Je pousse un long soupir, à quelques secondes de m'arracher les cheveux. Je songe que si j'avais su j'aurais réfléchi à deux fois avant de proposer à Aaron de déménager. Non pas que je ne veuille pas vivre avec lui, loin de là. Après tout, à part pour ses goûts douteux en matière de décoration et sa mauvaise manie d'adopter tous les animaux errants du coin, je ne vois pas pourquoi ça se passerait mal. Ah oui, et nos caractères de merde aussi ! Ce qui n'est pas une nouveauté.
Non, vraiment, si j'avais su à quel point c'était chiant de faire des cartons, je crois que je me serais tiré une balle dans le pied avant de commencer.

En fait je me rends compte que jusqu'à présent je n'ai jamais déménagé. Enfin non. Ce n'est pas vrai. J'ai déjà vécu dans différents endroits, seulement je n'avais pas grand-chose avec moi autre que ce que je pouvais porter. Autrement dit, un sac à dos, mes Beretta et ma guitare.

Mais depuis que je suis à Terrae, que j'ai une vie stable, je me rends bien compte que j'ai commencé à emmagasiner pas mal de bazar. Il y a toutes les choses utiles come les meubles, la vaisselle, les vêtements mais au fond, quand je regarde de près, il n'y en a pas tant.

Et puis il y a tout le reste. Vous savez, ces choses qui ne sont pas indispensables mais dont on finit immanquablement par s'entourer. La sédentarisation entraîne l'accumulation semble-t-il.

Mon regard se porte sur le carton posé juste devant moi. Il est rempli de CD et vinyles divers. Des classiques rock comme Bowie, Nirvana et les Rolling Stones, de la musique classique et baroque avec le Stabat Mater de Pergolesi, Magnificat, du Vivaldi aussi. Et puis des disques de Gianmaria Testa. Parce que sa voix est sublime avec ce ton rauque et profond. Parce que les paroles de ses chansons me touchent au cœur et à l'âme. Parce qu'il me ramène à mon Italie natale qui me manque si cruellement. Je regrette vraiment qu'il ne soit plus de ce monde.
Les livres s'entassent également dans mon salon, certains en italien d'autres en anglais que je n'ai pas encore rangés dans des cartons.

Et tous les souvenirs aussi.

Une bouteille de vodka vide ramenée de notre mission en Russie. Une photo d'Emmy et moi qui me paraît dater d'il y a des années. Une autre plus récente de l'anniversaire d'Aaron. Un mot débile de Houston se plaignant que mon frigo est vide.
Et il y a ce zippo, vide maintenant, qu'Ad m'avait offert pour mes quinze ans. L'écharpe de Luka que je ne porte plus.

Tous ces souvenirs me serrent le cœur, me rendent nostalgique, me font mal. Je suis triste de mettre tout ça dans des cartons. Et en même temps soulagé. Comme si chaque objet rangé est un poids en moins sur mes épaules. Je me rend enfin compte à quel point j'ai été rongé par la culpabilité, hanté par mon passé. Finalement, ce déménagement prend une dimension tout autre. C'est une manière de prendre un nouveau départ, commencer une nouvelle vie avec l'homme que j'aime, se construire de beaux souvenirs et laisser enfin le passé là où il doit être : derrière moi.

Un mouvement furtif me tire de mes pensées et je sens Malo venir se frotter contre ma jambe. Je souris et vient lui gratter la tête entre les deux oreilles, déclenchant un ronronnement de satisfaction. Puis je me remet à mes cartons qui ne vont, malheureusement, pas se faire tout seuls.