« Yuuyami semaru kumo no ue, itsumo ichiwa de tondeiru
Taka wa kitto kanashikarou. »

Au-dessus des nuages dans le crépuscule
Le faucon toujours seul vole
Il doit sûrement être triste

Alice apprend vite. Chanter encore plus vite. Que ce soit sa langue ou pas, elle retient. Elle vit la musique plus qu'elle ne comprend les textes. Mais celui-ci, elle le connait. Elle le connait bien. La mélodie sort de son petit corps naturellement. Comme si c'était évident, facile. Assise au milieu de la pièce plongée dans l'obscurité, une seule petite lumière dans le coin de la pièce, elle dessine.

Alice n'arrive pas à dormir. Il fait nuit. Hamilton n'est pas venue hier soir. Elle n'a donné aucune nouvelle. Cela lui arrivait parfois. Alice comprenait. Alice ne disait rien, parce qu'elle n'avait rien à dire. La Feu était libre. Mais Hamilton n'a rien dit aujourd'hui non plus. Elle ne lui a rien dit. Alice ne va pas très bien. Elle le sait. Elle est dans un état stable, mais morne. C'est rare pour la petite Terre. Elle s'en est rendue compte aujourd'hui même. Elle n'avance plus. Elle sourit un peu moins. Toujours aussi sincère, elle aime toujours passer du temps avec les autres, elle reste Alice, petit Soleil léger.

Mais Alice est un peu fatiguée. Elle n'a pas dit beaucoup de choses. Elle a supporté beaucoup. Depuis son retour de France, tout ne va pas très bien. Oh, jamais trop mal. Mais jamais bien non plus. Alice n'a entendu personne lui dire que ça irait. Alors elle se le répète. Parce que c'était vrai. Bien qu'elle ait un peu peur pour ses amis... Elle se sentait étrange. Et puis, la disparition subite d'Hamilton, et le combat dans l'Arène n'avait pas arrangé les choses...

« Kokoro wo nani ni tatoe you, taka no you na kono kokoro.
Kokoro wo nani ni tatoe you, sora wo mau you na kanashisa wo. »

Comment exprimer ce que ressent mon coeur
Il est comme le faucon
Ma tristesse volant dans le ciel

Ce soir, Alice ne dort pas. Elle a besoin de s'en sortir un peu. Elle a besoin d'un peu de temps. Elle dessine. Le ciel. Elle recommence dès qu'elle termine une feuille. Aucun ciel ne lui va. Elle n'arrive pas à faire celui qu'elle voudrait. Elle voudrait qu'il soit rose, rouge, orange, violet et noir. Elle voudrait dessiner un joli ciel, comme elle aime. Elle aimerait dessiner un joli ciel du soir, avec la Lune.

Mais elle n'y arrive pas.

« Mushi no sasayaku kusahara wo, tomo ni michiyuku hito da kedo
Taete mono iu koto mo naku. »

Les insectes gazouillent dans l'herbe
Mais nous qui marchons ensemble
N'avons pas dit un mot

Alice dessine pendant longtemps, seule, avec seule sa voix comme compagne. Elle n'a plus envie de retenir ce qu'elle ressent. Alors seule, elle expulse tout  ce qui ne va pas en chantant. Elle chante juste. Ses mots se perdent dans le noir. Sans instrument autour, elle ressemble à une enfant perdue. Alice n'est pas une enfant, et Alice n'est pas perdue. Elle n'est plus enfant, elle n'est pas encore perdue. Elle a seulement un peu mal. Mais ça ira, elle se soigne. Elle l'a toujours fait, pourquoi ça ne fonctionnerai pas aujourd'hui ?

« Kokoro wo nani ni tatoe you, hitoribocchi no samishisa wo. »

Ma solitude qui seule voyage

Toute seule, ou plus tellement, Alice chante. Elle a entendu la présence. Elle a entendu les pensées cogner ses barrières. Puis les petits pas pressés. La feuille sur le sol. Mais elle ne s'arrête pas. Elle termine calmement son chant de solitude. Sa voix est douce, grave. Elle est mélancolique aujourd'hui. Elle termine sa chanson en point d'interrogation, comme elle se termine normalement, et sourit. C'était très approprié à sa situation actuelle. Elle regarde le nouveau ciel qu'elle vient de faire. Non, ce n'est toujours pas comme ça qu'elle le veut.

La voix du garçon s'élève, Alice tourne doucement la tête. C'est Asbjorn, le petit capuchinet de la bande. Elle l'aime bien, il sourit beaucoup, et elle rit souvent à ses blagues. Alice aime sa légèreté. Parfois elle a l'impression qu'il la comprend mieux que d'autres lorsqu'il est tout léger, positif. Enfin, ils se ressemblent un peu, non ? Elle répond sur un ton tout doux.

« Merci, Asbjorn ! Oui, c'est bien Alice. Merci beaucoup. »

Elle pose son regard un peu mélancolique sur le dessin. Elle sourit tout doux. Tout est doux. Mélancolique peut être, elle n'est plus joie pure comme ils peuvent l'être tous les deux. Elle est douce, calme, comme la nuit, elle accepte, comme l'ombre qui protège, qui cache et intègre. Elle sourit plus fort, et pose le dessin sur ses genoux.

« Tu sais, je le trouve très réussi. Merci beaucoup. Est-ce que... Tu veux rester ? Ou bien tu préférais être seul ? »

Croiser des gens, en pleine nuit, ce n'était pas la chose la plus fréquente qui soit. Et tous les deux ne semblaient pas vouloir aller se coucher. Non, pas encore. Elle lui sourit. Alice au fond est contente qu'il soit là. Il est plutôt calme ce soir. Calme, pour Asbjorn. Mais Alice l'accepte. C'est Alice...

« Dis, tu viens souvent ici, la nuit ? »

Voix enfantine, mais sage. Elle tourne son corps vers lui, toujours assise en tailleur, dessins entre les mains. Elle lui sourit doucement. Ses grands yeux bleus perdent un peu de leur mélancolie pour laisser place à la curiosité. C'était la première fois qu'elle se retrouvait seule avec le Tonnerre. Elle l'aime bien, et cela se voit.

Asbjorn a l'air particulièrement attentif à la petite Terre qui le sent. Et comme à son habitude, elle s'ouvre, elle le laisse lire en elle. Elle n'est pas triste, plus tant que ça maintenant qu'elle l'entend rire. Elle est seulement mélancolique. Elle n'est pas la plus heureuse qu'on ait pu connaitre, mais c'est Alice. Elle cueille son rire pour s'en nourrir comme d'un bon fruit frais. Elle sourit un peu plus fort en l'entendant. Elle n'ajoute rien, elle est heureuse si ça peut aussi lui faire plaisir.

Elle répond même à son rire lorsqu'il lui lance un clin d'oeil, et elle hoche la tête un peu plus vivement pour lui signifier qu'elle veut bien qu'il reste. Elle est contente d'avoir un peu de compagnie, et puis ça lui fera oublié ces foutus croquis qu'elle n'arrive jamais à terminer non ?

La Terre l'écoute, elle rit de nouveau quand il lui raconte dormir peu vagabonder. Elle connait ça, étant petite, elle aimait bien sortir dehors la nuit, lorsqu'il y avait assez de lumière dans le ciel pour y voir. Oh, elle n'allait jamais bien loin, juste dans un coin de la cours, lorsque ses parents dormaient, que le chat était parti dans la forêt. Alice aimait bien être seule, protégée par sa cabane, dehors tout de même. Elle explorait l'atelier de Luna, sans rien toucher. Des nuits de contemplation. Alice comprend. Et cela se voit, sans qu'elle ne l'exprime.

« Je vois, eh bien je suis contente que tu sois venu ici. Un compagnon vagabond c'est toujours chouette ! »

La Terre ne perd pas son sourire lorsqu'il lui demande ce qu'elle fait, elle ne tique pas à son surnom, elle aime bien, qu'il lui montre de l'affection de cette façon-là aussi. Elle baisse les yeux sur ses feuilles éparpillées, invitant le Tonnerre à faire pareil, silencieusement. Elle répond, un peu tristounette, sans être vraiment malheureuse.

« Je n'arrivais pas à dormir, et parfois, dessiner m'aide. Mais ce soir je n'arrive pas à dessiner ce que je veux... Alors me voilà ! »

Elle soupire, puis relève la tête pour regarder Asbjorn. Elle sourit de nouveau, ses yeux pétillent un peu. Elle a l'intention d'aller mieux, non ? Elle a beau ne pas aller très bien, elle reste la petite Alice.

« Est-ce que ça te dit qu'on essaie de dessiner ensemble ? On pourrait faire un dessin géant ! »

Alice est sincèrement heureuse d'avoir croisé le Tonnerre. Elle cherchait la solitude au départ, mais ce n'était qu'un moyen pour arriver à son réel objectif. Ne plus être malheureuse. Et le garçon l'aidait considérablement. Ils se ressemblaient. La nuit, le monde n'est plus le même. C'est le domaine de la Lune, le moment des êtres errants, perdus, des secrets, de tout ce que l'on veut cacher. Alice n'en avait pas peur, elle appréciait souvent les rencontres tard le soir.

Elle le laisse regarder ses dessins. Elle est touchée par l'étincelle qui naît dans les pupilles ambrées d'Asbjorn. Elle s'en sent très reconnaissante. Et puis lorsqu'il exprime ce qu'il y voit, le fait de voir des sentiments, elle rit doucement. Ce n'est pas du tout moqueur, non, jamais chez Alice. Elle lui fait savoir sa reconnaissance comme cela. Pas besoin de mot. Elle les regarde de nouveau. Tout ce qu'elle y voit, c'est des tentatives ratées, de la persévérance, et des échecs. Mais elle ne l'évoque pas à haute voix, elle est trop soulagée d'entendre enfin un autre avis que le sien.

Puis son regard retombe sur celui du Tonnerre. Le monde s'arrête une seconde lorsqu'elle voit les pis de sa peau, la façon dont sont plissés ses yeux, son front tiré. Toute son expression est sincère, elle a Asbjorn devant elle. Elle ne croit l'avoir vu qu'assez rarement, finalement. Ce sourire aussi sincère, enfant... Aussi grand, la touche, et elle sourit de même sans même s'en rendre compte. Parce que les sourires de Nathanaël sont toujours vrais, mais si doux. Parce que les sourires d'Aoi sont calmes et sérieux, protecteurs. Parce que ceux d'Houston sont souvent de travers malgré sa sincérité. Parce que ceux de Nicolas sont vrais tout en le cachant. Tu n'avais pas vu de sourire aussi sincèrement affirmé depuis très longtemps.

Et parce que les sourires d'Hamilton sont rares mais représentent l'essence même de la sincérité, et que celle d'Asbjorn fait écho avec elle, le coeur de la petite Terre accélère quelques secondes.
Et parce qu'Alice aime les sourires.

Alice n'a pas peur de partager l'art avec les autres. Elle joue souvent avec Nathanaël, elle a depuis toujours dessinée seule, puis avec d'autres. Elle hoche vivement la tête. Puis se redresse, et réfléchit. Et très vite, trouve.

« Aide-moi, on va mettre pleins de feuille cote à cote ! »

Avec entrain, la jeune fille s'affaire avec Asbjorn. Ensemble, ils recouvrent le seul de feuilles, suffisamment épaisse. Alice a prit soin de caler des cartons pour recouvrir le sol. Peut être que le Tonnerre a déjà compris son idée. En trottinant, elle part dégoter des gros pots de peintures. Et puis elle ouvre un jaune, et un rouge. Elle retire ses chaussures, puis ses chaussettes avec précaution. Tout en remontant son pantalon, elle lance un sourire rayonnant, et dit, avec une énergie nouvelle.

« Je te propose qu'on mette nos empreintes de pieds et de mains sur chacune des feuilles. Et ensuite, on fera quelque chose d'un peu plus abstrait, et brut... Ca te dit ? »

Sourire d'enfant. Alice est retournée dans son monde d'aventures, elle a rejoint celui d'Asbjorn bien plus vite qu'elle ne l'aurait cru.

What is lost can someday be find

Asbjorn réagit en souriant. Elle sait qu'il a compris. Qu'il la comprend pour cela. Et dans le sombre, les deux amis commencent à peindre. Alice plonge ses pieds dans du jaune et du mauve, ses mains dans du bleu et rouge. La musique est lancée, Alice rit, et chantonne en même temps qu'elle gambade, elle lance des regards amusés au Tonnerre. Petit à petit, les feuilles sont recouvertes de pleins d'empreintes de leur mains et de leur pieds, pleins de couleurs partout.

Cela faisait du bien à la Terre, de s'amuser, de créer sans être seule, d'avoir de la compagnie. De rire un peu, d'oublier que ça ne va pas bien. Faire une pause dans la vie qui passe si vite, faire une pause au milieu de la nuit avec un ami, et juste se noyer dans le silence du sommeil des autres et celui des animaux nocturnes dehors, en profiter pour rire aux éclats et l'entendre sonner autrement.

Et puis lorsqu'ils se télescopent, Alice roule sur le dos. Son t-shirt se remplie de peinture. Elle lance un regard vers le Tonnerre désolée mais souriant. Lui repayer ses vêtements ? Mais quelle idée !

« Non Asbjorn t'inquiète ! »

Alice éclate de rire de nouveau. Elle se redresse et plonge sur Asbjorn sans lui faire de mal. Elle rit comme une enfant qui joue, l'attrape dans ses bras, et roule sur les feuilles de papier avec lui. Ses vêtements deviennent tout tachés, les mains et les pieds se mélangent avec des trainées irrégulières de couleurs, et des rires. Alice roule encore jusqu'à arriver près du bord, où elle s'arrête, sur le coté, et regarde Asbjorn en riant.

« Ca va être encore plus chouette comme ça ! Tu trouves pas ? »

Alice n'a même pas pris en compte l'excuse d'Asbjorn tant pour elle, elle n'avait pas lieu d'être. Non, la petite Terre lui offre seulement de la joie et du bonheur simple.