L’identité c’est quelque chose de troublant. L’identité, c’est, je pense, quelque chose qu’on sait qu’on a, mais qu’on n'arrive pas toujours à définir.

Le burn-out, le regard de mon père, mes pouvoirs, Terrae, l’Eclipse.

Ça m’a fait comprendre un tas de choses. Je suis arrivée ici, toute cassée. Un claquement de porte me faisait sursauter, presque pleurer. L’attentat de Terrae n’a rien arrangé. J’ai re-sombré dans mes troubles alimentaires. J’ai beaucoup bu, aussi. Ma consommation de tabac à doublée. J’ai rencontré des gens, je me suis amusée. Et après, je m’en suis sortie. Encore. Le schéma n’arrête pas de se répéter ; je sombre, je remonte, je sombre à nouveau et je remonte.

L’identité, c’est un miroir qui se casse et qu’on reconstruit. Et chaque fois, le reflet est différent.

L’Eclipse, je pense qu’elle a fait en sorte que je puisse affronter ces nouvelles choses. Le pouvoir que j’avais initialement, c’était celui de manipuler les autres, en faire des marionnettes. Pourquoi ? Je veux dire, y a t-il une raison scientifique ? Symbolique, à nos pouvoirs ? Est-ce qu’on s’est juste trompé en me donnant mon affiliation de l’affinité feu ? J’étais invisible tout ce temps, peut-être ?

Qui sait.

Le fait est que je suis devenu invisible. C’est tombé dans un moment assez amusant ; j’ai eu mes examens et comme à chaque fois, je me suis plongé dans les études. Là, ça a été différent. Je me suis juste refermé. Ariana est partie en voyage, pendant que moi, je bûchais mes exam. Seule, dans ma chambre, j’ai erré, entre les feuilles d’examen, les schémas astrologiques, les théories, les constellations.

Sans visage.

Littéralement. J’ai expérimenté mon nouveau pouvoir. Pour tenter de le comprendre. Il m’arrivait de redevenir visible, vraisemblablement, quand mon corps et mon esprit arrêtait de fonctionner à plein régime, je redevenais visible. Mais quand je révisais en faisant les cent pas dans ma chambre, j’étais invisible. Au début, c’était perturbant, mais je faisais comme si ça n’était pas là. Je me maquillais, m’habillais, me coiffer.

Puis progressivement, j’ai arrêté. Je n’avais rien à montrer.

Au bout d’un moment, j’ai aussi arrêté de fermer les volets. Les curieux ont certainement dû voir des sous-vêtements voler dans les airs avec des feuilles, un pc. Parfois, je dansais aussi.

Finalement, le plus perturbant, ça a été ma transformation physique.

J’ai indéniablement pris du poids pendant l’éclipse. J’avais quelques ébauches de bourrelets, tout mon corps s’était vivifié, ironiquement.

Je me suis rendu compte progressivement, que mes côtes recommençaient à se dessiner à travers ma peau. Mes membres étaient à nouveaux plus fins. Quand je regardais mon visage, creusé, fatigué, je me suis senti étrange.

Je n'étais pas plus pimpante quand j’étais triste ?

C’est là que ça m’est apparu. Quand on sombre, on ne remonte pas, on s’habitue juste à l’obscurité. Pour sombrer toujours plus profond.

Quand est-ce que ça s’arrête ?

De ma fenêtre, je vois mon bureau. Il y repose paresseusement une feuille, légèrement en biais, dont le coin droit recouvert par un pc portable, ouvert sur l'une de ses vidéo de lo-fi qui tournent en boucle. Sur le côté droit de l'écran, défile un chat où s'exprime, dans un anglais souvent incorrect, des inconnus. Ils ne se racontent pas leur vie ou quoi que ce soit, les message vont rarement jusqu'au bout de la fenêtre du chat, par ailleurs. A côté de la fenêtre qui diffuse cette vidéo, s'en trouve une autre. Cette fenêtre montre un article d'astronomie, elle comporte dix-huit onglet similaire.

La fenêtre de ma chambre est ouverte. Il s'agit d'un carré, parfaitement régulier, à travers lequel se dévoile Terrae de nuit. Il donne sur la cours, et les grandes grilles de l'institut. Un maigre volute de fumée s'échappe d'un joint à demi consumé qui diffuse une odeur de cannabis qui imprègne murs et meubles. Parfois, le bout scintille, montrant que l'on tire dessus et un nouveau volute de fumée s'élève.

Je n'ai aucune idée d'à quoi je peux ressembler.

Ce qui n'est en soit pas très logique. Même quand on est visible, on a rarement une idée précise d'à quoi on ressemble. J'entends par-là que ce n'est pas comme si l'on regardait sa main, son genou... Mais on parvient à imaginer nos traits, notre expression. Quand je suis invisible, je n'y parviens pas. Pourtant, je ressens les choses. Si je souris, je sens les fossettes se dessiner au coin de mes lèvres, quand je renifle je sens mon nez tressaillir et faire légèrement bouger mes lunettes.

Je sens tout ça, mais je ne le vois pas.

Je me demande si c'est normal. Je connais pas vraiment d'autre invisible à qui je pourrais demander ça. C'est dommage.

...

J'ai envie de radis.

Rappel du précédent post:

J'ai commencé à faire la paix.

Je veux dire, tout va bien dans ma vie.

Et pourtant, il y a beaucoup de chose.

Je vois ma chambre, depuis le centre de mon salon, à peu de chose près. Il y a des feuilles partout. Sur mes murs, des rapports que Misao a bien voulu me laisser ramené, sur un tableau en liège les documents que je dois compiler et analyser.

Mon travail est simple. Je dois synthétiser les recherches. Mais je veux comprendre. Comprendre comment fonctionnent les pouvoirs. Comment ça se fait que l'éclipse nous a changé. Mon pc vole dans le vide tandis, que mon point de vue se déplace dans ma chambre. Je suis en train d'ajouter de nouveau élément à mon rapport sur l'éclipse en même temps.

Pourquoi j'ai changé de pouvoir ?

Mon bureau se rapproche ; dessus des dossiers, et mes livres d'astronomie.

Je travaille sur trois choses en simultanée. J'ai l'impression que mon cerveau ne sait pas s'arrêter.

Le joint à ma fenêtre se consume. Tandis qu'un cristal de sensitif s'élève dans le vide, brille un instant et disparaît également. Le temps de m'habituer à cette énergie, mon corps réapparaît dans un discret clignotement. Je ne suis plus fatigué, plus déconcentré.

Il y a mon téléphone près du lit, il m'indique depuis combien de temps je travaille. Ok. C'est le dernier rush, et après je vais dormir.

Je souffle.

Mon téléphone sonne. Il s'élève dans la chambre et un bip se fait entendre.

- Oui, allô papa ? Tout va bien ?

Tw:

J'ai les sentiments un peu floues.

Je pars en mission demain. C'est une mission diplomatique, où je vais surtout apporter une expertise scientifique. Il y a peu de chance que ça se passe mal.

J'ai appelé ma mère, d'abord. Je lui ai expliqué. J'ai un peu parlé à mon père. Beaucoup à ma sœur. Elle s'est beaucoup attardé sur la nouvelle maison. Il n'y a pas de jardin, mais la forêt est proche, donc elle dit qu'elle a l'impression d'avoir un jardin derrière la porte qui ne s'arrête pas. Sa nouvelle école lui plaît. Elle s'est déjà fait des amis. Une nouvelle série de Magical Girl est sortie aussi. Je connais presque tout les personnages maintenant.

Elle dit qu'avec mes cheveux châtains je ressemble à la méchante. Elle me préfère avec les roses. Moi aussi je pense.

Ils se sont tous habitué au déménagement. La discussion avec maman a été un peu dur. Avec maman on élève la voix. Et on finit par se comprendre, j'ai pleuré. Papa, avec lui on ne parle pas beaucoup. Pas plus que nécessaire. Il m'a demandé de faire attention.

J'ai parlé avec Camil. Il part aussi. J'ai pas mal peur. J'ai peur pour Ariana aussi, pour Lnna et Kaiko, pour Erik et Nana, pour Misao, pour Pandora, pour Nicolas.

Mais pour Camil et moi, il y a quelque chose. J'ai peur que ça nous change. Je serais soulagée qu'on revienne, mais et si ce n'est plus pareil, après ?

J'espère qu'il reviendra.

Dans tous les cas, j'ai fais tout ce que je devais faire.

Tout est censé bien se passer. Mais si ce n'était pas le cas, peut-être que je pourrais mourir demain. J'ai toujours pensé aux premières fois, mais rarement aux dernières. Je serais un peu dégoûtée de ne pas réussir à arrêter de fumer de mon vivant. Mais en même temps, j'ai besoin de nicotine.

Je serais aussi un petit peu triste de ne pas avoir d'enfants. En fait tous ces mariage à Terrae, et puis Camil, ça m'y fait penser. Bien sûr, c'est trop tôt, encore. Mais je veux dire l'idée ne me déplaît pas. Je pense que j'aimerais bien. Je voudrais deux enfant au moins. Trois s'il y a des jumeaux. Mais seulement si ce sont les derniers. Je veux que le ou la plus âgé.e veillent sur eux.

Ahah j'ai pensé en inclusif.

Enfin, bref, je dois aller me coucher. C'est assez cocasse de penser à mon existence qui risque de s'arrêter dans un moment où je n'existe pas tout à fait.

J'espère quand même que ce n'est pas la dernière fois que je suis dans ma chambre. Je n'ai pas rangé mon linge.