Après être allée voir Pandora, avec qui euh. Bon. Bah ça s'est passé quoi. Mais au moins j'ai dit pardon. Maintenant ça m'appartient plus, je dois juste être exemplaire. Et la tête de moi j'vais l'être.

C'est Misao que je vais voir maintenant. En arrivant dans le couloir des Feux, j'essuie une larme. Non j'déconne pas, ça tremble dans ma poitrine, je sais que c'est ma faute, que c'est pas moi qui ai subi le pire dans l'histoire, il a dû se sentir giga humilié et gêné et c'est horrible. A l'intérieur, j'ai si peur de perdre sa confiance, qu'il me déteste, de jamais pouvoir réparer. Faut comprendre, c'est jamais arrivé ça. En vrai de vrai j'veux dire. J'arrive devant sa porte. Comment j'lui dis à quel point j'suis désolée ? A quel point je suis prête à entendre tout ce qu'il veut, à quel point je suis prête à environ n'importe quoi pour rattraper ce que j'ai fait.

C'est débile de se mettre dans cet état pour ça. C'est débile je sais. On m'a vanné ouvertement sur ma relation avec Jérémy avant même que j'ai des sentiments pour lui, ou que je le capte. Mais c'est moi. Misao et Pando, c'est pas les mêmes. Ils réagissent pas pareil. Leur situation est pas la même. C'est débile de se mettre dans cet état mais encore plus débile de considérer que ça leur a rien fait. Je frappe à sa porte.

Il se passe rien, j'ai l'impression de sauter dans l'vide, j'ai l'impression de revivre quelques uns des pires moments de ma vie, genre quand j'ai frappé à la porte d'hopital d'Absjorn, ou le vide que ça crée quand je repense à quand je suis partie du gang.

La porte s'ouvre. Je croise le regard de mon meilleur ami.

Gomen.

Je me baisse doucement, pose mes genoux au sol. Je suis. Tellement désolée. Je ne sais pas comment le dire autrement. Je pose mes mains au sol.

Gomen.

J'attends comme ça, je m'attends vraiment à ce qu'il ferme la porte. J'm'excuse pas souvent aussi fort mais là je m'en veux putain. J'ai pas peur de grand chose, il est le premier à savoir. Même mourir me fait pas plus flipper que ça. Mais perdre mes potes, sah. Je murmure.

Est-ce qu'on peut. En discuter. Si t'es ok ?

La soirée s’est finie. Depuis, c’est le chaos en lui. Il y a tous les mots qu’il aimerait dire, et ceux qu’il n’ose pas prononcer ; il y a les souvenirs de la soirée, mais aussi le retour cuisant de la réalité, la crainte que ça n’ait été qu’un rêve, que l’alcool ait enjolivé le moment, ou que, peut-être, une fois tout ceci terminé, la magie n’existe plus. Qu’elle commence à s’éloigner. Que ce soit trop bizarre, que ça ait cassé quelque chose. Que c’était trop rapide.

Pour lui, c’était en effet un peu trop rapide, il n’était pas prêt. Il le sait. Il a été heureux de la tenir dans ses bras, d’entendre ses mots, de voir son expression alors qu’elle lui demande s’ils peuvent juste faire comme avant, malgré cette nouvelle information capitale qui leur a échappé. Mais de retour au silence de son appartement, il n’a eu que ses doutes et son angoisse pour l’accueillir.

Misao se souvient soudainement pourquoi les relations, ça a toujours été compliqué. Enfin, toujours non, mais depuis son arrivée à Terrae, c’est certain. Il se souvient qu’il fait tout foirer, et qu’il laisse son côté provocateur répondre à sa place pour ne pas simplement devenir une flaque sur le sol. Ce qui est passablement nul. Alors il se repasse chaque infime moment de la soirée, chaque moment qu’il puisse réanalyser, et se reprocher ensuite.

Il se souvient que la vulnérabilité, ce n’est pas son fort, et il se souvient aussi que quand ça arrive, il panique.

C’est ce qu’il fait depuis son réveil, du coup, après une nuit où tout tanguait ; il range et nettoie pour ne pas paniquer. Repasser plusieurs fois, réaligner, vérifier les fenêtres, les portes. Ca s’agite un peu trop fort et ça bondit en lui, inarrêtable.

Ca aurait été plus simple de ne rien dire, de ne pas assumer, de juste en rire, plutôt que de PROVOQUER TOUT LE TEMPS PUTAIN. Il aurait aimé prendre le temps d’analyser tout ça bien au chaud, à l’abri de son esprit habituellement bien fermé, et qui lui semble soudain devenir complètement poreux. Quand il se sent devenir trop poreux, il remet en place le contrôle, les défenses, et bien évidemment ses TOCs.

Quand ça toque à sa porte, il a un temps d’arrêt, pour reconnecter un peu. Il respire. Pose ses chiffons, inspire encore… Il reconnaît l’énergie derrière sa porte, mais sans la reconnaître. Le simple fait qu’il arrive à la sentir lui permet de comprendre qui est derrière.

Il l’ouvre.

Elle se fout à genoux pour s’excuser, et il la regarde, sans rien dire, à la fois confus, irrité, embarrassé. Ses sourcils se froncent, Misao fixe Elwynn en essayant de trouver des mots. Il souffle du nez.

—Te mets pas par terre, c’est sale. Viens.

C’est tout.

Il se pousse pour la laisser rentrer dans sa chambre qui sent le trop propre.

(Ca va lui passer, c’est juste une petite crise, ça arrive.)

En fixant le sol, je me rends compte à quel point j'ai peur d'affronter son regard, à quel point j'ai peur d'y voir du vide et de pas retrouver ce que j'y lis d'habitude. Sa phrase me fait l'effet d'une gifle. Je serre la mâchoire, et me redresse immédiatement, souple. Sois courageuse El' bordel, allez. Je croise son regard. Il est... moins violent que ce à quoi je m'attendais. Ca me rassure absolument pas. Oh, y a du reproche, y a beaucoup de choses, mais pas de haine. Pas encore en tout cas. J'entre sans rien ajouter, et capte très vite ce qu'il y a autour de moi.

Parce que je suis en hyper alerte, que la peur me tire jusque dans les os, il fait froid dans tout mon corps et pourtant je crois que j'ai chaud. Mes mains se contractent en constatant l'état absolument impeccable de sa chambre. Ca sent trop fort les produits d'entretien, j'effleure à peine du regard ses mains. Elles vont bien, mais elles sont rouge à force qu'il frotte avec. Je peux pas contracter plus mes mâchoires sinon je le ferai.

C'est. De ma putain de faute. S'il fait ça. S'il retombe dans ses mauvaises habitudes. S'il a besoin que tout soit nickel parce que dans sa tête ça l'est pas. C'est ma faute cette fois et c'est la pire chose que je pouvais faire. Je voudrais m'excuser 1000 fois. J'ai envie de chialer et ça commence à me faire mal dans la poitrine. Tiens celle-là ça faisait longtemps, j'ai bien pleuré cette année mais particulièrement de joie. AHAHAHA COMME HIER PAR EXEMPLE.

J'inspire brièvement, contracte mon ventre, lève les yeux vers lui. J'ai l'air mal, je le cache pas. Je cache à quel point ça me perce le bide de l'avoir mis comme ça. Je cache à quel point j'ai envie de me planquer quelque part, d'effacer ce qu'il s'est passé. J'ai envie d'aller taper dans quelque chose, de hurler que je regrette. C'est ridicule bordel de merde j'suis ridicule mais Misao a passé sa nuit à nettoyer son appart à cause de moi.

Où je peux me laver les mains ?

Là où ça t'embête le moins je veux dire. C'est tout ce que j'arrive à demander en premier. C'est tout ce qui compte là maintenant, j'ai les mains qui ont touché le sol, je sais comment il est. Je veux pas empirer les choses après avoir déjà tout messed up.

Misao ne sait pas trop ce qui lui est passé par la tête, quand il a vu Elwynn. Quand elle s’est excusée, comme ça. Une partie de lui se dit qu’elle n’a pas besoin d’en faire tant, l’autre est encore en colère contre elle, mais il a surtout pas envie de la voir aujourd’hui. Il a besoin de faire sa petite crise tout seul, qu’elle passe, et de retrouver sa vie d’avant. A la place, elle s’est mise au sol, et… et ça l’a perturbé. Il n’a même pas su quoi dire, alors il a juste dit ce qui lui traversait l’esprit en premier, parce qu’il n’a pas envie qu’elle salisse ses fringues. Il lui pose ses chaussons par réflexe (il lui en a acheté pour quand elle vient, depuis le temps) alors qu’elle est bloquée sur le pas de la porte.

Elle semble paniquer, et contenir en même temps ; il lit des choses qu’il ne comprend pas dans ses yeux, et fronce les sourcils, l’interroge mentalement, comme si elle pouvait lui répondre. Mais elle ne le fera pas, elle se contentera de lui demander où elle peut se laver les mains. Encore une fois pris de court, Misao lui indique le lavabo de la cuisine, le plus proche. Ca fait longtemps qu’il ne divise plus les parties de sa chambre pour convenir au mieux à ses TOCs, et ça ne lui traverse même pas l’esprit.

Il voit bien qu’elle est pas bien. Il voit bien qu’elle s’en veut. Il aimerait bien la rassurer, mais il est encore trop en colère. Au fond, il n’a même pas envie d’entendre ce qu’elle a à dire, pas parce qu’il ne veut pas de ses excuses, mais parce que ça ne change rien. Ca redeviendra comme avant, il faut d’abord qu’il se nettoie un peu la tête.

—Tu étais pas obligée de te mettre par terre pour t’excuser. On n’est pas dans un dojo, et j’ai pas besoin de ça pour accepter tes excuses.

Détends-toi putain.

Il récupère ses chiffons sales et les mets dans le petit bac qu’il a sorti de la salle de bain spécifiquement pour les récupérer au fur et à mesure de son ménage. Il lui jette un regard en coin.

—J’avais juste besoin de m’occuper l’esprit en me levant ce matin, fais pas cette tête. Je vais pas repartir comme y a quelques années pour si peu, rajoute-t-il, un peu amer, et encore plus en colère.

Et puis, en colère… non, il est fâché. Il aurait envie d’être injuste, un peu, comme Elwynn a été injuste hier soir. Ca ne lui appartenait pas. Et ça le saoule encore plus que ça vienne gâcher le souvenir du mariage d’Aaron et Lou pour elle. C’était un moment important… bordel. En attendant, il garde la mâchoire encore un peu close, sinon il sait qu’il risque de lui exploser dessus.

Mes yeux se posent sur les chaussons qu'il sort presque par réflexe. Je sais pas ce que je dois penser, je sais pas ce que je dois faire, je m'en veux j'ai juste envie que tout ça arrête d'exister mais c'est pas en fuyant la situation que ça va se régler alors ça boucle dans ma tête, ça boucle et ça me donne envie de sortir courir et frapper parce que c'est comme ça que je gère ça normalement, seule. J'enfile les chaussons sagement, et me retourne pour aller au lavabo de la cuisine et m'y lave les mains correctement.

Sentir le contact de l'eau sur mes mains déclenche un truc super étrange chez moi, comme une sorte de réconfort de mon propre élément, et en même temps lui tourner le dos et me rendre compte même un instant de l'état dans lequel je suis me fait péter un câble. Je suis ridicule. C'est lui qui est mal j'suis là pour m'excuser pas pour qu'on s'occupe de moi.

J'ai envie de chialer si fort que je cligne fort les yeux, respire, ravale, rouvre les yeux, et coupe l'eau. De nouveau la voix de Misao me fait l'effet d'une gifle. Je le savais pas si doué pour se battre, je viens de prendre deux crochets au menton. Je me sèche les mains lentement avant de me tourner vers lui. Je pose juste mon regard dans le sien, je sais pas quoi dire. Alors à la place je murmure.

D'accord.

Ok. D'accord. Pardon. Je sais pas quoi faire. Je sais pas ce qu'il ressent, il a l'air d'être en colère mais peut-être que je devrais partir, il est gentil avec moi mais il me fait super mal en même temps, je sais pas comment je dois gérer. Je crois que je préférerai une colère comme celle que j'ai essuyé de Nicolas ou de Jérémy, quelque chose qui me pète à la gueule mais à laquelle je peux faire face, que je peux absorber. A la place je me trouve face au vide, à ma propre bêtise. Je le regarde ranger les torchons et je hoche la tête quand il parle.

Oui.

D'accord, mieux, déjà. Je m'inquiète toujours mais je panique un poil moins, et vu le niveau c'est déjà pas mal. Je le crois, je sais qu'il ne ment pas sur ça, alors je le crois, et je hoche de nouveau la tête comme pour le rentrer bien dans mon crâne. J'l'ai pas pété. J'ai merdé de fou mais je l'ai pas cassé. Il va pas retourner à l'hopital à cause de moi. Je respire, j'essaie d'aligner les mots. J'ouvre la bouche une fois, la referme. Je détourne le regard, cherche encore un peu, avant de commencer à parler sans le regarder pour finir par chercher son regard.

Je sais que j'ai fait un truc pas bien. Que j'aurai pas dû, du tout faire ça. Je suis désolée. J'ai voulu bien faire et je sais pas pourquoi j'ai autant merdé. Ca n'arrivera plus.

Heureusement que j'ai les ongles courts sinon ma paume droite serait en sang. J'ai tellement peur qu'il me dise de partir, juste de partir.

J'ai voulu être... là pour toi, et pour Pandora, et je... Bah j'ai fait de la merde. Je suppose que... t'es en colère. Je sais pas... si je peux faire quelque chose.

Pleure pas pleure pas pleure pas pleure pas BORDEL DE MERDE PLEURE PAS C'EST PAS TOI QUI COMPTE LA PLEURE PAS MERDE. Je sais pas comment lui dire que je suis désolée que j'ai envie de me faire bouffer le sol que jamais je recommene que je l'aime et que s'il me déteste je comprendrai et j'lui en voudrais jamais mais que ça me terrifie.

Misao ne se souvenait pas que la colère faisait aussi mal. C’est acide dans son estomac et sur sa langue, comme une nausée qui ne part pas. C’est peut-être dû à son angoisse, ça aussi, mais il est trop concentré sur l’instant présent — Elwynn, ses mots, son air dépité, les pensées intrusives qui tournent en boucle — pour pouvoir réagir autrement. Il n’est pas seulement en colère contre elle, mais il est surtout en colère contre lui. Parce qu’il déteste être dans cet état. Et envers elle… oh, ce n’est pas seulement pour hier soir. Elle est venue ce matin, l’a vue dans cet état qu’il apprécie garder derrière une porte bien fermée. Bien sûr que des épisodes comme ceux-ci se sont déjà déroulés, notamment après les missions. Bien sûr qu’il n’allait pas en parler à Elwynn. Elle n’était pas obligée de savoir.

Si Elwynn aurait préféré absorber sa colère, Misao n’est pas du genre à exploser comme ça, il faut le titiller un peu pour que ça arrive, aujourd’hui ; à la place, c’est lui qui l’absorbe, qui s’en gorge comme une éponge et qui s’empoisonne seul. Tout ça aussi va passer.

Mais pour l’instant, il est en rogne. Et s'il commence à en parler, c'est là que ça va péter.

Quand Elwynn plante ses yeux dans les siens, il peut y lire sa détresse et sa peine, sa panique aussi de l’avoir blessé. Ca va, en réalité. C’est le fait que ça l’agace à ce point qui le met autant en colère.

Après quelques mots murmurés, elle s’excuse, lui parle. Lui, il croise les bras, la fixe sans rien dire. Il sait qu’il peut avoir juste un mot de trop, acéré et planté bien au mauvais endroit, pour le regretter immédiatement. Elwynn est son amie la plus proche, évidemment qu’il se refuse à la blesser. Même si une partie de lui, hargneuse et vexée, aimerait lui faire payer, pour qu’elle continue à avoir honte et un peu mal. Cette partie irrationnelle qu’il essaie de faire taire.

—Oui je suis en colère, il lâche un peu brusquement, mais pas fort, sourcils froncés. Evidemment que je sais que tu pensais bien faire, mais c’était humiliant pour elle autant que pour moi.

Bien sûr qu’il sait que l’alcool n’a pas aidé. Il pince les lèvres et s’appuie contre le premier meuble à sa disposition ; une des armoires en verres qui contient une partie de ses figurines. Il siffle, sentant que sa colère ne diminue pas à mesure qu’il parle ; au contraire, elle augmente. :

—J’ai envie de te crier dessus là, tout de suite, mais ça servirait à rien. Il faut juste que ça me passe.

Il comprend une partie de ce qui le met en rogne : il aurait aimé lui parler de cette relation un peu ambigüe (enfin, maintenant ce n’est plus juste “un peu” avec ce qu’il s’est passé la veille) et rassemblait son courage pour tenter d’en parler. Maintenant, il a fait plusieurs pas en arrière et sent qu’il bloque. Comme un enfant à qui on demande de faire un truc qu’il allait faire de toute manière ; il n’a plus envie.

—C’est déjà assez compliqué pour moi. Je sais que vous me voyez comme une espèce de cassos qui n’est pas capable d’avoir une relation normale avec quelqu’un qui me plaît, mais j’ai pas besoin qu’on me force la main ou que ça aille trop vite. Imagine si ça s’était mal passé ? Si on avait pas réussi à en parler après ? T’aurais fait quoi pour te faire pardonner d’avoir foutu ça en l’air ? T’aurais aussi dit “je le referai plus” ?

Cette fois, il hausse un peu le ton, mais c’est surtout l’angoisse qui transparaît. Il respire fort et ferme les yeux, incapable de même se toucher le visage, même s’il a envie de pleurer. Ca monte très fort, dans sa poitrine — loin derrière la colère, là, tout au fond, il y a une boule d’angoisse terrifiante, qu’il n’arrive même pas à regarder.

Le regard que me renvoie Misao est loin de celui que je connais d'habitude. Enfin je l'ai déjà vu agacé voir énervé, mais j'ai jamais eu l'impression qu'il allait me faire exploser. Je ne peux que m'excuser, je sens bien vite que je ne suis pas la bienvenue, que si la discussion avec Pandora a permis de clarifier les choses, et d'avancer un peu, pour toutes les deux j'espère, Misao n'avait absolument pas envie de me voir. Je me retrouve sans savoir quoi faire, perdue dans les possibilités que je ne connais pas. Misao me répond, il me parle brusquement, et bizarrement ça me stabilise, plus que tout ce qu'il a pu me dire jusque là. Evidemment qu'il savait que je voulais bien faire qu'il me dit. Ca me rassure et me fait mal en même temps. Parce que oui, il me fait confiance, il me connait, il n'a pas douté de ça.

Mais j'ai raté, lamentablement, et ça aussi, c'est évident, c'est ça qu'il pointe. Et c'était humiliant. Je hoche la tête, moins hésitante. Oui. Ca l'était, j'ai bien compris, j'imprime bien ça. On a dit plus jamais, je le répéterait autant de fois qu'il faudra. Et ça enfle, je le vois à sa posture, comment il est crispé, il siffle. Mes poings se desserrent. C'est bizarre comme je sais mieux gérer la colère de mes potes. Contre moi c'est une première, mais c'est plus simple que sa déception. Sa phrase suivante je l'essuie comme un coup, mais c'est plus facile. Je ne dis rien, ne hoche pas la tête non plus. Je suis neutre. J'hésite un temps à lui proposer de le laisser tranquille, peut-être que c'est ça qu'il lui faut, mais je voudrais le lui formuler correctement, je ne veux pas fuir la situation, juste le mettre à l'aise.

Mais il arrive avec sa bombe. Et il me lâche en pleine figure une absurdité. Je veux bien être paniquée, je veux bien être perdue et triste et désespérée de perdre mon pote le plus précieux, mais y a des limites, même pour lui. Comme mettre des mots ou des pensées dans ma bouche qui n'existent pas. Surtout quand c'est pour mal parler de mon pote le plus précieux. Je fronce les sourcils un instant.

Dis pas ça.

C'était bas, c'était pas franc, parce que je veux pas qu'on se dispute, mais merde non je pense pas ça. Qu'est-ce qu'ils ont tous à croire que je les méprise comme ça merde ? Il continue, il s'énerve, vraiment, sa voix gonfle, mon coeur aussi. Imagine si.

Donc ils ont parlé. Mais il a raison, j'aurais fait quoi si ça n'allait pas "bien" ? Il me crache ses mots à la figure, c'est dur, mais j'encaisse, je sais trop bien faire ça. Je ravale mes larmes, je les sens même plus tellement elles sont loin, je range ma colère et l'envie de me défendre, c'est pas la place aujourd'hui, il est juste énervé. Et j'ai déjà dit que j'voulais pas qu'il dise que je le pense con. Je le laisse respirer un peu, y a un silence entre nous. Et je finis par répondre, d'une voix plate.

J'imagine que j'aurais fait ça, oui.

Mes yeux ne quittent pas son visage, même si lui ne me voit pas. Je comprends doucement que tous ces si, c'est ses craintes. Si ça s'était mal passé, il aurait bien, bien plus véhément que là maintenant. Parce que j'ai trahi sa confiance, et ça fait mal. Je sens de nouveau toute ma culpabilité remonter dans ma poitrine. Bordel j'ai pas géré j'ai vraiment pas géré.

J'imagine que j'aurais fait ça parce que je sais pas quoi faire d'autre à part venir vous voir.

Quitte à me prendre une porte qui claque, quitte à ce que vous refusiez de me parler ce que je comprendrai. Quitte à tout en fait. Mais vous comptez trop, tu comptes trop Misao pour que je ne fasse rien.

Je voulais pas forcer quoique ce soit. Je crois que j"était persuadée que vous saviez. En fait j'ai juste projeté ce que je voyais. Et c'était d'la merde.

Que ce soit clair. J'ai jamais pensé qu'ils étaient cons, et je le pense toujours pas. J'ai juste pas réfléchi. Y avait rien dans mon crâne, à part l'évidence que je constate depuis plusieurs mois. Ils se plaisent. Et je suis trop con voilà c'est tout. J'savais rien de leur histoire à eux, juste, je vois. Je le connais. Mais j'ai merdé. Y a rien d'autre. Merde. Je veux pas m'énerver c'est pas la place mais j'aime pas qu'il pense ça. Vraiment j'aime pas, c'est pire encore que son constat d'à quel point j'suis con. Moi, pour le coup, je le suis.

Il ne crie pas, mais quelque chose se hérisse à l’intérieur de lui alors qu’il commence à parler. Il sait qu’il est sûrement injuste, et c’est une évidence qu’il l’est ; il crache son venin comme un serpent, se braque parce qu’il était peut-être trop tôt pour lui. Trop tôt pour qu’il réussisse à parler réellement, trop tôt pour qu’il parvienne à être mesuré. Il ne sait même pas tellement s’il en veut à Elwynn, certainement beaucoup, mais il sait que ça passerait, s’il prenait le temps. Ce n’est pas si dramatique, mais rien que repenser à hier soir le hérisse. Il ne sait pas s’il est heureux que les choses se soient développées ainsi, au fond. Mortifié, angoissé, perdu dans des conjectures illusoires ; c’est le lot quotidien des anxieux, malheureusement, et c’est souvent cette angoisse qui lui fait perdre la tête.

Il sent que ça tourne un peu, et fermer les yeux l’aide à reprendre le contrôle de lui même alors qu’il a cette chaleur désagréable qui monte jusqu’à sa poitrine et son visage. Quand il les rouvre, il se retrouve juste à fusiller Elwynn du regard. Dis pas ça ? Regarde moi le dire, et regarde moi être en putain de colère.

Ca monte encore plus fort, même s’il voit sa réserve, qu’elle garde son ton calme. Elle est posée, ouais, elle est plus posée que lui, c’est certain. Elle aussi, ça l’a saoulée qu’il dise ça, qu’il soit injuste, mais tant pis pour elle, tant pis parce qu’il se sent comme ça, que c’est comme ça que ça le fait se sentir, ce qu’elle a fait hier. Ca aurait pu être pas si grave, mais il se déteste peut-être encore à ce point.

Misao tourne le regard sur le côté, piqué au vif, alors qu’elle confirme. Elle aurait fait ça, bien sûr, parce qu’il y a rien d’autre qu’elle aurait pu faire. Ca le fait tellement chier qu’ils se prennent la tête pour ça, parce qu’ils ont mieux à foutre, qu’elle va longtemps se souvenir de ce mariage comme le moment où elle a fait son truc de merde là, qu’il sait qu’au fond, ça s’est bien passé. Il sait juste qu’ils peuvent pas discuter maintenant et qu’il a rien envie de lui dire, parce qu’il veut bouder comme un enfant, être désagréable, se faire souffrir un peu avec ses propres pensées, son propre comportement. Et qu’elle a pas besoin d’être là pour arrêter le processus, parce que quelque part c’est la seule chose qui peut apaiser son angoisse actuellement. Ou du moins, c’est ce qu’il croit.

—Je sais, il répond, un peu brusquement, presque en la coupant. Je sais que t’avais picolé et que t’as juste pas réfléchi. C’est pas une question de projeter, le problème c’est que tu t’es dit que là, d’un coup, c’était ok de balancer ce que tu pensais que je ressentais alors qu’on en a jamais parlé. C’est que pour toi c’était le bon moment de révéler un truc qui nous appartenait de dire, quand on se serait senti prêts.

Il sent qu’il s’est encore gonflé de colère, et pour éviter de se rapprocher d’elle à mesure qu’il se laisse envahir, il se décolle de son meuble et s’éloigne vers la partie salon de son appartement. Ses mains viennent agripper le dossier du canapé. Inspiration. Putain calme toi. Regarde autour de toi. Il y a d’autres mots injustes qui lui viennent, mais il les ravale. Ce serait mentir s’il disait qu’il ne ressentait pas de tristesse ou de culpabilité à la voir comme ça. Avec cette lueur dans le regard, cet air composé mais blessé, cette culpabilité affleurant à la surface.

—Refais juste plus ça. Le reste, peu importe. Je sais que t’es désolée.

Faut juste que ça passe.

Si ses mots me font mal, la seule phrase que je lâche a l'air de le secouer tout autant. Et c'est deux poignards qui croisent mes yeux, un lancer de couteau bien propre, il pourrait me fumer juste en me regardant. Je le savais capable de ça, c'est jamais agréable quand c'est moi la cible. Sauf que cette fois, j'baisse pas les yeux, j'ai pas envie de pleurer -si mais moins fort-, je l'affronte silencieusement. Encaisser j'sais faire, c'est pas les premières lames qui me transpercent, et non, Misao, non je ne pense pas que tu sois con. Que t'es un cassos. Ni que t'es une merde dans les relations, ptdr ça serait ultra mal venu de ma part déjà, mai surtout non bordel de merde non je te méprise pas arrête ça vraiment. Je rajoute rien, je veux pas m'énervée pour ça, mais il a pas le droit de juste dire ça sans qu'il se passe rien, merde à la fin. Qu'il se sente mal ok, il peut me balancer tout ce qu'il a sur le coeur comme il le fait, j'vais l'encaisser, j'vais le prendre sur moi, après tout c'est moi qui ait déclenché ça. Mais qu'il croit pas que je pense ça.

Je vois qu'il se contient comme il peut aussi, il veut pas me faire mal, pas plus que de raison. J'm'en fous putain tu pourrais m'frappre que je comprendrais. Mais ça m'fait mal de le voir comme ça de nouveau. J'attends qu'il parle, je vois qu'il a des trucs à dire, j'attends. Il me coupe, je me tais immédiatement, l'écoute. Hmhm, ouais ok, il est au courant, c'est cool j'me sens comme une merde en même temps c'était le cas mais comme ça voilà on est tous de nouveau au courant. Ca, c'est mérité. Et puis il me dit que ce qui l'a blessé c'est que je parle de sentiments dont on n'avait jamais parlé. Ouais. C'est vrai ça. J'suis une connasse parce que c'était évident mais j'pouvais pas savoir j'suis pas dans sa tête. Et il a le droit de pas m'en parler. Ou de prendre le temps. J'ai niqué ça. Ok, je note.

Je réalise de nouveau que pour moi, ils savaient. Tous les deux. Que c'était déjà clairs pour eux quelque part. Pandora m'a bien confirmé que pas du tout, donc ouais, la prochaine fois, quand t'es pas dans la tête des gens et qu'ils sont pas tout seul pour discuter tranquille avec toi tu fermes ta grande gueule Elwynn. Je hoche la tête lentement. D'accord. J'ai rien à dire. Je peux rien dire en fait, oui, ok. Tu me reproches ça, et c'est légitime, et au moins, je sais.

J'ai vu tes mains sur son ton canapé chaton, j'les vois là. Ca m'fait pas peur, toute la colère qu'il a, elle me fait pas peur du tout. Ce qui me fait peur, c'est après, y aura quoi. Pour l'instant, il pourrait très bien s'avancer vers moi, être violent, ça m'fait pas peur, je connais ça trop bien.

C'est pire quand c'est doux. C'est pire quand je sens qu'il fait en sorte de pas trop me blesser. Je réponds pas non plus cette fois. C'est évident que je ferais plus ça. Si c'est évident pour lui que je suis désolée, il le sait aussi. Je l'ai déjà dit d'ailleurs.

Le reste, peu importe. Non, putain. Ta souffrance et ta tristesse, ta colère, ça importe pas peu. Pas du tout. Ma gueule et tout ce que je contiens, ça oui, on s'en balek clairement, mais toi, non. Sauf que c'est pas ma place de le réconforter, j'suis même pas sûre qu'il veuille ça. Je réfléchis à toute vitesse, est-ce que je pourrais faire quoique ce soit pour lui, là ? J'ai l'impression si je fais une seule vanne, si je dis une seule fois qu'il compte, j'vais me faire démolir. Et franchement ? Ce serait mérité. Je me rends même pas compte que je retombe dans mes travers de rien dire, de juste, plus parler. Ce vieux mutisme qui a presque disparu avec les années, il est là. Je laisse un long silence entre nous, il me regarde pas de toute façon. Je baisse lentement la tête vers les chaussons que j'ai aux pieds.

Bon. Bah on va faire un truc qu'on a pas l'habitude de faire hein. Quasiment sans bruit, comme si j'étais une ombre, je retire les chaussons, les range à leur place, enfile mes chaussures lentement. Il a pas envie que je sois là. Il a sûrement envie de parler à n'importe qui plus qu'à moi là. Ouh, ça fait mal de réaliser ça. J'aimerai lui dire que je suis désolée d'avoir trahi sa confiance, que je voudrais tellement réparer, mais là ça sert à rien, il est juste en colère, il a juste mal, et c'est ma faute. J'ouvre la porte lentement.

Ja ne.

On reste polie on ira pleurer ailleurs.