J'ai longtemps tourné le problème dans ma tête. Genre vraiment vraiment vraiment longtemps. Si longtemps que j'en ai oublié ce que je faisais et quand j'ai repris mes esprits, j'étais en train de fixer le lustre au plafond avec l'air hagard... et toujours sans aucune décision prise.

J'avais passé la journée à tergiverser. Je m'étais même rendue au salon d'esthétique pour aller lui parler et puis j'avais fait demi-tour dès que je l'ai aperçue au loin, avant de rentrer dans la boutique, en me disant que c'était beaucoup trop risqué : et si elle me REPONDAIT ?! Genre, Ys par exemple, j'aurais préféré qu'il ne me réponde PAS. Mais c'est une évidence en fait : quand on dit quelque chose à quelqu'un en face à face... Ben y'aura forcément une réponse.

J'étais donc rentrée à la maison et j'avais pris la décision d'écrire un message. Alors je l'ai écrit. Et réécrit. Et rééécrit. Et... enfin, voilà, on a compris, je m'y suis prise à dix fois avant de constater. Que je n'avais pas son numéro.

A partir de là, j'ai un peu perdu espoir et j'me suis affalée dans le canapé pour fixer le lustre. Ca nous amène à peu près à l'instant T. Et maintenant que j'ai repris mes esprits, je constate qu'il est déjà plus de minuit et que je n'ai toujours rien fait !!!!!!!! Comment on peut passer une journée entière à penser à ça sans avancer d'un seul iota ?!

Un long soupir m'échappa et je roulai sur le côté pour venir écraser ma joue contre un coussin, en attrapant un deuxième pour le serrer entre mes bras, contre mon ventre, et ramener mes jambes contre. Je sais pas si ça va m'inspirer mais on sait jamais, hein.

Naaaaaaaaan mais allez on peut pas perdre cette super vibe de la franchise !!!!!!!!!! Et même si ça m'a fait pleurer de fou quand Ys m'a rejetée, j'aurais juste dû m'y attendre en fait et de toute façon qu'est-ce que j'aurais pu espérer d'autre ?!!!

Je soufflai un coup avant de me redresser pour m'asseoir. Bon. Allez. Mitsu. Tu peux le faire.

J'ai qu'à lui écrire une lettre ?

Nan mais Alyona est pas japonaise, elle comprendra jamais mon écriture, et je suis incapable de parler dans une autre langue.

Aux grands maux les grands remèdes. Je vais lui dessiner un rébus.

... MAIS C'EST TROP PAS UNE SOLUTION CA, CA VA JAMAIS BRISER LE MALAISE QU'IL Y A EU ENTRE NOUS QUAND ON S'EST CROISEES AU RANCH, CA VA MEME L'EMPIRER.

On va dire que la nuit portera conseil.

... Et la nuit n'a pas du tout porté conseil. Mais j'ai trouvé une super solution pour lui écrire une lettre quand même. Le traducteur. Je sais que j'aurais pu y penser avant, mais mieux vaut tard que jamais non ?!

C'est donc comme ça que je me retrouvais à 4h du matin devant l'ordinateur à taper avec agitation sur le clavier, utilisant beaucoup trop souvent la touche retour parce que je n'arrivais absolument pas à trouver les mots pour commencer cette lettre.

Finalement, sur les coups de 6h, je me téléportai devant sa chambre, fis glisser la feuille sous la porte, et disparus aussi rapidement que j'étais arrivée là.

Ok, je dors enfin, et après faut absolument que j'aille retrouver Tiago. J'ai beaucoup trop besoin de débriefer tout ça. ET MAINTENANT JE REGRETTE ENCORE j'suis pas sûre que la dynamique de sincérité m'aille si bien finalement !!!

Bon, et en même temps... 'Fin c'est minable, j'ai vraiment juste pris un papier où j'ai écrit "Désolée pour l'autre jour." en recopiant des symboles que je ne comprenais pas qui s'affichaient à l'écran. ... ... ... ... ... ... ... ... ...

... ET J'AI OUBLIE DE SIGNER, C'EST ENCORE PIRE QUE TOUT.

En prenant mon petit déjeuner installée dans mon canapé, ce matin, je suis tombée sur un petit mot glissé sous la porte de ma chambre. Forcément, mon cerveau de fleur bleue est directement entré en ébullition ;  imaginant la possibilité ultra romantique d'un mot doux anonyme, ou quelque chose du genre... Mais non, absolument pas.

"Désolée pour l'autre jour."

C'est tout ce qu'il y a d'écrit sur le petit papier - enfin, du moins je crois que c'est ce qu'il y a écrit ? La personne a fait un effort pour écrire en cyrillique (bon, en même temps, j'aurais pas réussi à lire sinon), mais ça se voit que ce n'est pas un ou une russe et les lettres sont un peu approximatives. Rien d'étonnant, cela dit, vu que je n'ai pas encore croisé de compatriote à Terrae...

Dans un premier temps, je pense à une erreur - mais non, c'est écrit en RUSSE, donc forcément que c'est pour moi ?! Ensuite, je commence à stresser un petit peu - est-ce que j'ai eu une petite dispute ou un désagrément avec quelqu'un sans même m'en rendre compte, ces derniers jours ?? Je veux dire, il faut bien qu'il y ait eu une faute commise avant de demander pardon, et je n'ai pas eu d'altercation ?! Et puis, la réponse me tombe finalement dessus comme une évidence... J'utilise tout de même ma Voyance pour confirmer ma suspicion ; mais oui, la personne qui a déposé ce mot sous ma porte très tôt ce matin, c'est bien Mitsuki...

Cette information me secoue ; pourquoi elle s'excuse ? Après tout, c'est moi qui ai été un peu froide et bizarre envers elle, quand on s'est croisées... En tout cas, une chose est sûre - si elle a pris la peine de me faire parvenir ce petit bout de papier, c'est que la situation la travaille et la tracasse autant que moi. Bien sûr que j'ai passé les derniers jours à y penser, à retourner tous les scénarios possibles dans ma tête. Manifestement, Ys et Mitsuki se côtoient toujours ; mais est-ce régulier ? Est-ce juste pour s'échanger Balto, ou bien ils passent du temps ensemble, à discuter, à rigoler, à se remémorer les bons moments passés ensemble... Et si c'est le cas, est-ce que c'est juste de la nostalgie, de l'amitié... Ou plus que ça ? Ils ont été fiancés, après tout, ils s'aimaient au point de vouloir se marier ; ce genre de sentiments ne disparait pas comme ça, et même si le temps et la distance les a sans doute amenuisés, une telle flamme peut sans aucun doute être ravivée... C'est quand même un peu le prélude de la moitié des comédies romantiques que je regarde : deux amants maudits séparés par des circonstances dramatiques, et qui se retrouvent après plusieurs années pour retomber encore plus amoureux qu'avant. Est-ce que c'est ce qui est en train de se passer ici ?

Et puis, surtout. Pourquoi est-ce que je me pose toutes ces questions ? Ys est mon ami, oui, et bien sûr que je m'inquiète de savoir s'il va bien. Mais ses choix romantiques... Ne me regardent simplement pas. Et pourtant, je suis incapable d'arrêter d'y penser... Surtout depuis que j'ai eu cette maudite Vision de mon ami et son ex (?) enlacés dans le foin. Cette image m'a tellement blessée et perturbée, je suis bien forcée de me questionner sur mes propres intentions, mes propres sentiments. Est-ce que je craque pour Ys ? ... Quand je repense à tous les moments qu'on a passés ensemble dernièrement, aux sourires, aux regards, à nos mains qui s'effleurent, mes joues rougissantes, mon coeur qui s'emballe... La réponse me saute un peu aux yeux ; bien sûr qu'il me plaît et que j'envisage plus que de l'amitié avec lui... Est-ce que je suis encore une fois en train de courir droit à la catastrophe, comme avec Tiago ? Je sais que j'ai tendance à m'emballer un peu vite quand il est question de romance, et la dernière fois, j'en ai vraiment souffert...

Au moins, cette fois-ci, j'en prends conscience avant qu'il ne soit trop tard... Je crois qu'il est toujours possible de faire marche arrière, d'être simplement amis Ys et moi (on n'a pas encore franchi la ligne invisible qui rendrait ça impossible). Mais je dois en avoir le coeur net. Je dois savoir ce qui se passe vraiment avant de prendre une quelconque décision, dans un sens comme dans l'autre. Essayer ou étouffer mes sentiments dans l'oeuf... Je refuse d'espionner avec ma magie, cette fois... Et je refuse de faire souffrir Ys en lui posant des questions qui risqueraient de lui faire du mal. Blesser Mitsuki ne m'enchante pas vraiment non plus, mais... C'est elle qui a commencé, avec ce petit mot - et dans le fond, je crois que c'était peut-être sa manière à elle de me faire comprendre qu'elle veut me parler de tout ça, elle aussi ?

Je décide de me laisser guider par mon instinct plutôt que de me faire des noeuds au cerveau. J'enfile une paire de leggings fourrés gris avec un pull en laine bleu marine bien chaud, des baskets blanches compensées, et je suis partie. Je m'attache les cheveux en un chignon approximatif sur le trajet - et 15 minutes plus tard, je suis devant la maisonnette de la Master. Et je toque, la boule au ventre. J'aurais dû amener une assiette de cookies...

J'étais en train de dormir comme un gros bébé, serrant fort mon oreiller contre moi, balbutiant probablement un tas de choses incompréhensibles, quand Jarvis m'a extirpé du sommeil. Franchement, c'était trop pas cool, parce que j'étais dans un rêve de malade, avec des ninjas, des dinosaures MAIS aussi un château-fort. Et on était en train d'arriver dans les cachots avec mon équipe, on allait enfin délivrer les personnes qu'on était venus chercher quand j'ai été appelée et appelée et en fait y'a même Mokona qu'est venu me tapoter le front et j'ai été forcée d'ouvrir les yeux pour entendre :

"Mademoiselle Hojitake, une jeune femme blonde vient de frapper à la porte."

Et là j'ai complètement PANIQUE. Je vous ai dit que je voulais écrire plutôt que l'affronter en face à face non ?! Parce que j'ai pas trop anticipé la réponse d'Ys la dernière fois que je l'ai confronté et que je me suis CONFESSEE. Et du coup, j'me suis dit que c'était sûr qu'Alyona allait répondre aussi si je m'excusais auprès d'elle pour mon comportement de la dernière fois, et du coup c'était bien moins risqué de lui envoyer une note et J'AI PAS SIGNE COMMENT ELLE PEUT SAVOIR QUE C'EST MOI ?!

Bref. J'ai toujours aussi peu dormi, j'ai vraiment veillé toute la nuit pour écrire le misérable morceau de papier que j'ai glissé sous sa porte de chambre, et si je croyais que j'allais enfin pouvoir taper ma meilleure nuit -ce que j'étais en train de faire en réalité !!!- ben c'est raté.

Je me pressai pour me jeter dans un pantalon qui ne serait pas mon short de pyjama, j'enfilai un énorme gilet absolument pas passable et je me jetai sur la porte pour l'ouvrir à la volée et tomber sur Alyona qui avait commencé à s'éloigner parce que OUI en fait j'ai clairement mis du temps avant d'ouvrir !!!

-Alyona !!!

Je me recoiffai tant bien que mal, posant ma main sur ma trace d'oreiller sur la joue, et détournai le regard, un peu gênée.

-Heu. Désolée pour l'attente... Tu... Tu veux entrer ?

Oui bon, ok je m'attendais pas à ce qu'elle débarque mais je vais pas la chasser non plus, après tout j'ai quelque part fait le premier pas... Même si je l'ai fait un peu lâchement. Mais j'dois rester forte ! Sinon ça servait à rien de déposer ce mot chez elle si j'assume pas derrière !

-On prend un café ? demandai-je en frottant ma joue pour faire partir la marque d'oreiller, reportant mon regard que j'espérais avenant en signe de paix sur elle.

Je marche vite, d'un pas décidé, en direction de la maisonnette de la Master - je ne me laisse pas le temps de réfléchir, sinon je risque sûrement de faire demi-tour. J'ai envie de réponses, j'en ai besoin même ; mais d'un autre côté, je crois que j'ai aussi peur de ce que je risque d'entendre. Quoi qu'elle me dise, je sens que je vais avoir mal - pour elle, pour Ys, pour moi... J'ai cette désagréable sensation d'être dans une situation qui ne peut pas avoir de dénouement heureux ; il y aura forcément quelqu'un qui finira par souffrir. Et j'ai bien peur que ce quelqu'un, en définitive, ce soit moi...

Je toque à la porte, et j'attends. Et attends... J'ai réussi à maintenir ma résolution intacte pendant que je marchais et que j'étais en mouvement, mais maintenant que je suis là, immobile devant cette porte fermée, c'est beaucoup plus difficile d'un coup. J'ai peut-être agi trop vite, finalement ? Mitsuki n'a pas l'air d'être chez elle de toute façon - ce n'est pas si étonnant, elle est sûrement venue me déposer ce petit mot SUPER tôt avant de partir pour la journée. Et juste quand je commence à me dire que c'est sans doute mieux comme ça, et que je m'éloigne pour rentrer en direction de l'institut...

La porte s'ouvre. La jeune femme appelle après moi, et je me retourne, hésitante. Elle a les yeux gonflés de sommeil, la trace de son oreiller sur la joue, et visiblement elle a enfilé les premiers vêtements qu'elle a trouvé... Elle n'était donc pas partie, juste endormie. Je tombe vraiment mal, en fait. Malgré tout, elle me propose d'entrer, et je hoche la tête doucement.

"Je... Je veux bien, oui."

J'ai envie d'ajouter "si je ne te dérange pas", mais les mots restent coincés dans le fond ma gorge - bien sûr que je la dérange... Mais il est trop tard pour reculer, maintenant. Aussi je suis Mitsuki à l'intérieur de chez elle, je n'ose même pas regarder autour de moi, découvrir son environnement ; cet environnement qu'elle a partagé avec Ys des années auparavant. Je hoche la tête avec un sourire maladroit en reportant mon regard sur elle, quand elle m'offre un café.

"Oui, un café, c'est... C'est parfait, merci."

Je n'en bois jamais ; je suis plutôt thé et jus de fruit, de façon générale, mais je ne vais clairement pas faire la difficile dans un moment comme celui-ci, hein...

Je gardai la porte ouverte pour laisser entrer Alyona, repassai devant elle pour la guider jusqu'à la cuisine. Je lui désignai la petite table pour l'inviter à s'asseoir avant de me diriger vers la cafetière pour lancer la préparation du café.

Je n'étais pas très à l'aise. J'appréhendais beaucoup la conversation qui allait suivre. Et le silence qui s'était déjà un peu installé n'aidait pas tellement.

Une fois le café versé dans le filtre et l'eau remplie dans le compartiment, j'appuyais sur le bouton pour lancer la préparation du café. La seule chose que je savais, c'est que ce café allait me faire le plus grand bien, parce que j'étais encore vraiment ailleurs après m'être réveillée et levée aussi vite...

-Je ne sais pas trop par quoi commencer, dis-je enfin pour briser le silence, me tournant vers Alyona pour faire dos au plan de travail.

Je me raclai un peu la gorge en quête de courage. Finalement, je vins m'asseoir sur la chaise en face d'elle, les yeux baissés sur mes doigts que je commençais déjà à triturer.

-En fait je crois que je suis juste vraiment désolée. Il ne devrait pas y avoir de malaise entre nous. Je n'aurais pas dû agir de façon aussi... étrange la dernière fois qu'on s'est croisées. Excuse-moi.

J'ai déjà la bouche affreusement pâteuse, et ce n'est pas juste parce que je viens de sortir du lit. C'est vraiment très désagréable.

Pourtant, je me forçais quand même à relever le regard vers elle, un petit sourire maladroit sur les lèvres.

-T'es vraiment une chouette fille, j'aurais pas dû me comporter comme ça.

Mitsuki m'invite à entrer et me guide vers la cuisine - je m'assieds à la table qu'elle désigne d'un geste de la main, le regard toujours baissé vers mes pieds, sans rien dire. J'entends la jeune femme préparer le café, mais je n'ose même pas la regarder faire. J'essaye d'arranger un peu mes pensées, je suis vraiment venue ici sur un coup de tête, mais dans le fond je ne sais même pas exactement quoi lui dire - ou plutôt, je ne sais pas comment formuler les questions qui me trottent dans la tête, comment aborder le sujet qui nous préoccupe toutes les deux.

Finalement, c'est elle qui brise le silence, et je relève lentement la tête alors qu'elle commence par s'excuser. Ses mots me touchent, mais en même temps, ils me mettent mal à l'aise - parce que ce n'est pas vraiment à elle de dire ça... C'est moi qui ai réagi de façon étrange quand elle est venue me saluer au ranch, la dernière fois, qui ai été froide envers elle. J'ai mis ça sur le compte de la surprise ; mais je me rends compte maintenant qu'il n'y avait pas que ça. La surprise n'empêche pas d'être agréable et souriante - en revanche, la jalousie et l'inquiétude, si...

"Tu n'as pas à t'excuser, c'est moi qui... Me suis montrée froide avec toi. Et j'en suis désolée. J'ai été surprise de te voir là, et je n'ai pas su comment réagir."

Un faible sourire s'étire sur mes lèvres quand Mitsuki me dit que je suis une chouette fille - mais est-ce que c'est vraiment le cas ? Pourtant, les choses que j'ai pensées à propos d'elle, ce jour-là, n'étaient pas exactement très "chouettes". La jalousie m'a rendue mesquine, et je déteste ça. Je me sens coupable à chaque fois que je repense à cette entrevue, à la façon dont elle s'est déroulée, aux pensées et aux sentiments qui m'ont assaillie. Je ne veux pas être ce genre de personne.

Et la première étape pour crever l'abcès, c'est sans doute d'être honnête.

"Ys m'a parlé de... Sa situation. Je sais qu'il n'a plus le droit d'avoir de pouvoirs, et je sais ce qu'il a fait pour avoir reçu cette punition. Enfin, dans les grandes lignes, du moins... Mais il m'a aussi parlé de- d'avant tout ça, de ce qui a tout déclenché."

Il m'a parlé de la perte de leur bébé ; et c'est d'ailleurs ça qui nous a rapproché, au début. Parce que j'ai traversé le même traumatisme, et que j'ai ressenti une véritable connexion avec lui, au travers de ce deuil partagé. Mon sourire tremble un peu, je déglutis difficilement avant de poursuivre d'une voix plus faible ;

"Il n'a jamais mentionné que vous vous parliez toujours. Ca avait l'air de lui faire du mal quand il parlait de toi, alors je n'ai pas posé de questions. Je pensais qu'il n'y avait plus rien entre vous, mais je n'aurais pas dû faire de suppositions. Je suis vraiment désolée..."

Parce qu'il y a toujours quelque chose entre eux, n'est-ce pas ? Et pas seulement le chien dont ils se partagent la garde...

Bon. C'était un peu gênant de se retrouver dans cette situation, face à face, à s'excuser toutes les deux pour la même chose. Ca aurait même pu en être risible si je n'étais pas aussi touchée par tout ce que ça impliquait réellement.

Ne sachant donc pas trop quoi ajouter de plus, je me contentai d'offrir à Alyona un sourire léger, timide. Je hochai machinalement la tête à ses propos, parce que je comprenais, parce que j'avais ressenti exactement la même chose ; parce que je ne m'attendais pas à la croiser ici pour voir Ys de surcroît.

Je cherchais quoi dire pour relancer la conversation, mais je sentais bien que je n'étais pas encore totalement réveillée après ce début de nuit totalement décalé. Finalement, c'est Alyona qui brisa le silence, creva l'abcès. Et si j'avais l'impression qu'un vide se remplissait en accueillant toutes ces nouvelles informations, en comprenant pourquoi elle était là, un autre se creusait parallèlement en sentant à quel point ils devaient être proches tous les deux pour qu'elle sache tout ça.

Mes yeux retrouvèrent assez rapidement un point d'appui sur mes mains et mes doigts qui s'entremêlaient sur mes cuisses. Alors qu'Alyona terminait de parler, j'entendis la cafetière qui cessait de couler et je me levai presque machinalement pour aller remplir deux tasses.

Je ne savais pas quoi lui répondre. Parce que même si elle disait le contraire, j'avais vraiment l'impression qu'elle en savait bien plus sur Ys que sur moi. Il n'avait jamais évoqué le passé avec moi depuis son retour. Il s'était contenté de s'excuser pour avoir agi ainsi, pour être parti sans se retourner, pour m'avoir laissé là sans me dire véritablement au revoir. Mais il n'avait pas parlé d'autre chose. Alors qu'avec elle, oui...

Je revins finalement avec les deux tasses que je déposai sur la table, en plaçant une devant Alyona avant de partir chercher le sucre pour le poser là aussi.

-Il ne t'a rien caché non plus, rassure-toi, dis-je enfin en me rasseyant en face de la blonde, me perdant dans la contemplation du contenu de ma tasse. On... se parlait pas vraiment. Quand il est revenu il a essayé plusieurs fois de venir me parler mais je lui répétais toujours que je préférerais qu'il ne le fasse pas. Je lui avais juste proposé de... faire une garde alternée pour Balto parce que... je...

Je me sentais coupable de le rejeter autant ?

-Parce que c'était quand même son chien à l'origine, alors je ne voulais pas l'en priver.

Je sentis mon coeur se serrer un peu et je resserrai ma prise sur la tasse chaude.

-Et bref, on s'est pas vraiment vus plus. Je passais lui déposer ou je passais le récupérer. Voilà.

Saisissant mon courage à deux mains, je relevai le regard vers Alyona, un petit sourire perdu entre la tristesse et la mélancolie sur les lèvres, les yeux que je sentais brillants.

-Il n'y a... vraiment plus rien entre nous, ne t'inquiète pas. C'est pour ça que c'est à moi de m'excuser. Tu n'as pas à le faire.

Je ravalai un peu difficilement ma salive. Je l'avais bien compris la dernière fois que je l'avais vu au ranch.

-Si tu veux du sucre pour ton café, n'hésite pas à te servir, hein...

Le malaise est palpable dans la pièce, Mitsuki baisse les yeux sur ses mains alors que je reprends la parole, lui expliquant en quelques mots ce que je sais - sur Ys, mais aussi sur elle, sur leur situation... Et en terminant finalement par ce point d'interrogation qui me reste et qui me noue l'estomac ; le statut actuel de leur relation. Que j'ai assumé à tort être inexistante, juste un bout du passé... La Master ne me répond pas tout de suite, j'imagine qu'elle encaisse les informations qu'elle vient de recevoir, alors qu'elle prépare nos tasses de café. Elle revient finalement s'asseoir en face de moi et je la remercie d'un petit hochement de tête.

Puis elle commence à parler à son tour, me confirme qu'Ys ne m'a rien caché et qu'ils ne se voient vraiment plus - sauf pour s'échanger Balto... Et si une part de moi est soulagée de l'apprendre, une autre part reste bloquée sur cette Vision que j'ai eue d'eux deux, dans le foin... Enlacés. Est-ce que ce n'était vraiment qu'un accident, alors ? J'ai tellement envie de le croire ; mais aussi tellement peur de m'accrocher à un faux espoir. J'ai déjà fait l'erreur une fois de me mettre des oeillères en ignorant la réalité, et je ne veux pas recommencer.

"Je-je vois... Merci de ton honnêteté... Je ne comprends pas pourquoi il ne m'a rien dit."

Si leurs entrevues étaient si anodines que ça, et uniquement pour une question de garde alternée de leur animal de compagnie... Pourquoi il ne m'en a pas parlé ? On se voit souvent, on parle de tout et de rien - il mentionne régulièrement Luna, Aria, les gens qu'il côtoie... Il a eu des dizaines d'opportunités d'évoquer cette situation. Est-ce que c'était juste... Un oubli de sa part ? J'ai plutôt le sentiment qu'il m'a volontairement caché cette information. Et cette pensée me retourne l'estomac, parce que même si ce n'est qu'un détail, il me paraît soudain monstrueusement révélateur.

"Ah, oui, je veux bien du sucre, merci..."

Je me sers dans le carton, ajoutant plusieurs morceaux à mon café avant de touiller distraitement en les regardant se dissoudre. Je suis venue ici pour mettre la situation à plat et essayer de comprendre - mais au final, je me sens encore plus perdue qu'avant. Et quand je repose le regard sur Mitsuki, je vois ses yeux brillants et humides. Son sourire triste. Et mon coeur se serre. Comment peut-elle dire qu'il n'y a plus rien entre eux alors qu'elle a l'air d'être si malheureuse ?

"Je... Si, je m'inquiète."

A vrai dire, l'inquiétude n'a fait que croître dans ma poitrine depuis le début de cette conversation, alors qu'elle était déjà bien présente à la base.

"Depuis que je t'ai croisée au ranch, je ne fais que m'inquiéter. Je n'arrive pas à te croire quand tu me dis qu'il n'y a plus rien entre vous ; comment je le pourrais, alors que cette situation a l'air de te faire tant de peine ? J'ai l'impression de m'être attachée à Ys alors qu'il me manquait une information cruciale, et de me retrouver au milieu de quelque chose qui me dépasse complètement..."

Et je ne sais pas si c'est juste elle qui n'a pas réussi à tourner la page, ou si c'est tous les deux. Est-ce qu'ils ont seulement jamais pris la peine de mettre un point final à leur histoire ?

Alyona prit un morceau de sucre et le déposa dans sa tasse. Je l'observai faire quelques secondes avant de reporter mon attention sur mon propre café. Mes yeux se perdirent dedans un instant. Je n'avais plus grand chose d'autre à ajouter.

Je ne savais pas plus qu'elle pourquoi il ne lui en avait pas parlé. Ne serait-ce que pour justifier pourquoi Balto n'était pas toujours avec lui ; c'était facile d'aborder le sujet. Et pourtant, je savais que je ne devais pas m'accrocher aux raisons qui l'avait poussé à lui... cacher ? Parce que de mon côté, je savais qu'il n'y avait plus rien. Je ne devais pas me faire d'illusion. Je ne devais rien m'imaginer. Il n'y avait probablement rien derrière cet "oubli". C'était simplement qu'il n'avait pas jugé utile de le faire.

J'avais eu un espoir quand il avait avancé vers moi malgré sa blessure, après notre chute. Quand il m'avait demandé d'attendre. Et tout s'était effondré quand il m'avait souhaité une bonne soirée.

Mes yeux se relevèrent sur Alyona alors qu'elle reprenait la parole. Elle s'inquiétait. C'était étrange car j'avais l'impression de ne pas comprendre pourquoi, et en même temps j'imaginais très bien pourquoi. Mes yeux s'embuèrent alors qu'elle souligna qu'elle n'arrivait pas à me croire quand je disais qu'il n'y avait rien entre nous. Parce que j'avais l'air de souffrir de cette situation.

Je ravalai ma salive, gardai contenance alors qu'elle m'avouait avoir l'impression de... s'être attaché à lui... Et quoi ? Le reste de ses paroles me coula dessus sans que je ne parvienne à en saisir le sens.

J'avais envie de lui crier que non, il n'y avait plus rien, et que c'était probablement pour ça que la peine se reflétait autant dans mes yeux. Et paradoxalement, je n'avais pas envie de faire ce pas vers elle. Parce qu'au fond de moi, j'avais encore envie d'avoir de l'espoir. J'avais évoqué Alyona auprès d'Ys, et il ne m'avait rien dit.

Et en réalité, je savais qu'il ne me devait rien, et qu'il n'avait rien à me dire à ce sujet, parce que ça ne me regardait pas. Mais j'avais tellement, tellement de mal à l'accepter. Même si j'avais dit que je ne devais plus m'immiscer dans sa vie. J'avais quand même passé la nuit à chercher comment dire à Alyona que j'étais désolée pour mon comportement lors de notre dernière entrevue. Et ce n'était pas anodin. Je savais très bien que quelque part, là, sous-jacent, je n'avais pas fait ça juste pour... elle. Une part de moi savait que je le faisais parce qu'elle était liée à Ys.

-Je... ne sais pas quoi te dire.

Les mots franchirent enfin la barrière de mes lèvres. J'entourai ma tasse de mes deux mains, baissai les yeux. J'essayai de garder contenance.

-A part te répéter qu'il n'y a vraiment plus rien.

Parce que même si je n'avais pas envie de lui dire, même si je voulais continuer à y croire. Et bien il fallait bien admettre la vérité. Et quand bien même ça me coûtait de le dire, de le répéter même... Il n'y avait que comme ça que je pourrais un jour l'accepter.

-Si tu as des questions, je peux essayer d'y répondre si tu veux. Mais à part te dire que je suis désolée, je... ne sais vraiment plus quoi ajouter d'autre.

Et en fait, si. Si, il y avait bien une chose que je pouvais encore probablement lui dire. Mais ça, c'était vraiment au dessus de mes forces. "S'il n'y a vraiment plus rien entre nous Alyona, c'est probablement parce que maintenant tu es là."

Tout s'embrouille dans ma tête, j'ai du mal à mettre des mots sur ce que je ressens, sur ces craintes qui m'étreignent l'estomac. Je crois que voulais simplement m'assurer que l'histoire entre Ys et Mitsuki était bel et bien terminée, avant de m'autoriser à espérer vivre quelque chose avec lui... Mais à présent, je ne suis plus sûre de rien, si ce n'est d'une chose ; elle est encore amoureuse de lui. Pourtant, elle insiste sur le fait qu'il n'y ait vraiment plus rien entre eux. C'est faux, bien sûr que c'est faux ; peut-être qu'effectivement, ils ne se fréquentent plus vraiment en dehors de la garde alternée de Balto, mais les sentiments sont clairement toujours bien présents... Et ça, pour moi, c'est loin d'être "vraiment plus rien". Mais dans tous les cas, quelle que soit la situation, je vois bien que la jeune femme en souffre. Et moi je retourne le couteau dans sa plaie en lui demandant des réponses qu'elle ne peut pas me donner...

Je n'ai aucun droit de lui faire subir ça - je ne suis pas la copine d'Ys, je ne suis même pas certaine qu'il ait de véritables sentiments pour moi. Je sais juste que moi j'en ai pour lui, et que j'avais besoin de réponses... Mais pas à ce prix-là. Je refuse de continuer à lui faire du mal juste pour apaiser mes propres doutes. Je commence à me dire que j'ai fait une grosse erreur en venant ici ; dans le fond, ce n'est pas à elle que je devrais poser ces questions... C'est à lui, directement. Il est la seule personne à pouvoir me dire si oui ou non, il l'aime toujours, lui aussi. Si oui ou non, il a réellement tourné la page et est prêt à en écrire une nouvelle. Avec moi.

Je tends doucement la main vers la jeune femme, avant de me rétracter et la reposer autour de ma tasse - je dois être la dernière personne dont elle a envie de recevoir du réconfort. Je me contente d'un faible sourire.

"Tu n'as pas à être désolée... Ce n'est pas de ta faute, ni de la mienne, la situation est juste... Ce qu'elle est."

Et elle est terriblement compliquée ; encore plus que ce que j'avais pensé avant de venir ici. Je sirote mon café lentement, avant de finalement secouer la tête quand la Master me propose de répondre à mes questions, si j'en ai. A ce stade, ce serait juste cruel de continuer à discuter de ce sujet avec elle...

"Non, ne t'en fais pas, c'est... Ce n'est pas à toi de répondre à mes questions. Je suis désolée de t'avoir dérangée, venir ici n'était probablement pas une très bonne idée... Je- je vais y aller, c'est mieux."

Je me lève de ma chaise et lui fais signe de rester assise ; je retrouverai bien le chemin jusqu'à la porte d'entrée par moi-même... Avant de sortir de la cuisine, je me retourne vers Mitsuki, ma main sur le chambranle de la porte, et lui adresse un dernier sourire triste.

"Je voulais juste que tu saches... Je- je n'ai jamais voulu te faire de mal."

J'aimerais ajouter que si j'avais su, je ne me serais jamais embarquée dans cette histoire - mais je ne peux pas lui dire ça. Parce qu'on sait toutes les deux qu'on ne peut pas toujours contrôler ses sentiments...