Oscar avait été initié dans la semaine et les jours suivant l'initiation étaient passés dans un mélange d'émerveillement, de découverte et d'horreur. Émerveillement, parce qu'il était capable de sentir la terre sous ses pieds (il s'était donc mis à marcher plus souvent pieds nus dans sa nouvelle chambre mais aussi dans l'herbe par exemple). Découverte, parce qu'il expérimentait sur les plantes dehors, les faisant pousser un peu, ou leur redonnant quelques couleurs...

Et horreur. "Horreur", parce que jusqu'à maintenant, il était habitué à pouvoir faire des pauses sensorielles en retirant ses appareils auditifs. Pauses dont il avait grand besoin pour ne pas être surstimulé, sans quoi il pouvait tomber dans des états d'énervement ou d'angoisse grandissants. Sauf qu'avec sa télépathie nouvellement acquise, impossible de faire de pause : Oscar était incapable d'éteindre ou de retirer un pouvoir implanté en lui ! Il s'était retrouvé du jour au lendemain avec du "bruit" dans la tête de jour comme de nuit... Et s'était refermé sur lui-même.

Ce jour-là par exemple, au lieu de traîner avec Lola et Aylan ou Ewen après les cours, il avait fui le bâtiment et presque (il reste une brindille avec une santé en carton) couru jusqu'à la forêt pour un peu de calme. Il s'y était enfoncé toujours plus loin et avait même retiré ses appareils. Même le chant des oiseaux l'insupportait. Et même comme ça, ce n'était pas encore le silence ouaté dont il avait l'habitude. Il y avait encore... quelque chose. Comme des acouphènes mentales. Alors Oscar s'était tapis dans un coin contre un arbre et roulé en boule les yeux fermés. Il adorait ses pouvoirs, ça oui. Mais parfois c'était un peu trop pour lui... Il dormait peu depuis l'initiation, et le retour du calme le rendit somnolant...

Jusqu'à ce qu'une main sur son épaule le fasse bondir sur ses pieds et trébucher contre une racine. Maintenant les fesses maculées d'humus, il leva les yeux vers la nouvelle personne qui lui faisait face... et dont il ne percevait aucune pensée ?

S'il y a bien quelque chose qu'Alice prend toujours le temps de faire depuis son arrivée à Terrae, c'est d'aller se promener en forêt. Les journées sont chargées pour la Master, entre ses études, le travail, les activités autour, elle a de quoi s'occuper. Mais elle essaie tous les jours d'aller marcher dans la forêt et de faire un peu de musique. La housse de son ukulélé sur l'épaule, elle cherche un endroit pour pouvoir jouer tranquillement. Elle a retiré ses chaussures, plus par habitude que pour mieux sentir la terre sous ses pas.

Elle est rarement seule, elle croise souvent des gens dans la forêt, même autour de son cerisier chéri au milieu de la forêt, maintenant qu'il n'est plus un secret pour grand monde. Il fait froid ce matin, et c'est seulement le contact avec son élément qui réchauffe ses pieds nus. Chaussures à la main, elle finit par entendre quelqu'un. Entendre sans bruit bien sûr. Elle baisse les yeux, posé sur les branches des arbres, pour regarder autour d'elle. En même temps, elle scanne le sol, finit par sentir la chaleur et les mouvements faibles de la personne qu'elle entend.

En s'approchant, elle reconnait l'aura d'Oscar, un nouvellement Initié. Un Terre Télépathe, elle l'avait vu passer. Et c'est sans surprise qu'elle y retrouve la détresse classique des jeunes Télépathes : le trop plein, l'intrusion, la brutalité du pouvoir qui ne s'arrête jamais. Elle sait qu'il ne l'entendra pas grâce à la barrière naturelle des Masters, et décide d'aller le voir. Il a les yeux fermés, elle s'approche tranquillement et pose doucement une main sur son épaule. Ce qui a pour effet de le faire sursauter beaucoup plus que prévu. Elle retire sa main et assiste à sa chute sans avoir le temps de réagir. Elle lui envoie un sourire doux.

« Excuse-moi, je ne voulais pas t'effrayer. Tout va bien ? Tu vas attraper froid si tu t'endors ici, tout seul. »

Sans ses appareils, Oscar n'avait pas entendu la personne s'approcher. Il se releva et enlevant le maximum de terre et de feuilles de son pantalon. Il avait gardé son pantalon de cours, l'idiot, et maintenant il était bon pour faire une lessive en rentrant. Devant lui se tenait une jeune femme, plutôt jolie, avec la peau matte et des cheveux bruns. C'était elle qui l'avais surpris, comprit-il. Qui d'autre ? Ils devaient être seuls à des centaines de mètres à la ronde.

La jeune femme sembla lui dire quelque chose, mais comme à chaque fois qu'on lui parle alors qu'il ne porte pas ses appareils, tout ce qui lui parvint était un bourdonnement indistinct. Oscar se concentra donc sur ses lèvres et réussit à saisit le sens principal de ses mots. Il agita la main vers la jeune femme pour lui faire signe d'attendre un instant. Il plongea la main dans la poche ventrale de son sweat et en retira la petite boîte contenant ses appareils. Avec délicatesse il les sortit et les glissa dans ses oreille. Quand il les activa, il ne put retenir une grimace. C'était trop tôt pour lui, tous les sons l'agressèrent immédiatement.

- Désolé, j'entends pas sans ça. Dit le garçon. Mais ça va oui... Trop de bruit, je voulais juste une pause.

Pause qui venait d'être écourtée, on dirait. Enfin, elle ne paraissait pas méchante et il fallait de toute façon bientôt qu'il rentre. Qu'il ait ou non réussi à recharger ses batteries, ça n'aurait pas changé grand chose à ça. Mais avant toute autre chose...

- Dis, pourquoi j'entends pas tes pensées à toi ? Demanda Oscar.

C'est vrai que la question le taraudait depuis le moment où il avait compris qu'il y avait un autre être humain près de lui.

Le pauvre Oscar est plein de terre en se redressant. Elle le laisse prendre connaissance de son visage, avant de comprendre très rapidement qu'il ne l'entend pas. Elle n'interromp pas son geste quand il va pour attraper ses appareils. Elle voit la grimace sur son visage et entend bien que dans sa tête, ça prend trop de place. Elle lui sourit de nouveau, très tendre.

« Si c'est trop de bruit là encore, on peut parler par signe, même si je ne connais que les signes français. Et sinon, je peux parler dans ta tête, sans prendre de place, tu peux me dire si tu préfère. »

Elle tend doucement sa main vers lui, et avec douceur, active son pouvoir, et fait tomber la terre qui s'accroche encore à son pantalon, le rendant presque intact. A sa question, elle relève la tête, et ses yeux pétillent un instant.

« Tu ne les entends pas parce que je suis Master. La différence entre nos pouvoirs est trop grande pour que tu puisses entrer dans mes pensées sans que je t'y laisse entrer volontairement. C'est agréable, pas vrai ? »

Son sourire est compatissant, Alice sait bien ce que ça fait, elle l'a vécu pendant trop longtemps pour l'avoir oublié. La sensation de calme, de silence, d'intimité quand enfin on n'entend plus les autres sans arrêt.

En observant plus en détail la nouvelle venue, Oscar découvrit un visage doux et accueillant. Presque rassurant. Ça l'aida à se détendre et il se sentit un peu plus en sécurité. La jeune femme lui proposa même de parler en signes ou... dans sa tête ?! Oscar cilla.

- T'sais faire ça ? S'étonna-t-il. Comment ?!

La réponse arriva juste après, avec sa seconde (enfin troisième, avec les deux précédentes) question. Elle était donc Master. Oscar avait passé quelques après-midis à son arrivée à étudier les pouvoirs dans tous les livres qu'il avait trouvé dans la bibliothèque. Il avait donc connaissance des différents rangs : Initié, Étoile et Master. Il savait aussi que plus on montait en rang, meilleure était la maîtrise de ces nouveaux pouvoirs. Enfin, nouveaux pour lui, pas pour l'inconnue. Elle maîtrisait visiblement ses pouvoirs sur le bout des doigts. Parce que sans même le toucher, voilà qu'Oscar était débarrassé de la terre et des feuilles encore accrochées à son pantalon. Il lança un regard admiratif à la jeune femme.

- C'est vraiment agréable, oui... Et t'es trop forte avec tes pouvoirs, c'est trop cool !

Autour de lui, la forêt ne faisait pas trop de bruit et comme les pensées des gens étaient loin, il était moins assailli de tous les côtés, ce qui l'aida à penser plus clairement. C'est seulement à ce moment-là qu'il se rendit compte qu'il ne s'était pas présenté.

- J'm'appelle Oscar, d'ailleurs. Enchanté. Dit-il d'un ton poli.

En réalité il se faisait violence pour ne pas sauter sur cette nouvelle personne très intéressante et la bombarder de questions, sans mentionner son envie grandissante qu'elle lui apprenne à maîtriser ses pouvoirs.