Je marche vers l'entrée de l'arène en sentant mes entrailles se tordre dans tous les sens. Mais qu'est-ce qui m'a pris de parler de tout ça sans prévenir ?? Ok, j'avais un petit coup dans le nez, et l'histoire des missions de récupération au Centre m'ont beaucoup retourné et fait cogiter... Notamment en voyant Erik, Nana et Luna revenir chacun avec des blessures et des traumas. Mais de là à me lâcher auprès de Luna... C'est pas mon psy quoi ! "Blablabla mon père, blablabla je me sens lâche, blablabla je suis nul à la bagarre..." Putain mais l'idée de merde quoi. Et alors de là à savoir pourquoi j'ai accepté quand la Titanide m'a proposé de m'entraîner... Là je ne sais pas non plus !!

Me voici donc stressed, depressed lemon zest face au grand bâtiment en pierre et bordel comme j'aimerais tourner les talons et retourner sous ma couette pour la journée. Mais non, j'ai été bien élevé, même si c'était à coup de ceinture. Donc je ne poserais pas de lapin à Luna qui doit déjà m'attendre à l'intérieur. Pourquoi je le sais ? Parce que ça fait dix bonnes minutes que je cogite devant la porte, ce qui m'a mis en retard. Pas le choix, il faut que j'y aille. Je secoue un coup mes bras et mes épaules et entre dans l'arène. Je repère de suite la Brésilienne dans un coin et me rapproche d'elle.

J'ai mis pour l'occasion un t-shirt noir et un bas de jogging lui aussi noir, couleur que je porte tellement rarement que je me demande moi-même de quoi je fais le deuil... avant de me dire que, probablement, de mon égo, mon intégrité physique et du peu de dignité qu'il me restait.

- Salut Luna...

Même mon ton va avec mon outfit.

__–Si on me filait un réal à chaque fois qu’un téléporteur aux cheveux blonds a voulu s’entraîner avec moi au combat, j’aurais deux réaux. Ce qui n’est pas beaucoup, mais c’est bizarre que ce soit arrivé deux fois.
__–Alors non, effectivement, au Camil je suis pas son psy, mais je suis la personne qui lui a servi ses verres alors qu’il était sur mon cuivre, ce qui revient, dans un sens, au même. Puis bon, vous m’connaissez. Vous connaissez les titans. Un truc te pose problème ? Tape dessus jusqu’à ce qu’il arrête. C’est, pour aller vite, ce que je lui ai proposé.

__–Dans l’arène, donc. J’ai prévu quelques trucs en plus de mes derniers entraînements, maintenant que j’ai moi-même un peu d’expérience de terrain… et que j’ai pas mal discuté avec nos potes angliches, on va pas s’mentir, sur comment se préparer au mieux. Ça, c’est le genre de contacts à garder.
__–Je suis donc posée, en avance, normal, sur une caisse d’équipement, en cargo et débardeur, à tirer sur ma cigarette électronique flambante neuve – histoire de faire taire les doutes comme quoi je nique mes capacités pulmonaires et pars au combat droguée. Derrière moi, des murs de terre de deux mètres levés par magie qui forment un petit labyrinthe.

__–Hé ben, on a du boulot avec c’t’asperge.
__–« Salut. T’es sapé comme il faut, c’est bien. Approche. »
__–J’ouvre la caisse. À l’intérieur, deux AR-15, des gilets pare-balles, des casques, des lunettes de sécurité et des couteaux en bois.
__–« Détends-toi tout de suite, c’est du paintball. Par contre, j’ai passé les billes au congélo avant de venir. La balistique est beaucoup plus proche d’une vraie, mais ça fait beaucoup plus mal. Après, c’est pour ça que t’es là, nan ? Pour prendre un peu cher en prévision de la suite ? Tiens, équipe-toi champion. »
__–Je mets ma propre tenue et vérifie que la sienne est bien harnachée. Mouais. Il a encore l’air un peu couillon et pas à l’aise… Enfin, y’a pas trente-six solutions pour arranger ça.
__–« Alors, on va commencer par les bases, histoire que tu comprennes bien à quoi on a eu affaire en Namibie et ce que tu devras affronter si tu te retrouves sur le terrain. »
__–Je fais se soulever un peu de terre devant moi, pour former une petite statue approximative, qui fait la taille de Camil.
__–« Attaquer le Centre, veut dire affronter des dotés. Ça veut dire ça. »
__–Je fous un upercut à la statue. Elle explose en tout petits morceaux, qui traversent l’arène et vont jusqu’à arroser les gradins. Puis je le regarde avec un immense sourire satisfait.
__–« Et tu sais quoi, champion ? T’es à armes égales. »
__–Enfin, presque. Il le serait si on développait une gamme de fusils et munitions augmentées aux cristaux. Mais bon.
__–« On va commencer par la base, avant de s’amuser avec mon petit terrain, là. T’as un couteau, j’en ai déjà affronté des téléporteurs, alors essaye de me toucher avec. Si c’est moi que te touche, t’as perdu. Garde ton fusil sur toi, mais ne l’utilise pas, il faut que tu t’habitues à porter près de quatre kilos dans les bras et à pas être encombré. Ça veut dire le doigt hors de la détente. »
__–’faudra qu’on révise la sécurité avec les armes à feu, aussi. Histoire qu’il soit un danger pour ses ennemis, pas ses alliés. Et ça va déjà pas être un exercice facile pour Camil. Les téléporteurs sont tellement prévisibles… La première chose qu’il va vouloir faire, c’est attaquer dans mon dos, s’il est un peu malin.

Plus je me rapproche et plus je sens que j'aurais dû faire demi-tour... Je sais pas pourquoi, mais la caisse qui trône à côté de la Terre ne m'inspire pas confiance... Après un salut bref et un premier compliment (!), Luna entre dans le vif du sujet en ouvrant le coffre. Des armes, des gilets, des protections... Je sens mon cœur tomber dans mon estomac comme une pierre. Un tic agite ma paupière et je m'efforce de ne pas faire demi-tour.

Ça a beau être du paintball ça me rappelle tout de même l'arme que gardait mon père dans le cabinet du salon. Et ses leçons avec des poids aux chevilles. Un instant le visage de l'américain remplace celui de Luna, avant qu'elle me dise de m'équiper. Le matériel n'est pas exactement comme celui que mon père m'a déjà montré mais les gestes viennent presque tous seuls. Ce n'est pas parfait et je me sens comme un clown dans une tenue de sniper mais bon... Je remarque l'air peu convaincu de Luna et m'efforce de me redresser. Depuis que j'ai fui les "leçons" de mon père, j'ai perdu la posture qu'il me forçait à garder dans la journée.

Luna continue ses explications en modelant un peu de terre pour former une silhouette. Bizarrement ou non, elle a à peu près mon gabarit. La Terre m'explique : je vais affronter des dotés. Des dotés qui veulent nous tuer. Je le savais mais l'entendre de vive voix ajoute un côté beaucoup plus réel à la chose. Puis la Terre frappe la statue qui explose littéralement en morceaux. J'avale difficilement. Gloups. Et elle se tourne vers moi, l'air satisfait. Re-gloups. Je ne sais pas pourquoi, mais je la crois moyen quand elle me dit que je suis à armes égales. Un taser contre un boulet de démolition, on sait lequel gagne. Spoiler alert : c'est pas le taser.

Luna mentionne un terrain et je comprends soudain que les murs derrière elle sont un labyrinthe créé par ses soins. Elle m'explique ensuite le premier exercice et c'est là que les choses se corsent : je dois l'attaquer et essayer de la toucher. L'idée même me répugne, et le fusil dans mes bras pèse déjà. Mais je n'ai pas oublié les brimades de mon père. Elles sont peut-être imaginaires mais elle n'en font pas moins bien mal. C'est pour ça que je vais chercher en moi les quelques entraînements au combat que mon père m'avait donné.

"Avec ta carrure de crevette et ton visage de nana, tu vas forcément te faire emmerder dans la rue. Je vais t'apprendre à te défendre, histoire que tu ne me fasses pas plus honte que maintenant."

Je relâche ma main autour du fusil. Depuis le début j'ai le doigt hors de la gâchette, je connais les bases des armes à feu, même si je n'ai jamais manipulé qu'un petit 9mm. Je lève les yeux vers Luna et sors mon couteau.

- Si ça peut t'alléger le travail, je connais les bases du tir. Je lui indique, en priant pour que ma voix ne trahisse pas ma nervosité.

Elle s'attend très certainement à ce que je me téléporte. Mais je n'ai jamais essayé avec autant d'équipement et je ne sais pas comment mon pouvoir réagira. J'ai dans l'idée que l'électricité ne servira à rien à cause des protections. Résultat, j'esquisse un pas rapide vers la Terre et lance mon bras, les yeux fixés sur l'endroit où se termine la veste pare-balles. Au dernier moment cependant, je change la trajectoire de mon attaque et remonte vers la gorge.

__–Hééééé ben y’a un peu de boulot.
__–J’attrape sa lame entre mes deux doigts. C’est même pas une blague. Je suis titanide, je peux faire ça.
__–« Non, alors. Les non-dotés, on les bouffe, t’inquiètes. Ils restent dangereux hein, t’es qu’un humain, même si t’as des pouvoirs. Un flingue ou un couteau, ça te bute tout pareil. »
__–J’envoie balader le sien.
__–« Donc, affronte-moi avec c’que t’as de mieux. Parce que en face, pouvoirs ou pas pouvoirs, c’est ce qu’ils vont faire. »
__–Pourtant, il a effectivement quelques bases. Mais bon, déjà il a l’air d’être venu ici contraint et forcé, alors que… ben non… je suis même pas payée, je fais ça parce que je lui ai proposé, qu’il a dit oui et qu’il est venu le lendemain. Il aurait pu annuler par SMS, j’en aurais pas eu grand-chose à foutre.
__–Après, c’est normal d’avoir les jetons et tout, ouais, puis quand j’explose une statue de terre qui a viteuf sa forme juste pour souligner c’que j’viens de dire, forcément, ça fait son petit effet. Et d’accord, pas exactement à armes égales, parce que je suis étoile et lui pas… mais ça n’avait pas spécialement arrêté Nana. Au contraire. On s’entraîne avec des masters, d’habitude. Ça devrait pas lui faire tant d’effets que ça, la différence de niveau.
__–Puis, il a eu cette expression de retenue un peu bizarre… Non, de dégoût. C’est ça, de dégoût, quand je lui ai demandé d’attaquer. Ça non plus, je capte pas. Tu viens pleurer dans mes jupes parce que t’es pas assez fort, sous-entendu parce que tu veux faire comme nous et risquer ta vie pour revenir brisé. Ok. Soit. Chacun son délire et j’comprends, t’as une go à impressionner (même si, quelque chose me dit que ce qui ferait vraiment mouiller sa culotte à Katsu, c’est qu’il n’y aille pas si on lui propose). Mais, quand t’arrives devant ce que t’as voulu… en fait bof ? Alors d’accord, ça fait ça pour pas mal de p’tits couillons, souvent des Blancs aux cheveux blonds d’ailleurs, qui veulent faire les mecs mais se débinent quand ils se rendent compte que la réalité c’est pas aussi jojo et rigolo. Mais Camil, c’est pas n’importe quel petit couillon. C’est un petit couillon de Terrae. Qui a déjà vécu des trucs et vu ses proches vivre des trucs.  Il est pas là pour faire le mec.
__–Bizarre bizarre. Mais on est pas là pour une séance de psy, on est là pour finir crevé, en sueur, avec des bleus et des bosses.
__–« J’veux dire, t’es téléporteur, nan ? Si t’arrives à m’en coller une là où je ne m’y attends pas, ouais, on pourra passer au tir, ce sera plus tranquille. »

Luna attrape la lame de mon couteau (poignard ?) entre deux doigts. Re-gloups... Je voulais la surprendre mais visiblement, c'est raté. En même temps je l'attaque de front, logique. Comme elle me dit si bien, je reste un humain, un coup de couteau ou une balle me tuent tout aussi efficacement l'un que l'autre... Me voilà bien, tiens. Luna n'est pas au courant pour mes galères de téléportation. Je m'en rends compte maintenant, alors qu'elle me houspille pour que je m'y mette sérieusement. Sauf qu'il suffit d'un seul petit bug et je me retrouve face contre terre. Et la Terre (haha) n'aura rien à voir là-dedans.

- Ok, ok. Pigé. Je dis.

Je me suis pas reculé, malgré le fait qu'elle ait jarté mon couteau d'une pichenette. "Tourne le dos à un adversaire, et c'est la mort assurée." m'avait dit mon père après m'avoir jeté par terre sans douceur. J'avais simplement voulu récupérer le bâton qui me servait d'arme lors de cette session. Je me souviens encore de la douleur cuisante de ma joue contre les gravillons du petit chemin qui menait à la maison. Et les voisins qui passaient en souriant, pensant à un jeu innocent entre un papa et son fils un peu chahuteur. Mais bordel, j'avais déjà une carrure de crevette, comment voulaient-ils que je sois chahuteur ? Je me serais fait éclater direct.

Enfin, je me force à revenir au présent. C'est pas mon père que j'ai en face, c'est Luna. La barmaid super cool qui me sert des super coups à boire les soirs où j'ai besoin d'un petit remontant (c'est fou comment ça arrive souvent en ce moment quand même). Ouais, non, j'ai toujours pas envie de lui taper dessus mais cette fois j'ai pas le choix. Pas si je veux être à peu près en forme pour partir en mission et en revenir à peu près vivant. Donc j'attaque de nouveau de front, m'attendant à ce qu'elle pare ou me bloque. Dès que je la touche, j'utilise mon électricité pour lui donner un coup de jus. Pas assez pour lui faire vraiment mal, mais assez pour que ça lui file des fourmis. Je recule ensuite d'un bond, sans me retourner. J'ai repéré où était le couteau en bois, que je ramasse à l'aveugle, hors de question de quitter la titanide des yeux. Puis, je tente quelque chose de téméraire, au moins pour moi.

Je lance le couteau. Le bois est lourd, et je ne suis pas sûr d'avoir bien visé. Mais je n'attends pas, et me téléporte derrière elle. J'avoue, j'ai un peu prié pour ne pas foiré, mais la distance n'est pas assez longue pour que je me rate. J'apparais pile où je le voulais, derrière elle mais un peu sur le côté. Je n'ai pas mon couteau mais j'ai le fusil, et une crosse, je l'ai appris assez vite avec mon père, est tout aussi efficace quand il s'agit de frapper quelqu'un. D'un geste du bras, je fais virer le fusil et en envois la crosse droit dans les côtes de Luna. Juste avec cette attaque, j'ai les bras en feu et je sens que je tire très vite sur mes pouvoirs. Je ne suis toujours qu'un petit Initié après tout.

- Alors, c'était mieux ? Je demande, tout en restant sur mes gardes.

__–Ah bah c’est mieux !
__–C’est pas encore ça, mais c’est mieux. Bon, le coup de jus… Je me suis déjà faite taser hein, plus d’une fois dans ma vie, les keufs à Manaus ils rigolent pas trop. Et quand c’est pas eux, les milices de sécurité d’entreprises ou de certains quartiers huppés. Donc ça m’impressionne pas des masses… La suite est pas mal, mais le problème, c’est que je le vois venir à cinquante kilomètres. SVP, j’ai littéralement dit dans mon premier post qu’il allait m’attaquer danms le dos avec sa téléportation.
__–Donc il lance son arme. Diversion, c’est évident. Il disparaît. Mais où peut-il bien être, ohlàlà.
__–« C’est mieux. Mais. »
__–J’ai bloqué sa crosse entre mon flanc et mon coude. Je l’attrape au col avec ma main gauche. Le soulève comme s’il pesait rien. (déjà qu’il fait pas lourd) et vole mon petit Camil.
__–Nan genre, littéralement, je l’ai lancé. Il vole bien, ce con, à près de vingt mètres de hauteur.
__–Rooh mais ça vaaa, s’il foire sa téléportation j’ai un truc prévu, je veux pas le buter non plus. Je fais trembler une petite motte de terre, pour la rendre bien meuble, comme un matelas et me prépare à la faire monter en colonne pour l’attraper. Il aura à peine une bosse.

__–On se retrouve quand on est tous les deux au sol. Je lui file à boire, pour commencer. Pour qu’il se remette.
__–« Ça va ? Tu vois, le problème, quand on est capable d’être partout, c’est qu’on va toujours aux mêmes endroits. Allez, réessaie, tu tenais le bon bout, mais c’est pas encore ça. T'sais, t'es un Tonnerre. T'es rapide. Tu tues d'un seul coup. Si tu essayes de buter ton adversaire en deux coups, ça lui en laisse un pour essayer de te buter toi. Puis, sur le terrain, t'as pas que ça à faire, des feintes, des manœuvres, patati et patata… Ouais, non, parce que t'as pas que l'ennemi en face, t'as tous ses petits potes, t'as tes alliés à protéger, t'as le terrain à prendre en compte… Tu peux pas passer tout ce temps sur chaque connard. Je t'entraîne pas aux arts martiaux. Je t'entraîne pas non plus au meurtre. Je t'entraîne à la bataille. Là on fait du un contre un, mais imagine que t'es dans du dix contre dix, du cent contre cent. Tu vois ce que j'veux dire ? »
__–Je lui rends son couteau de bois.

Cette fois je pensais tenir le bon bout. Genre vraiment, je pensais que j'avais trouvé une bonne stratégie. Mais non, je reste une brindille face à un bulldozer. Quand je me retrouve bloqué contre Luna, je sens mon visage se décomposer et la peur projette un grand shot d'adrénaline dans mes veines. Pourtant, la titanide me complimente (si on veut). Mon pauvre cerveau a à peine le temps d'enregistrer le "mais" que je m'envole. Et pas à quelques mètres hein, non je m'envole vraiment.

- AAAAAAH MAIS ÇA VA PAAAAAAAAS ?!

L'air siffle à mes oreilles alors que je ne peux pas m'empêcher de hurler. je vois le sol tout petit en dessous de moi. Alors que la gravité s'inverse j'entends mon père m'engueuler et me hurler "THINK FAST ASSHOLE". Pas de sol sous mes pieds, ce que j'ai appris de Mitsu me sert pour ainsi dire à rien. Donc c'est le moment d'improviser. Je ferme les yeux, adresse une prière mentale dans le vide et enclenche la téléportation. Et je bouffe de la terre. Littéralement. J'ai atterri à plat ventre, le nez dans le sol meuble. Mais je suis en un seul morceau et je ne me suis pas écrasé par terre. On va mettre ça dans la catégorie "téléportation réussie". Avec un soupir je repose la tête dans la terre.


Quelques temps plus tard me voilà assis, de la terre plein les cheveux et le visage, en train de boire un coup. Luna se lance dans une explication et je l'écoute, les yeux rivés sur mes mains. Je ne peux pas me décourager maintenant, on vient tout juste de commencer. Pourtant j'ai envie de tout envoyer balader. Je dois me faire violence pour relever les yeux et regarder la Brésilienne. Je reprends mon couteau et me remets sur mes pieds. Oui, je suis un Tonnerre, mais un Tonnerre maladroit. Et j'ai toujours peur de lui faire mal, ce qui au passage est absolument ridicule vu que c'est une titanide. Mais ça reste une connaissance (je ne pense pas qu'on soit réellement amis...). Néanmoins elle me fait bien comprendre que j'ai pas le choix, que mon prochain adversaire ne sera pas aussi amical.

J'acquiesce quand elle me demande si je vois ce qu'elle veut dire. Je décide de la prendre par surprise. Avant qu'elle ne se soit préparée, j'attrape son poignet et fauche ses jambes, la plaquant au sol, mon couteau contre sa gorge. J'ai beau avoir un physique de fil de fer, il n'y a pas un gramme de gras. La bouteille d'eau gît au sol où elle glougloute doucement.

- Je suppose qu'il n'est pas question de suivre quelconque règles ? Je dis en la regardant.

Du coup, prendre par surprise, c'est autorisé.

__–Hé, joli, sa téléportation. Comme quoi, c’est vrai que la peur de crever, ça pousse à accomplir de grandes choses. Il faut juste qu’il maîtrise le concept d’atterrir sur ses panards, mais il progresse.

__–Et on y retourne. Avant que j’ai le temps de poser ma gourde, pas mal le mec, il a compris que la loyale ce serait pas au programme, sur le terrain. Et j’ai clairement pas le temps de réaction nécessaire pour parer quoi que ce soit. Je me retrouve donc au sol. Rapide. Vraiment rapide.
__–« Alors, deux trucs. Déjà, meeeeerci de me laisser l’occasion de faire un Gurney Halleck, si tu savais à quel point j’en rêvais. »
__–Je baisse les yeux vers son torse. Mon propre couteau est contre son flanc, prêt à lui percer le bide. Quoi, vous savez pas qui est Gurney Halleck ? Incarné par Patrick Stewart en 1984 ? La scène de l’entraînement de Paul, dans Dune ? Ben allez mater les films si c’est pas déjà fait.
__–Je me relève et récupère la bouteille.
__–« Et ’faut pas gâcher de l’eau, dans vingt ans y’en aura plus. »
__–Quelque part, on reste sur le thème de Dune.
__–« On passe aux flingues ? Tiens déjà, tu vois ce bout de bois à la con, là ? C’est une barricade VTAC, on l’utilise pour s’exercer à tirer dans toutes les positions les plus difficiles. Quand tu t’entraîneras seul, tu pourras l’utiliser. Place une cible et essaye de tirer dessus avec ton flingue dans chaque trou. Si tu fais ça souvent, tu devrais être capable de faire quelque chose avec une arme. Du moins, en tir sportif. Mais on va pas faire ça là, je la mettrai avec le reste du matos de l’arène et tu pourras te la sortir. Nan, là on va parler gestion de l’environnement. »
__–Je lui file son flingue et prends le mien.
__–« Ça va être plus tranquille. On va y aller lentement, contre des cibles qui seront dans mon petit labyrinthe, histoire de se chauffer, puis de plus en plus vite, puis on sera plus dans la même équipe. Ok ? Ok. Première étape, comment on se déplace. T’as tout de suite capté que tu dois être le fusil sur l’épaule, le canon droit devant, voilà comme ça, un peu penché en avant pour compenser le recul. Impec. Un peu baissé aussi, histoire de pas prendre de coup, mais pas trop, être rapide, c’est plus important. Tu le sais, faire de l’exercice, c’est répéter cinq mille fois les mêmes trucs de base, pour que sur le terrain, ça devienne automatique. Si tu veux, quand t’auras tout le bordel là, les balles qui sifflent autour de toi, les gens qui appellent leur maman, tu seras en mode panique. T’auras pas le temps de réfléchir. Tu vas juste appliquer ce que t’as tellement répété que c’est devenu gravé dans ta tête. Oui, comme dans Karaté Kid. Exactement comme dans Karaté Kid. Donc là, on va faire de la mise en situation, pour que tu comprennes pourquoi je vais te conseiller comme exercice pour plus tard des trucs comme avancer, s’accroupir et se relever une centaine de fois par jour à la suite. »

Une barricade VTAC :

Malgré mon attaque surprise, Luna a réussi à me toucher. J'avoue que sur le moment je me sens un peu frustré... Moi qui pensais avoir trouvé le bon filon ! Et d'un autre côté j'ai conscience que je ne suis pas un professionnel et que j'ai dû laisser de ouvertures partout dans mon attaque. D'où le couteau en bois que je sens pressé contre mon ventre. Je lâche Luna et la laisse se redresser. Moi-même je me remets sur mes pieds et réajuste ma tenue. Quand la Terre me gronde pour avoir gâché de l'eau, je hausse un sourcil.

- Regarde mieux, elle est fermée. Y'a pas une goutte par terre.

J'ai beau avoir été élevé dans un pays où "pluviométrie" est en synonyme à côté de "inondation", je sais bien qu'il ne faut pas gaspiller. Mais déjà Luna laisse tomber son rôle de daronne et reprend celui de prof / instructrice de l'armée. Je me reconcentre et observe le "bout de bois à la con". Pas si con que ça en fait. Je n'en avais pas encore vu de mes propres yeux mais j'en avais entendu parler par mon père. Militaire de métier, ça faisait partie de son entraînement je suppose. Avant que son "putain de gosse" vienne casser sa carrière.

Je récupère mon fusil et écoute Luna me parler de la suite des événements. Petit échauffement sur des cibles puis on monte la difficulté, jusqu'ici je suis. J'ai déjà tiré sur des cibles immobiles mais des cibles en mouvement, jamais. Je regrette de ne pas avoir pris mes lunettes pour le coup. Je n'ai plus la même vue que quand j'étais gosse, et je vais sûrement avoir plus de mal à viser. On verra bien. Pour l'instant on revoit la base : comment tenir son arme. Ça va, ça je maîtrise. D'ailleurs, Luna me le confirme. On revoir la position pour avancer sans être une cible trop facile et après quelques pas, mon corps intègre ça tranquillement. J'avoue, je suis pas vraiment ravi quand elle m'informe qu'elle va me demander de faire des squats tous les jours. Mais je comprends d'où ça vient et au moins cette fois j'aurais pas la criante du coup de ceinture si je le fais pas. J'aurais la crainte de me faire jeter en l'air comme un fétu de paille à la place. Hahaha. Haha. Haaa.

- Ok pigé. Bah si tu estimes que je suis paré, on peut commencer les exos dans le labyrinthe. Je dis, résigné à endurer la totalité de l'entraînement.

J'aurais dû fuir avant.

__–Je lui fais un grand sourire.
__–« Hé ben c’est parti mon kiki. On va y aller tranquille, pour voir les bases. »
__–Déjà, ouvrir une porte. Hé ouais, sans Senri, on est obligé de faire ça de façon pro. Et une porte, je lui explique, c’est le lieu favori où dresser une embuscade. Ça et les escaliers. Mais les escaliers, c’est le boss final de la prise de bâtiment. Donc, pour prendre une porte, on est deux, alors on se met chacun de chaque côté, puis l’un de nous deux l’enfonce d’un coup de pied et arrose tout ce qui bouge. On le fait avec moi qui passe devant en première, pour lui montrer, puis lui, on flingue des petites cibles en terre que j’ai foutu dans la salle, voilà. Déjà, il peut comprendre que, c’est méga risqué : si un type est derrière avec un AK, on pousse la porte et on meurt avant d’avoir pu vider son chargeur.
__–Alors on passe au niveau deux : ouvrir une porte dont on sait que les gens derrière sont prêts à nous recevoir. Technique numéro une : on entr’ouvre, on balance une grenade, on referme. Une frag si on est énervé, une flash ou fumigène s’il peut y avoir des otages ou du matos à pas dézinguer. Technique numéro deux : on ne fait absolument aucun bruit, on regarde par le trou de la serrure, ou avec une micro-caméra sans fil, le genre de truc qui peut passer sous la porte et qu’utilise le GIGN. Et comme ça, on sait exactement qui est où et on peut tirer à travers la porte, par exemple. Technique numéro trois : utiliser les pouvoirs. La porte est surveillée ? Je suis titanide, je défonce le mur. Il est téléporteur, il apparaît derrière l’ennemi. On répète ça pas mal de fois à la cool, où je prends le temps d’expliquer calmement, puis de plus en plus vite, puis où c’est l’un de nous deux qui défend et l’autre qui attaque.
__–Bref, pour le moment, c’est assez ludique, si on excepte les quelques coups de paintball, qui font bien mal.

C'est parti mon kiki.

D'abord on se lance dans un entraînement pour ouvrir correctement une porte. Je me rends compte qu'on aborde là des choses que je n'ai pas vu avec mon père. Je dois donc mettre à contribution la totalité de mon cerveau, pour comprendre la tactique et retenir les différentes options. Je suis un peu rouillé au début mais ça revient vite : j'ai toujours eu une excellente capacité d'apprentissage. Tout ce que Luna m'explique s'ébauche dans mon esprit sous forme d'un plan, avec grand 1, petit 1, etc.

Vient le moment d'exploiter les pouvoirs : une Titanide pète littéralement un mur. Moi ? Je dois apprendre à me téléporter dans le dos des ennemis. Seul petit hic : je n'ai jamais essayé de me téléporter dans un endroit que je n'ai pas de visu. Et je me rends compte que c'est chaud. Très chaud. Je galère. Je prends quelques coups bien placés de paintball. Avant que quelqu'un pose la question : oui,  j'en ai pris un au derrière. Non, c'est pas drôle. Oui, ça fait extrêmement mal et je sautille un certain moment en rond comme un personnage de cartoon.

Revenons-en à nos moutons. L'entraînement est dur, mais quand enfin, j'achève une téléportation dans le dos des mannequins, je m'arrête, essoufflé. J'ai presque utilisé toute mon énergie, je le sens.

- Juste pour que tu sache, j'arrive au bout de mes téléportations du jour... Je pourrais en faire encore trois ou quatre après c'est fini. J'informe Luna, les mains sur les genoux, profitant d'une courte pause.

__–Mais sérieux les gens. Un Tonnerre. Qui réfléchit. Nan mais genre, qui le fait activement et tout, qui prend le temps, inspecte les trucs, se laisse pas aller, a de la méthode… (Je suis désolée hein, mais certains clichés sont basés sur des faits, voilà je l’ai dit.) Après blague à part, le monde est pas divisé en cinq personnalités, Camil est sérieux et ça paye. ’faut pas chercher plus loin.
__–… Enfin, ses petites gigues quand il se prend une châtaigne…
__–J’écoute. Je l’écoute. Hmm mm. Hmm mm d’accord.
__–« Ok, c’est bien. Tu t’es bien dépassé. Du coup, on va arrêter là. Toujours garder de la réserve. Un chargeur de rab. Une téléportation de rab. Un peu d’énergie de rab. Parce que, tu sais jamais quand ça peut partir en couilles… Et ça part tout le temps en couilles. Tu vois… »
__–C’est le moment Luna te raconte une histoire, alors pendant qu’il reprend son souffle, je m’assieds sur une grosse motte de terre que j’ai surélevée pour faire un obstacle.
__–« À Manaus, j’avais un revolver toujours sur moi, toujours chargé, sauf une chambre, au cas où si le marteau était tiré par accident, tu vois ? Il retombait sur du vide. Et toujours six balles en plus sur moi. Deux dans ma pompe gauche. Deux dans ma pompe droite. Deux… Ailleurs. »
__–Je vais pas dire où. Et non c’était pas dans ma chatte, arrêtez les conneries deux minutes. (Par contre, ça m’est déjà arrivé de finir dans une fusillade avec… Enfin je vais pas raconter ça là non plus.
__–« On sait jamais ce qui peut se passer. Ça n’est déjà arrivé, de perdre une grolle dans une baston. Elle se coince, une connerie arrive vite… Tu vois le genre. Enfin bref. On vide une bouteille chacun, on finit d’étirer les muscles pour pas avoir de courbatures… puis bah douche, en fait. On dit qu’on fait comme ça ? J’te porte si tu veux. »
__–Oui, roh, j’ai plus d’endurance que lui, quand-même. Puis si Katsu nous voit, ça sera super drôle demain au taf.

HRP :