__–Quelle belle journée pour abandonner ses enfants aux bons soins d’une des personnes les moins futées de cet institut.
__–Roooh mais regardez-moi çaaaa, tonton connard qui râle parce que les mômes vont être confiés à quelqu’un ! T’as pas fait autant de bordel quand Karen a recruté Katara, s’passe quoi, là ?
__–J’apprécie encore moins Alyona.
__–Pourtant elle est, genre, blanche ?
__–Peut-être, mais rien dans son comportement ne suggérait qu’elle fût apte à remplir le rôle.
__–Bah, en fait si. Et puis, y’a qu’à voir, j’ai fait une petite lecture de ses émotions là, non vraiment, y’a tout ce qu’il faut : attentionnée, envie de bien faire et d’aider, soucieuse, tout l’toutim quoi ! Bon par contre Karen ’faut arrêter de la fixer et la faire entrer, ça fait depuis le début du post que tu la juges du regard sur le pas de ta porte, ça devient gênant.
__–« Okay, allez. »

__–Tu nous ferais pas un résumé des épisodes précédents ?
__–Soit. Karen avait donc, ce dimanche, des obligations qu’elle se devait de remplir, des rendez-vous auprès des rares personnes qu’elle appréciait – lisez, des rares personnes qui peuvent la blairer – et avait voulu expérimenter le fait de retrouver une vie sociale. Ses deux enfants allaient bientôt avoir un an, leur régime alimentaire s’était tout à fait diversifié jusqu’à attendre la viande, ils ne prenaient plus de lait maternel – un immense soulagement pour Karen –, commençaient même à s’emparer de leur propre chef des aliments présents dans leur assiette, avec un taux de renversement sur les côtés qui commençait à entrer dans l’acceptable. Le principe de la cuiller leur était encore bien mystérieux, mais ils commençaient à appréhender le concept.
__–Karen pouvait donc les laisser un après-midi sans qu’ils ne réclamassent des soins qu’elle seule pouvait prodiguer, estimait-elle.
__–Aussi, Katara étant également indisponible ce week-end, elle posta une petite annonce d’assistance. Celle qui y répondit fut donc Alyona, que Karen accueillit et jaugea à peine la porte avait-elle été ouverte, pour déterminer si elle était acceptable pour le poste.
__–« Entre, j’vais te les présenter. John c’est le rouge, Boyce le bleu. Ça va toi ? Ce serait pour les garder l’aprèm, tu peux les sortir, y’a la poussette qui est là, leurs couches… Je t’ai même préparé leur bouffe. Ils ont pas vraiment d’heures, quand ils ont faim tu donnes et puis voilà. »
__–Ses enfants étaient sur leur tapis d’éveil, au milieu de l’appartement de Karen. Très sobrement meublé, la seule chose qui l’empêchait d’être en total désordre était la frugalité de Karen, qui ne vivait qu’avec peu de possessions terrestres. Les éléments les plus esthétiquement plaisants de l’appartement étaient la jolie plante en pot offerte par Minoru – qui lui-même la commandait à Luna – et qui était renouvelée ou revitalisée auprès d’un Terre régulièrement quand elle fanait, ainsi que la peinture des murs : bleu ciel, avec un dégradé tirant vers l’orange, pour imiter un coucher de soleil.

Après un automne compliqué et tristounet, l'arrivée de Décembre (et de Noël surtout) a ramené un peu de bonheur dans mon petit coeur. En dehors de ma vie romantique inexistante, tout se passe bien en ce moment ; avec mes amis, aux cours de danse, et au salon d'esthétique également. J'ai même pu lever un peu le pied grâce à l'arrivée de Katara, et prendre plus de temps pour moi. Du temps pour me reposer, et faire des choses que j'aime ; et aujourd'hui, ce sera pour aider une jeune maman en mal de baby-sitter. Je n'ai pas hésité quand j'ai vu la petite annonce de Karen sur le panneau d'affichage ; il y a un moment que je ne l'ai pas revue, elle venait régulièrement au salon avant, mais j'imagine que c'est compliqué depuis l'arrivée de ses jumeaux. Je comprends sans peine qu'elle ait besoin d'un peu de temps pour elle, cet après-midi - et moi, j'adore les bébés, du coup ça me fait plaisir de lui rendre ce service !

Même le regard peu avenant qu'elle me lance n'est pas suffisant pour altérer ma bonne humeur ; elle a bien le droit d'être un peu méfiante, après tout, ça ne doit pas être rassurant de laisser ses enfants à une personne qu'on connaît aussi peu... Je lui adresse un sourire bienveillant alors qu'elle m'invite finalement à entrer, et me présente les deux petits bouts de chou occupés à jouer sur leur tapis d'éveil.

"Oh, ils sont adorables ! Ils ont quel âge, maintenant ? J'aime beaucoup la couleur que tu as choisie pour les murs, aussi, c'est apaisant..."

Je m'accroupis pour caresser doucement la tête de... Boyce, du coup, qui est le plus proche de moi. Il a l'air un peu trop occupé par son jeu pour en avoir quelque chose à faire de ma présence, aussi je me redresse pour faire à nouveau face à Karen.

"D'accord, ça marche, prends le temps dont tu as besoin, je n'ai rien d'autre de prévu aujourd'hui, de toute façon ! Est-ce qu'ils ont une heure pour la sieste ?"

Il paraît que c'est important, d'imposer un rythme plus ou moins régulier dès le plus jeune âge - sinon, les enfants s'habituent à dormir et manger quand ils le souhaitent, et après ça devient difficile à corriger ! C'est encore pire avec deux petits à gérer ; si l'un des deux dort pendant que l'autre est réveillé, et inversement, ça signifie plus de sommeil et encore moins de temps libre pour la pauvre maman...

__–« Neuf mois. Merci. C’est Camil qu’a fait la peinture, j’sais pas si tu vois qui c’est, c’est un voisin. »
__–Boyce constata la présence d’une inconnue et se tourna vers elle. Blonde comme sa mère, attentionnée comme elle, mais qui ne sentait certainement pas pareil. Et qui tire pas la gueule. Ça fait bizarre aussi. Sans prêter plus que cela attention à cette nouvelle, il retourna à l’inspection et la mastication de son hochet coloré, une tâche qui monopolisait toute son attention. John, de son côté, était lui aussi très affaire à l’empilage de cubes de bois. Il peinait à faire dépasser à ses structures la hauteur de trois de ces lisses volumes colorés, ce qui le faisait recommencer en boucle.
__–À la dernière question d’Alyona, Karen répondit par un haussement d’épaule.
__–« Quand ils sont fatigués quoi. J’essaie juste que ce soit pas trop tard, après c’est galère des les coucher. John va roupiller sec et longtemps et peut-être même en faire deux, puis possible aussi qu’il fasse un truc, assis et tout, son jouet dans la pogne et paf, il tombe sur le côté et se met à écraser. Boyce c’est possible que tu doives le coucher et là baaaah t’as tout le toutim quoi, petite musique, lui raconter des trucs… Si possible en japonais ou en anglais, j’essaie d’alterner les deux et ils ont pas de puce. J’ai emprunté des bouquins à la biblio, ils sont là. Elle lui indiqua une pile colorée. Ah oui et ils vont pas faire grand-chose en même temps, donc ’faut que tu trouves un moyen pour les avoir les deux dans ton champ de vision. S’ils chialent trop et que tu veux les calmer, utilise ta magie. J’déconne pas, ils kiffent bien, ça les fascine et tout genre. Tu leur montres comment tu fais, euh, chaipas, bouger de l’eau et de la glace et voilà quoi. Sur Youtube t’as des sons blancs d’arcs électriques ou des trucs du genre, Katara – celle qui les garde d’hab – utilise ça aussi, ça leur plaît bien. Tout est ok pour toi ? »
__–Bon la vérité les gens c’est que la seule chose qui fait que Karen est viteuf supportable c’est qu’elle est trop éclatax pour être chiante. On en arrive à de ces trucs, j’vous jure.

Neuf mois... Encore si jeunes, et pourtant, les fils de Karen ont déjà l'air bien éveillés, pour leur âge. Je les regarde jouer pendant quelques instants, avant de relever les yeux vers la jeune mère, un sourire aux lèvres.

"Oh, oui je vois qui c'est ! C'est très chouette en tout cas !"

C'est vrai que j'ai vu les affiches de Camil, proposant ses services de décorateur d'intérieur - j'aurais sans doute fait appel à lui aussi pour décorer ma nouvelle chambre d'Etoile, si Tori et Luna n'avaient pas été là pour m'aider.

A ma question, Karen répond que les petits n'ont pas vraiment d'horaires ; ils dorment quand ils sont fatigués et puis voilà. Et visiblement, ils ont des besoins très différents en la matière, l'un et l'autre. Je hoche la tête, une légère moue sur les lèvres quand elle mentionne les histoires.

"D'accord ; en anglais alors, plutôt. Je ne maîtrise pas du tout le japonais..."

Enfin, je ne maîtrise vraiment pas bien l'anglais non plus, mais c'est moins pire. Je devrais au moins savoir déchiffrer les textes dans un livre pour enfants. C'est vrai que, je n'y avais pas pensé, mais ils sont encore un peu jeunes pour porter une puce ; ça risque d'ajouter à la complexité de m'occuper d'eux, si je ne peux pas communiquer dans ma langue maternelle.

"Oh, Katara fait du baby-sitting pour toi ?! Je ne savais pas, elle ne me l'a jamais dit ! ... Elle travaille au salon à temps partiel, je ne sais pas si tu étais au courant."

Vu que Karen n'est plus passée depuis un petit moment (sans grande surprise). Ca m'attriste un peu que ma collègue ne m'ait jamais parlé de cet aspect de sa vie ; en fait, plus le temps passe et plus je me rends compte que je ne sais vraiment pas grand chose d'elle. On papote quand on travaille ensemble, bien sûr - mais c'est souvent moi qui parle et elle qui écoute. J'aimerais beaucoup qu'on soit copines et pas juste collègues, mais la jeune femme garde toujours une distance professionnelle entre nous... Je souris finalement en hochant la tête.

"Tout est ok, oui ! Je devrais m'en sortir, ne t'en fais pas. Au pire, j'ai ton numéro s'il y a un souci, hein ! Profite bien de ton après-midi, surtout, tu l'as bien mérité hihi !"

Mère célibataire si jeune, et de jumeaux en plus, ça ne doit vraiment pas être facile tous les jours.

__–En d’autres temps, Karen aurait sans doute partagé un petit moment de complicité entre femmes à partager potins et histoires sur leurs fréquentations communes. Après tout, médire était son passe-temps favori ; pas qu’elle allait le faire sur Katara, mais elle était fort loquace quand il s’agissait de parler de quelqu’un qui n’était pas dans la pièce, fusse-t-en mal ou, découverte récente, en bien.
__–Or, nous n’étions pas en d’autres temps.
__–« Ok ok c’est cool, allez, je te les laisse, à toute. »
__–Et sans plus de cérémonies, elle partit. Iras-tu ?
__–Bah refré je suis lié à Karen, tant que les petiots ont pas de pouvoirs et j’espère qu’ils en auront pas, j’suis pas de la fête. Allez j’décarre, profite et sois sage, p’tit con va.

__–Enfin seuls.

__–Alyona se retrouva face à un calme certain. Seul, il était troublé par les bruits de succion et de mastication de Boyce, ainsi que les chutes régulières des cubes de John. Celui-ci, après le dernier effondrement de son monolithe, considéra l’amas de blocs à ses pieds. Les voir si soumis par la gravité le laissait songeur. Il en prit un autre et devisa d’un autre jeu amusant, se laissa choir sur le devant et commença à gambader de ses quatre pattes vers son besson, pour lui présenter ledit cube. Sûrement, son miroir, si semblable, si différent, aurait une idée de quoi faire.
__–Boyce considéra le présent Il le saisit. Le lança, sur vingt bons centimètres. Retourna à son hochet.
__–Cela plongea John dans la plus grande perplexité. Que pouvait bien signifier cet acte étrange ? Plutôt que de répondre à cette question, il décida d’informer son monde qu’il avait besoin d’attention, inspira un petit coup, autant que ses poumons lui permettaient, puis se mit à pleurer.
__–Boyce le regarda. Regarda Alyona. Lança à son attention un grand « Ba ! » Et remit son hochet dans sa bouche, non sans quitter leur nouvelle nounou des yeux. Ou plutôt, ses visées étaient vers ses cheveux…

Karen ne répond que vaguement à mes tentatives de conversation ; aussi je comprends bien vite qu'elle a hâte d'être libérée de ses pesantes responsabilités pour l'après-midi, et de vaquer à d'autres occupations plus mondaines que son quotidien des derniers mois. Et comment lui en tenir rigueur - même si je rêve d'avoir des enfants à moi, j'ai aussi bien conscience de la charge de travail qu'ils représentent. Et de l'importance de prendre une pause à soi, de temps en temps !

"A tout à l'heure, amuse-toi bien !"

Et la voilà partie. Contrairement à ce que j'avais craint initialement, les deux petits ne pleurent pas de voir leur mère les laisser aux mains d'une inconnue - au contraire, ils restent calmes et concentrés sur leurs jeux respectifs ; un hochet pour Boyce et des cubes pour John. Je m'assieds au sol, assez proche d'eux mais sans envahir leur espace, et les observe s'occuper avec un sourire doux sur les lèvres. Adorable.

Après un petit moment, et visiblement contrarié de voir sa construction s'effondrer à chaque tentative, John attrape un cube et vient le présenter à son frère. Il doit déjà savoir, instinctivement et malgré son jeune âge, qu'à deux on est plus fort que seul. Boyce, en revanche, n'a peut-être pas encore fait ce lien, parce qu'il n'hésite pas une seconde avant de balancer le cube loin d'eux, absolument pas intéressé par ce cadeau. Il a l'air très satisfait de mastiquer son hochet... Et le calme se brise ainsi, par les pleurs de John, et la surprise de son frère. Bon, j'imagine qu'il est trop petit pour comprendre que ce n'était pas très gentil, ce qu'il vient de faire, mais il n'est jamais trop tôt pour apprendre ?

"Dis-donc, c'est pas très gentil de lancer le cube de ton frère comme ça... Je pense qu'il voulait jouer avec toi... N'est-ce pas, John ?"

Comme s'il allait me répondre... Mais il paraît qu'il faut parler aux petits comme on parlerait à un adulte, et pas en faisant des gouzi-gouzi et des voix haut-perchées de bébé. Je récupère donc le jumeau en train de pleurer et lui caresse gentiment le crâne, dans un geste réconfortant, en murmurant des "shhhh" tout bas. Une fois qu'il s'est calmé, je le pose à nouveau près de son frère et attrape un cube pour le placer entre eux deux ; nouvelle tentative.

__–Boyce n’avait que quelques mois, mais déjà, il avait développé une notion de propriété. Aussi considéra-t-il l’enlèvement de son frère avec un air inquisiteur. Que pouvait bien désirer cette blonde à l’accent si particulier, qui leur causait ainsi ? Quels sombres projets maquillait-elle avec son jumeau ? À quel étrange rituel allait-elle s’adonner ? Plus grave encore, pourquoi ne le prenait-elle pas lui ? Ne voyait-elle donc pas, qu’il avait envie de mastiquer ses cheveux ?
__–John, certes, fut tout à fait ravi de se voir ainsi porté et dorloté. Il le fut moins quand il fut reposé, mais il eut le bonheur de constater la présence d’un cube, ainsi que le profond étonnement de voir qu’il n’y en avait qu’un seul. Pourtant, songea-t-il, ces formes étaient toujours accompagnées : quand sa mère le faisait jouer avec, elle lui présentait l’ensemble complet de neuf, pas un seul. Aussi le fixa-t-il avec curiosité.
__–Boyce s’en empara et le lança encore, avec un petit cri d’hilarité.
__–John était toujours plongé dans la plus grande perplexité. Était-ce si poilant, si amusant, si divertissant, de faire ceci ? Il décida d’essayer, marcha vers le cube à quatre pattes, le prit, se remit sur ses fesses – non sans une certaine difficulté – et le lança.
__–Boyce applaudit avec un grand éclat de rire. (Ou du moins, il tenta, la coordination était encore à revoir, aussi ses mains ne se touchaient-elles qu’une fois sur quatre.) John était tout à fait perdu. La joie qu’il s’attendait à ressentir par cet acte, voilà que c’était son jumeau qui l’exprimait. Oh, il était certes fort content de divertir son frère, mais enfin, il aurait bien aimé s’amuser avec les cubes en un jeu qui lui était propre ; qui l’intéresserait autant que le lancer intéressait son frère. Or voilà : les huit autres n’étaient pas là. (Ils étaient à un mètre derrière lui, mais John ne s’en était pas rendu compte.)
__–Aussi déporta-t-il son attention, là encore, vers Alyona, s’approcha et tira sur son vêtement. Il ne savait pas très bien quoi lui réclamer, mais, n’en doutait-il pas, pousser des petits gémissements et réclamer de l’attention allait nécessairement mener à une conclusion heureuse.
__–Boyce, lui, reprit le cube, le relança, s’esclaffa, avança jusqu’à lui et répéta le manège.

Une fois les jumeaux posés au sol, le cube entre eux, je ne sais pas exactement à quoi m'attendre - sans doute ne devrais-je pas être surprise de voir Boyce l'attraper et le lancer à nouveau. Visiblement, mon petit sermon de tout à l'heure n'a absolument pas eu le moindre effet (mais c'est normal, ils sont encore trop petits pour comprendre je suppose ?). Plutôt que de se remettre à pleurer comme précédemment, John décide de tenter l'expérience à son tour et attrape le cube pour le lancer lui aussi. Et s'il ne réagit pas plus que ça, son frère par contre a l'air carrément super enthousiaste - c'est à la fois étrange et amusant de noter les différences de personnalité entre les deux, malgré leur si jeune âge.

"Tiens, il faut faire comme ça pour applaudir, je vais t'aider..."

Et je m'assieds juste derrière Boyce, et me penche en avant en passant mes bras autour de lui, pour venir attraper doucement ses petites mains et l'aider à les taper l'une contre l'autre correctement. Je baisse les yeux vers le second jumeau en sentant qu'il tire sur ma manche, et lui souris en penchant la tête sur le côté.

"Mmh, qu'est-ce que tu veux ? Apprendre à applaudir aussi ?"

Absolument pas, mais bon, jusqu'à ce qu'ils apprennent à se faire comprendre, c'est difficile à deviner. Je redresse donc le petit, qui est à quatre pattes, et l'assieds à côté de son frère avant de faire aller ses mains l'une contre l'autre - son frère, d'ailleurs, sitôt libéré de mon emprise, n'a pas raté une seconde avant de repartir à l'assaut du cube pour le lancer plus loin. On sait déjà lequel des deux fera des bêtises en grandissant, hein...

Mais quitte à balancer des trucs, une balle en mousse me semble quand même une meilleure option que des cubes (parce que s'il en lance un sur son frère, il va lui faire mal quand même...). Gardant l'une des mains de John dans la mienne, je me penche légèrement sur le côté pour attraper une balle et la faire rouler vers Boyce - en espérant que ça l'occupe pendant un moment.

"Tiens, joue avec ça plutôt, avant de finir par te faire mal..."

Je note l'étrangeté de cet instinct qui me pousse à parler pour briser le silence, tout en sachant pertinemment que personne ne va me répondre.

__–John demeura perplexe. Il applaudissait, ou plutôt, on le faisait applaudir, mais pour quelle raison ? Il regarda son frère, en quête de réponse et constata qu’il était toujours affairé à lancer son cube. Boyce s’arrêta, cependant, et lui fit coucou, avec un grand sourire et un « Ga ! » enthousiaste, ce à quoi John répondit par un grand « GA ! » juste à côté des oreilles d’Alyona, qui dut regretter pendant un instant de s’être mêlée du manège de l’enfant…
__–Et Alors que Boyce gambadait vers son cube, voilà que se matérialisa sous ses yeux ébahis une balle en mousse. Il l’observa rouler jusqu’à lui, interdit, passer sous son torse, puis percuter son genou. Pour visualiser ce dernier acte, Boyce dut baisser la tête, tellement qu’il en fit une roulade et se retrouva sens dessus dessous. Cela le plongea dans un état de perplexité profond. Et, où avait bien pu passer cette boule, qu’il avait convoité aussitôt qu’il l’avait vue ?
__–John n’avait rien perdu de la scène. Il avança jusqu’à la sphère désirée et la fit doucement rouler vers son frère, qui la récupéra. Celui-ci la prit, enchanté, se lança dans une grande tirade, qui devait ressembler peu ou prou à « Ha ba ga ba ba ! » puis la lança… vers Alyona. Le projectile chut bien avant de l’atteindre, mais le procédé était là
__–Pour John, c’était bien mystérieux que cette affaire. La balle ne devait-elle pas lui revenir ? Là encore il voulut exprimer sa confusion sur la situation en poussant des pleurs et des gémissements, qui suscitèrent l’inquiétude se son frère, qui le regarda avec un air perdu et un « Abeuh ? » interrogatif, comme pour lui demander ce qui le tracassait tant. Oh, il avait l’habitude des extrêmement fréquentes poussées de larmes de son jumeau, mais il s’inquiétait toujours d’en savoir la cause ; après tout, si son semblable pleurait, c’était que lui-même devait avoir de très bonnes raisons de le faire, mais qu’il n’avait simplement pas encore perçues.

J'aide Boyce, puis ensuite John, à applaudir avec un brin trop d'enthousiasme - oui bon, c'est super mignon, j'y peux rien !! Je ne suis pas sûre que c'est ce qu'ils voulaient, mais en tout cas ils ont l'air d'apprécier aussi ; suffisamment pour faire des petits bruits trop choupis (un peu fort et un peu trop dans mes oreilles, mais c'est pas grave !).

Je fais ensuite rouler une balle en mousse vers Boyce - pour l'inciter à lancer un objet safe plutôt que des cubes en bois, hein... Elle lui passe entre les bras, mais il n'a pas le réflexe de l'attraper. C'est son frère qui s'en charge avant de la faire à nouveau rouler vers lui... Et cette fois, Boyce s'en saisit d'un air tout excité. Ok, cette balle, c'était carrément une bonne idée, héhé ! Il n'attend pas longtemps avant de me la lancer - enfin, de la lancer dans ma direction en tout cas, mais il n'a pas mis suffisamment de force pour qu'elle arrive jusqu'à moi. Je m'approche donc pour la récupérer... Quand John recommence soudain à pleurer.

"Oh, ben qu'est ce qui t'arrive ? Tu veux la balle ?"

Je jette un coup d'oeil vers Boyce, qui ne pleure pas mais a l'air contrarié de voir son frère dans cet état ; ok, il faut que je fasse quelque chose rapidement, ou ça va dégénérer cette histoire... Alors je m'assieds au sol, proche des jumeaux, les jambes écartées presque en grand-écart pour qu'elles soient hors du chemin. Et je fais rouler la balle vers John, en espérant que ça le calme.

"Tiens, regarde, je te rends la balle ! Maintenant, il faut que tu la fasses rouler vers ton frère ! Tu essayes ??"

Est-ce qu'il comprend au moins ce que je raconte ? Mystère.

__–La balle était revenue. John l’attrapa et la considéra sous tous ses angles, puis se frotta les yeux, ce qui la fit tomber et rouler vers Boyce, qui l’attrapa. Celui-ci commençait à comprendre le jeu et renvoya la balle rouler vers son frère, mais au moment où elle atteignait les jambes de John, celui-ci ferma les yeux, pencha la tête sur le côté et s’assoupit. Un de ses grands pouvoirs et était de pouvoir ainsi s’endormir dans n’importe quelles conditions et dans les positions les plus improbables.
__–Boyce… ne s’en étonna pas, il avait l’habitude. Et comme Alyona allait sans doutes s’occuper de son jumeau ; de le mettre au lit, il élut en son for intérieur que c’était le moment idéal pour réclamer quelque chose à son tour, si possible à grands cris. D’abord un « Waaaaaaeeuuuuuuuuuuh… », puis sitôt après un « WAHEUH ! », suivi de « Waheuh ! Waheuh ! Waheuh ! Waheuh ! » répétés en boucle jusqu’à satisfaction de la demande.
__–Quelle était-elle ? Boyce l’ignorait lui-même. L’intégrité de sa couche avait-elle été compromise ? Non. Avait-il soif ? Non plus. Faim ? Il regarderait le biberon si Alyona le lui tendait, avec plein d’envie et un bras tendu dans sa direction, le réclamerait à grands cris, puis y téterait à peine une seconde, de quoi humecter sa gorge du précieux lait, puis le refuserait à grands gestes. La proximité avec Alyona serait une excuse pour mâchonner ses cheveux, mais même les fils d’or qu’il affectionnait tant quand ils étaient sur la tête de sa mère lui paraîtraient ici fades. Non, ce qu’il voulait, c’était voir la foudre sortir des doigts de sa maman… L’eau d’Alyona ferait-elle un bon substitut ? Cela restait à prouver.