Du temps a passé depuis la mission ; je supervise à nouveau régulièrement les entraînements des Tonnerres et ceux de Senri et Nana à part. Parfois j’ai peur qu’ils se joignent au groupe parce qu’ils sont tellement entraînants, et qu’ils se laissent aussi entraîner de trop. Leur collaboration a du bon, mais j’ai l’impression que ça attise leur impulsivité, ce dont ils n’ont pas forcément besoin aujourd’hui. Je suis pour la stimulation et le challenge évidemment, mais pas de cette manière.

Là, on est au mois de mai ; j’ai repris les cours tranquillement, je me sens mieux, donc j’ai proposé à Senri qu’on se voie. On a longuement échangé avec Hideko à son sujet, suite à ce qu’il s’est passé en janvier et février à l’hôpital. Aoi était furieuse que Senri n’évolue pas et m’en a refilé la responsabilité. Si les travaux d’intérêt généraux qu’il mène dans Terrae pour réparer ses bêtises l’aident à être suffisamment occupé pour ne pas faire de nouvelles conneries, on a quand même dû parler du trou dans le mur mitoyen entre les chambres de Nana et Karen, ce qui a amené Karen à déménager chez… Misao visiblement ??? durant deux-trois jours avant qu’elle n’ait été obligée de trouver une autre solution. Bref, c’est pesant toutes ces conneries et j’aimerais avoir autre chose à faire de ma vie, mais me voilà dans la forêt à attendre Senri pour lui passer mon sermon le plus fatigué.

Je le salue quand il arrive et souris. J’ai mis mes survêt’ de sport, un truc un peu confortable pour pouvoir me mouvoir correctement au besoin.

—Salut Senri. La forme ?

Je hausse un sourcil.

—Aujourd’hui j’aimerais qu’on discute un peu avant de s’entraîner, si t’es ok.

Ouais je mets le ton tout de suite : tu vas te faire engueuler et après on passe à autre chose.

- BONJOUR TERRAE JE SUIS LE SWAGGITIF ET J'AI ENTRAINEMENT AUJOURD'HUI.

C'est ce qu'avait hurlé le jeune tonnerre (qui est trop vieux pour que je l'appelle adolescent). Du haut du toit, duquel il venait de sauter, avec une porte. Il concentra son énergie pour faire jaillir deux poings électrique qui vinrent s'accrocher au toit pour ralentir l'inertie de sa chute, et lui laisser le temps de glisser sa porte sous lui, pour sauter dans un arbre.

Après pirouettes, galipette et footing. Senri arriva en un seul morceaux (étonnant je sais), sa porte en quatre morceaux sur le dos, au point de rendez-vous fixé avec Aaron.

- BONJOUR SENSEI MONSIEUR AARON !

Il fit une petite galipette - sûrement un moyen de montrer son enthousiasme - pour arriver près de son mentor.

- Ca va super ! Et vous ??

Il n'y eut pas d'autre réponse, que "on va parler". Un frisson parcourut le corps de Senri. Les savons d'Aaron était rare, très différent de ceux d'Aoi où on sentait la colère dans chaque syllabe. La colère d'Aaron, était un petit shaker de déception, lassitude, mais aussi, très certainement un peu de fierté -non ça c'était ce que Senri s'imaginait.

- Ma porte, je l'ai trouvé elle était comme ça.

Ok. J’avais prévu d’être sympa, mais en fait je crois que je vais juste l’éclater. Je joins mes deux mains et les ramène près de ma bouche et mon nez… pris d’une violente impulsion, que je contiens. Je ne sais même plus quoi dire, ou comment réagir, en fait, c’est toujours over the top avec lui. Et si j’adore ce gamin et son caractère enjoué et volontaire, j’ai l’impression que les choses évoluent plus du tout ces derniers mois. Il peut faire preuve de tellement de maturité en mission, et après on a droit à une destruction en règle de tout Terrae… J’trouvais les décisions des autres Masters un peu rudes, mais en fait, je sais bien qu’ils ont raison pour le coup. Putain, ça va pas être une discussion facile.

J’ai pas envie de lui dire qu’il est pas suffisant, parce que c’est pas le cas, et que c’est ce qu’il risque de retirer de tout ça. Mais en fait, s’il continue il va juste s’auto-détruire, et j’ai pas envie de voir ça arriver, c’est mon élève mais c’est aussi, quelque part, un genre d’ami un peu bizarre. Bref c’est mon élève, quoi, m’obligez pas à poser des étiquettes cheloues, là !

Evidemment, je lâche un soupir et pose mes poings sur mes hanches, avant de me passer une main sur le visage et lui faire signe de me suivre. On marche un peu, et je m’assois sur un gros caillou posé la comme un con ; certainement une expérimentation d’un Terre. Ou une déco, j’ai jamais su.

—Ecoute, j’aime beaucoup t’entraîner et passer du temps avec toi. T’es enthousiaste, et tu t’es vraiment révélé durant tes missions, on sait que tu es un bon élément. Par contre, les portes, et tout ton bordel, il faut que t’arrêtes.

Finalement, je regarde à nouveau Senri dans les yeux.

—Ca importune les autres, c’est chiant à réparer, et putain Senri on en a marre de t’engueuler. T’es adulte maintenant, tu as eu 21 ans, alors comporte-toi comme un adulte. Cette énergie, tu pourrais la mettre à construire des choses plutôt que tout péter, ou te faire ressentir le goût du risque et de te blesser.

J’appuie ma main en arrière sur la pierre, continue à le fixer.

—On a pris une décision avec Hideko et Nikkou. Tu es interdit de mission tant que tu n’as pas appris à respecter le matériel (je désigne la porte explosée dans son dos) et ton corps (je le pointe lui). Et si tu refuses de faire un effort dans ce sens, je ne t’entraînerai plus. Ca me fait trop de la peine de te voir te blesser et te mettre en danger tout le temps, et je serais pas un bon prof si je te laissais te faire du mal.

Sensei Monsieur Aaron… Ca me rend presque triste, en fait. Je veux pas briser ses rêves.

—Quand je t’ai vu en mission, je me disais que tu ferais un bon Master, plus tard, quand tu aurais appris à te canaliser. Mais tant que c’est pas fait, c’est mort. Je crois en toi, alors fais mieux. Réfléchis. Pleure un coup. Mais arrête de te faire du mal comme si personne s’inquiétait pour toi.

Sans poser de question, Senri suivit Aaron. Il s'épousseta rapidement le derrière, avant de se déplacer en petite foulée. de quoi entretenir son cardio, sans toutefois dépasser Aaron. Après quelques instants, le master prit place sur un caillou, Senri quant à lui se figea et se tint droit. Prêt à écouter. Il eut un sourire face au premier compliment d'Aaron, avant que celui-ci ne disparaisse.

- Mais c'est la m-

Il n'eut pas le loisir de terminer sa phrase, qu'Aaron continua de le recadrer. Senri écouta, le visage un peu déconfit. Il passa le regard, quand le master souligna qu'à présent Senri était adulte. Il ne se sentait pas très à l'aise dans cette situation, écouter les remontrances n'étaient pas dans ses habitudes, mais répondre à Aaron, non plus.

Il releva la tête, quand Aaron parla de l'interdiction de partir en mission, puis de cesser de l'entraîner. Le visage de Senri passa de la surprise, la tristesse à la colère, en peu de temps. Mais alors qu'il allait s'insurgeait, une phrase le stoppa.

"Je me disais que tu ferais un bon Master".

L'emploi du passé, s'il n'était pas aussi négatif que cela, acheva d'enfoncer encore un plus Senri dans la tristesse.

- Je sais qu'on s'inquiète !

Il avait un peu crié.

- Mais moi aussi, monsieur.

Sa respiration s'était accentué alors qu'il commença à gigoter avec ses mains.

- C'est pas vrai quand vous dîtes que je répare rien ! Cette porte, là, c'est la mienne et j'arrête pas de la réparer, regardez !!

Il récupéra de son dos les trois bout de porte et montra à Aaron les différentes plaques de métal tordu, vissé de manière asymétrique. C'était aussi chaotique que Senri, mais ça semblait marcher. Jusqu'à la prochaine chute.

- Là, j'ai mis une cale amovible, pour la replier, bon elle s'est cassé quand j'ai sauté du toit, tout à l'heure, mais même ça je fais attention ! Je passe plein de temps à prévoir comment ça marche, des fois je lis même des livres ! Regardez, j'ai calculé la distance pour atteindre l'arbre depuis le toit !

Il sortit l'un de ses carnets pour montrer à Aaron toute une batterie de calculs, tous plus faux les uns que les autres. La seule raison de pourquoi il n'était pas à l'hôpital, c'était de la chance, ou ses capacités physiques qu'il n'avait évidemment pas pris en compte. En fait, là où son exposé manquait vraiment de poids c'est que même après six mois depuis le Centre, Senri était toujours couvert de bandages.

- Vous pouvez pas m'interdire de mission ! C'est le seul endroit où je sers à quelques chose ! Si tout ce que j'ai pour moi de repousser mes limites pour me renforcer monsieur ! Ça fait trois ans que je suis étoile, et j'ai réussi à utiliser mes pouvoirs à leur max y a six mois seulement ! J'ai énormément de retard à rattraper, et pas assez de temps pour me ménager !

Il marqua une pause, cherchant comme une réponse dans les arbres.

- Je suis désolé de tout casser, je ferais plus attention, je ferais même plus de travaux d’intérêt généraux que nécessaire ! Mais m'empêcher pas de partir, je suis prêt à faire tous les efforts qu'il faut !

Osé de conclure ainsi, alors qu'il venait de dire en substance "rien à foutre de mes limites".

Tout ce que je lui ai dit, j’ai essayé de le faire de la manière la plus compréhensible et directe possible. Avec tact, un peu, avec douceur quand je pouvais, mais finalement ça n’a plus été possible. Il fallait aussi que je sois ferme, et je peux pas me dérober à cette décision-là. Je peux pas non plus me dérober à cette discussion, même si j’aurais aimé ne pas l’avoir, que j’aime pas le sermonner parce que je sais qu’il fait tout ce qu’il peut, qu’il fait de son mieux. Et vraiment, je pensais que j’étais prêt, mais y a trop de trucs qui passent dans les yeux de Senri, trop d’émotions qui s’entrechoquent. Tristesse, colère. Il crie, et le voir comme ça, ça me fait trop de peine.

Il s’inquiète aussi ? Vraiment ?

—Vraiment ? je prononce, alors qu’il me dit que lui aussi s’inquiète, comme pour le mettre au défi de s’expliquer.

De m’expliquer.

Mais il se justifie, il essaie de m’expliquer qu’il fait de son mieux — je sais que tu fais de ton mieux, Senri. Je sais que c’est ta porte. Que t’arrêtes pas de la réparer. C’est comme toi, Senri ; on arrête pas de te réparer, mais à un moment donné, il va y avoir un truc irréversible et tu vas te tuer. Mon estomac se tord, j’ai l’impression qu’il fait un looping. Il comprend pas. Il comprend vraiment pas. Je suis glacé alors que je me rends compte de tout ça. Et le pire, c’est que je regarde. Je regarde ses calculs, ses recherches.

—Quand tu as sauté du toit tout à l’heure ?

Mon ton se fait d’abord plus froid, puis acéré. Les calculs sont faux. Il aurait pu se tuer. J’comprends mieux pourquoi il est blessé tout le temps, il… Je me lève pour contenir la colère qui est en train de gronder à l’intérieur de moi et le toise, de plus en plus atterré, de plus en plus en colère, de plus en plus inquiet.

—Mais putain Senri, je te demande pas de repousser tes limites !

Cette fois ma voix claque, c’est un coup de tonnerre qui résonne autour de nous. Mon ton se baisse, mais il est ferme.

—Combien de fois je vais devoir te le dire ! Senri, tu peux pas repousser tes limites tout le temps ! Tu te fais tout le temps mal, tu sautes du toit ? Mais tu cherches quoi en faisant ça, tu te sens pas assez vivant comme ça ? T’es en train de faire exactement ce que t’as fait dans ton club, avant Terrae. Si tu continues, tu vas tout perdre.

Et là, je suis désespéré. Je veux pas que tu perdes tout, Senri. C’est la dernière chance que je te laisse, après ça, il y aura une sanction.

—Je m’en fous des travaux d’intérêts généraux, et les objets ça se répare, mais pas toi ! Tu veux perdre l’usage d’un de tes membres ? Tu veux ne plus pouvoir faire de volley, de boxe ? Tu veux te fracasser le crâne et mourir ? Tu crois que tes amis veulent ça pour toi ? Ta soeur, Nana, Nico, celle que t’aimes ?

TW : Pensée sombre, autodestruction, il le pense pas, mais c'est Senri, il dit des trucs qui trigger (j'édite si jamais c'est trop)

Lorsqu'Aaron appuya sur le fait que Senri avait sauté du toit un peu plus tôt, un frisson parcouru l'échine du boxeur. Il sur qu'à ce moment, il avait merdé.

- Non, c'est, je-

Evidemment, le Master ne laissa pas à l'Etoile le temps de bafouiller des excuses ou quelques explications loufoque à ce sujet. Le ton monta rapidement dans la voix d'Aaron. Senri sentit son coeur descendre dans son estomac.

- Mais non, j'ai pas besoin de me sentir vivant, je respire déj-

Senri se stoppa immédiatement quand son professeur évoqua l'ancien club de Senri. Le visage du garçon s'était décomposé.

- Mais, non... Je ne fais plus de mal aux autres, je...

C'était toute l'affaire de faire des efforts. Senri avait l'impression d'en faire, il était même certain qu'il en faisait. Mais, ce n'était pas assez, toujours pas assez. Pour la simple et bonne raison, que jamais Senri n'avait prit le temps de réfléchir à son Vide. Ses dents et poings se serrèrent quand Aaron reprit sa parole.

La colère était une émotion qu'il avait appris à côtoyé, sans la maîtriser, il l'étouffait, sans jamais la dompter. Et aujourd'hui, elle passa au travers du sanctuaire qu'il s'était créé. Sans s'en rendre compte, son pouvoir de sensitif s'activa, balaya tout ce qui n'était plus utile, pour ne laisser place qu'à la colère, et la détermination.

En serrant les dents, il releva les yeux vers Aaron, pour affronter son regard, avec un soupçon de cette insolence qui le caractérisait si bien.

- Vous avez raison. Ils veulent sûrement pas ça, ouais.

Un soupir passa entre les dents.

- Vous savez quoi ? Ouais, j'aurais adoré me prendre une balle, perdre un membre, me fracasser le crâne ! Mais tout le monde a eu ses blessures à ma place ! Monsieur vous avez été dans le coma. On savait pas si vous alliez vous réveiller ? J'ai pas parlé à Nicolas depuis ça, je me cache quand je croise votre femme à l'hôpital. Quand je suis avec Nana, mon pouvoir de sensitif tourne tellement que parfois ça me donne le vertige, parce que sinon je ressens la culpabilité de l'avoir mise dans cette situation de merde !

Il haletait, le souffle court.

- Parce que j'étais là, et j'ai été incapable d'éviter ça. Parce que, vous avez raison, en fait, même en mission, j'suis inutile. Vous avez passé toute la mission à me recharger en énergie, à prendre les coups à ma place. Et moi j'étais là, en me disant "woah il est trop cool, un jour ce sera mon moment". J'ai pris cette mission pour un entraînement, un apprentissage ou je sais pas quelle connerie ! Je me suis reposé sur vous, et ça a donné votre coma. C'est même pas comme si vous m'aviez pas fait confiance. C'est que j'vous ai donné aucune raison d'avoir confiance.

Il parlait plus vite qu'il ne pensait, déversant les doutes, et les angoisses qu'il taisait depuis longtemps. Mais dans ce flot, il disait nombre de chose qu'il aurait préféré formuler autrement.

- C'est marrant quand même, même sans frapper les autres, j'arrive à les blesser !

NON J’AI PAS BESOIN DE ME SENTIR VIVANT, JE RESPIRE DEJA ???????????????? Mon regard noir en retour est tellement vénère, j’pense que Senri serait pas en train de commencer à s’énerver, il aurait continué à se liquéfier sur place. Mais Senri, quand il se sent pris au piège, a fortement tendance à réagir en se mettant sur la défensive. Et je le comprends, je crois que j’aurais fait la même. Mais putain, je veux juste qu’il comprenne ; qu’est-ce qui cloche chez lui ? Pourquoi il réagit comme ça, pourquoi il se fait du mal tout le temps comme ça ?

Son visage d’abord décomposé me tord le coeur, j’me sens trop mal. J’ai pas envie de l’engueuler, j’ai pas envie de le faire souffrir. Même lorsque ses traits passent à l’incompréhension, puis la colère, lentement. Que ses poings se serrent, qu’il relève le menton de cette manière. D’un coup, toutes les autres émotions disparaissent, la colère la remplace. La colère et… autre chose, ça pulse vite et fort, ça refuse d’abandonner. C’est ça que je peux lire dans son regard ; comme de la provocation.

Et à ma colère, il répond par plus de colère encore. Ses mots me glacent, j’sens comme un goût amer sur ma langue alors que les flashs me reviennent. Le Feu Morphe, Nana, même Senri blessé… parce qu’il l’était, il refusait juste de l’admettre… Lou qui ressent un Vide, qui finit initiée. Nicolas. Jérémy. Tout ce qu’on m’a raconté, sur tout le monde. Mitsuki par terre, qui hurle en se tordant de douleur. C’est comme un trou qui s’ouvre sous mes pieds alors que je ne ressens qu’une immense nausée, douloureuse et coupable.

Coupable. Lui aussi, il la ressent, cette culpabilité ; c’est ça qu’il essaie d’effacer, depuis tout ce temps. Cette émotion qu’il refuse de confronter, de regarder. Je ne voulais pas qu’il se cache, qu’il se sente coupable. C’est mon rôle de protéger mes élèves, je ferai tout pour ça. Au fond, je sais que tout se serait bien passé si nous étions juste rentrés à Terrae, si nous n’avions pas rushé jusqu’à l’équipe de Mitsuki pour les sortir de là, c’est pas du tout leur faute. J’me suis cogné la tête, j’ai voulu aller au plus vite pour éviter à tout le monde de souffrir — sauf à moi, comme souvent. On a beaucoup eu cette discussion… avec tout le monde. Certains m’ont engueulés. D’autres ont été assez sympa pour simplement me faire le reproche à mi-mot. Lou, elle, m’a dit que je devais me privilégier en premier, et que si ma santé était impactée, je devais agir comme je le ferais avec les autres. Donc, si je ne peux plus continuer, je ne pousse pas.

Et c’est pour ça que j’le comprends, Senri. Parce que je voudrais pouvoir pousser au-delà de toutes mes limites pour empêcher mes proches de souffrir, mais y a toujours un prix à payer. Sauf qu’après, on peut pas non plus se cacher. On peut pas boucler toutes nos émotions, ça marche pas.

Mon regard est juste triste, alors que j’encaisse difficilement sa colère légitime.

—C’est faux. Tu m’as pas blessé, ce jour-là. Tu as fait tout ce qu’il fallait, tu t’es battu avec courage et stratégie. T’as été incroyable. On pouvait pas prédire qu’on irait faire un détour pour chercher l’équipe de Mitsu… et vous aviez besoin de cette énergie, c’est volontairement que je vous ai rechargé. Parce que je m’en pensais capable. La vérité, c’est que c’est moi qui ai merdé ce jour-là, j’avais déjà reçu un coup sur la tête et j’suis parti comme une furie parce qu’il fallait les rapatrier vite et que je voulais pas que vous en pâtissiez en étant blessés. Tu as rien fait de mal. T’as parfaitement protégé Nana et Cooper, les données, alors prends pas mes décisions de merde sur tes épaules.

Je souffle du nez, plante mes mains dans mes poches, baissant les yeux vers le sol.

—Je pensais pas que ça t’avait autant marqué, je suis désolé. Je voulais pas vous inquiéter. De mon côté, j’ai trouvé ça bien que vous vous reposiez sur moi, mais que vous preniez des initiatives. C’était moi le Master, dans l’équipe, si je fais pas ça, alors à quoi moi je sers ?

Cette fois, je le regarde, et plutôt que de m’autoriser à pleurer, je laisse juste tomber toutes les barrières. Tout est là, mon affection, ma confiance, ma tristesse, ma colère, mon incompréhension, ma fatigue, ma fierté, ma détermination, ma crainte, ma terreur, ma culpabilité, ma honte. Ca aussi ça tournoie.

—T’as jamais été inutile. J’ai toujours eu confiance en toi. J’ai juste peur pour toi. Comme j’ai peur pour Nana. Comme j’ai peur pour Nico, Jérémy, Elwynn, pour leurs amis, pour Mitsuki, pour Aoi. Ces gens… ces gens voulaient notre peau. Je pouvais pas les laisser vous avoir, alors j’ai frappé vite et très fort.

La vérité, c’est peut-être que j’ai laissé ma peur et ma colère m’envahir au détriment de la confiance que j’avais envers eux. Mes yeux piquent un peu.

—Quand tu te bats… tu te fais toujours mal, et tu te rends pas toujours compte. Ca me fait peur, Senri. Quand je vois que tu t’infliges des brûlures en utilisant ton Tonnerre, c’est peut-être là où ma confiance est plus… telle qu’elle devrait l’être. Parce que du coup, j’ai peur, donc je veux pas te laisser faire. C’est comme quand Charlotte allait au parc les premières fois, j’osais pas la laisser courir seule… tu sais, elle avait l’air un peu maladroite, mais quand elle tombait et se faisait mal, elle pleurait fort ! Mais après elle se relevait, et elle se remettait à courir. Je déteste la voir pleurer…

Je sais pas comment lui dire. C’est pas que j’ai pas confiance en toi, c’est juste que je suis un très mauvais Master. Pendant que je parle, je fixe tantôt le sol, tantôt ses bandages. Mes épaules s’affaissent.

—Si tu veux que j’aie cent pour cent confiance en toi, faut que t’arrêtes de te blesser avec tes propres pouvoirs. Sinon je vais toujours essayer de m’interposer. Parce que si on part en mission ensemble, si on s’entraîne ensemble, tu es ma responsabilité. C’est pas parce que t’en fais pas assez, c’est parce que t’en fais trop. T’es suffisant comme ça, Senri.

Senri tentait tant bien que mal de reprendre son souffle alors que son ventre se tordait. Il sentait son cœur jusque dans ses tempes. Mais son pouvoir de sensitif lui donnait malgré tout un pragmatisme particulier. La performance, c'est tout ce qui importait à Senri, finalement.

Il s'efforça d'écouter Aaron. La bouche close, mais les muscles tendus, le visage contrit et les lèvres pincées. Aux explications d'Aaron sur ces décisions, il se retint d'intervenir. Il voulait laisser à Aaron le loisir de finir de parler, parce qu'avec tout ce qu'il accumulait comme frustration, colère et autre sentiments négatif et pourtant si galvanisant, il ne pourrait plus écouter une fois lancé.

Le trouble d'Aaron fit arquer un sourcils à Senri. Le fait qu'il déplace la faute sur lui-même, qu'il assume ces faiblesse suscita un affreux sentiment à Senri. Lui qui avait placé son mentor sur un piédestal, ne supportait pas le fait de le voir de déprécier, de le voir avouer un échec, dont il n'était pourtant pas responsable. Le pouvoir de sensitif aux aguets, quand le Tonnerre ressentit le flot d'émotion du Master, il eût un mouvement de recul.

Un mouvement que avait été mué par une mélange de dégoût et de peur. De la peur d'avoir ressenti autant de ressentiment vis à vis de son professeur. D'avoir pris pour de la faiblesse ce qui était du courage. Son pouvoir, pourtant, essayait de protéger Senri de ces sentiments qui affaiblissent l'esprit de toute ses forces.

Sauf que c'était les émotions d'Aaron. N'importe quel autre personne, Senri se serait braqués. Il aurait vu ses sentiments comme une agression. Mais pas lui. Le jeune adulte fit taire son pouvoir de sensitif. De façon, abrupte. Libérant le trop plein d'émotion en d'épais sillon de larme.

Quand le Master remit le doigts sur l'absence de contrôle de l'électricité de Senri, ce dernier déglutit.

- Mais... Je... Je suis désolé monsieur. J'y arrive pas. Quand j'utilise mes pouvoirs, c'est jamais assez. Et a la fois, j'ai peur. Parce que si je me protège d'eux, qui sait si je vais pas blesser quelqu'un. Quand je me brûle c'est, je sais pas, pour me rappeler que je suis plus dangereux qu'une arme avec. Je sais pas moduler, monsieur. Je suis désolé.

Il essuya son nez plein de morve avec sa manche.

- Moi aussi, je veux me relever, Monsieur. Mais j'ai l'impression que plus je tombe, et plus j'ai du mal à me relever, alors je fais des efforts. Mais dès que je pense que je vais y arriver, je retombe.

Ses émotions retrouvées, Senri était plus disposé à s'ouvrir. Mais toujours aussi en colère contre lui.

- Vous avez pas pris de mauvaises décisions. C'était les meilleures parce que j'étais une gêne pour vous. À vouloir, être comme vous, faire mes preuves.

Il souffla un petit peu, alors que dans sa tête les paroles d'Aaron se mélangeaient.

- Mais vous êtes le Master, justement. Vous êtes le plus fort mais vous êtes pas invincible. Si on vous avez perdu personne serait rentré, monsieur. On aurait pas eu les données, pas eu l'équipe de Mitsuki. Vous pouvez pas nous protéger tout le temps monsieur. Je crois que tous les deux on s'est trompé. C'était une mission, pas un cours.

Ça lui fendait le coeur de dire cela.

- Je sais que vous avez peur pour nous, et inversement. Mes missions avec Nikkou se passent mieux, car, je sais pas, je suis plus un étoile qu'un élève. Mais je veux pas arrêter de partir en mission avec vous, parce que, parce que, c'est avec vous que je me sens le plus important.

Ça fait un peu rupture, là, non ?

- Je suis désolé monsieur, je vais maîtriser mes pouvoirs, suivre des cours théoriques. Si faut que je loupe des missions, je le ferais. Mais je ferais mieux, monsieur.

Pas plus, mais, mieux.

Si je m’attendais à une réaction particulière, c’était pas vraiment celle-là. Pas ce mouvement de recul, mais cette peur, ni ce dégoût. Ah, ouais. Ouais, on peut ressentir ça, parfois, quand on a trop l’habitude de bloquer ses émotions. L’intensité, ça fait peur et ça fait mal, ça donne envie de fuir et parfois un peu de vomir. C’est comme ça que je me suis senti pendant longtemps, avant que j’accepte que c’était là, et que modifier mes émotions ou chercher à m’anesthésier avec de l’alcool ça me faisait pas de bien du tout. Alors finalement… ça ne m’étonne pas tant que ça le heurte à ce point. Puis, je crois que j’ai essayé de le protéger de ce que je ressentais pendant longtemps, à renforcer ma barrière pour le dissuader de trop fouiller mes émotions, à ne laisser filtrer que ce que je pensais qu’il pourrait gérer. Mais en faisant ça… en faisant ça, lui aussi s’autorise à ressentir, à pleurer, et là c’est le soulagement qui m’envahit.

Peut-être que je l’ai trop pris pour un enfant et que je lui ai pas donné le meilleur des exemples. J’veux être un prof cool et efficace à ses yeux, j’ai pas envie qu’il me voie comme le déchet que j’ai pu être et que j’suis encore parfois. Je me sens fier quand on s’entraîne ensemble (enfin, fier et désespéré parfois ptdr) et fier quand il me montre qu’il a cette confiance quasiment aveugle en moi. Une confiance que je suis pas sûr d’avoir mérité vraiment un jour, mais je crois que j’réalise pas à quel point j’suis tout le temps collé à son cul pour vérifier que tout va bien. Aïe aïe…

Quand Senri reprend la parole, j’crois que je comprends mieux, maintenant. C’est sa manière de se faire mal, de s’empêcher d’aller trop loin, de se mettre un stop parce qu’il sait pas faire autrement. Comme au début, quand on apprend à utiliser notre magie ; elle nous brûle parce qu’on a peur d’elle, qu’on a peur de ce qu’on peut faire avec. Et j’crois que je comprends, c’est comme ça que j’ai perdu quasi entièrement l’usage de mon oeil gauche, au final ; parce que j’avais peur de ma Greffe, et que je l’utilisais n’importe comment.

On se ressemble un peu, en fait. C’est peut-être pour ça qu’il m’a autant touché, dans sa rage contre le monde entier — j’avais juste oublié que quand on est en colère contre tout le monde, souvent, c’est parce qu’on est en colère contre soi.

Mon regard se fait plus triste, plus amer, et je secoue la tête à l’entente des mots de Senri.

—Senri, tu es pas une gêne…

Faire ses preuves ? Mais quelles preuves doit-il faire. J’ai été forcé de grandir trop vite, je suis devenu Master trop vite. J’étais incapable de m’occuper de moi jusqu’à il y a des années. Il fallait des adultes dans un endroit où il y en avait pas ; t’as le choix de pouvoir grandir à ton rythme, alors pourquoi tu veux devenir adulte trop vite ? Pourquoi tu veux devenir comme moi ? Ca a tellement pas de sens dans ma tête.

Et puis la suite… la suite continue à me faire tomber moi. J’accuse mal le coup, et j’sens comme cette obscurité que j’ai pas ressentie depuis longtemps qui remonte depuis les tréfonds de mon cerveau. Mon premier réflexe, c’est de vouloir tout couper, par peur — le second, de m’empêcher de le faire, parce que je crois que je comprends ce qu’il veut dire. Je dois pas chercher à le protéger tout le temps non plus. Je peux pas faire comme si j’étais invincible — ça n’a jamais été le cas. Et il a raison, j’peux pas non plus prendre tous les coups à sa place… C’est fou, hein ? Comme ça aurait pu mal tourner, au final, juste à cause de ça. Ils seraient pas rentrés non plus, si j’avais pris le coup de trop.

…

J’crois que j’arrive même plus à le voir devant moi tellement je chiale lol, mais à défaut de voir le désespoir et la détermination dans ses yeux, j’peux les sentir, au moins, hein. J’sais même plus ce que je ressens exactement , je sais juste que j’me sens vraiment nul. J’inspire et acquiesce quand il dit que ça se passe mieux avec Nikkou, mes paumes sur mes yeux pour prendre le temps de respirer et souffler, me calmer. Elles retombent un peu plus alors que je renifle et acquiesce.

Je lui tends le poing et souris DANS LA DOULEUR.

—Si tu veux plus que je te traite comme mon élève en mission, arrête de m’appelle Monsieur.

J’ai compris. Je crois. (J’suis pas sûr.)

—Je crois en toi, je sais que tu feras mieux. Je ferai mieux aussi, Senri, c’est promis. On repartira en mission ensemble un jour… et ça se passera mieux, tu verras. On fera mieux tous les deux. Je suis désolé de t’avoir inquiété.

Ma voix est un peu éraillée.

—Quand tu sens que tu tombes, t’as pas à te relever tout seul. T’as pas à être en colère tout seul. C’est pour ça qu’il faut qu’on se parle. Je suis content qu’on ait parlé.

MÊME SI MON COEUR EST EN PUTAIN DE MIETTES.

—C’est parce que t’as peur de ton potentiel que tu te fais mal. Tu dis que tu sais pas moduler, mais c’est faux, je sais que tu peux le faire. On peut bosser là-dessus. De mon côté, j’ai besoin que t’arrêtes de te faire mal pour moins m’inquiéter. Et euh. Si tu te fais moins mal, je m’interposerai plus autant. Deal ?

Puis j’ajoute, avant qu’il ne réponde, maladroit :

—Faut pas que t’essaies de devenir comme moi. Deviens toi-même, c’est suffisant. T’es important comme ça. Et c'est pour ça que c'est important que tu restes entier, et en forme. Et que t'acceptes de te confronter à ce que tu ressens, aussi.

Voir Aaron pleurer était une épreuve en soit, les voir pleurer à cause de lui, était quelque chose d'encore plus dur pour Senri. Cela dit, voir que son maître était faillible ne le rendait pas faible pour autant.

C'est peut-être pour ça qu'entendre qu'il n'était pas une gêne avait fait un peu de bien au jeune adulte. Il essuya ses yeux d'un revers de main, en reniflant bruyamment et ravalant un filet de morve, avant de mollement taper dans le poing d'Aaron.

- Je vais essayer, mais c'est dur, vous êtes un peu autoritaire des fois.

Et puis, Aaron était sûrement l'unique figure d'autorité que Senri reconnaissait vraiment et respecter à travers tout Terrae.

- Je serais toujours un peu votre élève mon- Aaron.

Il acquiesça aux paroles qui suivirent, toujours en reniflant bruyamment.

- J'avais peur de cette discussion, mais, je suis content aussi, je crois. Mais c'est vraiment difficile, je sais pas comment on fait pour être sincère.

Ce qui était assez paradoxale, dans le sens, où Senri mentait assez peu. Tout ce qu'il faisait c'était de se blinder de fierté, d'audace, et de s'efforcer de ne jamais être aveugler par des sentiments qu'il considérait comme trop faible. La colère avait longtemps était son moteur, et elle restait par bien des aspects. Mais auprès, d'Aaron, elle semblait surmontable.

Senri acquiesça de nouveau quand Aaron lui parla de son potentiel, et de sa peur de lui-même. C'était la seconde émotion motrice de Senri. Même si, elle n'était pas tout à fait dissociable de la colère. C'en était plus un prolongement naturelle qui était la conséquence de ses nombreuses actions inconsidérées. Il renifla à nouveau.

- J'ai l'impression que, je sais pas... C'est mon pouvoir de sensitif, il est vraiment fort... Quand j'étais téléporteur, tout était plus simple, j'avais pas peur des autres, ou de moi. Des fois, j'ai l'impression que toutes ces émotions, ça fait genre... Un gouffre qui rampe vers moi, et puis bah je tombe dedans, et je sais pas comment en sortir...

Il marqua une pause.

- C'est difficile de me dire, que c'est moi qui l'ait choisi à la fin de l'éclipse, ce pouvoir... Mais en même temps, j'ai l'impression que c'est aussi lui qui me relie aux gens, et qui me permet d'utiliser l'électricité... C'est trop bizarre.

Il se gratte l'arrière du crâne, mimique qu'il adoptait en général, quand il était gêné.

- Après, vous savez... les blessures, ça fait partie de l'entraînement... Mais j'essaierais de me blesser moins, je vous promet.

Il avait répondu cela dès qu'Aaron avait terminé de parler. Mais, il mit un peu de temps avant de répondre aux derniers mots du Master.

- C'est pas vraiment que, je veux être comme vous. Fin, si, pour moi, vous êtes plus qu'un bon Master, vous êtes un bon professeur. En plus vous connaissez les math, c'est super fort ça. Et vos cours, des fois je les relis, vous savez ? Mais, euh, devenir moi-même, bin, ça fait peur. Je suis violent, j'arrive pas à réfléchir comme tout le monde... Donc, vous prendre pour modèle, bin, euh, hm, c'est, je pense, hein. Un peu comme regarder dans la bonne direction.

Par contre, par l'acceptation de se confronter à ce qu'on ressent, ça, il ne savait pas encore quoi en penser, ni même, comment le faire.

Vous savez, je suis trop content qu’il m’ait tapé dans le poing en retour, qu’il ait même pas hésité pour le faire. Mais vraiment, il était pas obligé de s’essuyer la morve avec la même main avant mdr.

—J’suis autoritaire parce que tu sautes du toit, bordel, je râle en reniflant.

PARCE QUE J’AI PAS OUBLIE. Mais c’est vrai, j’suis un peu autoritaire des fois. Parce que j’ai peur, et qu’il fait quand même n’imp des fois. Une partie de moi se demande si je devrais pas juste le lâcher, mais en même temps j’ai pas envie qu’il se fasse défoncer par Hideko, qu’il perde ses pouvoirs même pour une durée minimale. Et je sais que c’est le risque, à un moment donné, s’il change pas de tactique. J’m’essuie les yeux aussi et souffle un peu, essayant de parler normalement malgré ma bouche pâteuse.

—Ca me gêne pas que tu le sois… (Pause.) Et pour être sincère, suffit juste… de dire les choses, vraiment. Quand on a peur, quand on a mal. C’est ça être sincère.

Quand j’observe Senri, j’me dis toujours qu’il a un potentiel de dingue. Il va toujours plus haut, toujours plus loin ; mais si on lui met pas de limite, il se blesse, il a mal, il se retrouve à terre, fracassé, et après c’est de notre faute parce qu’on savait comment il allait finir. C’est tout la question, surtout à Terrae, où tout peut virer au drame en un instant. Il se croit dans un shonen, mais il tiendra jamais le choc comme ça. Il crèvera avant. Ca m’fait trop peur. Est-ce que je dois l’autoriser à se mettre en danger, comme ça ?

Son discours me le confirme un peu ; il n’arrive pas à compartimenter, mais en même temps utiliser ses deux pouvoirs ensemble, c’est une force immense. Mais c’est aussi pour ça que ça paraît insurmontable. Ce gouffre-là… Ce gouffre-là, peut-être que c’est pas magiquement qu’on peut le réparer. C’est comme pour Ys. Y a des trucs qu’il aurait pu, aurait dû travailler.

Ahhhhhh… Bordel. J’ai encore le coeur en miettes. J’repose mes paumes contre mes yeux en respirant lentement, assailli par trop de pensées. Est-ce que j’ai peur qu’il finisse comme Ys, un jour ? J’crois que c’est ça qui me terrifie.

J’acquiesce lentement, finalement. Je ne sais pas trop comment l’aider, je me rends compte.

—J’comprends que tu saches pas trop quoi en faire. Mais je suis sûr que t’as pas fait ce choix pour rien.

Au moins, j’arrive à sourire, dans tout ça. Qu’il me dise qu’il essaiera, c’est déjà pas mal. Mais j’ai pas envie d’avoir à le lui rappeler tout le temps. J’ai pas envie d’avoir à le menacer tout le temps. S’il recommence, qu’est-ce que je ferai, cette fois ? Je lui fais confiance pendant les missions, il est sérieux… mais il se blesse avec sa propre énergie, tout le temps. Pourquoi ?

Quand Senri détourne le regard, tout gêné, je cligne des yeux sans comprendre, d’abord, puis je m’entends rigoler. La boule dans ma gorge grandit un peu, et les émotions remontent jusqu’à mes yeux, mais en même temps ça m’enlève un poids de la poitrine.

—Je sais que tu regardes déjà dans la bonne direction. T’es pas violent. Mais t’es trop impulsif, tu te laisses entraîner.

Je m’humecte les lèvres.

—Tu sais, tout à l’heure tu me disais qu’y avait ce gouffre qui t’enveloppait quand tu te confrontais aux émotions des autres, aux tiennes… J’ai pas de solution à te donner, pas quelque chose qui le règle immédiatement. Mais je pense que tu devrais vraiment aller parler à Sylvia de tout ça, un peu. Elle m’a beaucoup aidée quand j’allais vraiment pas bien… quand j’étais un peu con et que j’réagissais impulsivement, en me mettant en danger, et en mettant mes amis en danger.

Je souris sans joie, fixe le sol.

—Elle va pas t’enlever ces émotions, mais elle va t’aider à les comprendre, à les gérer un peu mieux. Mais c’est un travail que seulement toi peut faire. C’est comme la muscu des émotions, tu vois. Et si ça te fait peur, je peux t’accompagner quand t’iras à ton premier rendez-vous, ou pour aller le prendre.