Je sais que mes méthodes sont clairement pas conventionnelles. Je crois qu'un prof plus expérimentés et patient aurait surement trouvé une autre façon de la faire arriver à un résultat avec de l'analyse, des trucs du genre. Sauf que je suis un bourrin. C'est assumé hein, mais je suis pas le genre à croire aux compliments, aux encouragements. Ca peut marcher parfois avec certaines personnes mais avec Hamilton j'en doute.

Et moi, j'en ai un peu rien à faire de la bousculer. Je me contrôle assez pour savoir que je ne vais pas la blesser et qu'elle ne me fera pas de mal. Parfois la peur et l'urgence sont les choses dont on a besoin pour dépasser un blocage. Je sais que ce n'est pas une méthode à appliquer systématiquement et j'essaie de ne pas le faire mais si rien d'autre ne marche… Donc "Vous ne-", en fait si. Et je vais pas me gêner pour que tu m'en crois capable.

Preuve que ça marche, elle réussit enfin à créer une boule de feu correcte et je laisse exploser la mienne à sa rencontre. Je souris en coin, assez fier de moi, et fourre mes mains dans mes poches alors qu'elle continue de fixer l'espace entre nous.

— Un bouclier ? Ca dépend contre quoi. A ton niveau tu n'en serais pas capable, il faudrait au moins être Etoile pour ça.

D'un geste nonchalant je fais apparaître une barrière de flamme autour de moi pour illustrer ce que je dis.

— Pour créer un bouclier efficace, il faut que tu puisse contrôler tes flammes bien mieux que ça, leur donner plus de… Consistance ? Ce n'est pas possible au niveau Initié. Quand tu seras Etoile avec le contrôle de la chaleur, oui.

J'hésite un instant à lui poser la question qui m'intrigue depuis sa réaction tout à l'heure. Elle n'a pas aimé la façon dont j'ai fait partir les autre avec mon marrionnetisme.

— Hamilton, c'est surement indiscret mais j'aimerais bien savoir pourquoi le marionnettisme te dégoûte autant. Que tu n'aimes pas le principe, je peux le comprendre. Mais j'ai l'impression que ça va au delà de ça, pour toi.

Huo a le coin de ses lèvres qui se soulève à peine, juste assez pour que je comprenne qu’il est fier de lui. Je ne dis rien. J’hésite. Je comprends sa méthode. Je ne l’approuve pas. Je ne sais alors pas si je l’accepte. Donc, je ne dis rien.

Pour le bouclier, il me répond que je n’en suis pour le moment pas capable, mais qu’Etoile, je le pourrai peut-être. Il en profite d’ailleurs pour placer une petite démonstration en créant autour de lui une barrière de flammes. Mes yeux glissent dessus. Je suis intérieurement fascinée. Huo crée vite et bien. Il est Master, c’est donc normal mais… Cela reste fascinant.

Malheureusement, mon instant de contemplation est coupé par la question de l’homme. Mon regard retrouve le sien et je l’observe platement.

- En effet. La question est indiscrète. Cela ne vous regarde pas.

Il n’y a dans mon ton aucune froideur. Huo souhaite comprendre, pas être intrusif. Je n’emploie alors qu’une voix neutre, relativement inexpressive. Je gagne aussi un peu de temps car je ne sais au fond pas si je suis prête à répondre à sa question.

C’est vrai, cela. Pourquoi suis-je si dégoûtée ? Est-ce d’avoir été manipulée ou d’avoir manipulé ? Est-ce d’avoir été celle qui profite des faiblesses des autres ou bien d’avoir été celle dont on profite ? Qu’est-ce qui, au fond, me fait le plus mal lorsque je pense à mon pouvoir ? En y repensant, c’est plutôt drôle cette ironie du sort, n’est-ce pas ? Oh. Je sais bien que je ne suis pas la seule à me demander si le sort ne s’acharne pas. Alice n’aime pas sa Télépathie. Nicolas supporte à peine d’être Sensitif. Ce que je sais aussi, c’est que dans mon cas, être Marionnettiste est comme me reprendre mon passé dans la tête chaque fois que je l’utilise. Me souvenir que je peux être dangereuse. Me souvenir que je suis en mesure de manipuler, même si je ne le fais plus, encore plus aujourd’hui qu’auparavant.

Je hausse des épaules.

- Disons qu’il est comme un mauvais souvenir que l’on voudrait oublier mais qui reviendrait sans cesse.

Je marque un instant de silence, mal à l’aise sans le montrer, avant de reprendre :

- Je commence à fatiguer. Pourrions-nous finir la séance maintenant ?

Ce n’est pas un mensonge. Entre la fatigue physique et psychologique, me reposer ne serait pas trop mal… En revanche, je n’ai pas envie de lui demander quand nous pourrions refaire une séance. Il faudrait, ce serait utile mais… Je n’ai juste pas envie de demander quelque chose de plus.

Elle repousse ma question d'un ton neutre et je hausse une épaule. Bah, si elle ne veut pas me répondre, très bien. Ca la regarde après tout. Mais il faudra bien régler ce problème un jour. Elle ne peut pas se cantonner à son affinité ad vitam aeternam si elle veut progresser. Bon, je sais que c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité mais voilà, si on avait un pouvoir utile autrement que sur les gens en combat peut-être qu'on l'utiliserait plus. Perso j'aurais adoré être invisible. C'est le pouvoir parfait pour un journaliste quoi.

Je suis un peu surpris qu'elle me donne quand même un élément de réponse au final. Je me doutais que ça devait avoir un rapport avec des mauvaises expériences mais au point de le rejeter comme ça ? Enfin, je ne sais pas. Ok, c'est de la manipulation mais aux dernières nouvelles ça n'a rien à voir avec de la manipulation psychologique. Enfin bon. Certes le côté contrôle d'une autre personne sans son consentement peut être flippant. Mais c'est différent. Si c'est vraiment ça qui la gêne, le pouvoir de télépathe doit la faire bien plus flipper et pourtant sa copine est télépathe. Je trouve pas ça logique.

— Tu n'étais pas obligée de me répondre. On peut s'arrêter là. Je te donne pas de devoir, hein. La prochaine fois que tu as envie de t'entraîner ou de savoir un truc, dis le moi. Après tu dois pouvoir le faire aussi toute seule.

Je m'étire un peu avec un sourire. C'était quand même intéressant comme expérience. Je me pensais pas un bon prof mais au final ça s'est pas trop mal passé.

— Et pour ce pouvoir de Marionnettiste… Essaye d'y réfléchir ? T'es ici pour guérir, Hamilton.

Même si on ne peut pas tout changer, certaines choses sont aussi dépendantes de notres volonté. C'est en s'acceptant qu'on se contrôle mieux, je crois.

Huo prend les devants et me dit que nous pouvons nous arrêter là et que je peux revenir le voir quand je veux, bien que je doive aussi apprendre seule. Il a raison. Je ne peux pas dépendre des autres. Je refuse d’en dépendre. J’acquiesce avec simplicité, m’apprête à m’en aller.

Pourtant le Master ajoute encore quelques mots. Un mince sourire aux lèvres, il me demande d’essayer de réfléchir à mon Marionnettisme.

- T'es ici pour guérir, Hamilton.

Guérir. Aha. Guérir de ? La peur des contacts ? Celle des gens ? Celle de moi-même ? Guérir. Juste guérir. Savoir parler, converser, discuter, être sincère, être soi-même. Savoir s’apprendre et apprendre. Savoir ses limites, les dépasser ou pouvoir se retenir. Aimer ses limites. Oui, oui. Parce que mon grand souci est le suivant : je sais jusqu’où je peux aller, et je déteste cette part là. Comme tout le monde, ou presque. Des gens y parviennent. Des gens, rien que de savoir qui ils peuvent être, s’en apprécient plus. Justement, savoir, c’est contrôler. Peut-être que finalement, je refuse le contrôle, je le fuis. En tout cas lorsqu’il s’agit de moi-même.

- Au revoir.

Mon regard lâche enfin le sien. Dans mes yeux, dans mes pupilles si vides et vitreuses, Huo a dû comprendre. Nous ne restons pas sans raison quelques secondes sans dire mot à fixer les iris de quelqu’un d’autre. Aucune expression. Aucune parole. Tant de choses dîtes. Je vais essayer, Huo, de savoir de quoi je suis censée guérir avant de guérir. Je vais essayer de savoir comment je peux apprendre moi-même. En tout cas, c’est intelligent de me rappeler que je ne suis pas là pour rester dans le passé. Sans le fuir, je peux passer à autre chose, c’est vrai.

D’un pas calme, je sors du gymnase, laissant derrière moi le rouquin. Pour une fois, là où j’aurais avant paniqué, je me serais braqué, je ressors plus ou moins sereinement, ou en tout cas, au moins prête à y réfléchir.