Je pourrais vous dire que j’ai passé une bonne journée, et je ne mentirais pas. Depuis quelques mois je n’ai plus de mauvaises journées, celles où la douleur rendait floue les contours du réel. Aaron quand il décide de vous aider est assez efficace, mais encore faut-il lui demander de l’aide.

J’ai pas fait grand-chose, aidé quelques terraens à trouver le livre qui les intéresse, et calmé une paire d’excités qui avaient décider de se taper sur la gueule à bon coup de pouvoir sensitif. Un quotidien banal dans lequel j’arrive à reprendre mes marques. Je veille toujours de loin sur mon fils qui ne veut pas me voir, j’’essaie de voir du mes amis régulièrement, mais souvent je préfère la compagnie de mon chéri et une bonne série. Bref, la vie quoi.

Bien sûr, entre tout ça je joue un peu plus mon rôle de master, j’arrive à prendre partie aux réunions et à donner mon avis. Pas toujours de manière constructive… Mais en même temps faut leur secouer les puces pour les faire réagir de temps en temps. Bien entendu que le retour d’Ys ne m’a pas échappé, j’aurais pu chercher à le revoir, forcer notre rencontre, j’ai préféré lui laisser le temps. Je ne lui en veux pas pour ce qu’il a fait, je ne suis pas aussi fermée à la violence que mes amis masters… Je lui en voulais quand j’allais pas bien… Quand son absence n’était qu’une peine de plus. Ce n’est plus le cas depuis longtemps.

Je ne suis pas allée le voir, parce que je me doutais qu’il aurait trop de choses à gérer… Et que je me serais faite défoncer par beaucoup de monde si j’avais soumis l’idée de faire une fête pour son retour… J’ai attendu qu’il se sente prêt à me voir. Je ne sais pas comment expliquer, je me suis dit que trop de monde allait lui tomber dessus et qu’il n’aurait pas le choix, alors j’ai attendu. Je ne doutais pas de le trouver devant ma porte un jour ou l’autre. Ce jour est arrivé alors que je rentrais de la bibliothèque pour préparer le repas, ce soir c’est mon tour ! Cela me fait réellement plaisir, parce que pendant une longue période le simple fait de manger ce que l’on m’avait préparé m’épuisait. Ce qui me fait encore plus plaisir, c’est de trouver Ys le culs vissé sur le banc qu’on a installé dans le jardin avec Nath l’été dernier.

Je souris, j’ai mon fauteuil manuel (une autre des preuves de mon rétablissement) aussi je n’envisage pas de le surprendre en lévitant discrètement dans son dos. Non, au lieu de ça je m’avance jusqu’à lui, je croise son regard, on se dévisage. Je suis contente qu’il soit rentré en vie. Je cherche mes mots.


J’aimerais trouver un truc spirituel, un truc caustique. Je tourne mes mots dans ma tête, un truc sur le fait qu’actuellement d’une olive il pourrait sortir quinze litre d’huile… Au lieu de ça je m’entends dire :

« T’en as mis du temps… »

Putain. Un truc drôle. Une pique. UN TRUC. Putain. Les sentiments c’est chiant et sa déborde.

Je manque de me mettre à rire, mais il aurait été pire sans nul doute, de lui dire qu'il avait oublié mon adresse à côté de son bon sens, de sa fiancée et de ses amis. A jouer au plus con, je suis sûre de gagner. Juste je n'en ai pas envie.

"Moi j'aiarrêté de boire pendant tes vacances..."

OK, c'était déjà trop passif agressif. Je voulais dire un truc drôle, et dans ma tête dire qu'il était trop bourré pour se souvenir de mon adresse était hilarant. Surtout au vu du nombre de fois où il m'a raccompagnée tout aussi rond que moi...

"Désolée,  c'était pas sympa. Je ne sais pas si j'ai perdu mon sens de l'humour en arrêtant de boire ou si je me rends juste plus compte que je dis des saloperies depuis que je suis sobre."

Je soupire. Parler de vacances non plus c'était pas sympa, mais j'ai pas d'autre termes moins culpabilisant. Ton absence ? Ta vendetta ? La petite promenade de santé qui t'a fait entrer dans le très select clubs des handicapés de Terrae ? Remarque ma dernière vendetta m'y a aussi fait rentrer. Tu me diras, on pourrait en tirer une belle leçon de vie : la vengeance c'est caca.

"Bon on s'excuse à tire-larigot et on se met à chialer dans les courants d'air ou on rentre discuter à l'intérieur ? T'es encore capable de m'aider à cuisiner, c'est moi le chef ce soir et tu ne repartiras pas avant d'avoir mangé quelque-chose de... comestible. "

Non déconne et tu peux aussi te curer le pif et te palucher ? Non. Mais sérieux tu enfonces des portes ouvertes mon chat. J'me doute bien que tu peux encore m'faire des câlins, bien que j'ai pas l'souvenir qu'on s'en soit déjà fait. Putain. Toutes mes relations consistent à tenir les gens à une distance raisonnable grâce à mon handicap et mon humour. Pas toujours dans ce sens d'ailleurs.

Je reste un peu circonspecte quand il me prend dans ses bras, mais je ne le repousse pas. Je sais pas comment l'expliquer, je sais qu'il en a besoin, mais moi ça me semble juste étrange. Ses mots viennent souligner cette étrangeté. Il m'a manqué aussi, bien souvent, et de bien trop de manière différentes. Un instant j'ai envie de lui crier dessus, de lui faire part du sentiment d'abandon qui nous a tous bouleversés. Seulement, je me rends compte que ce sentiment s'est éteint et qu'il n'en reste qu'un souvenir lointain. Personne ne comptait assez pour qu'il reste, et en partant il nous l'a fait comprendre. Alors c'est étrange de voir qu'on compte pour lui. C'est étrange de le ressentir. C'est étrange de ne rien trouver à redire. Putain.

Je sais pas trop quoi dire. Alors comme d'habitude je cherche le rempart de mon humour pour me planquer. Je cherche des mots, mais ceux que je trouvent le repousseraient. Alors j'me la ferme. Je tapote juste dans son dos, parce que je sais putain pas quoi dire de plus. Parce que j'ai pas envie que mon humour soit blessant. Parce que je ne sais pas qui il est devenu et ce qui pourrait le blesser maintenant.

"Si tu m'refais un coup comme ça je te tue."

Ah. Ouai. Bon. Ok. Non c'est pas de l'humour. C'est juste vrai. J'le serre à mon tour dans mes deux bras. Parce que merde. C'est nouveau pour nous, mais s'prendre dans les bras des fois ça en dit plus long que pleins de mots. Puis ça refixe dans le présent.

Il me relache et s'étonne de me voir cuisiner pour la première fois. Cela montre encore une fois qu'on a toujours gardé une distance confortable entre nous. J'ai toujours plus ou moins cuisiné. Jamais des festins, mais j'ai toujours eu une cuisine utilitaire.

"Tant qu'il y a une recette claire on s'en sortira !"

Si je n'ai pas de recettes ce que j'improvise a rarement beaucoup de goût.

"Allez entre. Dis t'as pas d'allergies et t'es pas devenu végétarien ?"