J'avais longtemps hésité avant de venir voir Mitsuki. Je sais que je n'avais pas été des plus conciliantes depuis mon réveil. J'avais agis comme l'adolescente abandonnée que j'avais été, à mes quinze ans. Ayant tout oublié, je ne pouvais croire que j'avais trouvé une famille pour m'accueillir et que je n'en avais aucun souvenir. Alors j'ai préféré les fuir, la réalité étant trop difficile à supporter.

Je ne sais comment, quelques jours après que ma mémoire soit revenue, j'avais appelé Liam. Il m'avait répondu. Il était heureux d'apprendre que j'avais finis par me réveiller et que je me souvenais. Je lui ai simplement dis que j'aurai aimé pouvoir être aussi heureuse que lui. Mais il m'avait abandonné encore et à force de fourvoiement, il m'avait brisé le coeur. On a rompu dans les dix minutes qui ont suivis et depuis, je n'avais plus de nouvelles. Ce n'était finalement pas plus mal. Sauf que derrière les sourires que j'affichais dans ma vie de tous les jours, je pleurais chaque nuit son absence. De lui, j'aurai préféré ne jamais me souvenir.

J'ai espéré que cela passe mais non. Pourtant, la vie continue non? Alors j'ai décidé de me concentrer sur autre chose. Avec Ys, nous avions appelé le producteur, comme prévu et, ravi, il avait accepté de nous voir, la semaine suivante. Nous devions avoir trois nouveaux titres d'ici au rendez-vous et on pensait y arriver. Je crois qu'on avait tous deux besoin de penser à autre chose.  Mais il y en avait une autre qui aurait bien besoin de soutien. C'est pour ça que je me tenais devant sa porte, un samedi pluvieux.

Seul Ys et Liam savait pour ma mémoire retrouvée. Je n'en avais parlé à personne, par peur de ne plus être acceptée. Mais Mitsuki était mon amie, l'une des meilleurs, et elle devait être dévastée par le départ de mon idiot de frère. Oui j'ai bien dis idiot. Même si je comprenais sa réaction. J'aurai probablement agît comme lui. Quand on ne connait plus depuis longtemps l'amour d'un proche et qu'on le trouve, on a tendance à vouloir le conserver pour toujours. Se le voir refuser est peut-être aussi douloureux que de ne l'avoir pas connu. Alors je comprenais. Même si je pensais qu'il faisait une erreur en abandonnant son bonheur avec la femme de sa vie.

Je frappai une troisième fois, cette fois avec plus d'énergies. Elle était là, j'en étais certaine. Alors pourquoi ne pas répondre? J'ai finis par craquer.

- Mitsu ouvre moi! Tu avais raison pour Liam! J'ai eu tord de lui faire confiance! J'ai besoin de toi Mitsuki... J'ai besoin de mon amie...

Alors, que je vous explique. Mitsuki est fière comme fille. Elle ne voudrait probablement pas me parler de son malheur tout de suite. En revanche, savoir que je me souvenais de ma vie et que j'avais besoin d'une amie, ça, elle ne pourrait pas l'ignorer. Peut-être m'ouvrirait-elle.

- Il fait froid et je suis trempée Mitsu! J'ai du chocolat en plus!

Ouais. J'ai même pas honte.

Je soupirai avant de jeter ma boulette de papier dans la poubelle de l'atelier. J'ai essayé, hein. C'est pas faute de m'être démenée. Nan, vraiment, cette fois, j'ai essayé. J'ai posé les bases, j'ai étalé les feuilles sur mon bureau, j'ai ramené tout le matériel que j'avais dans mes tiroirs et je l'ai étalé sur le sol. J'ai rallumé Mokona et Modoki que j'avais laissé en veille depuis plus de deux semaines. Nan, j'avais VRAIMENT tout fait pour essayer de me mettre dedans. Et, pas de bol, à chaque fois que je commençai à tracer un trait pour établir un plan, je cassais la mine du crayon parce que je m'énervais et que ça ne me plaisait pas. Dès que j'écrivais un mot pour lister les caractéristiques du nouveau robot que je voulais construire, je déchirais le papier pour le jeter dans la poubelle qui avait commencé à déborder une heure après le début de mon après-midi travail.

Je rejetai ma tête en arrière, lâchant un long soupir. Et si je créais un robot-Ys ? Haha. Hahahaha. C'est tellement la plus nulle idée de la Terre, c'est pas croyable !

Je croisai mes bras sur le bureau et enfouis ma tête à l'intérieur, fermant les yeux quelques instants pour essayer de me recentrer. Quelques coups frappés à la porte me firent me redresser aussitôt, et je sondai l'aura qui émanait de l'entrée avant de replonger ma tête dans mes bras. Su c'est pas Ys, ça m'intéresse pas. J'en ai marre de me montrer minable et faible, laissez-moi respirer. Et même si c'est une énergie que je connais, je sais que la dernière fois que je l'ai croisée ça s'est mal terminé et ça m'a bien aidé à me faire me sentir encore plus seule que je ne l'étais déjà, alors bon, on va pas insister, hein.

Mon coeur se serra quand je réalisais que Joyce insistait. Sa voix parvint alors à mes oreilles et je ravalai difficilement ma salive. Une micro-seconde plus tard, j'étais téléportée devant la porte, approchant une main hésitante vers la poignée pour ouvrir. Je collai mon front contre la surface en bois avant de soupirer. T'façon, qu'est-ce qu'il me reste à perdre, hein...?

La porte s'ouvrit suffisamment pour que je puisse passer ma tête dans l'entrebâillement.

- Qu'est-ce que tu fiches ici, Joyce...? Tu as été plutôt claire la dernière fois, alors s'il te plaît...

Mon cerveau fit enfin le lien et j'arquai un sourcil.

-Liam...? J'avais rai-...? Joyce, tu te souviens de quelque chose ?

Je vous jure que si c'était pas pour elle, j'aurai jamais accepté de rester vingt putains de minutes à me faire tremper par la flotte. Mais Mitsuki était mon amie et malgré tous nos différents, elle restait l'une de mes rares confidentes. Jamais je ne la laisserai seule dans un moment pareil. Pi fallait bien que quelqu'un répare les conneries d'Ys, vu qu'il était pas disposé à le faire. Je sais, c'est pas mon rôle, mais je suis sa soeur donc si.

Elle finit par m'ouvrir et j'eus peur un instant qu'elle m'électrocute sur place. C'est qu'elle est pas tendre la miss, énervée. J'avais déjà eu affaire à ses foudres sans mauvais jeu de mots. J'ai attendu une seconde que la lumière s'allume dans sa tête. J'en avais assez dis et j'étais passablement irrité d'être trempée jusque dans mes chaussettes.

- En tout cas je me souviens de toi et de ta capacité à m'accueillir plus chaleureusement que ça! Je te jure, sérieusement, tu m'aurais laissé mourir sous la flotte plutôt que de me voir? J'ai fais quoi pour mérité ça?

Sans gêne je sais. Mais bon.

- Je suis venue te demander pardon d'avoir oublié. Pardon de m'être comporté comme la dernière des connes. J'ai merdé Mitsu. J'étais plus moi-même.

J'ai repris mon souffle et j'ai détourné le regard.

- Liam m'a quitté Mitsuki, sans même une explication. Il est parti et tu avais raison, on s'est fourvoyé pendant bien trop longtemps. Mais je sais pour Ys et toi, et je refuse de croire que vous puissiez finir comme nous. Je veux juste savoir comment tu te sens Mitsuki. Et pourquoi tu lui as dis non. Laisse moi entrer, je t'en pris. Sinon je resterai ici jusqu'à ce que tu craques.

HRP : Ok. Alors j't'avoue que la franchise et la directivité de Joyce m'ont tué Mitsu là XD

D'accord. Alors. Reprenons les bases. Juste. Les bases.

Elle a retrouvé la mémoire. Au moins une partie. Je serrai les dents alors qu'elle me demandait ce qu'elle avait fait pour mériter ça. Ok, tu avais perdu la mémoire, Joyce. Mais quand je suis passée te voir, quand tu t'es réveillée, ça a été dur pour moi. Mais j'ai fait avec, parce que j'ai bien compris que ce n'était pas de ta faute. Mais crois-moi bien que c'est douloureux de voir que la personne pour qui tu as beaucoup donné tombe dans le coma. Alors que tous ces entraînements visaient à éviter ça ? Alors que tu m'as menti sur ton état de santé, que tu m'as caché que ça allait si mal ? Que j'ai continué et que j'ai juste... Pas compris pourquoi tout s'est soudainement arrêté ? Crois-moi bien que c'est douloureux aussi d'aller voir cette même amie dès que tu apprends son réveil, et que tu réalises juste que... T'as plus ta place dans sa vie ? Parce que ses souvenirs se sont enfuis, et que tous ces mois où tu y as pensé, où tu as retourné les situations dans tous les sens pour chercher ce que tu aurais pu faire différemment pour que ça n'arrive pas ; tout ça n'a servi à rien.

Alors oui. Oui, je sais que tu as perdu la mémoire. Je sais que tu es malade, je sais que tu n'es pas responsable de tout ça. Mais je sais aussi qu'il y a d'autres façons de réagir ? Tu aurais pu être moins dure ? Plus compréhensive ? J'sais pas. J'ai jamais été amnésique, je ne peux pas me permettre de juger. Mais c'est douloureux, pour ceux qui n'oublient pas. Et te recevoir à ma porte avec ce genre de discours, c'est d'autant plus douloureux.

Je desserrai les dents face à ses excuses. C'est bon. Calme-toi Mitsu. T'as besoin de te calmer. De relativiser en ce moment. Tu pars au quart de tour, et tu le sais.

C'était sans compter sur sa dernière prise de parole.

J'ai eu l'impression qu'on m'enfonçait un tournevis dans le coeur et qu'on le tournait encore et encore, inlassablement, dans le seul but de me rappeler mes torts et de me les rejeter à la figure.

-J'suis désolée, pour Liam et toi.

Respire, Mitsu. Respire. Ne t'emporte pas.

Je sentis mes mains qui commençaient à trembler et je les cachais dans les poches de mon pantalon. Je tirai la porte d'entrée avec la pointe de mon pied pour la laisser entrer sans lâcher un mot avant de la refermer dans un claquement.

-J'ai pas envie d'en parler, me contentai-je de lâcher en me dirigeant vers la cuisine pour sortir des verres. Tu veux boire quelque chose ?

J'veux pas en parler. Pas là, pas maintenant, pas de cette façon-là. J'arrête pas d'en parler, j'arrête pas de ressasser - tu peux pas débarquer comme ça et me balancer ça comme ça, je sais pas ? Je me sens déjà tellement mal, je culpabilise déjà tellement, j'ai déjà juste l'impression d'avoir tout perdu et quoi...? Faudrait en plus que je me justifie ? J'ai juste besoin de penser à autre chose. D'évacuer. De me libérer l'esprit avant la prochaine réunion où je le croiserai, où soutenir son regard sera insupportable, ou entendre sa voix me détruira.

J'expirai un grand coup. Calme-toi Mitsu. C'est les verres qui sont en train de tout prendre, là. Et les verres, ils t'ont rien fait... Donc va pas les casser, merci.

Bon OK. J'ai peut-être séché les cours de diplomatie quand j'étais gosse, j'avoue. Mais j'étais très inquiète pour Mitsu, trempée et coupable de mon attitude avec mon amie. Ce n'est pas avec elle que j'avais été le plus dure mais avec Ys, et pourtant, je lui en avais fait baver. Je lui avais demandé beaucoup de détails sur nos entraînements, j'avais tenté de comprendre pourquoi ou plutôt comment j'avais pu la tromper sur mon état. J'avais essayé de comprendre qui elle était et pourquoi nous étions devenue amie. Mais à force de me faire entendre dire que je n'étais plus la même par les uns et les autres, j'ai juste arrêté d'essayé de le redevenir. Et j'avais merdé. A ce moment-là, sans m'en rendre compte, j'avais tout perdu. Si Ys m'avait pardonné, les autres le pourraient-ils? Ou plutôt, le voudraient-ils seulement?

Elle m'a dit qu'elle était désolée pour Liam et je savais que c'était vrai. Elle n'avait jamais voulu avoir raison quand elle m'avait mise en garde. Mais la réalité était là, j'aurai dû l'écouter. Peut-être que j'aurai alors eu moins mal.
Elle m'a enfin laissé entrer et j'ai retirer ma veste et mes chaussures histoires de ne pas lui tremper la baraque. Ouais j'ai encore mes bonnes manières.

Sans m'accorder plus d'importance, elle s'est précipitée dans la cuisine, m'affirmant qu'elle voudrait pas en parler avant de me demander si un verre me tentait.

- Je prendrai la même chose que toi. Dis, t'aurais pas une serviette s'il te plait? Je suis complètement trempée et j'aimerai évité de tout salir chez toi.

Je connaissais Mitsuki depuis longtemps maintenant, de même que son compagnon. Ils étaient pareils sur un point: Ils ne se livraient jamais. Mais si j'avais réussi à faire avouer Ys, peut-être arriverai-je à faire de même pour elle. Pour autant, il allait falloir passer au plan B. Le frontal, ça marche pas avec la miss.
Une fois qu'elle fût de retour je lui ai fait un pauvre sourire en plus tendant le sac en plastique que j'avais en main. A l'intérieur, il y avait toutes les pâtisseries que nous adorions. Après tout, à force de sortir à la fête foraine, au café et autres entre deux entraînements et trois fou-rire parce que je m'étais encore brûlée comme une cruche, je commençais à connaître ses goûts.

- Tiens. Je me suis dis qu'à défaut d'aller au café, on pourrait faire venir le café à nous.

J'avais un petit sourire en coin, peu sûre de moi quand à l'issue de cette entrevue.

- Je suis désolée pour mon entrée... fracassante. J'aurai dû être un peu plus diplomate. Mais... Mais je me suis rappelée de tellement chose... J'ai retrouvé beaucoup de mes souvenirs, dont toi et... Et quand Ys m'a dit ce qu'il s'était passé, je me suis inquiétée. Ma réaction à l'hôpital était merdique, je te l'accorde. Mais je te demande de me croire quand je te dis que je ne savais plus du tout où j'en étais. Je suis toujours la même Mitsuki, je suis toujours ton amie. J'ai juste mis du temps à m'en souvenir... Pardonne moi je t'en pris. Sans vous, je suis rien. Vous êtes ma famille.

J'étais à cran. Je crois que depuis la dernière fois que j'avais explosé et depuis les dernières conversations que j'avais pu avoir avec mes proches, j'avais trop promis que je ferais plus attention, que je ne craquerais plus, que je n'abuserais plus de mes limites - que je n'utiliserais plus ma greffe à outrance. Et qu'est-ce que j'en avais envie ! Est-ce que si je sautais d'un immeuble de plusieurs mètres, j'allais arriver au sol en parfait état grâce à mon immortalité ? Est-ce que je pouvais essayer de sauter d'un avion sans parachute et arriver en un seul morceau ? Est-ce que je serais encore capable de résister à l'impact d'un missile ? Tant de question. Et pas de réponse. Et une envie folle de me défouler. D'exploser. De tout laisser partir.

Sauf que je ne peux pas. Ma conscience me le rappelle sans cesse. Je ne peux pas. Alors à la place j'encaisse. Je prends sur moi, j'essaie de sourire mécaniquement. J'essaie de continuer à vivre, à manger, à suivre un rythme correct. Et putain, qu'est-ce que c'est dur ! C'est tellement plus facile d'exploser et de laisser la vie faire son petit bout de chemin.

Joyce me répond qu'elle boira la même chose que moi et je sers deux verres d'eau. Ca fait quelques jours que j'oublie de faire les courses, alors les réserves de soda et autres jus de fruit ont fini par s'amenuiser...

-Tiens, lançai-je après avoir enchaîné deux téléportations pour lui ramener une petite serviette de la salle de bain. Désolée de t'avoir laissé attendre sous la pluie. Je pensais que tu repartirais en te disant que je n'étais pas là...

Ca aurait été sans doute bien plus facile. Joyce me tendit ensuite un sac et je relevai le regard vers elle, un peu gênée, un peu contente aussi, mais angoissée parce que je n'arrivais même pas à exprimer de la joie face à sa mémoire retrouvée. J'ai souvent trouvé que les personnes dépressives étaient juste... Chiantes, lasses, lentes, agaçantes aussi parfois. Maintenant, je crois que je commence à comprendre quand on me dit que la dépression est une vraie maladie et pas juste un état d'esprit qu'on se donne pour se donner un genre. C'est assez horrible. On se sent comme emprisonné de ses propres sentiments. Plus rien ne passe, plus rien ne nous touche réellement.

J'affichai un sourire maladroit et posai le sac sur la table de la cuisine avant de tirer une chaise pour m'asseoir. Je serrai mon verre d'eau entre mes mains.

-C'est pas ta faute. T'as pas à t'excuser pour quelque chose qui n'est pas de ta responsabilité. C'est juste moi, j'suis... Enfin nan, laisse tomber. T'excuse pas. C'est à moi de le faire, alors désolée.

Je me levai un peu rapidement pour aller chercher deux petites assiettes dans un placard. Je les déposai sur la table avec deux petites cuillères.

-Allez, tiens, prends ce que tu veux, on va manger toutes les deux !

J'ai tellement, mais tellement pas envie d'avaler quoi que ce soit...

-Tu as retrouvé tes souvenirs quand ? Je ne m'attendais pas à ce que ça revienne un jour, je suis contente, en vrai. Tu as eu d'autres souvenirs ? Genre, tout s'est débloqué d'un coup ?

Je ne vais pas mentir en vous disant qu'une fois que Mitsu su que j'avais retrouvé mes souvenirs, tout fût pardonné et oublié. Au contraire. Les rancœurs et les douleurs étaient bien présentes. Bien des choses s'étaient passées dans nos vies sans qu'on ne soit présente l'une pour l'autre. On savait toutes deux pour nos ruptures, mais on ne voulait, ne pouvait, en parler. C'était trop dur. Trop frais. Et pourtant, Dieu seul sait à quel point j'aurais aimé pouvoir en parler avec mon amie devant une comédie à la con en mangeant des cochonneries. Un vrai cliché. Mais, parfois, ça fait du bien de lâcher prise.

Elle s'est excusé de m'avoir fait attendre mais je sentais bien qu'elle aurait préféré que je comprenne le message. Je l'avais compris. Simplement, je ne l'avais pas écouté. Parce que je savais comment se sentait Mistuki: Misérable, abandonnée, dépressive. Je le voyais. Parce que je l'avais été. Parce qu'il est si difficile de sortir de cet état que l'on croit définitif. Parce que c'est tellement plus simple de se dire que l'on est mieux seul qu'entouré. Parce que l'on préfère s'enfermer plutôt que de voir la lumière du jour. Parce qu'on ne désire qu'une chose: Repousser nos limites jusqu'à les faire céder, tomber pour ne pas se relever. Pour se prouver qu'on est toujours en vie, qu'on peut ressentir. Parce que c'est tellement plus simple de ressentir une douleur physique plutôt mentale.

Elle s'est excusée et je lui ai fais signe que ce n'était pas la peine. La vie nous force parfois à faire des choses dont on se serait cru incapable en temps normal.
Elle proposa que l'on mange, mais je vis bien combien l'action la rebutait. Elle ne pouvait pas manger. Elle ne voulait pas. Elle voulait qu'on la laisse tranquille. Elle voulait que je parte, même si au fond, elle était contente que je sois venue lui annoncer que je me souvenais. Je connaissais Mitsuki. Et je ne l'avais jamais vu ainsi. Leur rupture avait vraiment brisé mes amis. Entre Mitsuki qui s'enfermait visiblement peu à peu dans une dépression dont la rupture avait sûrement dû être un élément déclencheur et non le fondement et Ys qui préférait se droguer et se bourrer la gueule pour oublier, il était temps que je retrouve la mémoire.

Elle me demanda comment tout ça s'était passé et je décidais de ne raconter qu'une partie de la vérité, préférant lui cacher le rôle de son ex dans mon histoire.

- Disons que mon comportement a manqué de finir d'achever un de mes plus proches ami. J'ai pas supporté et visiblement, ça a permis de faire sauter les verrous de ma mémoire. Je me souviens pas de tout mais de l'essentiel. Pour le reste, c'est comme des impressions de déjà vus ou des flash. Je sais que je connais Akito, mais je ne sais pas d'où. Je sais que je suis retournée chez moi, une fois, mais ni comment, ni quand, ni pourquoi. Ca revient au fur et à mesure. Mais pour certaines choses, tout est revenu: Ys, toi, Liam... Je sais d'où je vous connais, me rappelle combien on est proche, nos fous-rires, nos disputes... Tout quoi. Et je me souviens surtout que tu n'as jamais été du genre à mentir. Ni aussi... peu joyeuse.

Je ne voulais pas jouer les hypocrites et faire comme si je ne remarquais pas un changement dans son comportement. Mais je ne voulais pas non plus l'obliger à se livrer. Alors à la place, j'ai choisis de le faire, prenant un morceau d'éclair au chocolat avant de me perdre dans la contemplation de mon verre.

- Je me suis souvenus de Liam et de son départ. Et puis de son retour et de ses promesses. Mais impossible de me rappeler une visite de sa part au moment où je suis rentrée à l'hôpital. Et il n'est pas venu non plus quand je suis sortie du coma. C'est idiot, mais j'étais plus furieuse qu'étonnée. D'une certaine manière, je crois que je savais que ça se passerait ainsi. On s'est appelé tu sais? Il m'a dit qu'il était désolé mais il n'avait pas vraiment l'air de l'être. Quand à moi... Le fait de comprendre ne m'a pas empêché d'avoir le coeur brisé.

J'ai soupiré et j'ai ris jaune.

- C'est idiot non? Comment ai-je pu croire qu'un homme puisse subir tout ça sans m'abandonner un jour? J'aurais fais pareil. N'importe qui aurait fait pareil. Même Ys a fini par me tourner le dos. Je l'ai retenus in extremis et je m'en veux. C'était égoïste de ma part. Si je rechute de nouveau...

Mais je ne finis pas ma phrase. Car on savait toutes les deux ce que je voulais dire: Si je rechute de nouveau, je n'y survivrais pas.
Et c'était bien la ma plus grande peur.

Je ne sais pas pourquoi je lui ai raconté tout ça. Je ne sais même pas si elle avait encore la force d'entendre pareille confession. Mais elle était mon amie et une très bonne conseillère. Je ne sais pas. Peut-être qu'inconsciemment, je lui demandais muettement si j'avais le droit de revenir dans leur vie à tous. Ou si c'était Liam qui avait eu raison en m'évinçant de la sienne, sans aucune explication.

Pendant un long moment, je fixais les pâtisseries, mes pensées tournant inlassablement dans ma tête. D'un côté, je me disais qu'il fallait que je prenne un gâteau, que je le découpe, que je le détruise pour l'engouffrer grassement dans ma bouche, pour montrer que ça allait, pour faire croire que tout allait bien, que tout était rentré dans l'ordre, pour lui montrer que j'étais heureuse de la revoir, heureuse de savoir qu'elle avait retrouvé sa mémoire, en partie. D'un autre côté, envisager de prendre le moindre bout de gâteau dans ma bouche me donnait envie de vomir.

Je n'allais pas bien, et là, je n'étais juste pas capable de faire semblant.

Mes yeux quittèrent les pâtisseries pour se poser sur Joyce quand elle m'affirma qu'elle ne m'avait jamais vu aussi peu joyeuse. Mon coeur se serra et mon diaphragme se contracta tandis que sur mes lèvres se dessinait un début de sourire sarcastique. Je sais qu'elle n'avait pas dit ça méchamment. Je sais qu'elle n'avait pas voulu me blesser, je sais qu'elle n'avait fait que relever une évidence pour me montrer qu'elle savait, même si elle n'insistait pas dessus. Mais c'était énervant. Ca m'énervait qu'on mette le doigt dessus comme ça, si facilement, sans la moindre gêne, comme si c'était un reproche et qu'on me disait juste qu'il fallait que je me bouge le cul.

Heureusement, la conversation partit ailleurs. Joyce me parla de son réveil, de sa séparation avec Liam, de son appel, de son abandon. Mes yeux s'humidifièrent et je baissai les yeux, prenant rapidement une pâtisserie dans le sac pour la mettre dans mon assiette afin de faire diversion. L'abandon, c'est dur. Le rejet, la solitude. Quand tu te réveilles et que tu es seule. Quand tu te souviens de tout, et que tu te souviens que lorsque tu n'avais toujours pas retrouvé la mémoire, la seule personne de laquelle tu aurais aimé avoir des nouvelles ne t'en a pas donné. N'en a pas pris.

Quand tu réalises que la personne qui comptait le plus pour toi ne partageait visiblement pas les mêmes sentiments.

Je masquais le début de mes larmes en remettant mes cheveux en place, profitant de ce geste pour essuyer maladroitement mes yeux.

-Tu ne rechuteras pas, lâchai-je abruptement.

Je daignai enfin relever les yeux vers elle, ancrant mon regard dans le sien.

-Tu ne rechuteras pas. Il a été con. Il a juste été con s'il t'a laissé tomber. Il te mérite pas. Et même si c'est dur maintenant, même si c'est dur, tu surmonteras ça, et tu pourras repartir de l'avant. Ca prendra le temps que ça prendra, mais tu te reconstruiras, mieux, avec quelqu'un d'autre, quand tu t'en sentiras capable, quand le moment sera venu. Et tu réaliseras alors que les sentiments que tu éprouvais pour Liam n'étaient rien comparés à ceux que tu ressentiras à cet instant-là. Parce qu'il t'a trop fait souffrir pour mériter une place dans ton coeur. Il t'a juste trop fait souffrir. Sans raison. Egoïstement.

J'avalai difficilement ma salive, reprenant mon verre d'eau en main pour le serrer entre mes doigts tendus.

-Et dis pas que personne peut surmonter ça. Tu l'aurais fait. T'es pas du genre à laisser tomber les autres. T'es toujours là pour tout le monde. Et tu es toujours à essayer de protéger tout le monde. T'aurais pas agi comme lui. Arrête de dire des conneries.

Il n'y a pas pire supplice au monde que de vivre avec une épée de Damoclès au dessus de la tête. On sait qu'un jour, la sentence tombera, on sait que notre vie en sera à jamais bouleversée, sans savoir à quel point les conséquences en seront dévastatrices ni quand cet instant arrivera.
Dans mon cas, j'ai vécu plus de trois ans sans savoir si j'aurai la vie sauve ou non. Sans savoir si la vie que je me construisais aurait un sens. Un but. Un intérêt. Trois ans, c'est long, surtout quand on est adolescent et que le moindre changement peut vous bouleverser. Surtout quand vous avancez à l'aveugle et la plupart du temps seul. Avant de rencontrer une nouvelle famille, prête à tout pour vous éviter le coups fatal.

Mitsuki, Ys, Misao, Liam, Akito... Ils m'avaient tous sauvé, même si aucun n'en avait conscience. Au delà de leur soutien sans faille, on pouvait noter autre chose: Ys avait pris les bonnes décisions au bon moment et m'avait offert de son sang pour permettre à l'opération d'être envisageable. Misao m'avait accompagné à l'hôpital, m'aidant à comprendre les pronostiques et à mieux prendre mes décisions. Liam m'avait permit de penser à autre chose, me montrant une vie différente. Akito, par sa méconnaissance, m'avait permis d'oublier la maladie. Et Mitsuki? Mitsuki m'avait permis de m'endurcir. Durant les entraînements, on avait toujours tenté d'oublier mon état physique. J'étais allée au plus près de mes limites. Parfois il y avait eu des tensions et des malaises, mais c'était toujours bénéfiques, même si à un moment, on aurait pu en douter.

Aujourd'hui que j'avais récupéré ma vie et mes souvenirs, je m'étais rapidement rendu compte qu'il manquait quelque chose. Il manquait Liam. Je n'avais pas compris pourquoi il n'était pas là. Je m'étais demandé si je n'avais pas oublié ses visites, mais la réalité était tout autre: il n'était jamais venu, ne m'avait pas soutenu et était parti. Quand je l'avais appelé, furieuse et surtout dévastée, il avait fini par me quitter. Et bien sûr, fière que j'étais, je n'ai rien laissé paraître dans ma voix. Et si Ys m'avait vu défoncé la moitié de ma chambre pour brûler l'intégralité des affaires de Liam, personne ne savait combien son départ  m'avait affecté. Nous avions quand même vécu une histoire longue de plusieurs années. Et il avait tout bazardé au pire des moments. Quand j'avais besoin de lui.
Je n'avais pas prévu dans parler à Mitsu. Je veux dire, elle avait rompu avec Ys. Il dormait chez un pote au lieu d'être dans son lit avec la femme de sa vie. Et elle? C'était une vraie épave, même si je ne lui dirais pas. Il n'y a rien de plus désagréable à entendre que le fait que l'on arrive pas à cacher notre mal-être.

Elle affirma tout à coups que je ne rechuterai pas.
Vous vous souvenez de l'épée dont je vous parlais tout à l'heure? Quand on vit avec pendant des années pensez-vous vraiment qu'on l'oublie du jour au lendemain une fois celle-ci retirée? J'avais encore peur de rechuter. J'avais peur de me réveiller un beau jour à l'hôpital sans comprendre. J'avais peur d'avoir eu un faux espoir. Certes mon pronostique de rétablissement était passé de 23% à 72% Mais il restait tout de même 28% de chances de rechute.

Mitsuki finit tout de même par river son regard au mien et j'y vis bien son émotion. Elle m'avoua que Liam avait été con, qu'il ne me méritait pas. Elle me dit qu'en prenant mon temps, je surmonterai et la rupture, et la trahison et qu'un jour, je trouverai un homme à la hauteur. C'était étrange de l'entendre me dire ça alors qu'elle même avait le coeur en peine. Elle m'a dit qu'il m'avait fait bien trop souffrir pour être le bon et je ne pouvais qu'être d'accord. On ne va pas se mentir: J'avais souffert de son absence pendant trois ans. Et j'avais souffert de son absence depuis mon hospitalisation.

 Elle finit par me disputer au sujet de ma culpabilité. Elle affirma que je n'aurai pas fait pareil, que j'étais toujours là pour mes proches. C'était pas faux mais ce n'était pas vrai non plus. Aurais-je vraiment eu la force qu'avait eu Mitsu, Ys ou encore Misao? Aurai-je pu être présente pour eux comme ils l'étaient pour moi?

- C'est flippant au fond. Ca fait trois ans que j'avais perdu l'espoir d'avoir une vie. J'ai cantonné mes envies à du court termes. Et aujourd'hui... J'ai tellement de temps devant moi que je ne sais plus quoi en faire. Et je me rends compte que ce que j'affectionnais le plus... Le réel avenir que je voulais voir devenir réalité.. Je peux l'oublier.

J'ai eu un sourire désabusé.

- Tu l'as rencontré, toi, le bon?

J'ai observé Mitsuki avec un air candide. Je sais que ma question semblait intéressée. Je sais qu'elle pourrait croire que je cherchais juste à fouiner. mais non. En réalité, j'étais juste une enfant qui demandait à son aînée si l'amour existait vraiment, après avoir essuyé sa première peine de coeur.

Trois ans. C'est long, trois ans. Trois ans, c'est la durée de ma relation avec Ys, qu'il a jeté à la poubelle comme si ça n'avait jamais existé.

Si Joyce a passé trois ans à planifier sa vie sur du court terme, j'ai passé trois ans de ma vie à envisager le long terme. Pour que ça se termine brutalement. Pour que ça se transforme en court terme. Schémas parallèles mais pas forcément opposés. Les sentiments ressentis sont en partie similaires. On se sent mal. On voit sa vie basculer et on ne peut rien faire pour changer ça. Et toutes nos habitudes s'en trouvent chamboulées.

On repart à zéro, sans aucune aide, sans le moindre indice sur comment vivre sa vie si différemment que ce que l'on s'était imaginé à l'origine.

Un frisson me parcourut l'échine et je retirai brusquement ma main du verre que je tenais, ayant peur de le casser sans y faire attention. Mon coeur se serra, et je relevai le regard vers Joyce alors qu'elle me posait la question. Cette question.

Est-ce que j'ai trouvé le bon ? Mon regard se voila.

J'aimais Ys. Je l'aimais plus que je n'avais jamais aimé qui que ce soit. J'étais prête à tout pour lui. Absolument tout. Même si je n'étais pas du genre à avoir du mal à me sentir à l'aise avec les gens, c'était avec lui que je me sentais le mieux. Il m'aidait à me sentir complète. J'avais besoin de lui pour être moi. S'il n'était pas là, je n'étais qu'une partie de celle que je suis aujourd'hui. S'il n'était pas là, je n'étais pas moi.

Les larmes me montèrent à nouveau aux yeux. Je crois que c'était devenu habituel, ces temps-ci, de pleurer. Je crois aussi que je n'avais jamais autant pleurer de ma vie. Je n'étais pas bien. Je n'allais pas bien. Et j'étais absolument incapable de combattre cette douleur qui me lancinait les tripes depuis que je l'avais vu faire sa valise et partir.

Je détournai le regard, cherchai le moindre objet sur lequel j'aurais pu fixer mon attention. Je sentis que mes mains commençaient à trembler et je les glissai entre mes cuisses pour essayer de les contenir.

Aucune larme. Je n'allais verser aucune larme. Pas aujourd'hui. Pas demain non plus. Je n'allais plus pleurer. Même si c'était dur. Même si ça me bouffait de l'intérieur. Je n'allais plus pleurer. Je l'avais déjà trop fait, et j'avais trop dérangé les personnes autour de moi à cause de ça.

Joyce n'avait pas besoin de ça. Elle était déjà suffisamment mal. Elle avait déjà suffisamment de souci. Je ne pouvais pas lui infliger ça.

-Oui.

Je ne savais pas quoi dire de plus. Je ne savais pas sur quoi rebondir. Je ne savais plus rien.

-Et crois-moi, quand tu le rencontreras toi aussi, tu le sauras. On le sait toujours.

Parce qu'on ne se rend compte de ce qu'on a qu'une fois qu'on l'a perdu. Parce que lorsqu'on le perd, ce n'est pas la colère qui nous habite. C'est simplement le vide. Le vide, et les larmes qui essaient vainement de remplir ce vide.

Il y a des mots que l'on a du mal à oublier. Des situations qui refusent de nous laisser en paix. Des gestes qui ne cessent de nous hanter. Liam faisait parti de ces trois catégories. Quand on s'était quitté, il m'avait affirmé ne plus supporter mon état de santé. Je sais qu'il ne se voulait pas être méchant mais ses mots avaient été blessants. Moi non plus, je ne le supportais plus. Moi non plus, je n'en pouvais plus. Et nous étions loin d'être les seuls. Et pourtant, les autres étaient restés, eux. Ils ne m'avaient pas laissés pour morte dans cet hôpital.

Je sais que les apparences jouent en ma défaveur, mais il faut que vous compreniez une chose: Je n'en voulais pas à Liam. Contrairement à ce que pouvait penser Mitsuki, je ne pouvais affirmer avec certitude que dans le cas inverse, j'aurai tenu le choc. Pour autant que je sache, Liam avait perdu sa mère. Il connaissait la douleur de la perte et il était parti. Moi, j'avais perdu toute ma famille. Comment aurais-je pu réagir? Je sais. Ys en est un contre exemple. Mais nous n'avions pas les mêmes relations.
Cependant, sans lui en tenir rigueur, je restai déçue. J'avais vraiment cru en ses promesses, quand il était revenu. Peut-être aurais-je dû me méfier plus longtemps. Mais je fais partis de ces gens qui pensent que tout le monde peut changer: Sûrement ai-je eu tord à son sujet.

Quand j'ai demandé à Mitsu si elle avait rencontré le seul et unique comme elle me préconisait de le faire, j'ai bien vu à quel point ma question l'a perturbée. Je n'ai pas eu besoin qu'elle réponde pour le comprendre: Bien sûr qu'elle l'avait connu. C'était Ys et ça le serait toujours.
Je sais ce que vous allez me dire: "Ne t'en mêle pas". Je sais et je ne le ferai pas. C'était à eux de se retrouver ou de passer à autre chose. Mais peu importe leur décision, je choisirai de les soutenir et je refuserai d'être le cul entre deux chaises.

Ce qui me perturbait vraiment, en revanche, c'était le discours de mon ami. Pour moi, quand tu rencontres cette personne avec qui tu voudras et pourras tout vivre, il ne peut y avoir de limites à ce rêve. Chacun doit faire des efforts, être prêt à tout. Alors pourquoi n'était-elle pas prête à lui dire ce fameux oui? Pourquoi n'avait-elle pas pu lui faire cet honneur? Je ne blâmerai jamais Mitsuki. C'est une décision suffisamment importante pour qu'elle soit prise en toute conscience. Mais je ne comprenais pas. Si Ys était l'homme de sa vie, pourquoi ne voulait-elle pas l'officialiser? Et lui, pourquoi n'avait-il pas tenté de comprendre son refus, avec le recul? Peut-être étais-je trop jeune pour le comprendre, ou peut-être était-ce eux qui étaient trop vieux pour voir la réalité en face, je ne sais. Pour autant que je sache, leur histoire ne datait pas d'hier. Mitsuki aimait Ys et Ys aimait Mitsuki. Pourquoi compliquer une chose aussi simple?

Quand elle a finit par me répondre, j'ai bien vu les larmes qu'elle tentait de contenir. Elle avait caché ses mains, tentant vainement de ne pas craquer. Elle me dit même que je finirai par rencontrer cet autre et que ce jour-là, je comprendrais. Mais non, je ne comprendrais jamais. Pourquoi s'empêcher d'être heureux comme le faisait mes amis? Pourquoi se refuser le bonheur de l'amour quand on avait la chance de le connaître?

- Comme toi avec Ys pas vrai? Parce que c'est de lui dont tu parles, n'est-ce pas?

Je me suis approchée de mon amie pour finir par la prendre dans mes bras. Parce que non, je n'étais plus faible, et oui, j'étais capable de supporter et d'aider mon amie à aller mieux. J'allais bien, elle, non. Parfois c'était aussi simple que cela. Elle ne pourrait pas mentir. Au point de dépression où elle était, elle ne pourrait pas. Elle ne pouvait sûrement plus.

- Je suis désolée pour votre rupture. Et je suis là, si tu en ressens le besoin.

Parce que oui. Parfois, c'est aussi simple que cela.

L'entendre prononcer son nom était plus douloureux que ce que j'aurais cru. Je baissai le regard, serrant les dents pour ne pas me laisser aller aux sanglots.

Bien sûr que c'est de lui dont je parle. De qui d'autre aurais-je pu parler ? Qui d'autre pourrait me mettre dans un tel état ? Je n'étais jamais tombée aussi bas, en fait. Jamais. Il fallait que je sois sacrément amoureuse, hein. C'est ironique, lorsqu'on y pense. Se faire autant de mal pour quelque chose qui est sensé être si beau.

Joyce se leva et me pris dans ses bras. J'écarquillai, surprise par le geste. Je n'en attendais pas tant, aussi vite. J'avais entendu qu'elle avait retrouvé ses souvenirs, j'avais vu dans son regard qu'elle ne jouait pas la comédie. Mais nos retrouvailles avaient été si compliquées, si mouvementées, que je ne pensais pas retrouver cette proximité aussi rapidement.

Et pourtant, malgré ma réticence, malgré mes doutes, malgré ma peur et mon inquiétude, je répondis à son étreinte. Je la serrai contre moi, me rattachant à elle comme je le pouvais. Garder les pieds sur Terre. Ne pas craquer. Ne pas céder aux larmes.

Ses mots eurent l'effet d'une bombe. Je resserrai encore mon étreinte dans ses bras, fermai les yeux, essayai de respirer pour ne pas céder. Je ne devais pas craquer. Je ne pouvais pas me le permettre. Pas encore. Plus jamais. C'était trop dur à supporter.

-Ca ira. Ca ira, répétai-je comme pour m'en convaincre. Ca ira. Faut pas que tu t'en soucies. Faut pas que tu t'en préoccupes. Ca ira.

Ca finira par aller. Même si je ne crois plus au fait "que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort", ça ira. Même si je ne sais pas combien de temps ça prendra.

Mes pensées s'évadèrent et je réfléchis un instant à la raison de la présence de Joyce ici. Un sourire triste et désespéré étira mes lèvres alors que je décidai de rester dans ses bras, ne me sentant pas d'affronter son regard.

-Tu l'as revu, pas vrai ? Depuis que tu as retrouvé la mémoire ?

Nous ne sommes pas invincibles. Pas plus que nous ne sommes insensibles. On a tous nos faiblesses, nos tracas et nos aléas. Nous ne savons pas toujours jongler entre les problèmes et les bonheurs. On a tendance à oublier notre sourire, trop occupé à penser à nos ennuis. C'est ainsi, l'Homme sera toujours faible face à lui-même.

Mitsuki m'a laissé la serré, elle-même répondant jusqu'à manquer de m'étouffer. Je voyais bien qu'elle se retenait de craquer, inutile d'être une génie pour ça. Elle allait mal mais ne voulait pas le montrer. C'était donc à moi de l'obliger à se confier et à se laisser aller. Parce qu'elle avait tendance à repousser chaque personne voulant lui apporter réconfort et bonheur, je me devais de rester. Et je n'accepterais aucun refus.

Elle affirma que ça irait et que je ne devrai pas m'en inquiéter. Mais nous savions toutes deux que dans le cas inverse, elle se serait inquiétée et que par conséquent, moi aussi je m'inquiétais également. C'était ainsi.
Suite à cela, elle me demanda si j'avais revu Ys depuis la fin de mon amnésie. J'ai soupiré et doucement, je l'ai obligé à me regarder.

- C'est lui qui m'a rendu mes souvenirs Mitsuki. C'est Ys qui m'a sauvé.

J'ai soupiré et j'ai eu un sourire amère.

- Il... Il me fallait je crois un choc émotionnel, comme pour une étoilisation. Mon état, Terrae, votre rupture, la fin des Paws up... Ys n'en pouvait plus, il a fait n'importe quoi. Quand je l'ai trouvé dans les sous-sol... Il avait un joint en main et il était complètement bourré. Il a brisé sa guitare sous mes yeux. Je n'ai jamais eu aussi peur de lui. Pas de ce qu'il pourrait me faire, mais de ce qu'il pourrait se faire à lui-même. Je suis revenue à ce moment-là. Il fallait que je revienne. Il avait besoin de moi. Tout comme il a besoin de toi, même si tu refuses de le voir par peur d'être désillusionnée ou déçue.

J'ai retrouvé son regard et je l'ai soutenu. Mitsuki n'en avait peut-être pas conscience, mais en agissant comme ils le faisaient, c'était eux qu'ils détruisaient.

- Il t'aime Mitsuki, de la même force avec laquelle tu l'aimes toi. Si tu savais la chance que vous avez de pouvoir compter l'un sur l'autre, de vous aimer si fort... Je ne comprends même pas pourquoi vous vous êtes séparés. Ys m'a sauvé à l'hôpital puis en me rendant mes souvenirs. Quand à toi... Tu m'as donné la force de me battre de part nos entraînements et tes encouragements. Vous êtes tous deux de merveilleuses personnes. Et ça me navre que vous soyez les seuls à ne pas le voir.

J'ai finis par détourné les yeux, l'émotion me nouant l'estomac.

- Je ne pensais pas revenir d'entre les morts pour ne plus reconnaître personne, pas par manque de souvenirs, mais parce que vous n'êtes plus que l'ombre de vous même. Alors que s'est-il passé?

HRP : Désolée pour le retard, j'ai juste dû arrêter de vivre pendant 20 jours :'(

La jalousie n'est pas un bon sentiment. C'était quelque chose que je découvrais encore, mais jusqu'alors, Ys avait toujours été avec moi, et il m'avait toujours montré que je comptais beaucoup pour lui. Alors je ne l'avais pas expérimenté à fond. J'étais jalouse, un peu. Mais c'était largement supportable.

Lorsque Joyce m'a dit que c'était grâce à lui qu'elle avait retrouvé la mémoire, lorsqu'elle m'a dit qu'il l'avait sauvée, j'ai senti mon coeur se serrer. Il l'avait sauvée. Elle. Pas moi. Moi, il m'avait abandonnée. Il m'avait laissée tomber. Il était parti. Sans un regard en arrière. Sans un "au revoir". Il avait simplement emmené ses affaires, m'avait dit "adieu" silencieusement.

Alors oui. Oui, j'étais jalouse de Joyce. J'étais terriblement jalouse d'elle, parce qu'elle avait encore ce rapport privilégié avec elle, alors qu'elle avait pourtant perdu la mémoire ! Et il était resté. Il avait continué à la soutenir. Il l'avait sauvée.

Mes yeux se fermèrent et j'hésitai un instant avant de prendre la parole. Je ne la pris pas, car Joyce crut bon d'en rajouter une couche. Il n'allait pas bien. Il était au plus mal. Il fumait et il buvait. Hahaha. D'accord. Oui, d'accord. Normal. Tout allait bien. Tout allait parfaitement bien. Et qui était là pour le soutenir ? Qui était là pour lui remonter le moral ? Pas moi. Certainement pas moi. Pourquoi serait-il venu me voir ? Après tout, on n'est plus ensemble, non ? Je retins un rire nerveux. Il avait besoin de moi. C'est ça, oui. Il avait besoin de moi. Il avait bien pris ses affaires, non ? Il avait bien fait ses valises ? Il était parti. Qu'est-ce qu'elle ne comprenait pas là-dedans ? L'amertume me consumait et je ne réalisais qu'à peine à quel point j'étais mauvaise.

Pourtant, malgré ses belles paroles et ses gentilles attentions, Joyce fit l'erreur de me demander ce qu'il s'était passé. Je sentis les sanglots me monter à la gorge, mais la jalousie que j'avais éprouvée plus tôt suffit à les calmer.

-Il s'est passé qu'il est parti. Je me sentais seule. J'avais l'impression de ne plus avoir personne. J'ai perdu tous mes repères, je me suis rendue compte que la seule chose dans laquelle j'étais sensée exceller... Et ben je n'excellais pas réellement dedans. Ys était tout le temps en mission, et j'avais juste l'impression de me retrouver seule au monde avec mes démons qui revenaient me hanter. Et je n'étais pas bien. Et ça n'allait pas. Et on m'a dit qu'il fallait que je fasse attention, tout le temps, à ne pas exploser, à ne pas me servir excessivement de ma greffe. On m'a dit qu'il fallait que je m'ouvre davantage, et que j'arrête de ne m'exprimer qu'avec des gestes. Alors j'ai essayé, même si c'est dur pour moi. J'ai essayé, parce qu'on m'a dit de faire ça et ça, et de ne pas faire ça et ça. Et peut-être une demie-heure plus tard, Ys m'a demandée en mariage. Ce n'est pas que ça ne m'a pas fait plaisir, ce n'est pas non plus que je ne voulais pas. Mais je ne sais pas, je n'étais pas prête ? Je n'attendais pas ce genre de réponse à ce moment-là, je n'attendais pas ça. J'avais juste besoin de paroles gentilles et de câlins ? J'en sais fichtrement rien, sérieux ! Je sais juste que je ne m'y attendais pas, que ça m'a prise de court, je sais que j'ai paniqué, que j'ai cherché à comprendre, que je n'ai pas su comment réagir ; je sais que je n'ai pas eu la réaction à laquelle il s'attendait, et je le comprends ! Je sais que j'ai merdé. Et le lendemain, il était parti en mission sans un mot. Et je n'ai pas eu un message de la semaine. Pas une seule nouvelle. Et quand je suis rentrée un soir, il préparait ses valises, rangeait ses affaires. Il partait. Il ne m'avait pas dit qu'il était rentré. J'ai essayé de lui dire de rester. Je lui ai dit que je m'en voulais, je lui ai proposé d'en parler, parce qu'il faut en parler. Je lui ai dit que je n'avais jamais refusé sa demande, que j'avais juste besoin de temps pour me remettre les idées au clair. Je lui ai dit que je l'aimais. J'ai essayé. J'ai essayé de tout faire pour l'empêcher de partir. Et j'ai échoué. Il m'a juste repoussée, et je ne l'ai pas supporté, alors je suis partie de la maison et je me suis perdue dans la forêt.

J'essuyai maladroitement les larmes qui roulaient sur mes joues. Je ne les avais pas senties venir, mais finalement, la jalousie et la colère n'avaient pas suffi à les contenir. Je me mordis la lèvre inférieure et détournai le regard. C'était sorti d'un coup, d'un bloc, c'était en fouillis. Mais c'était sorti. Et c'était bien, non ? J'avais appris à juste parler, c'était bien ça qu'il fallait que je fasse, non...?

-Tu ne m'en donc voudras pas de ne pas te croire lorsque tu me dis qu'il m'aime... Parce que ce jour-là, ce jour où il est parti, ce n'est pas ce que j'ai ressenti. Ce n'est pas ce que j'ai lu dans son regard...

Il est étonnant de voir combien notre vie peut être affectée par les coups durs. Une fois qu'une merde arrive, d'autres la suive généralement, comme si la première ne suffisait pas. Mitsuki en voulait à Ys de ne pas lui avoir donné ce dont elle avait besoin à ce moment-là et d'avoir précipité les choses, je l'avais bien compris. Mais je connaissais Ys et je comprenais pourquoi il avait demandé la demoiselle au fort tempérament en mariage. Et je savais pourquoi il était parti, après. Il était parti pour les même raisons qui avaient précipité son départ, avant que je ne retrouve la mémoire. Ce jour-là, si j'avais su le retenir, c'est parce que j'étais redevenue moi-même. Mais Mitsuki n'était plus que l'ombre d'elle-même et Ys n'était plus tout à fait lui-même non plus. A force de se voir ainsi, ils n'avaient tout simplement plus supporter pareil spectacle.

Quand mon amie a versé ses larmes j'ai vu devant moi un pan de sa carapace se briser. Où était passé ma vieille copine qui riait toujours en râlant que l'une de ses inventions ô combien compliquée ne marchait pas à cause d'un bug qu'elle devait ABSOLUMENT régler?

- Tu t'es demandé pourquoi il t'avait demandé en mariage? Je veux dire, tu me dis que tu voulais simplement son soutien sans faille, des câlins et de l'amour. Mitsu, c'est ça le mariage! C'est pas qu'un engagement, c'est la promesse de le tenir. Ys t'aime, je te l'assure, simplement... Simplement il a dû prendre ton absence de réponse comme une preuve qu'il ne te méritait pas. Vous méritez tout le bonheur du monde Mitsuki... mais ensembles. Il a cru que tu ne le pensais pas capable de te rendre heureuse... Et tu as cru que son départ signifiait son insignifiance à ton égard.

Ce n'était pour moi qu'une sombre histoire de faible estime de soi et de quiproquos. Sérieusement, y avait qu'eux pour pas voir que l'un sans l'autre, ils étaient rien.

- Tout ça Mits', faut que vous en parliez. Tu peux pas rester comme ça et si tu as besoin de hurler pour que ça sorte fais le mais ne reste pas comme ça! T'es en train de te détruire et de foutre ta vie en l'air.

J'ai soupiré avant de trouver le courage de lever les yeux vers elle.

- Mitsuki si Ys m'a sauvé c'est parce qu'il est parti! Il m'a abandonné et je suis revenue pour ça. Il avait laissé tombé et ça m'a tellement détruite que j'ai retrouvé la mémoire. Et la seule chose qui l'a fait resté, c'est de voir que j'étais de nouveau moi-même, et que je le comprenais. J'aurai pu lui en vouloir d'avoir voulu m'abandonner, mais après toutes mes conneries, j'ai juste préféré lui parler pour mettre les choses au clair. Tu devrais faire pareil, avant qu'il ne soit trop tard. PArce que sinon, tu le regretteras toute ta vie et tu le sais autant que moi.

J'ai pris une pause avant d'achever, incertaine quand à sa réaction.

- Je ne dis pas que tu as tous les tords, loin de là, Ys peut être un vrai con des fois. Simplement, si aucun de vous deux ne fait le premier pas, jamais vous vous ne vous parlerez et votre histoire sera bel et bien de l'histoire ancienne. Et je suis certaine que tu te refuses à voir une autre femme le rendre heureux, même si c'est pas près d'arriver, puisque tu es la seule qu'il voit.

HRP: