Il a pas neigé pour la fin de l'année. Fai avait l'air déçu. Bon après, on a fêté Noël et il a eu des cadeaux donc ça lui a vite passé. Il était très collant après que je sois revenu de la mission. Compréhensible, en vrai, j'étais absent plusieurs jours et l'ambiance a été assez tendue vu qu'il y a eu plusieurs grosses missions contre le Centre en même temps.

Mais ça va, hein ! Promis, je vais bien, trésor. Papa est en forme, on peut profiter un peu de l'hiver et bien mettre son manteau et tout. C'est fou comme il grandit vite, en vrai. Déjà trois ans et demi à courir partout et grimper sur les meubles et essayer de mettre dans sa bouche tout ce qui lui tombe sous la main. D'ailleurs puisqu'on en parle...

— Non, Fai ! Repose le.

Mon fils me répond en gonflant les joues mais il repose le petit gendarme amorphe par terre. Pas trop la saison pour les insectes mais ça l'empêche pas d'en trouver et d'essayer de les bouffer. J'vous jure. Fais les griller avant au moins, j'sais pas.

Je me rapproche de lui et m'accroupis à côté pour regarder la même chose que lui. A savoir, un sol de forêt bien plus vivant qu'on pourrait le penser. Il a fait chaud hier, pour la saison.

— Qu'est-ce que tu regardes, trésor ?
— Ça brouille !
— Grouille, mon cœur. Oui, c'est des insectes. On peut les regarder mais il faut pas les déranger.

Il fait la moue mais se penche seulement pour regarder de plus près avec ses grands yeux de petit garçon curieux. On reviendra au printemps, ça devrait lui plaire. Je vois quelques fourmis qui se baladent, une petite araignée qui s'enfuie et même un truc qui ressemble à un scarabée.

— Montre moi celui que tu préfères ?

Il me désigne une fourmi et je souris en coin. Ouais, c'est cool les fourmis.

- Dites... Vous voulez pas aller aut'part ? Vous faites peur aux oiseaux...

Rembobinons.

Oscar commençait à comprendre que dehors aussi il pouvait faire plein d'activités. Que ce n'était pas juste un endroit où les gens venaient lui parler sans se gêner, ou où il risquait de croiser des personnes malhonnêtes. Et petit à petit, le garçon avait commencé à sortir de plus en plus. D'abord, en allant à la bibliothèque, ou au café-manga, où il aimait toujours être accueilli par la gentille serveuse rousse et l'armoire à glace. Où il lui arrivait de croiser Lola, avec qui il aimait beaucoup parler. Mais récemment, il avait acquis un petit livre sur les oiseaux des forêts et jardins du Japon. Il n'était pas en Français malheureusement, alors le garçon se fiait surtout aux images, mais ça l'avait motivé à faire des excursions en forêt justement, dans l'enceinte de Terrae.

Et justement, ce jour-là, Oscar était sorti en forêt pour écouter et voir des oiseaux. Enfin, pas que, puisqu'avec l'humidité du sol (il n'avait pas neigé), de nombreux insectes étaient ressortis pour profiter de l'abondance de nourriture dans l'humus. Oscar s'était calé dans un coin, après un regard envieux aux branches d'un arbre qu'il savait n'avoir pas la force de grimper. Il avait pris son livre et de vieilles jumelles et avait commencé à chercher des oiseaux qu'il pourrait reconnaître, à défaut de nommer puisque le livre semblait en japonais. Il n'avait pu en apercevoir qu'un, un petit oiseau blanc et tout rond, avant qu'une voix criarde d'enfant le fasse s'envoler, ainsi que tous les autres oiseaux à la ronde sûrement. Oscar, qui s'était vraiment bien installé, avait senti la déception s'installer dans sa poitrine aux côtés d'un peu de colère. Alors il s'était levé et était allé voir.

...Retour au présent. Devant un homme et son fils, visiblement. Et donc :

- Dites... Vous voulez pas aller aut'part ? Vous faites peur aux oiseaux...

Fai relève la tête quand un garçon pas bien âgé nous râle dessus qu'on fait fuir les oiseaux. Je souris en coin devant l'excitation du petit qui se dirige directement vers lui. Ouais, mon fils est un gamin social. En vrai je me demande un peu de qui il tient ça parce que c'est sur que c'est pas de moi ou d'Aoi...

— Bonjour ! Moi c'est Fai. Et lui c'est mon papa !

Je retiens un rire. Le pauvre garçon a pas l'air super content de voir un petit rouquin de trois ans qui vient lui taper la discut' alors qu'il a demandé moins de bruit. Je me rapproche aussi doucement et renvoie un sourire d'excuse au gamin.

— Huo, je me présente. Désolé du bruit, tu observais les oiseaux ?

Je désigne ses jumelles. Fai ne devait pas les avoir vu parce qu'il tend une main pour essayer de les toucher. Je soupire et pose une main sur son épaule pour l'empêcher de rentrer dans l'espace du garçon.

— Non, Fai. Elles sont à lui, si tu veux toucher, tu demandes avant.

Il regarde les jumelles, puis le garçon, puis moi dans une tentative pas du tout dissimulée de savoir à quel point il peut flouter la règle pour se retrouver avec l'objet dans les mains. Vu que le garçon a pas l'air trop disposé à partager, je doute qu'il accepte.

— C'est quoi ? Il demande en montrant les jumelles du doigt.

Nouveau sourire d'excuse qui l'invite à expliquer s'il en a envie. Fai connait un peu le principe du zoom, déjà, comme je prends souvent des photos et qu'il a toujours envie de me prendre l'appareil des mains si je suis à portée. Mais des jumelles, c'est un peu différent, il connait pas.

— Ça s'appelle des jumelles, Fai.

Je lui répète le mot lentement en japonais puis en anglais. Il fronce les sourcils avec sa petite bouille adorable comme chaque fois qu'on lui fait la traduction. Des fois je me demande ce que ça donne à travers les puces parce que j'ai l'habitude mais mon fils a pas encore trop capté le concept de langues séparées et quand il parle ça donne un mélange particulier, souvent.

En s'approchant, Oscar avait découvert un père et son petit garçon, encore un bébé presque. L'aversion pour les enfants que ressentait Oscar en temps normal s'en trouva exacerbée quand l'enfant s'approcha pour se présenter. "Mais je m'en fiche, moi je voulais voir des oiseaux, pas des gens..." Pensa Oscar, l'agacement montant. Il espérait que malgré ses difficultés à maîtriser ses expressions, il n'avait pas l'air trop hostile. Oh oui, il détestait la situation actuelle, mais il avait eu assez de temps avec sa famille d'accueil pour apprendre les bases de la politesse. C'est pourquoi il se fendit d'une réponse sur un ton contrit et contraint.

- ...B'jour.

Pas de présentation, il n'était pas là pour faire copain-copain. Pourtant voilà que le père s'y mit aussi. Il se présenta et s'excusa pour le bruit. Comme si ça allait faire revenir les oiseaux. Puis c'est quoi comme question ça ? Mais bon, comme dit précédemment, Oscar est un garçon poli, à défaut d'avoir été bien élevé.

- J'm'appelle Oscar... Oui, j'essayais.

Toujours pas très loquace malheureusement. Alors qu'ils étaient distraits par leur...discussion, le marmot, Fai donc, leva sa main pour essayer d'attraper les jumelles d'Oscar qui fit un pas en arrière et les serra dans une de ses mains. Ah non, pas touche à son matériel, il l'avait payé avec son argent ! Hors de question qu'un gamin inconnu les lui dérègle. Heureusement, Oscar était en présence d'un père responsable, qui rappela son enfant à l'ordre. Oscar se détendit un peu. Huo expliqua alors à Fai que ce que portait si précieusement Oscar autour du cou était une paire de jumelles. Oh, bien sûr ce n'était pas des jumelles de professionnel ni quoi que ce soit, mais Oscar avait décidé qu'il s'agissait de l'un des objets les plus précieux actuellement en sa possession. Donc pas touche. Puis le père répète plusieurs fois le mot, ce qui fait incliner la tête à Oscar. Pourquoi le dire plusieurs fois, Fai est malentendant aussi ? Il ne l'avait pas vu signer pourtant. Oscar laissa bien vite ce mystère de côté d'un haussement d'épaules. Puis il s'adressa à l'enfant.

- S'tu veux voir les oiseaux avec les jumelles, faut plus faire de bruit et plus parler et plus bouger. Sinon les oiseaux viendront pas et on verra rien. Dit-il avec un petite moue.

Et si "on" ne verra rien, il ne verra rien non plus. Autant rentrer, si c'est en effet le cas. Alors à la place, il espérait (sûrement avec une grande naïveté, Fai reste un petit bout de 3 ans) que la perspective de pouvoir voir à travers les jumelles encouragerait l'enfant à se tenir tranquille et silencieux quelques minutes.

Oscar, donc. Et maintenant qu'on s'est approchés je vois qu'il est manifestement albinos. Je souris un peu en pensant furtivement à Matheo. Ça fait longtemps que je l'ai pas vu. Il a pas l'air d'être d'une nature très patiente pour le coup, Oscar. Ou en tout cas, pas avec les gens qui le dérangent. Ce qui s'entend.

— Désolé d'avoir fait fuir tes sujets d'observation alors.

Fai qui essaye de toucher ses jumelles a pas l'air de trop lui plaire non plus. En même temps, il est petit donc la notion d'espace personnel c'est un peu compliqué parfois. Au moins j'ai encore assez d'autorité parentale pour pas qu'il lui grimpe dessus pour tenter de les prendre direct. Oscar a un air confus pendant une minute quand il me voit répéter le nouveau mot à Fai.

Je lui parle quasi exclusivement en mandarin quand je m'adresse à lui. Mais avec le traducteur il a pas dû capter que je lui donnais une traduction. Je remarque aussi quand il incline la tête qu'il a des appareils auditifs un peu cachés par ses cheveux. Ah. Ouais, un petit garçon bruyant ça doit pas être le genre de choses qui le mettent à l'aise.

— Comme cache-cache ?

Je souris en coin quand Fai me regarde pour être sûr qu'il a bien compris la remarque d'Oscar. J'acquiesce et m'accroupis pour me mettre à sa hauteur.

— Si tu veux regarder les oiseaux, c'est comme les insectes, Fai. Si tu bouges trop fort, ils vont savoir que tu es là et s'enfuir. Donc il faut être silencieux et immobile.

Fai fronce les sourcils, visiblement concentré sur sa réflexion. Probablement en train de calculer entre son envie de mettre la main sur les jumelles qui sont un nouvel objet très cool et son besoin de bouger et parler. Il regarde Oscar, puis moi puis fait la moue.

— Veux 'ssayer.

J'acquiesce et mets un genoux à terre pour prendre Fai dans mes bras et le caler sur ma hanche en me relevant. Il commence à être un peu lourd pour le porter comme ça en vrai mais si c'est pas longtemps, ça va encore. Je lui fais un clin d’œil et pose mon index sur ma bouche de ma main libre. Il commence à rigoler et plaque ses mains sur sa bouche pour s'empêcher de faire trop de bruit. Je pose mes deux mains sous ses fesses pour bien le tenir.

— Tu nous montres dès que tu vois un oiseaux ? Je chuchote à Oscar.

Huo eut quand même la décence de s'excuser lorsqu'il comprit que lui et Fai avaient fait fuir les oiseaux qu'Oscar espérait apercevoir. Le petit, d'ailleurs, reste assez bruyant, posant des questions, essayant de s'emparer des jumelles d'Oscar. En même temps, il a trois dans, il est donc naturel chez un petit humain de cet âge d'être curieux et bruyant. Et non, Oscar, ton expérience de petit de 3 ans n'est pas une référence en terme de comportement.

Finalement, comme le père et l'enfant ne semblaient pas enclins à partir ou à s'éloigner, Oscar finit par essayer autre chose : il proposa à Fai d'essayer de regarder les oiseaux à travers ses jumelles, moyennant quelques minutes de silence. Et Huo l'aida dans ce sens en expliquant à son fils qu'il fallait faire comme un cache-cache. Le petit sembla séduit par l'idée, mais seulement après une longue réflexion. Quand il affirma vouloir essayer, Oscar émit une prière silencieuse pour quelconque divinité qui passerait par là : pitié, faites que ses jumelles ne finissent pas en moreaux.

Huo porta donc Fai et le cala sur sa hanche. Oscar se demanda si l'homme était Titan, pour pouvoir porter son fils ainsi. Si lui essayait, il se plierait en deux comme une vieille chaise de camping. Fai, bien sûr, ne tint pas plus de quelques secondes avant de se mettre à pouffer. Oscar ne put alors retenir un regard noir, mais même sans ça, l'enfant s'était de lui-même corrigé en plaquant ses mains sur sa bouche. Le son étouffé de ses gloussements était assez faible pour avoir une chance d'apercevoir un oiseau... Alors Oscar acquiesça à la question d'Huo et commença à parcourir les arbres du regard. Si il n'entendait pas bien, sa vue, elle, était excellente. Chose d'ailleurs rare chez les personnes albinos. Il devait avoir eu un peu de chance dans son malheur.

Après une trentaine de secondes, un moineau tout ce qu'il y a de plus banal se posa sur une branche un peu plus loin. Oscar le repéra et fit un signe très lent à ses nouveaux compagnons. Il pointa discrètement l'emplacement de l'oiseau qui sautilla un instant, frotta son bec contre l'écorce de la branche et lâcha une courte volée de notes. Oscar porta ses jumelles à ses yeux et les régla avant de les placer devant les yeux de Fai et de lui tourner la tête vers l'oiseau.

- Tu le vois ? Demanda-t-il, en faisant tous les efforts du monde pour chuchoter, chose qu'il ne savait pas vraiment faire.

Oscar a l'air d'un ado assez méfiant mais au vu de ce que je perçois de lui, c'est pas très étonnant. Il a un physique atypique, il a presque l'air d'avoir souffert d'un retard de croissance vu sa carrure de crevette et il est malentendant au minimum. Ça peint pas un portrait très flatteur des personnes qui l'ont élevé à moins que son attitude vienne des interactions avec les enfants de son âge. C'est pas facile d'être adapté socialement quand les personnes avec qui tu devrais socialiser te fuient ou te harcèlent.

Fai a absolument pas conscience de ça, évidemment, il voit juste un nouveau potentiel copain qui a un jouet cool. Il est parfois très intuitif comme le sont les enfants mais pas quand il a quelque chose qui attire son attention.

Je le tiens bien des deux mains, mine de rien il fait son poids sur le long terme, et tente de le stabiliser au maximum quand Oscar lui place les jumelles devant les yeux. Fai fronce les sourcils mais est très sage et n'essaye pas d'attraper l'instrument. Il hoche la tête lentement et continue de regarder le moineau qui fait sa petite vie sur une branche. De là où je suis j'arrive à deviner les mouvements mais pas bien plus.

— Oui, il chuchote pas si bas que ça, pourquoi il- Heeuu.

Fai recourbe un doigt qu'il frotte contre la paume de son autre main pour signifier l'oiseau qui doit se frotter dans l'arbre. Je souris. Il a les yeux rivés sur les jumelles, toute envie de faire du bruit oubliée devant la nouveauté d'observer un animal qu'il ne voit jamais d'aussi prêt.

— Il est joli.

Jugement sans appel. C'est vrai que c'est mignon les moineaux.