Bon. En vrai, j'ai bien compris. Nan mais si. Il veut pas que je m'occupe de ses affaires. Mais en même temps, faut voir comment il est nul aussi. Vous l'avez vu, sérieux ? Moi j'l'ai vu deux fois en action, et c'est suffisant pour dire qu'il se débrouille mal ! EN PLUS JE SAIS QU'ELLE LUI PLAIT. Nan mais je le connais depuis des années – depuis qu'il est né en fait – croyez-moi bien que je sais quand il est intéressé par une fille (lolz). Ca crèèève les yeux ! Sauf qu'il fait rien. RIEN. Nan mais c'est ouf.

Enfin si, il fait des choses : il dit des trucs pas sympas, suffisamment pas sympas pour qu'elle le gifle, quand même. C'est incroyable. Soit il a vraiment un secret que personne comprend, comme dit Ys, soit il est juste nul.

Mais bon, tout va bien, parce que je suis là et je vais l'aider. Héhé. Nan mais si ! Attendez, il faut bien que je le pousse, sinon avant même qu'il s'en rende compte, il va se retrouver comme un con et Aria aura enfin dégoté un copain digne d'elle.

J'arrivai donc devant la porte de chambre d'Allen et toquai trois coups avant de beugler :

-Heyyy Allennnn tu m'ouvres ?!

De toute façon, je sais qu'il est là. Qu'il essaie pas de me mentir !

Bon, en vrai, ça me fait toujours aussi bizarre d'imaginer Allen avec Aria. C'est quand même chelou. Mais avec un peu d'imagination, ils peuvent perdre le «el» et devenir juste chou. Enfin, avec de l'imagination, je l'accorde. Mais d'un côté, ça me ferait plaisir de voir Allen heureux et de bonne humeur, POUR UNE FOIS. J'ai l'impression que depuis qu'il est sorti de cure, il sourit plus, ohlàlà c'est frustrant, faut qu'il pète un bon coup sérieux !

Bon, et sinon, il m'ouvre un jour ou bien...?

Les écouteurs dans les oreilles, l'album tournait en boucle dans ma tête tandis que j'étais en train de terminer un nouveau livre emprunté hier. Ouais, j'avais un peu arrêté d'acheter, parce que ça me ruinait, et que je les terminais généralement trop vite – de toute façon, comme j'avais pas envie de sortir, je passais ma vie à bosser, puis quand je rentrais je lisais, c'était pas bien compliqué.

Pendant le changement de chanson, j'eus le temps d'entendre tambouriner à ma porte, et je me redressai dans mon lit, retirant les écouteurs de mes oreilles. J'arquai un sourcil, et, sentant venir la couille quand cette énergie était dans les parages (nan mais ouais, parce que la sienne, j'la reconnaitrais entre mille quand même, vu tout ce qu'elle me fait subir au quotidien, même si ça va un peu mieux depuis un an), je m'avançai leeeentement vers la porte pour ouvrir. Je tombai nez à nez avec... SURPRISE. Je m'y attendais pas, tiens.

-Qu'est-ce que tu fais là ? Tu t'es perdu ou quoi ? L'étage des Masters, c'est pas là, hein, c'est celui du dessus !

J'affichai un petit sourire amusé, me moquant gentiment d'elle - nan mais parce que si je me moque sérieusement, je vais m'en prendre plein la gueule, je le sais.

-Allez, entre. Même si j'ai un peu peur de cette visite imprévue. T'as prévu de me traîner dans une histoire cheloue ?

ENFIN. Nan mais j'ai failli attendre. Sérieux, il fait aucun effort. C'est vraiment comme ça qu'il accueille sa meilleure amie ?! Je fronçai les sourcils à sa remarque. GENRE JE PEUX PAS VENIR LE VOIR COMME CA. Mais j'halluciiiine. Il a trop cru. Le mec, il croit vraiment que je viens le voir que par intérêt. C'est totalement faux. En plus, même là, c'est faux, j'ai bien une intention derrière la tête, mais ce n'est pas pour moi, c'est pour lui ! Je joue le rôle parfait de la meilleure amie là, un peu de respect s'il vous plaît.

-Je venais juste prendre des nouvelles ! J'ai pas le droit ?! M'offusquai-je.

Je le fixai un long moment, avant de me jeter sur son lit. Ohlàlà comment il est trop confortable son lit ! J'me souvenais pas avoir eu un lit pareil quand j'avais encore ma chambre ! C'est de l'arnaque, il est trop privilégié en fait ! Ca doit être parce qu'Hideko s'en veut de lui avoir supprimer ses pouvoirs. Elle se dit qu'elle a pas géré, et elle veut étouffer l'affaire, genre « Nan nan on n'a pas eu d'alcoolique dans nos rangs lolz Il est devenu alcoolique parce qu'il avait peur de Terrae et de nous ? Mé noooon ». Haha. C'te fourbe. Elle fait trop genre. Elle camoufle tout.

-Tu faisais quoi ? Au fait, ça se passe bien ton travail ?

Bon, j'lui dirais pas tout de suite que j'trouve que c'est du gâchis de son potentiel d'être juste un vendeur. Sinon il va se vexer -encore.

« Juste prendre des nouvelles ». C'est ça, ouais. L'autre elle m'a pris pour un jambon. Je rêve carrément. Le pire, c'est qu'elle croit que je vais la croire.

Toujours suspricieux, je partis pourtant m'asseoir sur ma chaise de bureau, la laissant se jeter en toute simplicité sur mon lit. Elle se croit vraiment chez elle, en fait. Bon, j'sais qu'on a quasiment vécu ensemble toute notre vie, puis après on a vécu réellement ensemble quand j'ai perdu ma maison, mais c'est pas une raison ! C'est bon, maintenant chuis grand, hein, chuis plus un bébé, j'ai le droit d'avoir une vie !

-Ouais ouais, ça s'passe bien. J'ai bientôt terminé ma période d'essai, et normalement le patron peut pas la renouveler, donc je serais tranquille pour un bon moment ! A moins que ça se solde par un échec, mais franchement, ça me casserait les couilles, parce que je me casse le cul à lui ranger tous ses vêtements par taille et par couleur, alors bon !

Je rangeai un peu mon bureau en parlant, m'occupant les mains.

-Et toi alors, tu es sur un projet en ce moment ? T'as terminé ton radar anti-non-terraen ?

Ah nan mais c'est sûr qu'il va le garder. Attendez, un élément comme Allen, ça se jette pas ! Il est trop précautionneux quand il le veut, et je dis pas ça pour le flatter ! De toute façon il m'entend pas. Mais c'est vrai, des fois j'le trouvais même trop appliqué au lycée ! Bon, ça dépendait pour quoi, bien sûr. Mais parfois, quand on faisait un jeu ensemble, il me stressait, fallait toujours qu'on fasse TOUT le jeu, genre pas juste la quête principale ! Le mec c'était un maniaque.

-Bon bah tant mieux ! J'suis sûre que tu vas être pris !

Et donc, t'as prévu de faire autre chose en parallèle ? Genre des études ? Haha. Hahaha. Pardon. NAN MAIS IL A TROP DE POTENTIEL ET IL LE GACHE EN ETANT VENDEUR OMG. Ca me frustre.

-Et nan, j'l'ai fini ! L'autre jour, j'ai créé une montre-éthylotest avec Nico, on a gérééé, c'est trop un projet génial !

Même si j'ai fini bourrée haha. Hahaha. Oh, hé, ça va, hein, pas ma faute. Pis t'façon, celui qu'en a le plus pâti, c'est Ys, pas moi. Et puis j'ai même pas vomi, vous voyez. J'suis une ouf moi.

-Bref, dis-moi, j'voulais te parler d'Aria en fait. Parce que comme c'est devenu ma super-copine, je voudrais être sûre que tu faisais pas de la merde.

Une montre éthylotest ? Nan mais elle a que ça à foutre sérieux ? Elle pourrait pas faire des choses vraiment utiles, genre, j'sais pas, améliorer les caméras de surveillance sur les grilles de l'Institut ? Créer une machine qu'elle pourrait créer en chaîne et exporter hors de Terrae pour rapporter plus d'argent à l'Institut ? En fait, j'me demande comment elle fait pour avoir de l'argent et continuer à vivre sa vie normalement. Parfois j'ai l'impression qu'elle fait jamais rien d'utile, c'est dingue. C'est trop un bon plan d'être Master en fait...

Je me braquai cependant lorsqu'elle reprit la parole. Elle est sérieuse là ? Nan mais je veux bien passer l'éponge pour la soirée de la St White et ce qu'elle et Aoi m'ont infligé, mais là, c'est pas UN PEU abusé de venir jusqu'à ma chambre pour ça ? Et elle en plus. Nan mais ouais, elle, ça pouvait pas être quelqu'un d'autre. Elle croit vraiment que j'ai envie de parler de ma vie amoureuse avec ELLE ?!

Je la fixai avec un regard assez froid. Nan mais nan, déjà j'ai pas envie d'en parler, parce que putain ça ne regarde que moi et j'en ai assez que tout le monde se sente obligé de vouloir savoir ce que je fais et pense et ressens, mais en plus j'ai certainement pas envie d'en parler avec elle. Tiens, je savais que j'aurais pas dû lui ouvrir. J'avais raison de me méfier, hein.

-J'vois pas de quoi tu veux parler. Si t'es venue pour ça, franchement, j'préfèrerais que tu partes, merci.

Ouais, je sais, ça ne se fait pas tellement, mais honnêtement, j'ai tout sauf envie de lui en parler, désolé, hein. Outre le fait que ça m'énerve, j'vois même pas ce que ça pourrait m'apporter. Donc non. Va faire chier quelqu'un d'autre.

Ouaaah. La réponse froide. Et le regard. Nan mais ça va, pas la peine de t'énerver comme ça contre moi. Il est vraiment sérieux là ?! Nan mais ça va, je le juge pas, j'veux juste l'aider, chuis quand même son amie, on peut bien se raconter des trucs. Puis je vois pas où est le souci, on se disait toujours tout, et là depuis quelques années, il me parle quand même vachement moins, hein. J'ai le droit de vouloir retrouver mon Allen, nan ?

Un peu vexée et attaquée dans mon amour propre, je baissai le regard et fixai mes mains avant de relever timidement le regard vers lui.

-Désolée... J'voulais pas t'énerver, hein. J'me disais juste que ça pourrait être cool de discuter un peu, tous les deux, comme avant. Ca me manque un peu, parfois, nos p'tites soirées juste tous les deux, à discuter de tout et de rien.

Je me mordis la lèvre inférieure, me sentant coupable alors que je ne comprenais pas réellement pourquoi il s'était énervé comme ça. Il l'avait vraiment mal pris, à la St White ? Parce qu'en me remémorant son regard quand il était sorti du placard, il était vraiment pas content. Mais de là à s'emporter comme ça... On est meilleurs amis, nan ? Enfin chais pas, moi j'le considère comme mon frère, c'est pas anodin quand même...

Je soupirai à ses paroles. Je me passai une main sur le visage, inspirant longuement. Ouais, bah on peut parler de plein de choses, ouais, s'tu veux, mais juste pas de ça. J'comprends pas en quoi c'est dur à comprendre. J'pourrais savoir à quel moment j'me suis mêlé de sa relation avec Ys ? Ou de celle d'Aoi avec Huo ? Nan mais c'est pas un peu du foutage de gueule, sérieux ? Nan mais parce que ça n'a pas été tout rose non plus, hein. J'dis rien, ou presque, mais clairement, Ys a juste un peu fait la gueule à Mitsuki, et l'a abandonnée comme une merde pendant plus d'un mois avant qu'ils acceptent de se reparler. Et en ce qui concerne Aoi et Huo, c'est lééégèrement compliqué aussi, nan ? C'est pas comme si encore récemment, elle lui avait même pas dit qu'elle était rentrée, qu'elle lui avait caché, et qu'elle avait UN PEU douté sur le fait qu'elle veuille encore l'épouser. Mais bon, visiblement, nan, c'est plus intéressant de se mêler de ma vie à MOI. C'est bien, c'est hyper valorisant, c'est un peu comme si moi j'étais juste une pure merde qu'on devait prendre par la main pour la guider dans les différentes étapes de sa vie. Alors qu'elles, elles peuvent se démerder toute seule. Mais moi, nan, hein, impossible. J'en suis visiblement incapable à leurs yeux, puisqu'elles se sentent obligées de s'occuper de moi.

Alors nan, désolé, j'ai juste pas envie de parler de ça. J'ai pas envie d'être materné, et quand bien même je suis parfois un connard avec Matheo, ça doit être la seule personne qui l'a compris. Et Ys, aussi, après réflexion. Il me fait plus chier avec ça.

-J'ai pas dit que je voulais pas discuter. J'ai juste pas envie de discuter de ça. Y'a un milliard d'autres sujets, j'vois pas pourquoi tu te focalises sur celui-là.

De toute façon, je vois même pas comment elle a pu être au courant. Et je pense pas que ce soit Aria qui lui ait dit, à moins que je me trompe. Alors quoi ? D'où elle est au courant ? Et surtout, à quel moment elle a pensé que c'était une nécessité pour elle de s'impliquer comme ça ?

Je commençais déjà à regretter d'être venue. Ca partait d'une bonne intention... Certes, j'étais maladroite, mais je voulais vraiment l'aider. C'était important pour moi qu'il soit heureux. J'avais été en partie responsable de son alcoolisme, et je m'en voulais encore. On n'en avait jamais parlé, mais je savais que c'était le cas. Alors si je pouvais l'aider à trouver quelqu'un avec qui il pourrait passer des bons moments, c'était un peu pour me faire pardonner. Mais visiblement, ça ne lui plaisait pas.

Je gardais les yeux baissés, ramenant mes jambes en tailleur. Je restai un moment silencieuse, avant de reprendre finalement la parole.

-Tu sais, je veux pas être intrusive, hein... Je veux vraiment que tu sois heureux. Mais depuis que tu es rentré de cure, je te sens distant. J'ai envie de te retrouver, tel que tu étais avant, tel qu'on était tous les deux, puis tous les trois avec Aoi ! Mais j'y arrive pas, et je comprends pas pourquoi. On dirait que tu t'es fermé...

Je m'humectai les lèvres, relevai timidement le regard vers lui.

-Je sais qu'on a grandi, que t'a grandi... Ce sera probablement jamais exactement comme avant. Mais pourquoi ? Pourquoi on peut pas retrouver ce qu'on avait avant, justement ? Je trouve ça trop dommage. Et ça me manque. J'veux dire : ça me manque vraiment. Alors j'suis venue pour discuter, ouais, peut-être pas de sujets passionnants, mais quand on était au lycée, tu me parlais de tes petites amies, et... Enfin voilà. J'voulais que ce soit comme avant.

Je baissai de nouveau le regard. Depuis ce passage à vide, même après le temps qu'il avait passé en cure, même s'il était revenu en bonne santé, même s'il souriait encore... Je sentais que c'était différent. Quelque chose avait changé entre nous, et ça me chagrinait. Je voulais retrouver mon Allen... Celui à qui je disais tout. Celui avec qui je partageais tout... Enfin, pas que moi, non ? On partageait tout, non ? ...

Ses paroles achevèrent de me mettre hors de moi. Ouais. Bah tu veux pas être intrusive, mais clairement, si tu étais venue juste pour parler de ça, tu aurais pu t'abstenir. Ou tu aurais pu partir quand je t'en ai donné la chance. Parce que quoi, on se disait tout ? J'crois pas, nan. Est-ce t'as un jour remarqué que je t'aimais ? Que j'étais prêt à tout pour toi ? Ou t'étais trop occupée à courir dans les rues, et à te faire refaire le portrait par ces yankees ? C'est quel épisode que t'as manqué dans notre adolescence ? Ouais, j'te "parlais" de mes "petites amies" parce que tu parlais et que je hochai la tête. "Elle est gentille, elle est mignonne, ohlàlà elle a l'air de beaucoup t'aimer !" "Hn hn". Voilà. On parlait pas nan. En tout cas ça ne ressemble pas à un dialogue pour moi, ça.

Je détournai le regard alors qu'elle tentait, pour une raison que j'ignorais, de créer un contact visuel. Nan mais elle a craqué ou comment ça se passe ? J'me suis fermé ? Ouais. Bah oui, je me suis fermé. Parce que je veux plus souffrir. Et que c'est ce qu'on m'a appris à faire en cure. Tu sais, là où tu m'as envoyé avec Aoi. Donc, bah, ouais. J'me suis renfermé sur moi-même, et clairement, j'vois bien que t'as pas l'habitude. Parce que toi, tu extériorises toujours tout. TOUT. Même si tu fais du mal aux gens. Même si après t'as plus aucun moyen de réparer les erreurs. Tu extériorises tout. Sauf que bah non, on peut pas toujours être réceptif à tes idées folles. Désolé, c'est pas comme ça que ça se passe. Donc plutôt que de te dire "ta gueule" et d'avoir droit à ta tête triste, j'préfère juste me renfermer. Prendre sur moi. Ignorer. Pour laisser passer plus facilement. Pour te pardonner plus facilement. Parce que j'ai pas envie de me disputer. Parce que ça ferait remonter des mauvais souvenirs. Et que j'ai pas envie d'avoir des mauvais souvenirs qui remontent. Surtout des mauvais souvenirs où t'es présente. Parce que figure-toi qu'y en a plus que tu ne le penses... Alors non. J'ai pas envie. J'suis pas encore tellement prêt à affronter ça. J'suis pas prêt à t'affronter.

-Va-t-en s'il te plaît.

Mon coeur se souleva alors que ses paroles froides arrivaient à mes oreilles. Mon regard se troubla alors que je relevai lentement les yeux vers lui. Il voulait que je parte... Vraiment ? Il me jetait vraiment comme ça ? Il refusait de me parler ? Il refusait de s'ouvrir ? J'avais tout donné pourtant. Je ne savais plus ce que je devais faire. Je ne le comprenais plus. Il était où, mon Allen ? Celui avec qui je partageais tout ? Celui avec qui je passais des soirées à rire ? Celui qui était toujours là avec moi, quand ça n'allait pas, qui était toujours là pour moi pour me remonter le moral, qui m'offrait toujours ce si joli sourire pour me faire taire quand je disais une bêtise...? Pourquoi il ne souriait plus ? Pourquoi il n'avait pas souri ? Est-ce qu'il était vraiment fâché ? Je sentis les larmes me monter aux yeux, et je détournai finalement le regard. Je commençai à me lever du lit, mais m'arrêtai avant d'avoir posé mes deux pieds au sol.

-Allen...

Je fermai durement les yeux un instant, les rouvris, serrai mes poings.

-Parle-moi, j't'en prie... Dis-moi quelque chose. J'veux pas croire qu'on a perdu ça. J'veux pas croire qu'il n'y a plus de "nous"...

C'est dans ces cas-là que tu devrais apprendre à te taire Mitsu. Ce n'est pas contre toi. Bien au contraire. Là, le moment était mal choisi. T'étais juste trop bête pour t'en rendre compte... Pourtant, si tu l'avais fait, ça aurait probablement tout changé. Si tu t'étais levé, que tu étais partie en t'excusant, sans insister. Ca aurait sans doute tout changé, ouais...

Autrefois ses mots m'auraient touché. J'aurais pu regretter mes paroles. J'aurais pu revenir sur ce que j'avais dit, j'aurais pu m'excuser. J'aurais pu lui dire d'oublier et j'aurais pu tout lui raconter. Sauf que c'était autrefois. Et cet autrefois, il était loin. Parce que t'avais beau le refuser... T'avais beau le refuser Mitsu, de l'eau avait coulé sous les ponts. Je sais pas si tout était vraiment différent entre nous. Mais je savais qu'il y avait une différence. C'était certain.

Je sentis que mon poing était serré au moment où il vint rencontrer la surface lisse de mon bureau. Je tournai sur ma chaise pour me mettre à moitié de profil face à elle. Elle avait pas le droit de me dire ça. Pas là. Pas maintenant. Je pestai et détournai le regard.

-Qu'est-ce que t'attends de moi, là, concrètement, Mitsu ?

J'inspirai lourdement, avant de me lever de ma chaise pour aller regarder à travers la fenêtre de ma chambre. Nan mais nan. Juste nan. T'as pas le droit de me dire ça.

-Tu veux que j'te dise quoi ? Hein ? T'attends quoi de moi ? Que j'te raconte comment ça se passe avec Aria ? Bah tu veux savoir ? Y'a rien qui se passe ! Comme ça tu vas être déçue, t'auras rien à te mettre sous la dent ! C'est dommage hein... Et tu veux quoi d'autre ? T'as prévu de t'impliquer encore dans ma vie ? De m'imposer d'autres trucs sacrément chouettes ? Est-ce que t'as envie de me foutre dans un plan qui craint bien dans les années à venir ? Nan mais c'est vrai que maintenant que j'y pense, j'aimerais bien être mis au courant quand même, si c'est possible...

Je dus me contenir pour ne pas frapper encore autre chose avec mon poing. A la place, je me mordis la lèvre inférieure, observant les gens rire et vivre dans la cour. Putain mais pourquoi vous riez... Pourquoi vous riez sans déconner ?! Pourquoi vous êtes heureux ? Ca me dégoûte.

-Crois-moi. T'en a déjà suffisamment fait. Alors si tu le veux bien, j'aimerais bien qu'une fois dans ta vie, au moins une, tu m'écoutes quand j'te demande quelque chose : fous-moi la paix.

Je fixai le dos d'Allen, sans comprendre. Ses mots me blessaient plus que je ne l'aurais cru. Alors il ne m'avait pas pardonné ? J'avais merdé. J'en étais consciente. Je l'avais bien compris quand j'avais réalisé l'état dans lequel il était après notre escale à Cuba. Je l'avais bien vu. Alors j'ai essayé. Avec Aoi, on a demandé à Hideko de le faire transférer dans un centre de cure. Je suis allée le voir autant de fois que je le pouvais, même si je n'avais pas le droit de lui parler. J'ai tout essayé. Et j'ai été mal, moi aussi. Je m'en suis voulu. Il ne peut pas le comprendre, ça ? Pourquoi il me rejette comme ça ? Il ne peut pas essayer de se mettre à ma place ? Parce que si ça a été difficile pour lui, ça l'a été pour nous aussi. C'est dur de voir son meilleur ami aller si mal. C'est encore plus dur de réaliser que c'est de notre faute. De ma faute. J'ai pas été là pour lui. Pas suffisamment. Alors que lui l'a toujours été. Contre sa volonté, visiblement...

Je détournai le regard, reportai mon attention sur les affaires qui traînaient dans sa chambre. Je ne voulais pas être intrusive. Je n'ai jamais voulu lui faire du mal. J'ai simplement voulu l'aider. C'était trop, encore une fois ? Pourquoi on ne peut pas retrouver ce qu'on avait avant ? Qu'il ne me dise pas que j'invente. On a grandi ensemble ! On était tout le temps fourrés ensemble ! On passait nos anniversaires, Noël, le jour de l'An... Chaque fête ensemble. Tout le temps. On a même vécu ensemble avant d'arriver ici ! Alors pourquoi ? Pourquoi est-ce que maintenant il me rejette ? Je fais un pas vers lui, et je me retrouve face à un mur. J'veux être là pour lui. Comme il l'a toujours été pour moi. Est-ce que c'est un mal ? J'ai raté ma chance la dernière fois. Il s'est retrouvé en cure. N'ai-je pas le droit à une seconde chance ? M'assurer qu'il va bien ? Est-ce que je suis trop curieuse, encore ?

-Si il se passe rien, je vois pas pourquoi tu te braques et me rejettes comme ça...

Les mots franchirent la barrière de mes lèvres un peu trop vite. Je n'avais pas eu le temps d'y réfléchir suffisamment.

-Ecoute. J'sais que j'ai merdé. Je m'en veux encore. J'voudrais juste... Retrouver ce qu'on avait avant. Je sais que je me répète. Mais je sais plus quoi faire pour me rattraper. J'avais l'habitude de tout partager avec toi. Et maintenant...

Ma voix se bloqua dans ma gorge. Je me levai du lit. Fis face à Allen qui me tournait toujours le dos.

-Je t'aime. Et je tiens à toi. Alors je veux être sûre que tu seras heureux.

-Tout...

Je sentis ma gorge se serrer. Je fermai durement les yeux, inspirant lentement, fortement, douloureusement. Tout. Elle avait le droit de dire tout ce qu'elle voulait. Mais juste pas ça. Juste... pas ça.

-Tout mais pas ces mots, s'il te plaît.

La situation m'énervait. Parce qu'elle était partie de rien. Parce qu'elle était juste venue me voir pour "prendre des nouvelles", comme elle le faisait tout le temps ; de toute façon, elle avait toujours aimé se préoccuper de mes potentielles chéries et "coup de coeur". Sauf que cette fois-là avait été la fois de trop, apparemment. Peut-être qu'il y avait d'autres choses en jeu. La soirée en boîte qui était encore assez récente dans mon esprit, malgré la fête de la St White. Ce foutu jeu du placard où je m'étais senti pousser vers Elle, ou je n'avais pas eu le droit d'attendre d'être prêt, d'attendre de me pardonner pour pouvoir enfin lui demander de me pardonner à son tour. Peut-être le fait que pour une fois, je ne souffrais plus de voir celle que j'aimais me demander comment ça se passait avec ma "nouvelle copine", parce que justement je n'étais plus amou-...

-J'ai attendu des années pour entendre ces mots.

Mes yeux se rouvrirent. Je posai mes mains à plat sur le rebord de la fenêtre. Je pris une longue inspiration. Je ne me sentais pas bien.

J'avais attendu des années qu'elle me considère comme quelqu'un qu'elle pourrait aimer. Mais je m'étais bien fait une raison. Ca ne pouvait pas se faire. Et même encore maintenant. Même encore maintenant, elle me disait ça, et je savais que ce ne serait jamais comme j'aurais aimé qu'elle le dise. Parce qu'on n'était pas sur la même longueur d'onde. On se voyait différemment. Trop différemment. Je l'aimais comme un fou. Elle m'aimait comme un frère. Qu'est-ce que je pouvais y faire, hein ? Après tout, c'était comme ça. C'était la vie. Qui étais-je pour la forcer à éprouver des choses qu'elle ne pourrait jamais éprouver ? Je m'étais fait une raison. J'avais tourné la page. Difficilement. Mais j'avais réussi à le faire. Au prix de mon intégrité. Au prix de ma dignité. Au prix de ma vie. Parce que de toute façon, j'avais toujours été prêt à donner ma vie pour elle. Et maintenant elle avait Ys. Et c'était un gars vraiment chouette ! J'veux dire... Il était là pour elle. Il l'aimait. Et elle l'aimait en retour. Alors j'ai tourné la page. Et elle a explosé avec ce missile. Et tout mon monde a basculé. Parce que c'était mieux comme ça. Et c'était plus facile d'encaisser. Entre elle. Mes parents. Ses pouvoirs. Elle est immortelle. Nan, mais vraiment. Dîtes-moi. Qu'est-ce que ma piètre personne pourrait apporter à une immortelle ?

Mon coeur se serra et je ravalai difficilement ma salive. Non. Je ne voulais pas entendre ces mots. Pas maintenant. Plus maintenant. Je ne voulais plus qu'elle s'immisce dans ma vie. Parce que j'avais réussi à me reconstruire. Au moins en partie. Peut-être que je râlai plus. Peut-être que je donnais l'impression de tout le temps faire la gueule. Peut-être que j'étais chiant. Mais dans le fond, j'étais heureux. Parce que quand je merdais pas, je La voyais sourire. Et l'image de Mitsuki ne venait plus s'immiscer dans mon esprit. J'avais enfin réussi à tourner la page. Et je ne voulais pas qu'il y ait de place pour elle dans cette nouvelle page. Pas comme ça. Pas avec Elle. Je ne voulais pas partager. Et peut-être que c'était égoïste - non, c'était égoïste, pas "peut-être". Mais c'était comme ça. Avant, on "parlait", oui, parce que la voir se réjouir pour moi m'apportait peut-être quelque chose, même si je souffrais en contre-partie. Je voyais qu'elle s'intéressait à moi, qu'elle se souciait de moi, qu'elle voulait que je sois heureux. Et savoir que la personne qu'on aime veut qu'on soit heureux, même si ce n'est pas avec elle, c'est rassurant. Un peu. Douloureux, mais rassurant. Je savais au moins que je comptais pour elle. Mais maintenant c'était différent. Parce que d'une certaine façon... Maintenant, je m'en fichais qu'elle soit heureuse pour moi.

-Je n'ai plus besoin de toi pour être heureux.

Ses mots me prirent de court. Je ne sus pas quoi répondre. Parce que je m'attendais à tout, sauf à ça. Il était énervé jusqu'à maintenant, alors pourquoi n'avait-il pas continué dans cette direction ?

Je me retrouvai face à une vérité que je ne savais pas encaisser. Parce que je n'aurais jamais pu le voir venir. Parce que j'avais été aveugle de longues années ?

Au début, je n'avais pas compris. J'avais mis un certain temps à comprendre quels étaient "ces mots" dont il parlait. Puis j'ai compris. Parce que je ne suis pas stupide non plus. Et que je comprends les choses, quand même, même si je mets souvent plus de temps que la majeure partie des gens. Donc, oui, j'ai fini par comprendre.

Allen m'aimait. Pendant longtemps, il m'a aimé. Et je n'ai jamais rien vu. Parce que j'étais dans mon monde. Parce que mes peurs et mes désirs passaient avant. Parce que je ne l'avais jamais vraiment vu, lui, faut croire. Je n'avais jamais vu cette étincelle dans son regard. Ce sourire sur le coin de ses lèvres quand on jouait ensemble à la console. Ces paroles qui n'avaient pas uniquement pour but de me réconforter. Tout était passé à la trappe. Parce que je me disais que c'était Allen. Que c'était mon meilleur ami. Parce qu'il avait toujours été comme ça avec moi. Toujours. Jusqu'à cette année. Jusqu'à son alcoolisme où il avait refusé de me voir. Jusqu'à la cure ; jusqu'à son retour de cure. Jusqu'à sa rencontre avec Aria...?

Il n'avait pas changé. Il était redevenu lui. Mais avec quelque chose en moins. Avec des sentiments en moins. Des sentiments en moins à mon égard. Des sentiments qu'il avait toujours éprouvés, que je n'avais pas perçu, jusqu'à ce qu'il les perde. Parce qu'on se rend compte de ce qu'on a que lorsqu'on le perd. J'avais son coeur. Et je l'ai perdu. Et quand on perd le coeur de quelqu'un, on perd un peu cette personne, non ?

Mon estomac se noua et je baissai les yeux sur mes pieds. Je me mordis la lèvre inférieure, comme si ça allait m'aider à sortir de ce cauchemar si bizarre. Comment ? Comment avais-je pu être aveugle à ce point ? Je m'en voulais. Parce que je réalisais à quel point ça avait pu être compliqué pour lui. Je le réalisais, sans le comprendre. Et c'était encore pire. Parce que je n'avais jamais vécu ça. Comment pouvais-je le comprendre ? Et d'abord, qui peut aimer quelqu'un pendant des années sans jamais rien entreprendre ? Sans jamais rien dire ? C'était complètement fou. Mon monde s'effondrait, un peu. Mes souvenirs défilaient, mais avec cette nouvelle information, tout me semblait différent. Tout pouvait être vu différemment. Et c'était beaucoup à encaisser.

Je ne repris pas la parole tout de suite, parce que je ne savais pas quoi dire. Et puis, finalement, je le regrettai. Parce que peut-être que si je l'avais fait, peut-être que si j'avais parlé, dit au moins un mot, il n'aurait pas dit ça. Pas comme ça. Pas avec si peu d'émotion dans la voix. Pas comme si je me trouvais face à un étranger.

Ma gorge se noua et je le fixai, interdite. Comment pouvait-il me dire ça ? Comment pouvait-il oser me dire ça ? Je sentis les larmes me monter aux yeux et je retins un sanglot. Parce que je n'avais plus pleuré depuis mon arrivée à Terrae. Parce que je n'avais jamais pleuré ailleurs que dans ses bras, quand j'étais encore trop jeune pour ignorer les remarques de mes "copines" stupides. Parce que je n'avais plus le droit de pleurer devant lui. Parce que la moindre larme que je pourrais verser allait simplement, bêtement, aller s'écraser sur le sol. Parce qu'il ne serait plus là pour moi. Parce que ses épaules et son coeur n'avaient plus de place pour mes chagrins.

Alors j'ai ravalé mes larmes. Je me suis passé nerveusement mon bras sur les yeux. Je l'ai fixé de longues secondes. Mon regard s'est durci. Il n'avait pas le droit de me faire ça. Je ne l'aimais pas de la même façon. Mais je l'aimais. Au moins autant qu'Ys. Différemment, certes. Mais autant. Et il n'avait pas le droit de me faire souffrir comme ça, juste parce que lui ne m'aimait plus.

-T'as juste pas le droit de me faire ça, crachai-je.

J'ai tout donné pour toi. J'ai fait tout ce que je pouvais. Parce que pendant des années, je m'en suis voulu d'avoir été faible. Alors j'ai voulu me racheter. Et puis après, on a perdu nos parents. Alors j'ai essayé d'assurer. C'était dur, mais on a tenu le coup. Après on est arrivés ici. J'ai essayé de te partager mon envie de vivre. Parce que je te trouvais éteint. Et on s'est intégrés. J'veux dire, on l'a vraiment fait ! Tu souriais, tu te faisais des amis. J'étais heureuse. Mon frère souriait. Il revivait. Il laissait ses mauvais souvenirs derrière lui.

-J'savais pas. Et j'en suis désolée. Mais t'as pas le droit de me rayer de ta vie comme ça. C'est pas comme ça que ça marche. Tu peux pas juste...

Les mots se bloquèrent dans ma gorge. Je détachai mon regard de son dos, allai détailler les motifs sur la housse de sa couette.

-Tu peux pas m'en vouloir parce que je n'ai rien vu. Tu peux pas m'en vouloir parce que c'est toi qui m'a rien dit. J'suis pas responsable. C'est toi qui a fait ça.

Tu peux m'en vouloir parce que j'ai explosé avec un missile. Tu peux m'en vouloir parce que j'suis responsable de ton alcoolisme. Tu peux m'en vouloir pour plein de choses. Mais juste pas pour ça.

-Je fais des conneries. Souvent. Et j'en suis consciente. Mais tu peux juste pas m'en vouloir pour quelque chose que, toi, tu n'as pas dit.