J'ai fini par faire mon caprice. En même temps, depuis le départ de Houston, je me tape toute la sécurité en solo de Terrae, et en plus il faut que je continue à créer des nouvelles technologies en permanence pour contrer le Centre. Ne me lisez pas de travers : je n'en ai pas marre de tout. Clairement, quand il s'agit des différentes technologies, c'est le FEU. Mais quand il s'agit de la sécurité de Terrae. Oui, bon, vous l'aurez compris, c'est lassant, et ça saoule. Alors ouais, on voit parfois des trucs marrants, genre les gens qui se roulent des grosses galoches sur le toit de l'Institut en pensant que personne ne les verra jamais. Mais ça arrive pas tous les jours non plus, et c'est juste hyper chiant de re-visionner en permanence les vidéos tous les matins juste pour être sûre que tout va bien ALORS QU'EN FAIT ON S'EN COGNE. Bon, c'est pas vrai, lorsqu'il y a des incidents Hideko convoque quand même les personnes concernées et se charge de les remettre dans le droit chemin. Mais du coup ça fait quand même de moi une grosse cafteuse... Et puis juste c'est chiant. Je l'ai pas encore assez dit ? Qui peut affirmer avec conviction que ses objectifs de vie étaient de devenir Voyeur et d'observer tout Terrae en permanence pour chercher la petite bête et venir tout raconter à la directrice ensuite ? Personne, on s'en cogne, et ça saoule.

Vous l'aurez compris, j'en avais marre de ça. Et du coup, je voulais avoir beaucoup plus de temps pour moi (tout mon temps en fait) pour bosser sur des projets nettement plus intéressants. J'ai donc fait un caprice à Hideko et j'ai dit que je voulais qu'on trouve quelqu'un pour faire ça. Evidemment, c'est des infos sensibles, alors elle a pas vraiment accepté tout de suite. Elle a demandé si des Masters seraient volontaires pour le faire mais mdr je vous ai dit ça n'intéresse personne. Du coup elle m'a dit que si je voulais vraiment trouver quelqu'un pour me remplacer à la sécurité, je devais organiser moi-même les entretiens d'embauche. Et m'assurer que la personne qui serait recrutée soit vraiment une personne de confiance. Est-ce que c'est tendu ? Oui. Mais qui ne tente rien n'a rien. Au pire je peux demander à quelqu'un, sans qu'il regarde toutes les vidéos, de faire genre des rondes dans l'Institut de temps en temps pour s'assurer que tout va bien. C'est chiant aussi... Mais au moins ça fait sortir. Je suppose ? Oui, bon, j'étais à court d'idée, et visiblement j'avais pas encore capté que j'aurais aussi pu installer le bureau de surveillance avec les connexions aux caméras dans mon atelier pour programmer Jarvis afin que ce soit lui qui se charge de ça. L'intelligence artificielle a cet avantage qu'aucune tâche ne peut lui paraître lassante, et ça m'aurait enlevé une épine du pied.

DONC VOILA J'Y AI PAS PENSE, PARCE QUE J'ETAIS BLOQUEE SUR MES IDEES ET JE VOULAIS PROUVER A HIDEKO QUE JE POUVAIS TROUVER QUELQU'UN D'HUMAIN ET DE CONFIANCE POUR FAIRE CA.

Ca nous amène à mon premier entretien. J'ai épluché un peu les CV qui traînaient en salle des Masters, et j'ai bien constaté que tout le monde cherchait des choses biens précises, à part ce dossier-là où le type voulait juste... un boulot. Donc écoutez, on va le recevoir et puis on va voir ce que ça donne, hein.

Pour l'occasion, Hideko m'avait laissé prendre possession d'un des bureaux de la salle des Masters, porte fermée, confidentialité, voilà voilà, ça me changeait de mes habitudes où je travaillais clairement à la vue de tous en salle des Masters, sans me soucier de ce qu'il se passait pour les autres.

-Oui, entrez, dis-je en relevant la tête du CV que j'avais sous les yeux après avoir entendu quelques coups frappés à la porte.

La porte s'ouvrit. Je clignai des yeux. Mdr ça doit être une blague j'ai mal vu.

La porte se referma.

Je reportai immédiatement mon regard sur le CV sous mes yeux, mon coeur accélérant sa course dans ma poitrine. Mdr forcément c'est une blague, ça peut pas être vrai.

POURQUOI CETTE PERSONNE N'A PAS ECRIT SON NOM DANS SON CV ET POURQUOI EST-CE QU'ELLE RESSEMBLE AUTANT A YS ?!

La porte se rouvrit et mon coeur rata un battement, pris de court. Ok donc maintenant faut que je relève le regard pour m'assurer que j'ai juste mal vu.

Ptdr j'ai pas mal vu c'est bien lui. POURQUOI ?!

Un courant d'air, c'est ça oui... Lol j'ai envie de partir d'ici. Il était peut-être pas obligé de rouvrir la porte, elle aurait pu rester fermée, ça m'allait bien finalement.

Oui parce que maintenant il n'y a plus aucun doute depuis qu'il a pris la parole, hein, c'est lui et 100% lui, ça peut pas être quelqu'un d'autre, y'a aucune énergie magique qui émane de lui et c'est bien cette tête que j'essaie d'éviter depuis qu'il a commencé ses travaux d'intérêts généraux et qu'il vient régulièrement en salle des Masters pour retrouver Nikkou qui doit l'emmener et l'accompagner sur place afin qu'il répare ce qu'il a fait.

MDR DU COUP OUAIS C'EST BIEN ICI L'ENTRETIEN MAIS HORS DE QUESTION QUE TU T'OCCUPES DE LA SURVEILLANCE DE TERRAE (pour plusieurs raisons que je ne citerai pas, je n'arrive même pas à imaginer un monde où c'est YS qui gère la SECURITE mdr).

-Ha oui c'est bien ici mais le poste vient d'être pourvu, mince, j'suis désolée pour toi... Pas de chance ! Tu auras peut-être plus de chance dans d'autres services...

MAIS QUELLE IDEE DE VOULOIR EMBAUCHER QUELQU'UN POUR S'OCCUPER DE LA SURVEILLANCE A MA PLACE, C'EST BON J'AI COMPRIS HIDEKO ARRETE DE ME TOURMENTER, JE VAIS CONTINUER A LE FAIRE ET ARRETER DE ME PLAINDRE.

Je fronçai les sourcils en observant les agissements d'Ys. Mon coeur tambourinait dans ma poitrine. Je me pinçai la lèvre inférieure, agacée.

La phrase qu'il sortit après avoir fait partir les autres personnes souhaitant obtenir le poste à la surveillance acheva de me mettre en colère. S'il y avait bien un milliard de façon de me dire que j'inventais une excuse, il avait choisi la pire. Sérieusement, il voulait vraiment sortir ce genre de choses ? Comme si c'était rien ? On se parle d'ex à ex comme si c'était une question résolue ?

Et ben oui, visiblement.

Je sentis mon corps se crisper et je glissai mes poings serrés sous le bureau pour ne pas qu'il les voit. Je n'avais pas d'explication à lui donner. Il était hors de question qu'il travaille à la surveillance de Terrae, un point c'est tout. Hideko n'était déjà pas très encline à l'idée d'avoir quelqu'un d'autre que moi sur ce poste, surtout après ce qu'il s'était passé avec Houston, ce n'était pas pour que je lui mette Ys dans les pattes. Si ce n'était pas moi qui le refusait, ce serait elle de toute façon. Alors pas la peine d'insister.

-Personne d'autre ne pourra te faire passer cet entretien, crachai-je presque.

Je détournai le regard, ne pouvant supporter le sien plus longtemps. Je déglutis difficilement, tentant de ravaler ma fierté blessée. Putain mais il avait vraiment fallu que ce soit lui qui se présente en face de moi pour ce poste.

-Ils cherchent quelqu'un pour travailler à la cafétéria, t'as qu'à aller là-bas. Ou dans n'importe quelle boutique du village d'ailleurs, à la boulangerie... T'as qu'à ouvrir un garage, j'ai cru entendre qu'ils aimeraient bien en ouvrir un mais qu'ils n'avaient personne pour le poste. Après tout t'as toujours aimé ta moto plus que tout...

Ouais, c'était très mal tourné. Y'avait absolument pas de sous-entendu, et pourtant, avec le ton que j'employais, on aurait vraiment cru qu'il y en avait un. Sérieux, il pouvait pas juste partir d'ici ?

Mon cœur se serra alors que j'entrevoyais du coin de l'œil Ys qui desserrait ses bras et que je devinais son bras manquant dans sa manche qui retombait mollement contre son corps.

Gardant le regard fixé sur autre chose -elle est vraiment sympa cette lampe de bureau non ?- je le laissais s'approcher sans rien ajouter à ce que je venais de dire. Je ne répondis pas à sa question et il s'installa quand même sur la chaise en face du bureau. Je fis tous les efforts du monde pour m'empêcher de froncer les sourcils, agacée par mon propre comportement fuyant.

Alors qu'il reprenait la parole, je finis pas reporter enfin mon regard sur lui, l'espace de quelques secondes. Bien, au moins nous étions d'accord : tu n'aurais pas ce travail.

Sa question suivante me dérangea. Est-ce que ça allait être comme ça, entre nous ? Je sais pas, Ys. Parce qu'il n'y a plus de "nous" depuis longtemps, en fait. C'est toi qui a pris cette décision. C'est toi qui...

Je serrai les dents et détournai à nouveau le regard. Je fermai quelques micro-secondes les yeux, prenant une longue inspiration.

-J'en sais rien, Ys. Comment tu veux que les choses soient entre nous ? Tu as été très clair quand tu es parti, tu...

Non, tu n'as jamais dit que tu ne m'aimais plus. Je déforme la réalité. J'ai créé cette nouvelle réalité pour accepter plus facilement ce qu'il se passait et que je n'arrivais pas à gérer.

-Tu as dit que tu reviendrais quand ce monde sera enfin véritablement sûr pour moi. Et il se trouve que le Centre sévit toujours, alors je suppose qu'à tes yeux je ne suis toujours pas en sécurité. Inutile donc que je reste dans tes pattes, inutile également qu'on continue à se parler, je ne ferai que te gêner.

Déformation, encore, qu'importe. Je ne sais plus quoi dire de toute façon.

Une vive douloureux brutalise le garçon mais il tente en vain de la faire taire. Il doit pas se détourner de son objectif. Même si Mitsuki ne le regarde pas, le fuyant littéralement, il saisit cette chance de pouvoir s'adresser à elle sans qu'elle le mette à la porte.
Malgré cette distance, ils communiquent, difficilement mais il garde un espoir de pouvoir s'adresser à elle encore.
Alors il tente sa chance sur eux, sur ce qu'il adviendrait du futur. Et enfin Mitsuki pose son regard sur lui, ils peuvent s'observer enfin. Un instant mais ça compte. Il pourrait prendre toutes les miettes.

Malheureusement ce sont encore des reproches qui fusent. Toujours et encore des reproches. Baissant les yeux sur le bureau, Ys fait le tour de la question.
Oui, il est parti. Il a pris cette décision seul et contre tous. Mais alors qu'il a voulu créer un meilleur monde, plus sûr, il a surtout perdu celui qu'il avait toujours connu. Et désormais Mitsu n'appartient plus à ce monde.

Puis il relève son attention sur la demoiselle alors qu'elle reprend la parole. C'est assez confus et décousus mais il en saisit le sens. Et encore une fois, elle lui reproche son absence, son égoïsme. La Master suppose qu'elle ne peut rester à ses côtés puisque ce monde qu'il avait tenté de trouver n'existe pas. Ce à quoi Ys répond d'un refus, d'un mouvement de tête.

"Je- Enfin, je..."

Un soupir lui échappe alors qu'il tente de trouver ses mots. Mitsu est tenace. Ils ont déjà connu des difficultés par le passé, comme tous les couples. Seulement cette fois c'est différent. Il y a trop d'amertumes entre eux.

"Ça aurait été plus simple que je revienne pas, n'est ce pas?"Finit-il par souffler tout en relevant son regard sur elle.

A cela, il faisait évidemment illusion à l'idée d'être mort. Un mort ne dérange plus. Il ne remet plus rien en question et on peut avancer sans prise de tête. Alors oui, il devine que ça aurait plus simple pour la Master. Bien que dans le fond, admettre qu'elle puisse penser ainsi le blesse énormément.

"Tu veux que je parte de Terrae hein? Dis le moi, je le ferais si c'est ce que tu veux. Je peux tout accepter venant de toi."

Autant devoir retrouver ses vieux amis est une preuve et leur compagnie leur manque, autant Mitsuki avait droit et pouvoir sur lui. Il lui avait suffisamment commis de mal pour continuer et lui était insoutenable de la voir dans un tel état juste en sa présence.
Alors il se reprend peut être plus calme que précédemment, ses prunelles glissant sur le bureau sans aucun but précis.

"Je sais que t'es pas seule et que tu t'es reconstruite. Que tu as de nouveaux amis aussi. Même avec ce Tiago. Il est peut être pas pire que moi, mais il a ses défauts aussi."

Ouais c'est peut être un reproche ça. Peut être parce que le souvenir de cette photo qui trône au-dessus du bar de Luna où il y apparaissent tous les trois lui revient à l'esprit. Peut être parce qu'il n'a jamais aimé voir ce gars traîné autour de sa fiancée même quand il était encore présent à Terrae. Peut être qu'il aurait du lui régler son compte à ce moment là. Peut être pas. Peut être qu'il a toujours été jaloux de ce gars qui savait la faire sourire là où lui merdait. Peut être parce qu'il ne lui a pas réglé son compte parce que ça aurait rendu la demoiselle triste.

"Mais même si tu passes ton temps avec lui...*Plutôt qu'avec moi*"Je te préfère savoir heureuse que seule..."Finit-il le coeur lourd alors qu'il relève enfin le regard sur la Master.

"Tu n'as qu'à me dire et j'obéirais."

Se taire. Parler. Sortir de cette pièce. Sortir de sa vie. Disparaître pour toujours.
Il lui suffit que de quelques mots.

C'était exactement comme la dernière fois. Je ne savais pas comment réagir. Je ne savais pas comment me comporter. Et j'étais en colère. J'étais en colère contre lui, mais surtout contre moi. Parce que je racontais n'importe quoi. Je partais au quart de tour. Il lui suffisait d'un mot pour que je sorte les crocs. Alors que j'aurais simplement dû être indifférente. L'eau avait coulé sous les ponts. J'avais surmonté tout ça. Alors pourquoi fallait-il que, rien qu'en le voyant, je me sente si misérable et pleine d'amertume ?

Je poussai un long soupir et me pris la tête entre les mains, les coudes posés sur la surface lisse du bureau. Si ça aurait été plus simple qu'il ne revienne pas, hein... Et pourtant c'est moi qui étais allée le chercher. A quel point est-ce que tout cela n'avait pas de sens ? Mes yeux se posèrent une fraction de seconde sur lui alors qu'il me disait de prendre une décision quant à son avenir incertain ici. Mais enfin Ys ! Ce n'est pas à moi de décider de ça !

Je me mordis l'intérieur de la joue, agacée par ses mots, et laissai mes mains glisser dans mes cheveux avant de les basculer sur mon épaule. Je soupirai, à nouveau. Il ne pouvait pas me confier une chose pareille ! Sinon quoi ? Je lui disais de partir, et ensuite je m'en voulais de lui retirer la dernière chose qu'il lui restait encore : un endroit où vivre ? Et puis qu'est-ce qu'il ferait s'il partait d'ici ? Il se ferait à nouveau enlever par le Centre ?

Alors qu'il reprenait la parole, je posai cette fois-ci vraiment mon regard sur lui, fronçant les sourcils. Mais qu'est-ce qu'il racontait encore ? Qu'est-ce que Tiago venait faire là-dedans ? Si j'avais l'impression que mon discours était décousu, le sien l'était tout autant. Tout ça n'avait vraiment pas de sens ! Il préférait me voir heureuse que seule ?

-Mais qu'est-ce que tu racontes ?!

Cette fois-ci, je ne décrochais plus mon regard de lui.

-Ca n'a aucun sens ce que tu dis. Je comprends même pas ce que Tiago vient faire là-dedans.

Je soufflai, tentant d'évacuer cette colère qui me rongeait.

-Tu me dis de décider de ton avenir... Et ensuite tu me parles de Tiago.

Je marquai une pause. Me massai les tempes. Tournai le truc dans ma tête.

-Ecoute, j'ai beau faire tous les efforts du monde, je ne comprends pas. Je ne comprends absolument pas où tu veux en venir. Et non, Ys, ce n'est certainement pas moi qui vais te dicter ton avenir.

J'ancrai mes yeux dans les siens, bouillonnant intérieurement.

-C'est tes choix, tes décisions. Tu ne peux pas les faire reposer sur moi. C'est... Enfin mais qu'est-ce qui te prend ?! Tu racontes n'importe quoi !

Mes yeux ne le quittaient désormais plus. Et enfin, pour la première fois depuis son retour, je n'étais plus en colère contre moi et ma façon de réagir, mais bien contre lui.

Mais j'avais beau garder mon regard ancré dans le sien, je ne comprenais pas. Comment pouvait-il me demander une chose pareille ? En restant aussi calme ? J'inspirai longuement, baissant les yeux une fraction de seconde pour me recentrer.

A quel point avait-il été détruit lors de ce périple ? A quel point avait-il changé ? Je restais accrochée à une image de lui lointaine, mais est-ce que cette image était encore d'actualité ? De toute évidence, non, elle ne l'était plus.

Je re-braquai mon regard dans sa direction, m'humectant les lèvres, toujours sans parler. Je n'étais pas Télépathe ni Voyante, je n'avais aucune idée de ce qu'il avait véritablement vécu là-bas. Et quelque part, ça m'allait très bien, parce que j'agirais probablement différemment avec lui si je le savais. J'avais simplement besoin de savoir ce qu'il s'était passé pour moi. C'était bien assez suffisant. Plusieurs mois, plus d'une année complète pour récupérer totalement et accepter de me rendre à toutes les réunions de Master sans exception. Quelques années pour envisager de participer aux recherches à mon tour afin de les faciliter. Quelques années pour aller le récupérer, et retourner au point de départ sans savoir quoi faire maintenant qu'il était revenu.

... Je soufflai.

-Ils n'ont pas fait que te prendre un bras, ils t'ont vraiment retourné le cerveau là-bas, hein.

Je soupirai et posai mes yeux sur son CV qui se trouvait sous mes yeux.

-Je ne prendrai pas cette décision Ys. Ce n'est pas à moi de décider de l'endroit où tu vas vivre, ni de ce que tu vas faire de ta vie maintenant que tu n'es plus emprisonné là-bas. Tu as déjà été puni pour ton comportement, et je vois bien que la sanction n'est toujours pas levée, dis-je en me focalisant quelques secondes sur son absence d'énergie magique.

Ce n'est pas pour autant que je ne te fuirai pas, parce que te voir me dérange encore beaucoup. Mais je ne serai jamais de ceux qui prennent des décisions pour les autres et qui les dirigent, je n'ai pas cette âme de leader. Je ne prends des décisions que pour moi, et bien qu'elles soient parfois stupides, ce sont mes décisions, et je ne dois rien à personne.

-Je n'ai pas besoin de prendre une telle décision pour être heureuse.

Qu'il change de trottoir si nous nous croisions... Dans quelle pièce de théâtre improvisée allions-nous nous lancer encore...?

Je m'apprêtais déjà à répondre, lassée par la tournure que prenait la conversation, quand il reprit la parole.

Je restais d'abord silencieuse. Il aimerait me parler, hein... Il m'avait déjà demandé ça la dernière fois qu'il était venu jusqu'à chez moi.

Mes yeux restèrent accroché à ses lèvres, attendant la fin de sa phrase. Ca lui manquait de quoi ? Si c'était de ne pas me parler, alors qu'il me dise une bonne fois pour toute ce qu'il avait à me-...

Mon cœur frappa lourdement contre ma poitrine alors que je croisais ce regard que je ne pensais pas revoir un jour. Toute l'intensité de ses paroles reposait là. J'avais beau avoir ancré mon regard dans le sien avant, ça n'avait rien à voir.

Mon estomac se noua et l'espace d'un instant je crus même que j'allais avoir un vertige. Par réflexe et pour ne pas perdre la face devant lui, je détournai une nouvelle fois les yeux, les posant sur son CV qui se trouvait encore sous mes yeux.

Je me pinçai les lèvres alors que je sentais mes yeux me piquer. Bordel mais je n'allais quand même pas pleurer. C'était quoi cette sensibilité là ?! Je plissai les paupières, ravalant cette humidité, pour les rouvrir quelques instants après, la gorge sèche. Mes doigts s'agrippèrent à un stylo que j'avais posé à côté du bloc-notes que j'avais sérieusement préparé pour faire passer ces fichus entretiens. Je le serrai entre mon pouce et mon index, ne le quittant plus des yeux.

-Je ne vois pas bien ce qui pourrait te manquer.

Je fronçai les sourcils, maigre masque pour cacher ce cœur qui s'agitait dans ma poitrine.

-Ecoute je suis désolé Ys, mais je... Je ne peux plus rien faire pour toi, d'accord ? Je ne vois pas de quoi on pourrait parler si on se croisait.

"N'insiste pas."
J'ai envie de le dire, mais ça ne sort pas. Parce que chacun de mes gestes contredisent ce que j'ai pourtant la conviction de penser. Pourtant, c'est bien moi qui suis allée à l'hôpital chaque jour durant son hospitalisation. C'est moi qui me suis proposée pour la mission, pour aller le récupérer. Personne ne m'a forcée à faire ça.
Pourquoi faut-il que mes gestes et ma façon d'agir aillent à l'encontre de ce que j'ai l'air de penser ?

"De tout et de n'importe quoi". Est-ce que j'en suis seulement là avec toi, Ys ? Je ne sais pas, je crois que j'ai encore besoin de te rejeter. J'ai encore besoin de temps pour moi, non plus pour accepter ton départ... Mais pour cette fois appréhender ton retour. Mais est-ce un véritable retour ? Je ne veux plus m'attacher. Je sais comment ça tourne à chaque fois. Je ne veux plus jamais revivre ça.

Mes doigts se crispèrent un peu sur le stylo que je tenais entre mes mains alors qu'il tentait de refaire la conversation. C'était étrange comme situation. Inconfortable. Nous ne nous étions jamais comporté comment ça l'un envers l'autre. Et au fond de moi, j'entendais bien cette voix qui me soufflait qu'il essayait de faire au mieux. Qu'il composait avec ce qu'il avait. Que de toute façon, avec tout ce qu'il s'était passé avant, puis après son départ, et pendant son absence, on ne pouvait pas reprendre les choses telles qu'elles étaient auparavant. Sauf que c'était difficile. Et inconfortable. Vraiment inconfortable.

Si je le ressentais, est-ce que lui le ressentait aussi ?

Mon stylo m'échappa et vola sur le sol. J'avais les mains moites. Je me baissai presque immédiatement pour le ramasser, pestant contre ma maladresse. Je remontai sur ma chaise, fuyant toujours le regard de l'homme qui me faisait face, sentant pourtant bien que lui cherchait le mien.

Je me mordis l'intérieur de la joue, m'humectai les lèvres. Je lui avais dit que je n'avais pas à prendre de décisions pour lui... Pourtant, là, j'aurais bien aimé qu'il quitte cette pièce.

-Oui. Il fallait bien trouver un truc pour lutter contre les installations du Centre.

Je posai mes yeux sur mon pot à crayons, me remémorant douloureusement cette mission où rien ne s'était vraiment goupillé comme prévu. Ma greffe s'était encore emballée, attaquant mon propre corps cette fois-ci pour lutter contre ce pouvoir de Feu qui s'était emparé de moi, chassant en grandes pompes mes pouvoirs originels. Je reportai enfin mes prunelles vers Ys, ayant trouvé autre chose pour canaliser mes émotions instables.

-Comment tu as appris ça ?