Enfin arrivé et passablement sur les nerfs, je sors de la voiture que je viens de garer un peu en retrait du lieu où nous étions censé trouver le laboratoire où chercher les enfants. Quand je pense à ce qu’ils leur font… C’est ignoble, inhumain. Et avec mes précédentes missions, je suis dans un état de fatigue suffisamment avancé pour ne pas avoir envie de faire de l’humour. Surtout quand on voit la manière dont elles se sont terminées, pour la plupart. Merveilleusement bien, évidemment ! Ahah. Quelle blague. Aussi bien qu’un combat de chiens enragés, ouais. Enfin bon, passons.
J’ai expliqué la situation aux deux élèves qui m’accompagnent, Daniel et Tahia, durant le voyage en avion jusqu’en Nouvelle-Zélande. Sérieux, quelle idée d’aller se perdre là-bas, hein ? Quelle idée d’aller foutre un laboratoire de merde dans un endroit pareil ? Evidemment, il faut que ce soit le plus loin possible d’un vrai monde civilisé, sinon, c’est pas drôle, hein, forcément. Parfait, parfait… Maintenant, on est censé entrer dans un laboratoire avec un invisible et une guérisseuse. Bon, Tahia pourra être utile pour soigner les gosses, et éventuellement Daniel pour y aller en éclaireur. Normalement, je dis bien normalement, ça devrait bien se passer. Soyons optimiste pour une fois, ce serait bien.
La portière claque et je regarde autour de moi, attentif. Mes yeux s’éclairent d’une lueur mordorée lorsque je me concentre pour essayer de trouver une source importante d’électricité dans les environs, et repérer les potentiels câbles passant dans le sol alentours. Ceux-ci se rejoignant en un point que je suppose être le complexe que nous cherchons. Dans le coin, il n’y a rien, seulement une nature assez luxuriante, coupée du monde. Logique dans un sens, mais j’avoue trouver ça un peu cliché. Enfin, je préfère autant ça ; je n’ai pas envie de m’occuper des médias en obligeant mon équipe à se battre en pleine rue.
Je me tourne vers mes deux coéquipiers et leur indique une direction.

- Venez, c’est par-là. Il faut essayer de se grouiller pour les récupérer. Et être discret. Je me charge des caméras si on en croise.

Prêt à dégainer mon pistolet si le besoin s’en fait ressentir, je commence à m’enfoncer dans la forêt, les deux élèves sur mes talons. Le terrain est un peu pentu, et il faut parfois monter ou descendre à cause de buttes de terre et des légers reliefs qui se posent devant nous. Je grommelle quelques mots en dégageant des branches pour ne pas me les prendre dans la tête, et agite les mains pour éloigner les moustiques.
J'aime vraiment pas ce coin.

Mes coéquipiers m’énervent. Daniel qui passe son temps à soupirer parce qu’il en a autant marre que moi, et l’autre, Tahia, qui s’imagine que je ne suis pas suffisamment sur les nerfs. Evidemment, il faut qu’elle en rajoute, hein. Je crois que c’est un don que le ciel offre à une personne sur un million, la chiantise… Non, mais parce que, sérieusement. Combien de temps on a passé à en discuter dans l’avion ? Pourquoi il faut qu’il y ait encore AUTANT de questions qui traînassent et tournent et re-re-retournent dans sa tête, au juste ? Histoire de savoir, hein, parce que bon, je suis pas télépathe moi, je sais pas des masses ce qu’il se passe dans la tête des gens, ni rien. Et puis non, au final, je m’en fous, je veux pas savoir ; j’en ai strictement rien à faire ! En revanche, le truc pas utile, c’est que j’ai beau ne pas savoir ce qu’il y a dans leur tête, je sais ce qu’ils ressentent. Et quand ils n’ont pas confiance en moi, je le ressens AUSSI. Oui, ça me plombe le moral et ça me donne l’impression d’avoir merdé la moitié de ma vie – ce qui n’est pas tout à fait faux, entendons-nous bien dessus. Donc, comme je le disais : merci, merci Tahia pour cette formidable preuve de la confiance que tu as dans le Master qui est censé te maintenir en vie, c’est franchement super rassurant. Comme disent les jeunes : je kiffe. Voilà. JE KIFFE. (Ou pas. ELLE M’ENERRRVE.)
Un énième grognement m’échappe. J’essaie de ne pas la fusiller du regard. Elle parle trop. Cette fille parle trop bordel !

- Combien il y a de scientifiques ? je lâche en ricanant. On le saura sur place. On ne peut jamais savoir. Et même quand on pense savoir, les plans, ça foire toujours.

Merci Misao pour me l’avoir appris avec tant de… grâce. Et de bonté. De charité même ! Que dis-je ! D’altruisme ! Non, vraiment, je devrais lui envoyer une petite carte pleine d’amour. Avec une bouteille de vin empoisonnée. Ou un dispositif explosif. Je suis sûr que je peux bricoler ça…

- Je peux entrer dans le système une fois là-bas. Voir s’ils y sont encore. Et repérer les autres. Il faudra tout de même vérifier les salles. Je ne suis pas infaillible.

Carrément pas, même.

- On en saura plus sur ce qu’il faudra faire une fois là-bas. Et si on est arrivés trop tard…

Ma phrase reste en suspens, et nous continuons notre route comme ça un moment. J’espère aussi qu’on les retrouvera, mais s’ils n’y sont plus, on ne pourra rien faire de plus.
Une longue inspiration.
Au détour d’un chemin, je l’aperçois. Le bâtiment. Des caméras sont disposées tout autour, et je les force à garde une image statique pour que nous ne soyons pas repérés. Que nous puissions garder un peu de temps.

- L’entrée doit être par-là, je lâche en commençant à longer le bâtiment.

Il n’est pas aussi bien surveillé que les autres. En même temps, perdu comme ça au milieu de nulle part, en général, personne n’a l’idée de s’aventurer dans le coin… Et quelques pancartes avec des interdictions d’avancer suffisent en général à dissuader les trop curieux. Je me concentre. Essaie de repérer des traces de vie dans le bâtiment. Mais mes sourcils se froncent.

- Je ne sens rien. Peut-être qu’ils ont un bloqueur de pouvoir… Auquel cas, il faudra faire attention, je lâche à l’intention de mes partenaires.

Il ne nous reste plus qu’à entrer… Après avoir trouvé la porte, évidemment. Je suis pas vraiment adepte des trous dans le mur comme les trois-quarts de mes collègues.


HRP : Non c'est parfait :D Désolée mon Aaron est vulgaire quand il s'y met xD

Pendant combien de temps on a fait le tour de ce bâtiment ? Honnêtement, j’en sais rien. Surtout que là, on vient de terminer notre boucle autour des murs, et je crois que je vais devenir taré : parce qu’une porte, y en a pas. Nulle part. J’imagine qu’elle est dissimulée, ou souterraine, mais je peux pas la repérer comme ça. Il faut que je me concentre et que je fasse plus attention à ce que je vois autour de moi ; mais mon œil est dans un état pitoyable depuis mon retour du labo, et j’ai pas mes lunettes. Un soupir m’échappe. Bon, je vais avoir l’air d’un abruti, mais tant pis. J’abaisse ma paupière gauche pour retrouver une vision plus nette – la joie d’avoir une vue super décalée – et reprend mon chemin, le nez plissé, en essayant de repérer cette foutue entrée. Calme, calme Aaron, ça va, tout va bien.
La voix de Tahia me fait presque sursauter. Un courant d’air ? Dieu merci. Ça m’aurait rendu fou si on avait continué à tourner en rond de cette manière-là… Comme quoi, j’avais bien fait de la choisir.

- Super, juste super… je lâche en m’approchant à mon tour, posant les mains sur la paroi. Maintenant faut voir comment on ouvre ça...

À côté, Daniel repère un petit boîtier et appuie appuie sur un ou deux boutons, sans que rien ne se passe. Je me concentre un instant, tente de pénétrer à nouveau le réseau électrique. Essaie de repérer chaque branchement, chaque machine. Tout. Et d’actionner la bonne commande pour ouvrir la porte. La paroi se sépare en deux alors que nous nous reculons, découpant un rectangle sombre dans le complexe. Une inspiration. Bon.

- On y va. Si vous avez des questions, c’est maintenant ou jamais.

Et si vous me faites toujours pas confiance, je peux plus rien pour vous. (Bah quoi ?)
Ma main se porte par automatisme au holster accroché à ma ceinture alors que je passe en premier, essayant de repérer des mécanismes qui pourraient potentiellement nous piéger ou encore l’aura d’un quelconque être vivant. Mais là, honnêtement, je ressens vraiment rien, et ça me fait un peu m’inquiéter pour la suite de la mission. J’espère qu’ils sont pas déjà partis… Sinon ce sera la merde. L’endroit se présente sous la forme d’une sorte de hangar compartimenté, découpé avec différentes pièces et par lesquelles on accède grâce à un long couloir.

- Le générateur est éteint, c’est pour ça que la porte s’est pas ouverte tout à l’heure, je lâche à l’intention de Daniel et Tahia. Ça présage rien de bon.
- Il faut qu’on fasse vite, ils ne sont peut-être déjà plus là.
- J’y pensais. Restez ensemble tous les deux et fouillez les premières pièces. Je m’occupe de celles du fond.

Je fais signe à l’adolescent de s’occuper de notre guérisseuse et continue mon avancée dans la pénombre, les nerfs à vif et concentré sur chaque bruit que j’entends. Toutes les pièces que je rencontre sont vides, des salles aménagées avec des couchettes, d’autres remplies de papier que je m’efforce de fouiller. Où ils sont allés, putain, où ils sont allés ? Leurs appareils sont encore chauds, ils viennent seulement d’être éteints, ils peuvent pas être loin… Mais putain, où ils sont allés ?! Ils vont pas l’avoir marqué quelque part comme des abrutis !
Maussade, je rejoins les deux plus jeunes et nous constatons l’évidence : les enfants, s’ils ont été là, ne le sont désormais plus.

- Je crois qu’on peut dire que la mission a échoué… laisse tomber Daniel.

Je pince les lèvres et regarde autour de moi. Il faut se rendre à l’évidence, il n’y a personne ici. Maintenant, reste à savoir si je donne l’ordre de rentrer ou non. Nous pouvons bien continuer les recherches… Mais où, bon sang ?

- On regarde encore autour de la base et on rentre. On peut rien faire de plus.

Détournant les yeux, je laisse retomber mon bras le long de mon corps et me dirige vers l’unique sortie. C’est vraiment une journée pourrie…

Mon agacement est à peine perceptible lorsque Tahia décide soudainement de sortir du mutisme rageur dans lequel elle s’est enfermée depuis notre entrée dans le complexe. Evidemment, nous ne pouvions pas prévoir que les deux enfants que nous étions censés ramener avaient déjà été emmenés ici, puis re-transférés ailleurs. Déjà lorsque nous sommes arrivés sur place, en ville, là où nous devions les retrouver, nous nous sommes retrouvés face à un mur. Rien, absolument rien ; ils ne sont nulle part, et pas un seul indice pour nous aiguiller. Bien sûr, nous avions noté l’emplacement de ce bâtiment suspect, ce pourquoi nous nous sommes empressés de venir nous perdre en pleine jungle néo-zélandaise, mais après tout, qui nous dit que nous les aurions trouvés ici ? Plus j’y pense, et plus je me dis que c’est une perte de temps. Mais en soi, même si son comportement m’énerve, même si j’ai envie de la secouer de toutes mes forces pour lui dire de se calmer un peu – parce qu’honnêtement, l’hystérie, ce n’est pas une qualité sur le terrain – je me tais et me contente de soupirer. Et acquiescer. Après tout, je pense la même chose. Je n’ai pas envie de les laisser tomber non plus, ces gamins. Mais de là où nous sommes, je ne sais pas si on peut encore faire quoi que ce soit pour eux.
Me passant la main sur le visage, je lâche en la regardant partir en sens inverse :

- Tahia, ça sert à rien de t’énerver. On a encore des trucs à voir ici, et on a pas encore fouillé les ordinateurs. Mais pour le moment, là, on a peut-être aucun moyen de retrouver leur trace. C’est une éventualité à laquelle il faudra peut-être se préparer.

Daniel me jette un regard las et finit par hausser les épaules. On a rien à perdre, autant rester fouiller un peu. Même si je ne pense pas qu’ils aient laissé aussi peu intelligemment leur prochaine adresse dans les tas de feuilles qu’on a croisé tout à l’heure, m’enfin…
Après une lecture inutile d’une vingtaine de papiers, je commence à désespérer, et cherche mes partenaires du regard. Bon, on va tenter autre chose, hein, ce sera plus pratique. Me dirigeant tout naturellement vers les installations électriques, je me pose en face du moniteur et, l’alimentant en électricité, je fouille dans le disque dur et la mémoire. Mes yeux furètent et je reconnais, au détour d’un fichier, un sigle qui me semble être connu. Où est-ce que je l’ai déjà vu ? Ce serait une de ces « entreprises » qui tentent de fabriquer des cobayes… ? Perplexe, je me connecte à internet pour faire quelques recherches et essayer de repérer tous les laboratoires affiliés à cette filiale dans les environs, recoupant par dizaines de kilomètres les plus probables. Je furète quelques instants de plus, interpelle Tahia et Daniel pour leur montrer les lieux de deux laboratoires suspects. L’un, plutôt grand, avec beaucoup de personnel, et le second, qui semble avoir tout juste ouvert. Heureusement qu'on est pas partis tout de suite, hein...

- C’est pas très loin. J’irais pas jusqu’à dire que je sais qu’ils sont là-bas, mais c’est une piste. Maintenant reste à voir lequel c’est… Même si je penche plus pour le petit et discret. Autant commencer par-là.

Mes yeux se plantent dans les yeux de Tahia. J’ai un sourire neutre.

- On les retrouvera, Tahia. Ok ? On se remet en route.

Je me lève et l’ordinateur s’éteint brusquement lorsque je coupe le courant. Longuement, je les jauge du regard, attendant qu’ils me suivent jusqu’à la voiture.

Un nouveau soupir de soulagement m’échappe lorsque Tahia nous annonce que les enfants n’ont rien. Je fais signe à Daniel pour qu’il surveille le couloir et m’approche des deux petits après qu’elle les ait examinés, tendant ma main au petit garçon – le plus jeune des deux – en lui parlant doucement, et lui offrant un sourire encourageant lorsqu’il s’y pend avec terreur. Je m’accroupis à sa hauteur en voyant poindre des larmes et caresse ses cheveux avec une tendresse paternelle.

- Je veux ma maman…
- Tom, ne pleure pas. Ça ira, d’accord ? On va t’emmener dans un endroit où tu seras en sécurité. On s’occupera de toi. Sois un courageux petit garçon.

Il hoche la tête en reniflant, essaie d’essuyer ses larmes avec la manche de son haut. Il avait l’air épuisé, et n’était âgé que de six ou sept ans, d’après le dossier. Ça m’a toujours fait de la peine de voir de si jeunes enfants touchés par le Vide – souvent la perte de leurs parents. Des orphelins, donc. C’est le genre de choses qui me tordent le ventre. D’autant plus que je passe beaucoup de temps avec Tomoe, à m’occuper des plus jeunes de Terrae. Elle m’a toujours dit que c’était parce que j’avais un trop grand instinct paternel. En soi, ce n’est pas faux. J’aimerais avoir ma propre famille. Une fille ou un fils à aimer, à éduquer, à protéger. Certainement cela a-t-il un rapport avec l’attention que j’ai toujours porté à l’éducation de mes sœurs. Mais bon, vu comme c’est parti, je crois que ce sera pas pour tout de suite, ahah. (Ou la petite voix intérieure qui te dit « Trouve toi une copine plus d’un soir une semaine avant d’y penser, Aaron. »…)

- Allez, viens, on va vous ramener tous les deux.

Doucement, je le soulève dans mes bras et il s’accroche à moi comme un koala. Bon, on ne peut pas dire qu’il est super léger, mais bon, au moins je sais où il est, hein. Je me tourne vers Tahia et lui fait signe de s’occuper de la fillette, avant d’intimer à mes partenaires de quitter les lieux. Daniel, nerveux, nous fait passer en vitesse devant les pièces où se tiennent les scientifiques, et nous pouvons ressortir rapidement à l’air libre. Plus loin, la voiture nous attend. J’ai un long soupir de soulagement interne alors que je me tourne vers mes coéquipiers. Mes nez se plisse en voyant Tahia traîner à l’arrière du groupe, toujours dans les couloirs.

- On se dépêche de partir, ok ? Tahia, passe devant avec la petite.

La priorité, c’est de ramener ces enfants sains et saufs. Et même si l’idée de dérouiller du scientifique me fait frémir de plaisir, je n’ai aucune envie que l’un d’entre nous se fasse blesser – et encore moins que l’un des enfants ne le soit. Il ne manquerait plus que ça pour bien finir la journée tiens…
Je n'arrive toujours pas à croire qu'on ait pu sortir sans se faire repérer. C'est juste... complètement inespéré.
Ou alors c'est un piège. Et dans ce cas, il vaudrait mieux quitter la région au plus vite.



HRP : Pardon pour le temps de réponse et la taille ridicule >< J'espère que ça te convient ! Mais je voulais plus te faire attendre plus :( Je ferai mieux la prochaine fois, promis ><

Une fois le petit garçon dans mes bras, nous commençons à nous diriger à pas de loup vers la sortie. Le cœur battant, je le serre contre moi alors qu’il enroule ses petits bras autour de mon cou pour se cramponner à moi. Vu son âge, il est un peu lourd mais peu importe ; je sais que dans une telle situation, j’aurais apprécié qu’on fasse la même chose pour moi, pour me rassurer un peu. Je le berce avec douceur pendant que nous avançons, caresse son dos en essayant de lui insuffler le calme. Sa tête se pose sur mon épaule et il reste parfaitement silencieux, enfin apaisé. La colère prend bientôt le pas sur l’attendrissement, croissant au fond de mes tripes et les écrasant sauvagement. À croire qu’un troupeau de rhinocéros a réussi à se frayer un chemin dans mes boyaux, c’est dingue. Sérieusement, déjà que je ne peux pas concevoir qu’on puisse faire tant de mal à des hommes, des adultes, je ne peux vraiment pas accepter qu’on fasse ça à des enfants. Et si ma raison n’était pas telle que je voulais quitter les lieux le plus rapidement possible, pour pouvoir emmener ces pauvres gosses en sûreté, je crois que je serai retourné sur mes pas pour faire un massacre. Mais après ma réaction face au scientifique, durant ma mission d’interrogatoire, et le massacre que j’ai commis dans le laboratoire où je me suis retrouvé enfermé… je n’ai pas envie de faire à nouveau face à ce regard scrutateur, impérieux, déçu et troublé à la fois de mes proches. Ceux qui sont venus me voir à l’hôpital, qui m’ont très clairement fait comprendre que j’étais complètement taré de retourner sur le terrain alors que j’étais pas totalement remis physiquement, et psychologiquement totalement affaibli. Il suffirait d’un rien pour que je redevienne ce monstre que j’ai entraperçu dans les couloirs de l’ancienne Terrae. Un monstre terrifiant qui distillait la mort sans préavis, qui imposait son jugement à ceux qu’il estimait ne pas mériter de vivre. Mais même en tant que Master, est-ce que j’ai le droit de décider de ça par moi-même ? La réponse est évidente, et pourtant, elle me sidère.
Nous pourrions régler tous les problèmes si nous le voulions. Je pourrais contrôler le monde entier sans que personne n’y trouve à redire. Avec ces pouvoirs, en fait, on pourrait clairement mettre à nos pieds tous ceux qui nous emmerdent. Ce serait tellement bien. On contrôlerait les guerres. Les éviter. Eviter tous ces morts. Soigner les malades. Et vivre en paix. Mais vu qu’on est bonne poire, on est reclus dans une espèce d’institut qui sélectionne les individus qui les rejoindront. Et on se cache, parce qu’on a peur d’être vus comme des monstres. Alors que c’est qui, les monstres, ici ? Qui c’est, au juste ? C’est nous, qui risquons nos vies pour sauver celle des autres, ou c’est eux, qui s’imaginent qu’en disséquant des ado et en massacrant la vie de gamins de même pas dix ans ils pourront « en apprendre plus sur nous » ? Parce qu’au fond, c’est quoi leur but ? Ils veulent nous détruire ? Ou ils veulent nous conquérir ? Notre pouvoir ? Pour en faire quoi ? Pour essayer de faire des armées, sûrement. Ils ne pensent qu’à ça de toute manière. Détruire !
L’homme est un loup pour l’homme. C’est ce qu’on m’a toujours dit. Et ça tombe bien, j’aime pas les loups non plus.
Je retiens un sourire cynique à cette pensée. Bordel, faut vraiment qu’on se tire d’ici rapidement, je vais finir par virer chèvre avec toute cette agitation dans ma tête. Je crois que prendre ces missions a vraiment été l’une des plus mauvaises idées de ma vie ; mais bon, il le fallait bien. Sinon on aurait pas eu assez de Masters, et Hideko le sait. Même si je sais aussi qu’elle aurait largement préféré que je reste à Terrae. À croire que j’aime me foutre dans des situations inextricables. Les gens appellent ça du masochisme je crois. Surtout qu’avec toute cette fatigue accumulée, tout… Je vais pas tenir le coup, vraiment. Il faut absolument que je me pose, après toute cette histoire. Que je me repose un peu, que… je sais pas. Que je me calme. J’aimerais bien être tranquille. Chez moi. Vraiment tranquille. Et cesser de voir tous ces flashs me revenir en mémoire.
Puis, enfin, l’air libre. Nous sortons à l’extérieur et j’esquisse un demi sourire. Presque rassuré. Tout va bien. On va pouvoir s’en sortir, on va pouvoir les ramener, et tout ira bien cette fois. Il n’y aura pas de bavure. Non, rien du tout.
Je me retourne cependant en sentant l’aura tourbillonnante de Tahia. Sans comprendre, je plante mes yeux dans les siens et essaie d’obtenir des réponses à ma question muette. Mais qu’est-ce que tu fous ?
Elle lâche la main d’Elisa et entre à nouveau dans le laboratoire. Pendant quelques secondes, je reste pétrifié, observant l’encadrement de la porte, vide. Et je panique. Qu’est-ce qu’elle fout ? Mais qu’est-ce qu’elle fout ?! Non ! Non putain ! Pas maintenant ! Pas maintenant que tout allait bien ! Ça se passera pas comme ça ! Si elle va là-bas toute seule, je sais très bien comment ça va se passer ! Moi aussi, je croyais que j’étais de taille, mais personne n’est de taille en réalité. La peur vous rattrapera toujours ; quand vous vous retrouvez face à leurs pistolets, peu importe les pouvoirs, la puissance. Vous pourrez toujours vous faire massacrer.
Précipitamment, je dépose Tom dans les bras de Daniel.

- Reste avec eux ! Reste avec eux et dépose-les dans la voiture, je vais la chercher !

Pourquoi t’as fait ça, mais pourquoi t’as fait ça Tahia ? Sérieusement ! Bordel !
Je me précipite à sa suite dans les couloirs, mais trop tard. Elle est déjà entrée dans la pièce, et a projeté deux scientifiques contre le mur. J’attrape son bras et la tire un peu en arrière.

- T’es complètement malade ?! Tu veux tous nous faire tuer ?!

J’envoie un éclair dans la direction des scientifiques, me plaçant devant Tahia pour éventuellement la protéger. Je dis éventuellement, parce que bon, si je me prends une balle, il est fort à parier que soit elle me traverse, soit… ben, étant mort, ils ne tarderont pas à lui mettre la main dessus. Alors bon. Au final… Vaudrait mieux que je survive aussi, hein. Histoire de pouvoir coller une claque à cette sale peste et la secouer un peu une fois qu’on s’en sera tiré.
Je lui jette un regard assassin, les yeux virant au doré en sentant des arcs électriques tournoyer autour de moi. L’air dans la pièce se mit à grésiller.

- Sors d’ici et rejoins Daniel ! Grouille-toi !

Un nouvel arc électrifié, et l’un des scientifiques lâche l’arme qu’il venait de récupérer pour nous viser.
Je lâche un juron en apercevant la petite Elisa se précipiter dans les jambes de Tahia, en pleurs, réclamant qu'elle la calme, après avoir probablement échappé à la vigilance de Daniel. Décidé, je continue à essayer de tenir les hommes à distance en espérant que l'adolescente se bouge le cul et la fasse sortir d'ici.
Bordel.
Je veux des vacances.