qu’il avala avec sa bouchée.
__–Boyce, par la suite, fut pris dans une intense réflexion, sur les tenants et les aboutissants de ce qui venaient de se dérouler sous ses yeux. Il essayait d’en décrypter la signification profonde, pendant que Karen soufflait de soulagement d’avoir réussi à vaincre la résolution de son fils.
__–« Merci, tu peux pas savoir comme il tape sur le système, cet adorable emmerdeur, là. »