Les couloirs sont bondés. Je suis du genre nocturne habituellement, mais là… Cela me semblait plus urgent que d’habitude ? Je me suis réveillée ce matin l’esprit endormi mais étrangement clair. Je me suis réveillée en sachant ce que j’avais à faire. Nicolas était resté dans ma chambre, mais lorsque je lui ai dit que je devais aller voir Elwynn, il a compris. C’était un acte qu’il fallait que je fasse. Il était plus que temps que j’arrête de stagner, de rejeter en bloc toute idée d’évolution. Peut-être que j’agis sur un coup de tête. Peut-être que si je ne le fais pas aujourd’hui, demain je n’en aurai plus envie. Ou bien n’oserai-je plus, plus exactement.

Je me sens encore épuisée. Du voyage. De l’Etoilisation. Mais j’ai dormi comme une masse. Je n’avais pas eu un sommeil si profond depuis longtemps, je crois bien. Malgré la fatigue, une étrange détermination m’habite désormais. Même si mes yeux sont encore un peu gonflés. Même si je n’ai pas encore confiance. J’ai envie de ne plus craindre le moindre obstacle. De ne plus faire semblant de ne pas avoir peur. De ne réellement plus avoir peur.

J’avance en poussant la foule, me frayant un chemin parmi la masse d’élèves. Heureusement, la partie Eau est juste à côté de celle des Feux – comme me le démontre assez régulièrement l’apparition d’Ariana dans l’encadrement de ma porte – et je rejoins bien vite la chambre recherchée. Devant la porte d’Elwynn, je m’arrête un instant, mes yeux s’attardant sur le « Evrard » qui suit son prénom.

Suis-je vraiment certaine de ce que je fais ? Je n’en ai aucune idée et à vrai dire, rien ne pourrait vraiment me le dire. Mais après tout ce que j’ai vécu, après tous mes combats, toutes les luttes dans lesquelles j’ai malgré moi entrainé ceux que j’aime… Je veux avancer.

Trois petits coups à la porte qui font écho à mon cœur emballé. J’attends qu’elle s’ouvre. J’attends de voir apparaitre le visage familier de ma…sœur. J’attends de pouvoir me lancer.

Et si elle refusait ?

J'me lève tôt ce matin, comme tous les matins en fait. Hop, petite douche bien chaude, je rince mes cheveux, désespère de leur longueur comme à chaque fois que je dois les retirer de la bonde... Mais c'est le jeu. Je me sèche, enfile un jean et une brassière de sport. Petits étirements du matin, aujourd'hui j'ferai mon footing le soir. Les couloirs sont bruyants, tout le monde se lève maintenant. J'commence un peu à ranger ma chambre.

Faudrait que je trouve quelque chose à faire de ma vie pour la suite... La nouvelle année japonaise commence bientôt, tout le monde réfléchit à quoi faire... Et moi j'vais avoir user mon année de "je fais rien". J'avoue que j'ai pas d'idée, j'aime pas trop y réfléchir... Parce que j'ai l'impression que je sais rien faire, j'apprends... Mais j'ai pas envie de faire des études, enfin j'veux dire, j'suis pas faite pour ça c'est évident. Je sais vraiment pas quoi faire.

Je range mes bouquins quand ça frappe à ma porte. Tiens, ça doit être Ariana ou Boubou venu me chercher pour partir à l'aventure... J'vous jure. J'parirai plus sur Boubou à cette heure-ci, pour un truc improbable. Je tombe sur le visage un peu angoissé mais toujours très fermé de ma soeur lorsque j'ouvre. Je suis surprise, réellement. Mais je la salue d'une voix posée.

Salut Hamilton. Tu veux rentrer ?

On était pas censées se voir aujourd'hui, c'est surprenant... M'enfin si elle a besoin d'un truc, moi j'suis là hein... J'ai rien de prévu ahaha. Beh non sinon j'serai pas là. Elle a l'air pas dans son assiette c'est très bizarre... Et puis j'note que ça fait un bout de temps que je l'ai pas croisée... J'me pose tout un tas de questions en me demandant ce qu'elle peut bien me vouloir.

Ouais j'l'accueille de façon sympa, ça m'est passé depuis un bout de temps, l'animosité que j'pouvais avoir envers elle. J'suis même contente de la voir, c'est une bonne prof et j'aime bien lui apprendre des choses aussi. C'est une relation un peu étrange mais ça m'empêche pas de l'apprécier.

Si Elwynn a l'air un instant surprise de me voir, sa voix lorsqu'elle me répond est posée. Au moins une de nous deux est calme et ne panique pas. Heureusement que des années d’entraînement me permettent de faire abstraction de mon angoisse afin de conserver un visage neutre et pouvoir parler sans chevroter ou bégayer.

- Bonjour. Oui, si tu le veux bien.

Elle me laisse entrer et je m'assois sur la chaise de son bureau en croisant mes jambes. Je pose mes mains sur mes genoux et un instant de silence flotte entre nous. Le temps que je parvienne à me lancer, que je trouve mes mots. Je sens sont regard posé sur moi, qui m'incite à expliquer ce que je fais ici. A peine stressant. Je toussote pour éclaircir ma voix, et enfin les mots me viennent :

- J'ai rencontré ma- Notre mère.

Avec Elwynn, nous ne tournons pas autour du pot. Pas de politesses inutiles, entre nous. Nous allons directement au but, et c'est parfait ainsi.

- Comme tu t'en doutes certainement, ce ne fut pas une partie de plaisir. Quelle garce.

Sourcils froncés, je ne peux retenir un sourire en coin. Une autre chose pratique avec Elwynn, c'est que je peux un peu plus me laisser aller lorsque je parle. Surtout à propos de ma mère. J'ai l'impression que les autres ne pourraient pas comprendre. Même s'ils ont pu être dans des situations similaires. L'Eau, elle, la connaît. Cela change tout.

- Elle a voulu m'utiliser pour une histoire d'argent avec mes grands-parents paternels. J'ai dû aller en Écosse. Avec Nicolas. Enfin… Cela a fini en catastrophe, je ne vois pas trop comment cela aurait pu être autrement.

Je hausse des épaules et déglutis. C'était hier. Juste. Hier.

- Nous sommes rentrés hier et… J'ai un peu explosé. Je me suis Etoilisée, en somme. Parce que… J'ai réalisé pas mal de choses.

Mon regard jusqu'alors ancré dans celui de ma sœur glisse sur le côté. Tant qu'il s'agit de dire les choses froidement, cela va. Quand il s'agit de ressenti… C'est plus complexe.

- J'aurais quelque chose d'important à te demander, Elwynn.

Mon ton s'est fait presque solennel, et moi même j'en ai un petit rire moqueur. Trop de sérieux. Beaucoup trop. Et j'ai l'impression que je ne vais bientôt plus pouvoir respirer tant la panique monte. Un miracle que je conserve mon visage froid, avec tout cela.

J'la laisse rentrer, je referme la porte. Je me plante au milieu de la pièce, resserre ma queue de cheval puis croise les bras, attendant sa réponse. Je la regarde se motiver avant de se lancer. Elle finit par balancer une phrase, comme le fait souvent entre nous. C'est cash, pas besoin de fioritures. C'est inutile et ça nous saoule pareil. Elle a... Rencontré Maman. Très bien.

Elle ajoute que ce n'était pas spécialement drôle. Après avoir haussé haut mes sourcils de nouveau, surprise par sa visite spontanée en France, j'éclate de rire en entendant l'insulte. Je ris fort et franc, ça m'fait vraiment marrer. Les poings sur les hanches, je repousse mes cheveux et m'exclame en anglais

I told you !

Je ris de nouveau un peu et hoche la tête.

Non vraiment, une vraie garce, t'étais prévenue... Vraiment pas du tout une bonne personne cette femme.

Je me tais un peu et me calme pour l'écouter parler. Et je perds doucement mon sourire, et finis par recroiser mes bras. Pour de l'argent hein ? Vraiment, Adélaïde Evrard n'a pas changé, on m'aurait pas dit que c'était elle je l'aurai compris toute seule... Putain. Je secoue la tête... La renvoyer en Ecosse alors qu'elle n'avait pas de bons liens avec sa famille là-bas... C'est une blague. J'ai envie de me retrouver fasse à ma mère et de la gifler une bonne fois pour toute. Je fronce les sourcils, et ma voix s'élève, moins fort, et beaucoup plus sérieuse.

Je suis désolée qu'elle ait fait ça. C'est une idiote, incapable de se survenir à elle-même, qui ne comprend pas que l'on puisse être différent d'elle. Et qui n'accorde aucune attention aux autres.

Je l'écoute de nouveau. Et je hausse à nouveau les sourcils. Décidément elle a décidé de me surprendre aujourd'hui, et je ne sais plus trop quoi en faire... Elle a détourné le regard, c'est vraiment important, ça ne relève plus de faits réels et passés. Elle veut me demander quelque chose à propos d'elle-même. Comment ça j'ai posé trop de questions dans ma vie et suffisamment du lire sur des visages pour m'en sortir ? EH HO TU TE CALMES TOI LA C'EST PAS PARCE QUE JE REAGIS PAREIL QUE..HEIN ! Bon. Là. Alors. Hrm.

Elle rit, pas moi. Je la regarde, calme. Ca m'donne pas envie de rire. J'la comprends hein, mais moi je sais pas ce qu'elle va me demander.

Je t'écoute.

Un rire amer m'échappe dans un souffle lorsqu'Elwynn confirme mes dires à propos de notre mère. Oui, elle m'avait prévenue. A croire que j'avais besoin de le vivre par moi-même pour en être convaincue. Mais quand l'Eau me dit ensuite qu'elle est désolée, j'essuie ses excuses d'un geste de la main.

- Ce n'est pas à toi d'être désolée, Elwynn.

Je détourne le regard. Je n'ose pas encore demander. A mon rire empli d'auto dérision, la rouquine ne répond pas. Elle me dit qu'elle m'écoute, aussi sérieuse que je le suis. Pour la première fois, je la vois réellement comme une grande sœur.

- Je… J'ai toujours fait partie des Hamilton. Je refusais le prénom d'Adélaïde car, pour moi, c'était ce lien avec cette femme qui avait causé la mort de mon père.

Je me laisse aller contre le dossier de la chaise, décroise un peu mes jambes. J'ai l'impression qu'en parlant, un poids s'en va petit à petit, me force à me détendre, me calmer. Au pire, qu'est-ce que je risque ? Un refus ? Un de plus, un de moins… Cela ne changera plus grand-chose.

- Mais la famille a toujours été bien plus importante pour moi que ce que je croyais. Je sais me débrouiller seule, c'est une évidence. En revanche, je crois bien que je ne sais pas être un minimum heureuse seule.

L'admettre me dérange et je me mordille l'intérieur des joues avant de reprendre d'un ton plus rapide, comme agacée de mes propres mots :

- Alors quand mon père s'est suicidé, je l'ai vécu comme un abandon. Ma famille qui me lâchait. Pourtant, j'étais prête à tout pour le sauver. Enfin. J'ai toujours gardé le mince espoir que mes grands-parents pourraient être ce petit bout de famille qui me soutiendrait. Même après le foyer. J'ai besoin d'appartenir à un groupe. Sauf que maintenant, après l’Écosse, je ne suis plus une Hamilton. Même ce lien est brisé.

...Ni Adélaide. Ni Hamilton.

Mon regard se plante dans celui d'Elwynn. Un sourire triste fleurit à mes lèvres :

- Je t'avoue m'être un moment demandée qui je suis, et ne pas l'avoir très bien vécu. Puis je me suis souvenue de la Cool Patrol. De cette bande que nous formons. Nous sommes tous un peu cassés, bricolés, rafistolés… Mais nous tenons. Nous tenons parce que nous veillons les uns sur les autres comme une famille. Et toi, Elwynn, tu es ma vraie famille.

Une boule se forme dans ma gorge et je baisse les yeux, gênée une nouvelle fois :

- Est-ce que je pourrais m'appeler Adélaïde Hamilton...Evrard ?

Pour ne pas oublier qui j'ai été. Mais pour aussi me souvenir de qui je pourrai être.

La Feu essuie ma phrase en un seul geste. Ce n'est pas méchant, alors je ne dis rien. Je suis quand même pas mal saoulée par le comportement de ma mère, parce qu'elle me saoule à l'origine, donc c'est assez... Simple. Elle enchaine, me parle de son lien avec les Hamilton, de son refus pour son prénom. Je l'écoute, je l'ai jamais entendu autant me parler de sa famille. D'elle-même en fait. Les bras croisés, je hoche simplement la tête parfois, pour lui signifier que j'écoute. Elle refusait son prénom à cause de notre mère. Ce que je comprends, j'aurai probablement fait la même chose.

Elle parle de l'importance qu'a la famille pour elle. C'est une chose que je conçois totalement, surtout qu'elle m'explique qu'elle ne peut être heureuse seule. Je ne suis pas comme elle, je ne vois pas les choses pareil, mais je comprends. C'est humain, c'est quelque chose d'important. Et je trouve que c'est très courageux de sa part de me le dire comme ça. Je sais pas trop où elle veut en venir. Mais je trouve ça cool. Elle m'explique qu'après avoir revu ses grands-parents, elle n'a plus de lien avec eux. Elle vient de tout perdre. Ca me touche beaucoup plus que j'aurai pu le croire. J'ai vécu plus ou moins la même chose. Et j'comprends. Bien sûr, c'est pas la même, mais j'comprends. J'aimerai aller voir ses grands-parents et insulter toute leur famille et faire brûler leur chiens. C'est un peu violent mais ils m'ont saoulée instant aussi. Je suis pas quelqu'un de violent.

Elle semble être plus détendue et plus stressée à la fois. Je fronce un peu les sourcils alors qu'elle parle de la fameuse Cool Patrol. J'ai mis du temps avant de piger qu'ils m'y intégraient dedans. Ouais pour moi c'était eux, c'était leur famille, j'étais pas légitime à en faire partie. Mais au final, j'm'entends bien avec tous, et j'm'y sens bien... Alors j'y reste, puisqu'ils m'acceptent. Elle a raison, Adé. On est tous un peu cassés. Mais ensemble on se répare tous ensemble, et chacun de notre coté. Elle a raison. C'est comme une famille.

J'ai l'air surprise, petit à petit. Paaaas de fou, mais quand même. Elle vient de me balancer, dans le plus grand des calmes, que moi, je suis sa vraie famille. Genre la vraie, l'authentique tu vois. J'suis un peu choquée mais ça va. J'le vis bien. Elle baisse les yeux, pour mieux préparer sa question à retardement. Que je reçois de plein fouet.

Je ne réponds rien un moment. Et puis je commence à rire. J'me fous pas de sa gueule. J'suis pas gênée, enfin si mais pas mon rire. Non j'rigole de façon très affectueuse c'est grave chelou j'm'arrête assez vite tellement c'est chelou. Je parle calmement.

Tu sais, t'es la seule de ma famille qui a fait l'inverse de tous les autres. Je t'ai d'abord détesté, avant de réellement t'apprécier. En fait, moi non plus, j'ai pas de vraie famille à part toi. Désolée que t'aies à supporter l'énorme bourrine ignorante que je suis. Moi j'suis contente que fasses partie de ma famille, alors évidemment que tu prendre mon nom. C'est autant le mien que le tien.

Je lui souris, ouais ça m'arrive de m'dérider, mais elle le savait déjà. C'est hyper important ce qu'elle me demande. Mais ça m'rend heureuse j'crois bien. Ca m'rend heureuse parce que pour moi aussi, ça veut dire que je ne suis plus toute seule. Ca veut dire que maintenant, j'ai une famille, et cette famille, c'est elle.

Est-ce que j'peux te demander l'autorisation de t'appeler comme je t'appelle dans ma tête ? J'veux dire, depuis que j'sais que t'existe, j't'ai jamais vraiment appelée Adélaïde et encore moins depuis que j'te connais. Hamilton c'est parce que tu l'as voulu, et puis maintenant que ça change... Moi j't'appelle Adé, dans ma tête. Jamais notre mère cette connasse se ferait appeler comme ça. Alors j'voulais savoir si j'pouvais t'appeler comme ça... Adé Hamilton Evrard.

C'est tout aussi délicat à demander. Mais c'est aussi une demande de ma part, comme elle, de l'accepter en tant que... Soeur. Je sais que ça doit pas être évident pour elle, vraiment pas. J'ai jamais connu mon père, ma mère m'a jamais considéré, on a tué la seule personne qui s'apparentait à une famille pour moi... Alors ouais pour moi aussi, Adé c'est une bouffée de nouveauté, d'espoir... c'est un peu comme si elle m'autorisait à avoir ce qu'on m'a toujours arraché. Et j'aimerai pouvoir lui offrir la même chose. C'est pas censé être ça, une famille ?

Elle...rigole ?

Retour du regard blasé plaqué sur Elwynn. Avant que je ne comprenne que ce n'est pas de la moquerie. Mes sourcils se froncent sous l'incompréhension qui m'envahit. Parce que. Euh. Cela ressemblait à de l'affection ? No way.

Pourtant ses paroles semblent l'être. Elle me dit que je suis la seule de sa famille qui a fait l'inverse de tous les autres. Mon front se déride doucement alors qu'elle ajoute qu'au début, elle m'a détestée. Il faut dire qu'elle marque un point relativement amusant, là : notre relation n'était pas forcément partie du bon pied.

Elle accepte. Elle accepte, et moi je baisse carrément le visage pour qu'elle ne tilte pas que mes yeux sont devenues humides. Non mais je ne pleure pas hein. Je. Je suis un peu émue. C'est tout.

- A...Adé ?

Bon. Bon. Ok. Je pleure peut-être un peu. UN PEU OK ? Si quelqu'un vous demande, c'est la fatigue.

J'essuie du dos de ma main les quelques larmes qui menacent d’inonder mes joues avant d'oser regarder Elwynn dans les yeux.

Adé ? Ce n'est pas tout à fait Adélaïde… Et maintenant Hamilton n'a plus la même signification pour moi, après tout…

- Je… Je suppose que oui ?

Dans tous les cas, à moins qu'en plus du nom de famille je décide tout à coup de changer mon prénom, je ne vois pas vraiment de quelle manière l'on pourrait m'appeler sans que ce ne soit un minimum douloureux. Je devrai apprendre à vivre avec, c'est tout. A être qui je veux, avec. Parce qu'ici, je peux être qui je souhaite être, peu importe mon appellation.

Un rictus intérieur m'agite. Les mots de Nicolas qui reviennent, si vite ? J'apprends plus vite qu'avant, pas de doute.

- Et arrête de t'excuser. Tu n'es pas une énorme bourrinne ignorante. Tu es une nouvelle élève curieuse et éponge à savoir.

Je soupire et tente de retrouver contenance, comme je peux.

- Je suppose que je vais avoir des démarches administratives à faire… Je n'ai aucune idée de la manière dont nous pouvons...Nous ajouter un nom ?

Je marque une pause. La fatigue me retombe dessus. Celle de la veille mais aussi celle qui m'attend dans le futur, j'ai l'impression.

- Que dirais-tu de me laisser t'offrir un café ?

Oui, changement de sujet. Mais j'ai besoin d'air. Et de voir tout ce qui est sérieux plus tard. Quand j'aurai dormi. Longuement.

Adé me fixe avec son air blasé de protection. Puis je parle. Et elle se déride à son tour. Non j'me foutais pas de ta gueule, vraiment pas. Et au fur et à mesure que je parle, elle baisse la tête, et je comprends pas très bien jusqu'à ce que j'entende sa voix, et que sa main vienne passer sur ses yeux. C'était important à ce point. Ok. Je viens m'asseoir sur le lit en face d'elle, je n'initie aucun contact, je sais qu'elle kiffe pas. Alors j'la regarde tout simplement. Elle a les yeux tout rouge, mais je ne dis rien. J'suis super fière j'crois bien ouais. EH OUAIS TU VAS FAIRE QUOI J'AI UNE SOEUR SHEH. Elle mieux qu'la tienne.

Lorsqu'elle confirme, je souris. Adé, ça lui va mieux qu'Hamilton. M'enfin c'est que mon avis et je ne lui en fait pas part, elle fait bien comme elle veut avec comment elle veut qu'on l'appelle. Pour moi c'est acté. J'suis vraiment contente. Quand j'y repense, on porte toutes les deux le nom de Maman. Mmpfh, à nous de niquer l'histoire qu'elle lui a donné. Niquer, pas comme elle du coup. Plus j'avance, plus j'me dis qu'il vaut mieux qu'elle ne recroise pas mon chemin, elle risque de continuer le sien avec quelques dents en moins. J'ai un peu le seum d'avoir laissé des affaires chez elle... Peut être que j'irai les récupérer un jour où elle n'est pas là.

On fait comme ça. Si tu veux m'appeler El', tu as aussi le droit. Mais ça tu l'savais déjà.

Je souris un peu plus, j'ai un très léger rire lorsqu'elle parle de moi en tant qu'élève. Elle parle comme une prof. Ca m'fait sourire, parce qu'elle vient de me dire qu'elle voudrait être ma soeur. Ouais j'rigole pour pas beaucoup mais JE SUIS CONTENTE OK ? Voilà. Elle se fait la remarque qu'il va falloir tout un tas de démarche administrative. Je hausse les épaules.

Je t'avoue que tout ce qui est démarche légale, à part pour te sortir de mauvaises situations, j'connais peu... Faut voir avec des Masters, probablement aussi avec son Etat de naissance, une connerie du genre. Enfin genre que tout sois synchro partout.

Elle a l'air de fatiguer d'un coup. J'me rappelle qu'elle a dit être rentrée hier... Ce qui veut potentiellement dire qu'elle a vécu tout ça... Hier. Elle est putain de forte cette petite. Hyper déter aussi. Je ne rajoute rien, j'comprends que ça la fatigue d'avance, j'suis fatiguée rien que de songer qu'elle y pense... Alors imagine.

Elle enchaine sur quelque chose de plus léger. Un café. Hm. Je tourne la tête vers ma porte et écoute au dehors. Encore du passage mais moins que tout à l'heure. J'ai une machine à café dans ma chambre, j'aurai pu lui en proposer, mais j'imagine que si elle propose c'est qu'elle veut bouger... Je me lève pour aller attraper ma veste tout en proposant quand même.


Moi ça m'va, après si tu veux j'ai du café ici si tu ne veux pas sortir. Mais prendre l'air fait toujours du bien.

Elwynn ajoute que si je souhaite l’appeler El’, je peux. Mmh. Je pense qu’il me faudrait à peu près autant de temps pour m’habituer à donner aux gens des diminutifs ou des surnoms qu’à me faire appeler autrement qu’Hamilton, à vrai dire. Une chose en son temps, hein… J’essaie d’avancer, mais tout doux. Et oui, pour moi, appeler mon entourage autrement que par leur prénom complet est… Compliqué. Ainsi qu’une véritable étape. Oui, j’ai un souci avec les prénoms. Vous ne le remarquez que maintenant ?

- Je verrai.

J'essaierai.

Nous glissons très vite sur le côté administratif. Je n’ai pas envie de me prendre plus que nécessaire la tête tout de suite et l’Eau ne s’y connait pas vraiment. Cela a le mérite de régler les choses au moins. Je passe une main sur mon visage avant de me lever, un mince sourire aux lèvres :

- Je préfèrerais aller dehors.

Marcher un peu. Respirer de l’air frais et pur. Que je gâcherai probablement avec une cigarette. Tant pis pour la pureté, reste la fraîcheur.

Nous sortons et, de fait, à peine sommes-nous dehors que je sors de ma poche mon tabac, mes feuilles et mes filtres pour rouler une cigarette. Nous pourrions aller au village en bus pour aller plus vite, mais je demande que nous marchions plutôt. Elwynn étant plus sportive que moi, je doute que cela lui pose vraiment problème. Nous ne parlons pas beaucoup. Je ne sais pas si elle voudrait discuter, mais j’ai léger moment de down. Mes pensées m’emportent en Ecosse, en France, me ramènent parfois à Terrae, à cette vie que je tente de dessiner dans le futur.

Enfin, nous arrivons au village et trouvons une terrasse où nous pouvons nous installer. L’air est frais sans être glacial, c’est agréable. Je commande un café et laisse Elwynn se prendre ce qu’elle veut avant d’enfin prendre la parole :

- Bon… Et toi ? J’ai beaucoup parlé de moi, là. As-tu des nouvelles à me raconter, toi aussi ?

Cela aussi, c’est nouveau. M’intéresser aux autres, sans me forcer j’entends.

…Cela promet d’être un travail à long terme. Très long terme.

Ma sœur a l’air contente de la tournure de la discussion. Un peu perdue aussi. En même temps, elle vient de passer Etoile, de se faire retourner la gueule par les événements, normal qu’elle ne sache plus trop quoi faire. Ouais, ouais ouais on verra plus tard, l’administratif c’est suffisamment compliqué. Puis suffit que ce soit comme en France et elle en a pour environ 6 mois. Puis c’est relou aussi pour arriver à savoir ce que tu dois faire aussi. Mais comme je ne sais pas comment on doit procéder au Japon et en Ecosse, et encore moins à Terrae, je lui laisse le soin de se taper les recherches toute seule. Ça fait méchant comme ça, j’ai juste pas précisé que je pouvais l’aider si besoin, évidemment.

Je la suis dehors. L’air frais fait du bien. L’odeur de sa clope m’en donne un peu envie, mais pour l’instant je me l’interdis. Peut être un peu plus tard, si elle décide d’en reprendre une… Ce ne sera pas la première que je lui taxe. Bravo ça, arrêter de fumer, les bonnes résolutions, tout ça… Aaah… C’est un peu exceptionnel on dit ? J’viens d’être acceptée par le seul membre de ma famille que j’apprécie ? Et ça fait hyper bizarre mais aussi très plaisir ?

Je pose mes fesses sur la chaise en face d’Adé après avoir marché pendant un bon moment, échangeant simplement quelques mots. En fait c’est souvent comme ça entre nous. Quelques mots. Mais l’essentiel. Je lui souris lorsqu’elle me laisse commander, et demande moi aussi un café. Plus tard l’alcool, plus tard.

Elle me demande des nouvelles, à moi. Je hausse doucement les épaules. Et finis par répondre sur une voix plate, mais habituelle.

Pas grand-chose tu sais. J’ai pas mal lu pendant que tu étais partie. J’passe pas mal de temps avec Asbjorn, on court ensemble, puis j’apprends à Aria à se défendre, comme pour toi un peu. Et à d’autres gens aussi. Enfin ouais j’passe pas mal de temps à faire du sport… Ca n’a pas changé.

Je passe ma main dans mes cheveux, les ramenant du coté gauche.

Je réfléchis à ce que je vais faire, une fois ma première année de blanc passée. J’vais avoir besoin d’argent. J’pense chercher du taf. Un truc qui me plairait. Et j’avoue que la seule idée que j’ai eu, très récemment… C’est prof de sport ou d’art martiaux. Le souci c’est que j’ai pas de diplôme, j’sais pas si Terrae m’autorisera.

Surtout qu’ils sont censés être un peu au courant de mes méfaits passés. En tout cas d’une partie. DONC BON. A voir. On nous laisse toujours une chance ici, non ?

Nous parlons rarement de nos vies respectives de manière très développée. Habituellement, nous n’échangeons que l’essentiel, le nécessaire à savoir pour ne pas être complètement perdues. Alors c’est nouveau de lui poser des questions de cette façon, et c’est nouveau pour elle, je suppose, de me répondre, de se retrouver à raconter. Pourtant, elle le fait, et j’écoute. Cela deviendra-t-il notre normalité dans le futur ?

- Tu seras une bonne professeure de sport. Tu es douée, et tu commences à avoir l’habitude d’enseigner j’ai l’impression, réponds-je. Quant au diplôme, Terrae est particulier. Tu peux tenter, je ne pense pas qu’ils te l’interdiront dans la mesure où il est clair que tu maîtrises ce domaine.

C’est bien qu’elle parvienne à s’intégrer de cette manière, et c’est encore mieux qu’elle enseigne aux gens comme Ariana connus pour leur douceur et incapacité à la violence à se défendre. Bien sûr, dans un endroit tel que Terrae, se battre parait décalé, mais qui sait ? Cela peut toujours être utile, même si nous espérons tous que non, évidemment.

- En tout cas, c’est bien que tu sois motivée.

Les cafés servis, je porte ma tasse à mes lèvres, en buvant quelques gorgées brûlantes comme je les aimes avant de la reposer sans pour autant la lâcher. De l’index et du pouce, je fais distraitement tourner ma cuillère plongée dans le liquide malgré le fait qu’il ne soit pas sucré. Je reprends finalement, reportant mon attention sur Elwynn :

- Qu’as-tu lu, au fait, pendant que je n’étais pas là ?

Nous allons pouvoir reprendre les cours de littérature et il serait bon que je sache où elle en est de sa culture personnelle. Etrangement, c’est avec un certain soulagement que je vois revenir ces moments. Les cours d’arts martiaux ou de lettres avec Elwynn, les entraînements avec Alice... Si tout se passe bien lorsque je la retrouverai. Aha.

Ma soeur m'écoute et me répond directement que je serai une bonne professeur. Oui, j'ai dit ma soeur sans problème. J'crois que ça rentre. Elle a confiance en moi il semblerait. Je lui souris un peu. Ouais, j'sais pas trop. C'est vrai qu'avec elle et Aria, ça commence à faire, et je me sens capable d'être pédagogue, pas trop relou, et quand même sympa. J'suis contente qu'elle me dise ça, et même si j'réponds rien de particulier, j'ai vraiment l'air heureuse j'crois. J'ai pas de raison de lui cacher, j'ai limite envie qu'elle le sache alors... Autant être sincère.

Merci Adé.

OK, trop bizarre de le dire en vrai et plus seulement dans ma tête. Mais c'est l'début d'un truc cool, nan ? Moi j'ai envie que ce soit cool en tout cas. Alors autant commencer maintenant, et moi, pour lui montrer que j'suis ok avec ça. Et que si ça lui pose problème on change hein, euh, pas de souci... Genre j'veux pas la mettre plus mal qu'elle ne l'est déjà quoi. Euh. Oui. Svp comprenez-moi.

J'attrape ma tasse entre mes mains, et la serre pour sentir la chaleur, puis en bois quelques gorgées. Ca fait du bien, ça réchauffe, ça réveille. Ca m'anime. Elle a l'air un peu préoccupée, mais je ne pose pas de questions puisque c'est elle qui en pose. Je hausse les épaules.

Tu n'est pas partie si longtemps que ça. J'ai lu Frankenstein, j'étais contente parce que c'est écrit par une femme et que, comme on a vu, à l'époque c'était pas trop le bail. Alors, ça m'fait plaisir j'sais pas, de lire... Un truc cool et glauque d'une femme. Et puis sinon j'ai lu l'Etranger de Camus, et ça c'était... Une expérience. J'ai pas encore décidé de mon appréciation de ce bouquin.

Tout à coup je fronce les sourcils.

Ca ne te dérange pas si parfois je demande des conseils à la bibliothécaire ? Parce que comme t'étais pas là beh j'avais un peu de mal à choisir seule. Pour l'instant c'est pas encore ça, et puis j'voulais bosser bien...

« Merci. »
« Adé. »

Mais non ce n’est pas bizarre. Mais non ce n’est pas déstabilisant.

Ok, je l’admets, un instant je bloque et des frissons parcourent mon échine. Il faut reconnaitre que cette nouveauté est étrange et déstabilisante mais ce n’est pas…mal. Je suppose qu’avec le temps je m’y ferai sûrement, à ces mots que je n’aurais jamais cru entendre, ces paroles qui me sont destinées en la sincérité desquelles je n’aurais jamais cru auparavant, et ai encore du mal à croire aujourd’hui.

Elwynn enchaîne en me disant qu’elle a lu Frankenstein et l’Etranger. Des classiques bien choisis si vous voulez mon avis. J’acquiesce pour manifester mon approbation tout en buvant une gorgée de mon café. Très mauvais timing pour boire, en fait, au vu de la suite qui me fait avaler de travers.

- Pourquoi cela me dérangerait-il ?

Mon regard comme mon ton sont interloqués. Je secoue doucement la tête et passe machinalement une main dans mes cheveux.

- Tu sais, c’est bien si tu as des avis et des conseils différents des miens. C’est la curiosité qui te fera découvrir au mieux la littérature, pas moi. Le fait que tu ailles poser des questions ailleurs, d’autant plus à une bibliothécaire, montre que tu es très volontaire. C’est très bien.

Je pense même que n’importe quel professeur rêve d’un élève comme cela, qui de lui-même irait chercher ailleurs et quémander son avis sur ces trouvailles faites. Elwynn n’en a pas l’air au premier abord mais elle a un bon côté élève modèle finalement.

Mes yeux glissent sur ma tasse à demi-vide, celle de ma sœur pas plus pleine et d’une gorgée, je finis la mienne.

- Je ne vais pas plus m’attarder, Elwynn.

Merci de m’avoir écouté.

- J’ai pas mal de choses à faire…Je suppose.

Des papiers, essentiellement. Voir Ariana. Voir Alice. Surtout voir Alice, en fait.

- A bientôt…El.

Je lui adresse un dernier signe de tête avant de m’en aller d’un pas calme.

Et surtout, merci de me laisser devenir Adélaïde, Hamilton, Evrard.