Il y avait eu une bagarre entre Tiago et Tori. Quand j'avais vu le visage de mon ami, ça m'avait fait un choc. Évidemment, je l'avais questionné sur le sujet. Il m'avait alors expliqué ce qui s'était produit avec Alyona. Je savais que la blonde avait eu une peine de coeur, mais je n'avais pas eu la confirmation que c'était à cause de Tiago. J'avais eu mes doutes, et je m'étais d'ailleurs demandé s'il n'y aurait pas eu un malentendu entre les deux, ce qui était effectivement le cas.

Un gros malentendu qui avait laissé Alyona bien mal. Et sa meilleure amie avait décidé de se venger pour elle... Le fait qu'elle m'avait invité à faire une sortie toutes les trois pour remonter le moral d'Alyona, pour ensuite aller refaire le portrait de mon ami, me laissait un goût amer. Surtout étant donné que Tiago n'avait même pas répliqué. Et pourtant, elle avait continué de frapper.

Alors que je marchais dans un couloir en écrivant une note sur mon téléphone, une voix m'interpella. Celle de Tori. Je fermai mon téléphone, le mit dans ma poche et posa les yeux sur la jeune femme. Je n'avais encore mis de l'ordre dans mes idées par rapport à la situation, du coup je n'étais pas vraiment contente de la voir. Parce que j'étais un peu en colère contre elle et aussi parce que je n'avais pas encore réfléchi à comment aborder le sujet.

— Ah, salut Tori. Je vais... euh... bien. Correct.

Silence. Elle n'avait pas l'air joyeux non plus maintenant que je la regardais de plus près.

— Et toi..?

Je ne voulais pas faire durer le silence trop longtemps et c'était la continuation logique du début de cette conversation.

Tori me dit qu'elle allait bien. Son mensonge n'était pas convaincant. Je détournai le regard. Ses paroles suivantes piquèrent ma curiosité. Je me demandais à quoi elle faisait référence. Avait-elle compris la raison de ma légère froideur ? Ou est-ce qu'elle parlait d'autre chose ?

Mes yeux se posèrent de nouveau sur elle. Elle regardait ses pieds. Elle me demanda si j'étais libre prochainement pour prendre un thé ou un café. Mes sourcils se froncèrent vers le bas, inquiète de son comportement.

— Oui, euh, bien sûr... Tu... Tu veux me parler de quelque chose ? Je suis libre durant les prochaines heures, si tu veux. Quelque chose a l'air de te tracasser..? Alors je suis là pour toi, au besoin.

Ce n'était pas parce que j'étais un peu en colère contre elle que je n'étais plus son amie. Et s'il se passait un truc plus grave, j'étais prête à mettre mon trouble de côté pour l'épauler.

Tori sembla étonnée par mes paroles. Elle peinait à trouver ses mots. Au final, elle m'invita à aller dans sa chambre et me dit qu'elle allait tout m'expliquer là-bas. Le silence du trajet fut étrange, mais au moins plutôt court. J'entrai et m'assit sur le canapé alors que mon amie me proposait quelque chose à boire.

— Je veux bien un café, merci...

Elle partit préparer ma boisson et je profitai de ce moment pour réfléchir un peu à ce que j'allais lui dire, si jamais on discutait de la baston. Elle revint et je pris une gorgée de ma boisson, attendant qu'elle se lance. Ah, donc c'était au sujet de ce qui me tracassait moi aussi.

— Oui, je suis au courant... J'ai parlé à Tiago.

Petit soupir.

— Ça m'a fait un choc d'apprendre que c'était toi qui l'a mis dans cet état... Qu'est-ce qui t'es passé par la tête ?

Je la regardai tristement.

— J'veux dire, je suis au courant de la situation qui a mené à ça... Je sais que tu avais une raison... Mais de là à continuer à le frapper alors qu'il ne répliquait pas ? Un coup de poing, j'crois que je me serais dit « fair enough ». Mais là... T'es allée trop loin. Bon, au moins, tu en es consciente maintenant... Je suis un peu fâchée. Un peu triste aussi. Confuse. Je crois que j'aurais besoin... que tu m'expliques.

Quand j'eus terminé de parler, un petit silence s'installa. Je voyais que Tori était tendue et qu'entendre mes reproches lui faisaient du mal. Ce n'était pas le genre de conversation que j'aimais avoir non plus... Mais je ne croyais pas pouvoir rester son amie sans entendre ce qu'elle avait à dire sur le sujet.

Elle prit parole et avoua qu'elle était effectivement allée trop loin. Puis, elle m'expliqua pourquoi avait perdu le contrôle lorsqu'elle avait vu Tiago. Quand elle était arrivée à Terrae, elle n'allait pas bien. Ça, je le savais, car elle m'avait parlé de sa mère. J'appris cependant une nouvelle information : qu'elle avait été en prison avant d'arriver ici. Je ne prêtai pas plus attention que ça à cette découverte, puisque ce n'était pas important présentemment. Alyona l'avait accueillie et l'avait aidé à se rétablir et, elle, avait voulu devenir sa protectrice. Quand la blonde avait compris qu'elle n'était pas en couple avec Tiago, elle était allée voir Tori, anéantie.

La colère était montée en elle et elle n'avait fait qu'augmenter avec les jours. Quand elle avait croisé Tiago, toute sa rage s'était déversée sur lui. Pendant son monologue, je réfléchissais. Je songeai à l'Opération Thémis, à la rage que j'avais ressentie en voyant l'état d'Aria. À ce moment-là, si j'avais vu d'autres agents du Centre, je les aurais probablement tués. Pas par pure nécessité, mais parce que le Centre avait fait souffrir mon amie. Par vengeance.

Je me souvins que quand j'avais rencontré la brésilienne, j'avais trouvé qu'on se ressemblait. Et là, je fis encore ce constat. La différence, c'était que dans mon cas, je gardais ma rancoeur à l'intérieur la plupart du temps. Cette distinction entre nous deux n'était pas surprenante, étant donné les environnements complètement différents dans laquelle nous avions été élevées. Ce devait être plus difficile pour elle de ne pas en venir aux mains.

Elle me dit qu'elle s'en voulait et qu'elle n'aimait pas faire mal. Elle ajouta que la directrice de l'institut l'avait sermonné et qu'elle voyait un psy à ce propos. Elle comptait aller faire des excuses à Tiago.

— Je sais que c'était excessif et cruel, je ne veux pas être comme ça... Et je suis désolée de l'avoir blessé...

Sa voix était remplie d'émotions et son visage, décomposé. Les larmes me montèrent aux yeux. Ça me brisait le coeur de la voir comme ça. Je ne pouvais pas continuer à lui en vouloir, pas après ce que je venais d'entendre. Si j'avais été dans sa situation et que Tiago n'avait pas été mon ami, j'aurais peut-être pété les plombs aussi.

— Tori...

Je me levai, m'approchai d'elle et la prit fermement dans mes bras comme pour dire  « I got you ». Elle accepta mon étreinte et je continuai alors que des larmes coulaient sur mes joues.

— Merci de t'être confiée à moi... Ça m'aide à comprendre et... je te pardonne.

On resta ainsi quelques secondes. Je la lâchai et retournai m'asseoir, les joues mouillées.

— Je pense que Tiago te pardonnera aussi... Il sait qu'il a merdé... Peut-être pas tout de suite mais, éventuellement.

J'hésitai un peu avant d'ajouter :

— Et toi, pourras-tu pardonner sa bêtise..?

Je ne m'attendais pas à ce qu'il devienne amis, cependant s'ils restaient en froid ce ne serait pas super. Je n'avais pas envie d'avoir à choisir entre les deux.

Pendant notre étreinte, je sentis des larmes tomber sur mon épaule. Mon amie s’était mise à pleurer tout comme moi. Je la lâchai et retournai m’asseoir avant de m’exclamer que, à mon avis, Tiago lui pardonnerait éventuellement. Tori répondit qu’elle comprendrait si ce n’était pas le cas. Puis, je lui demandai si, quant à elle, elle serait en mesure de lui pardonner.

J’écoutai sa réponse, une réponse à laquelle je ne m’attendais pas. Elle commença en parlant de leur confrontation, alors que moi ma question concernait ce qu’il avait fait à notre amie Eau. Je n’avais pas pensé à le préciser. Elle continua en disant qu’il n’avait pas à se faire pardonner auprès d’elle, mais auprès d’Alyona.

— Très mature de ta part, je n’avais pas vu ça comme ça. J’ai tendance à garder une dent contre ceux qui font du mal à mes amis personnellement…

Peut-être que, vu qu’elle lui avait refait le portrait, elle avait évacué toute la rage qu’elle éprouvait à son égard ?

— Si c'était quelqu'un d'autre qui avait fait souffrir Alyona, quelqu'un dont je ne suis pas proche, j’aurais été très en colère contre lui moi aussi.

Je n’étais pas aussi proche de la blonde que l’était Tori, mais je la considérais mon amie.

— Mais quand le conflit est entre plusieurs personnes que tu aimes, ça devient compliqué...

Je songeai à la « situation » Elisha-Tiago. S’il lui faisait du mal à nouveau, je n’étais pas sûre de pouvoir laisser passer ça. J’avais mes limites tout de même.