Nathanaël avait passé toute la matinée au parc à s'occuper des plantes qui en avaient besoin et nettoyer les restes d'une fête de la veille. Il avait aussi fait un détour par la serre et le potager pour vérifier que tout était en ordre, puis il était retourné dans sa chambre pour se changer et se laver, avant d'aller prendre un repas bien mérité. Une fois repu et de retour chez lui, il avait encore passé une petite heure à lire, avant de se préparer à sortir.

Cela faisait une semaine qu'Ipiu avait emménagé avec son nouveau colocataire que l'Anglais n'avait d'ailleurs encore jamais vu. Il était barman et s'était trouvé absent lorsqu'il avait aidé sa bien-aimée à déplacer ses meubles et autres affaires. Depuis, le Terre n'avait simplement pas eu le temps de passer chez elle, mais aujourd'hui, il souhaitait lui faire une surprise. Elle ne lui avait pas communiqué son emploi du temps, mais il espérait la rencontrer chez elle un dimanche. Ce fut donc avec détermination et un plant de rosier sous le bras que le jeune homme quitta l'institut, prenant la direction du quartier des Masters.

Ce jour-là, il ne faisait pas spécialement beau, mais suffisamment bon pour ne pas avoir besoin de porter un pull. Vêtu d'un simple T-shirt blanc et d'un short noir lui arrivant aux genoux, le Titan apprécia la balade qui le fit longer le champ de fleurs, avant de bifurquer au niveau du restaurant. Il trouva sans peine la demeure de sa chérie et sonna. Il attendit un moment, un doux sourire sur les lèvres, mais personne ne vint ouvrir la porte. Nathanaël lâcha un soupire. La Sensitive n'était manifestement pas chez elle. Sa surprise tombait à l'eau. Il jeta un coup d’œil autour de lui et réfléchit à ce qu'il souhaitait faire de son plant de rosier. Il avait espéré pouvoir le mettre tout de suite en terre, dans le jardin de la maison, pour autant que son petit cadeau plaise à la femme qu'il aimait, évidemment. L'Anglais se retourna et vint appuyer son dos contre le bois de la porte. D'un geste calculé, il sortit son téléphone portable, désireux d'appeler Ipiu pour lui annoncer la nouvelle et savoir si elle acceptait qu'il plante le rosier en son absence, ne souhaitant pas chambouler son emploi du temps.

Heureusement qu'il tenait fermement l'objet et le pot de fleur dans chacune de ses mains, car ce fut à ce moment précis que la porte s'ouvrit dans son dos. Complètement déstabilisé par la perte de son appui, le Titan se sentit tomber en arrière. Plutôt que de tenter de se retenir ou de se retourner, il veilla à protéger son cadeau et se prépara à effectuer une roulade arrière qu'il exécuta à la perfection, résultat de ses années d'entraînements  d'Aïkido. Dans son élan, il recula même d'un ou deux mètres en glissant et se retrouva un genou à terre dans le hall d'entrée de la maison. Il retint une grimace quand il sentit la douleur de la brûlure causé par le frottement de sa peau contre le sol. Son regard se posa sur un homme, un grand japonais d'à peu près sa taille, blond et bien baraqué. Il se releva et rangea son téléphone dans sa poche avant d'observer le plant de rosier qu'il avait habilement protégé et qui n'avait pas souffert du mouvement. L'Anglais s'avança alors, comme si de rien n'était, vers celui qui avait ouvert la porte.

Bonjour. Tu dois être Erik, je suppose. Je m'appelle Nathanaël. Je suis l'ami d'Ipiu.

Il s'inclina légèrement à la mode japonaise pour saluer l'homme qu'il ne connaissait pas encore.

Je souhaitais lui faire une surprise. Est-elle ici ?

Aujourd'hui, après mon entrainement habituel, au lieu de faire une sieste, j'avais décidé de jouer un peu. DragonBall FighterZ. Et je ponce le ladder, avec ma team faite sur mesure. Aujourd'hui, la flemme de faire à manger. Aujourd'hui, c'est pizza. Pour changer. Je suis en caleçon (pour changer, mais c'est pas ma faute il fait chaud),  mon repas posé sur le lit, la manette de PS4 dans les mains, et je mets la misère aux pauvres inconsciens qui pensent pouvoir me battre. Sauf que là, le type est coriace. Un round partout. Un premier lowkick, une charge de Ki, un combo, et un kamehameha pas piqué des hannetons. Je commence à faire la différence, mais quelqu'un sonne à la porte. Merde. Va falloir aller plus vite. Je m'acharne sur les touches. Un de moins. Plus que Cell et Goku. Plus que Goku. Merde, il a eu mon Vegeta. EEEEEET YEEEEEES! Je lance la manette sur mon lit, sans prendre la peine de passer la cinématique, ce qui risque de faire rager mon adversaire. Tant pis. Je descends les marches 4 à 4, et j'ouvre la porte. Et quelqu'un tombe dans la maison. Attends. Quoi? Quelqu'un tombe? Mais... Oh. Il est pas tombé, il a fait une roulade. Woaw. Beau gosse.

"Wooooaw."

L'ami d'Ipiu? Nathanaël ? Oooh.

"C'est donc toi, le blond le plus canon de Terrae? Et de ce que je sais, t'es plus que son ami, hein? Les fleurs sont magnifiques."

Je me suis un peu emporté, oubliant le principal.

"Mais ouais, Erik, enchanté. Et non, Oneechan n'est pas à la maison, mais elle ne devrait pas tarder. Je peux t'offrir un truc à boire, en l'attendant?"

En me présentant, je lui ai rendu la main, pour le saluer à l'occidentale, après m'être légèrement incliné.

"Tu sais où est la cuisine non? Vas t'installer le temps que j'enfile un truc, je reviens!"

Juste dans le doute, je lui indique la cuisine d'un geste de la main, avant de remonter dans ma chambre pour enfiler rapidement un t-shirt (rose) et un short (beige).

Avant de rentrer dans la cuisine, je reprends la parole:

"Du coup, Nathanaël. Jpeux t'appeler Nath? Nath-kun? Tu veux boire un truc?
Café, thé ? Cocktail ? Juste un verre d'eau?"

Je lui adresse un grand sourire, avant de me diriger vers la machine à café, au moins pour moi-même.

Nathanaël sourit, amusé, devant la réaction d'Erik. Il oubliait toujours que ce genre de petites cascades paraissait bien plus impressionnant vue de l'extérieur. Il chassa cependant ces pensées pour se concentrer sur l'homme qui lui faisait face. C'était bien plus important. Il se présenta et demanda si Ipiu était présente, mais le temps qu'il avait fallu à son colocataire... et le fait qu'il soit en caleçon, lui donnait déjà une idée de la réponse. L'Anglais ouvrit la bouche, surpris, mais ne poussa pas le vice jusqu'à bégayer les premiers mots de son interlocuteur. Lorsqu'il comprit, ses joues rosirent légèrement, mais un doux sourire se dessina sur ses lèvres. Sa bien-aimée lui avait donc dit qu'il était le blond le plus canon de Terrae. C'était terriblement flatteur, mais aussi terriblement délicieux à entendre. Il ne releva pas le fait qu'il ait utilisé le mot ami. Pour lui, sa formulation était pourtant claire. Il n'avait pas dit « un ami », mais « l'ami » et cela changeait tout.

Le Titan fut à nouveau surpris quand Erik appela la Tonnerre « grande sœur », mais il ne dit rien. Il comprenait qu'on puisse s'attacher rapidement à quelqu'un au point de lui faire intégrer sa famille de cœur. Il avait vécu cela avec Alice. Il était même plutôt heureux pour les deux colocataires. Il se contenta donc de hocher la tête et se dirigea vers la cuisine après avoir serré la main du Morphe, à l'occidentale. Le Terre appréciait ce genre de comportement. Chacun faisait un pas vers l'autre. C'était beau.

En l'absence du Japonais, l'Anglais posa le rosier sur la table et observa le mobilier. Il aimait bien la manière dont Ipiu avait agencé l'espace. Il ne prit pas la liberté d'ouvrir les tiroirs et buffets, comme il s'agissait de la première fois qu'il venait vraiment et que la femme qu'il aimait n'était pas présente. Il jeta un coup d’œil par la fenêtre, avant de revenir sur ses pas. Erik entra à ce moment-là dans la pièce, vêtu d'un T-Shirt rose et d'un short beige qui lui allait bien.

Tu peux m'appeler Nath. La plupart des gens le font. Et je prendrai avec plaisir un verre d'eau, je te prie.

Le Titan avait bien conscience que la longueur de son prénom rebutait de nombreuses personnes et il s'était habitué à ce que tout le monde, ou presque, n'en utilise que la première syllabe. Il aurait pu préciser que les personnes proches de lui, Ipiu et Alice pour les citer, l'appelait Nathou, mais ce surnom leur était réservé et il n'admettrait pas que le Morphe en fasse usage. Seules les deux femmes de sa vie avaient droit à ce privilège.

J'espère que je ne te dérange pas. Je peux aussi revenir plus tard ou un autre jour.

Au vu du temps écoulé avant que la porte ne s'ouvre, le Terre imaginait que son interlocuteur avait été occupé. Cependant, il s'agissait là aussi d'une merveilleuse occasion de pouvoir faire connaissance avec l'homme qui partagerait la maison de la Master. Il s'assit donc à la table et observa Erik sortir un verre pour le remplir d'eau et nota dans son esprit quel buffet ouvrir pour en trouver. Il s'imaginait passer beaucoup de temps dans cette maison, dans cette cuisine, peut-être, à préparer à manger aux colocataires de temps à autres, mais il ne s'avançait pas trop. Il prenait simplement plaisir à se projeter un peu.

Merci beaucoup.

Il but une gorgée d'eau, tout en réfléchissant aux questions qu'il pourrait lui poser pour pouvoir mieux cerner le personnage. La Sensitive lui avait brièvement parlé de lui. Il connaissait donc déjà un tout petit peu l'homme à qui il avait affaire. Nathanaël souhaitait cependant commencer en douceur et laisser la conversation suivre son cours.

J'espère que tout s'est bien passé pour le déménagement et que tu n'as pas trop peiné pour monter tes meubles. Ipiu m'a dit qu...

L'Anglais fut interrompu par un « mouai » sonore et une boule de poil lui sautant sur les genoux. Surpris, il ne put retenir un sursaut, mais le chat était déjà sur la table, prêt à taquiner le rosier.

Désolé, mais ceci n'est pas un cadeau pour toi. Je ne te permettrai pas de t'amuser avec et de le blesser.

Il saisit délicatement l'animal et le reposa par terre. Un duel silencieux débuta, regards rivés l'un dans l'autre. La bête jaugeait le sérieux et la propension de son adversaire à céder s'il insistait. Nathanaël était un roc, un roc patient qui, s'il le devait, déplacerait cent fois le chat pour l'ôter de la table. La bataille ne faisait que commencer, sauf si le maître de l'animal se décidait à intervenir.

"Alors ça sera Nath. Et ça marche pour le verre d'eau."

Je prépare mon café, et je sors un verre pour le Titan. Que je remplis avec mon pouvoir. Fraîche. C'est plus fatigant que de la faire à température ambiante, mais pour juste un verre, ça va. Ya pas de petit entraînement. Chaque fois que je génère de l'eau, je sens que je progresse. Que je peux en faire un peu plus. Que ça me fatigue moins. J'ai commencé à faire de petits cristaux, sur mon temps libre. Ils me servent surtout pour boire pendant l'entraînement. Enfin... Après l'entraînement, quand j'ai la flemme de me lever pour aller au robinet. Elle a bon goût en plus, si on peut dire que l'eau a un goût. Je dépose le verre devant lui, et je m'asseoie à côté, mon mug à la main.

"Tu déranges absolument pas, j'étais en train de jouer à la console. Et puis, je suis heureux d'enfin rencontrer celui dont Piu parle tout le temps. Quand elle se plaint pas d'Aaron et Huo, j'entends."

J'exagère un peu, en disant qu'elle parle tout le temps de lui, mais je suis persuadé qu'elle pense à son petit Nathanaël souvent. Je l'ai surprise songeuse plusieurs fois, et j'imagine sans peine que ses pensées vont vers lui souvent.

Il commence à me demander comment s'était passé mon emménagement, mais je suis interrompue par une scène à la fois surprenante, drôle et mignonne. Le blond face à Aeris. Elle est vraiment intenable, mais la façon dont il la repousse est attendrissante. Il la dépose sur le sol, comme je l'aurais fait moi même. Je rigole, mais cette petite peste remonte sur la table. Cette fois ci, je me lève, et je la soulève par la peau du coup, plaçant sa bouille en face de mon visage, avant de parler d'une voix calme, mais ferme.

"Aeris. Combien de fois je t'ai dit de NE PAS monter sur la table, hein? Puis n'embete pas notre invité, et n'abîme pas cette magnifique plante. Okay?"

Je la repose, et elle se dirige vers les jambes nues de l'Anglais, auxquelles elle se frotte un instant, avant de quitter la pièce. Je peux enfin répondre à Nath, juste après une gorgée de café.

"Je t'avoue qu'avec un Titan, un Téléporteur ou un Air bien motivé, ça serait allé plus vite, mais jme suis débrouillé. Puis j'avais déposé ma journée du lendemain pour me reposer/finir de tout installer, alors ça allait. Dis, t'as pas peur des chiens? Ça te dérange si je fais entrer Tifa? Elle a passé déjà la matinée dehors, elle a bien mérité un peu d'affection."

J'attends sa réponse, et j'ouvre la porte, laissant entrer une torpille de fourrure qui me saute dessus. Je la câline un moment, avant de faire les présentations.

"Nath, je te présente ma sœur de cœur, Tifa. Tifa, lui, c'est Nathanaël. Tu dis bonjour ?"

Elle s'approche de lui, fait sa timide un instant, avant d'aller placer sa tête sous la main du Britannique, et de lui lécher le bout des doigts, ce qui lui tire un sourire.

"Du coup, ce rosier, tu veux le planter ? Ou c'est une plante d'intérieur ?"

Eh, je m'y connais pas trop moi. Ce qui est vivant, si ça a pas des plumes, des poils ou des écailles jsuis une buse. Jugez pas.

Nathanaël lâcha un petit rire. Ainsi, Ipiu parlait souvent de lui et se plaignait d'Aaron et de Huo ? Intéressant... Il nota aussi qu'Erik aimait jouer à la console. Il eut une pensée pour Matt qui passait beaucoup de temps sur les jeux vidéo, ce que l'Anglais ne comprenait pas, préférant s'intéresser au monde réel, plutôt que de perdre du temps dans un univers virtuel.

Le chat du Morphe interrompit ensuite la discussion et si un duel de regards s'instaura entre le félin et le Terre, le premier tenta une nouvelle fois de grimper sur la table. Ce fut son maître qui intervint cette fois-ci, coupant court la bataille qui avait lieu dans la cuisine. Le Titan nota dans un coin de son esprit le nom de l'animal qui vint se frotter contre ses jambes. Du bout des doigts, il caressa son dos avant que le chat ne quitte la pièce, puis reporta son attention sur son interlocuteur qui reprenait la parole.

Tout en l'écoutant, Nathanaël but une nouvelle gorgée d'eau fraîche. Il secoua négativement la tête à la première question d'Erik, ainsi qu'à la deuxième. Dès qu'il eut ouvert la porte, une boule de poil entra en trombe dans la cuisine pour lui faire la fête. L'Anglais lâcha un nouveau rire devant cette scène attendrissante. Lorsque Tifa s'approcha de lui après les présentations du Morphe, il attendit patiemment qu'elle fasse le premier pas pour ne pas la brusquer, puis la caressa. Cela ne le gênait nullement qu'elle lui lèche les doigts. Il sourit, trouvant même cela plutôt mignon.

Bonjour Tifa, ravi de te rencontrer.

Le Terre se demanda comment Ipiu vivait le fait d'être la « sœur » d'Erik au même titre que la chienne. Lui trouvait cela un peu étrange, tout de même. Il pouvait avoir beaucoup d'affection pour un animal de compagnie, mais de là à l'appeler sa « sœur de cœur », il y avait un grand pas... un pas de géant même. Pour lui, un animal resterait toujours un animal et un être humain passerait toujours devant. Il nota à nouveau mentalement cette information au sujet du colocataire de la Sensitive. Il retint un soupire et sourit avec douceur.

Oui, j'espérais que le cadeau plairait à Ipiu et qu'elle me laisserait le planter à un endroit adéquat dans le jardin. Sauf, évidemment, si tu as une aversion profonde pour les plantes... ?

Le jardinier de Terrae observa son interlocuteur avec attention. Son dernier commentaire posé comme une question implicite était une sorte de test, ou plutôt une manière d'en savoir plus sur celui qui partageait le même lieu de vie que la femme qu'il aimait.

Et à part jouer à la console, as-tu d'autres occupations ?

Voici une question plus directe que le Titan n'espérait pas être perçue comme trop intrusive.

Le blond tique. Et je crois que je sais pourquoi. Mais je ne relève pas. J'ai présenté Tifa comme ma sœur, et j'ai appelé Piu Oneechan. Oups. Réflexes. Enfin il sourit et n'a pas l'air de s'attarder là dessus. J'ai cependant l'impression que son ton est plus froid, plus sec. Il essaye de me tester, je commence même à douter de la véritable raison de sa présence ici. Est-il venu pour Ipiu? Ou pour moi? Mmmh.

"Si tu veux le mettre dans le jardin elle n'y verra sûrement pas d'inconvénients. Elle serait même ravie, j'en suis sûr. Et je t'avoue que je n'ai pas la main verte, mais que je sais apprécier les belles choses, et certaines plantes en font partie."

Je lui souris, mais le voilà qui enchaîne déjà. Et cette question, je la prends moins bien. Il insinue des trucs là, le garçon. Je prends une gorgée de café, et je soupire.

"Quand je travaille pas, que je lis pas, que je fais pas de sport, que je ne m'occupe pas de la maison ou des animaux, ouais, je joue. J'ai même fais des études, pour te dire. Oh, et des fois je m'occupe d'Oneechan, je l'aide à faire sa toilette. Et des fois je sors avec des amis, ou je passe du temps avec ma copine. Même qu'on couche ensemble, de temps en temps. Et toi tu fais quoi dans la vie?"

J'aime pas le passif agressif. Jpeux en faire aussi. Mon sourire qui avait disparu pendant que je parlais reviens sur mes lèvres, alors que je reporte mon attention sur ma chienne en attendant sa réponse. Qui tarde. Alors je reprends, calmement.

"Si c'est le fait que j'ai dit considérer Tifa comme ma sœur après avoir appelé Ipiu "Oneechan" qui t'as énervé, désolé. Mais c'est vrai. Tifa est comme une petite sœur, pour moi. J'ai une dette infinie envers sa mère. On a grandit ensemble. Je dois la protéger. Ipiu, je l'appelle comme ça pour l'embêter. Mais aussi parce que je la considère comme une grande sœur. Parce que je la respecte, parce que j'aimerais lui ressembler. Que c'est un modèle pour moi, et sûrement pour d'autres. Je ne voulais pas te vexer ou te choquer. Je l'ai seulement appelée "grande sœur", pas âme sœur. Jte laisse ça."

Je prends une inspiration. J'ai dit tout ça sans prendre le temps de respirer. Ou presque. Le sourire sur mon visage transmet un peu de ce sentiment de regret, de tristesse et d'excuse, et il n'y a sûrement pas besoin d'être sensitif pour le voir. Alors j'espère que tu comprends, Nathanaël. Que j'ai pas dit ça à la légère, que j'en pense chaque mot. J'imagine que j'ai fait mon mea culpa. Par contre si tu ne t'excuse pas à ton tour, je risque d'être plus froid encore. Et j'ai pas envie. J'aimerais bien l'entendre avec toi, Nath-kun.

Nathanaël regardait Erik avec attention, cherchant à comprendre qui il était. Ce dernier prit la parole pour répondre et il l'écouta sans l'interrompre. Ce fut à son soupir et à sa manière de formuler son propos qu'il remarqua que quelque chose ne fonctionnait pas, le ton aussi, probablement. Il tâcha de garder un visage neutre, même si son interlocuteur lui donnait des détails sur sa vie privée qu'il n'avait pas demandé et qu'il ne cherchait pas à savoir. L'Anglais resta donc un instant silencieux, sérieux. L'atmosphère était devenue bien tendue en peu de temps. Il avait manqué une étape, raté quelque chose. Le Morphe reprit la parole avant qu'il saisisse lui-même l'occasion. Il écouta, à nouveau sans rien dire.

Le Terre n'avait effectivement pas vraiment aimé que sa chérie soit comparée, si on pouvait le dire ainsi, à un chien, mais les explications de son interlocuteur eurent le don de le faire réfléchir, de lui faire voir la situation sous une autre perspective et surtout, elles lui firent prendre conscience de quelque chose d'important. Il s'était permis de le juger et ne s'en était même pas rendu compte. Il se décevait beaucoup. Le Titan ne releva pas les derniers mots de l'Eau et le silence s'installa à nouveau. L'homme avait un sourire spécial sur le visage. On pouvait y déceler de la tristesse ou du regret... les deux à la fois peut-être.

Nathanaël lâcha un soupir qu'il ne retint pas cette fois-ci. Il but une gorgée d'eau, puis se passa machinalement une main dans les cheveux. Pourquoi peinait-il à créer des contacts humains simples et amicaux avec les gens ? Pourquoi n'y avait-il qu'avec Ipiu et Alice que cela fonctionnait ? Qu'est-ce qui avait changé chez lui ? Qu'est-ce qui clochait chez lui ? Il ne regardait plus Erik, mais avait ses yeux dans le vague. Si entendre la Master être appelée « grande sœur » au même titre que Tifa « petite sœur » ne lui avait manifestement pas plu, plus qu'il ne voulait bien se l'avouer, ce n'était pas la seule raison de son changement de comportement à l'égare du Morphe. Il eut une pensée pour Matt. Était-ce pour cela ? Tout cela avait-il remué des souvenirs enfouis, des sensations oubliées qui ressortaient à présent ?

Je te demande pardon, Erik. Je crois que je n'ai pas été très sympathique avec toi et j'en suis navré. Je ne sais pas vraiment pourquoi...

L'Anglais s'arrêta au milieu de sa phrase. Il ne souhaitait pas aborder certains sujets avec cet homme qu'il ne connaissait pas encore vraiment. De quoi se protégeait-il encore ? Il avait pourtant fait de nombreux progrès depuis son Étoilisation et même avant déjà. Pourquoi peinait-il à créer des contacts avec les gens ? Il eut une pensée pour chacune des personnes qu'il avait rencontrée depuis son arrivée à Terrae et avec lesquelles il n'était pas parvenu à créer ou garder le contact. Cela ne le gênait pas d'habitude. Il ne cessait d'ailleurs de penser qu'il n'avait pas besoin de tout cela, d'une myriade d'amis. Il avait les deux femmes de sa vie, Alice et Ipiu, et cela était amplement suffisant à ses yeux. Le Titan reporta son attention sur le colocataire de sa bien-aimée.

Je te remercie d'avoir accepté de vivre avec Ipiu, de prendre soin d'elle à ma place.

Nathanaël ne s'attendait pas à ce que ces derniers mots fassent aussi mal, mais il devait être honnête et dire merci était essentiel à ses yeux. Et même s'il pouvait en donner l'impression, il ne percevait absolument pas Erik comme un danger.

Je sais qu'elle n'aurait pas pu vivre seule dans une maison comme celle-ci. Alors, je t'en suis réellement reconnaissant.

Le couple avait décidé qu'il était encore bien trop tôt pour se mettre en ménage, qu'ils voulaient avancer gentiment, progressivement et surtout, ne pas brûler les étapes. Ipiu avait alors cherché quelqu'un qui pourrait vivre en colocation avec elle. Le Morphe avait accepté. L'Anglais ne connaissait pas tous les détails de l'histoire, mais il savait le principal et cela lui suffisait.

Quand il me présente ses excuses, je lui souris. Un sourire bienveillant, cette fois. Même si ses excuses manquent d'un petit quelque-chose, je le sens sincère. Mais mon sourire disparaît rapidement. Je l'écoute continuer à parler, et je sens une part de moi se révolter, protester. Monter petit à petit, pour finalement prendre le dessus.

"Ecoute moi bien, Nathanaël. Tout d'abord, je n'ai rien accepté du tout. Je n'ai pas accepté de vivre avec Ipiu. C'est elle qui a posté une annonce. Et j'y ai juste répondu. C'est elle qui m'a accepté. Et alors oui, elle a besoin d'aide, elle ne peut pas vivre seule ici. Pourtant, elle a choisit de venir ici. Elle aurait très bien pu décider de rester à l'Institut. Mais non, elle a pris une décision, et certainement pas celle de la facilité. Elle ne peut pas vivre seule, alors elle a cherché un colocataire. Moi, je me suis contenté de saisir l'opportunité. Parce qu'un jardin, c'est bien pratique pour les animaux. C'est meilleur pour le bien-être. Je n'ai pas accepté de vivre ici. J'ai demandé à vivre ici. Avec ce que ça impliquait. Et je ne le fais certainement pas à ta place. Tu sais que tu es le bienvenue ici à tout instant. Tu peux très bien t'occuper d'elle à ma place, et je me ferais un plaisir de dépanner quand tu ne peux être là. Mais je ne le fais pas pour te rendre service. Hors de question. Je ne te connais pas. Je connais Ipiu. Moins bien que toi, Nathanaël. Et heureusement. Mais je suis persuadé que les propos que tu tiens là lui ferait de la peine. Et je suis persuadé que tu le sais aussi. Je ne vis pas ici pour toi. Je ne suis pas un substitut. Je le fais pour moi. Enfin pour Tifa et les chats. Parce que mon bonheur est dépendant du leur. Et je le fais pour Ipiu, parce que je l'apprécie, malgré les coups fourrés et les pièges qu'elle m'a tendu. Malgré ceux qu'elle continue de faire. Parce que je l'apprécie. Mais toi, je ne t'apprécie pas. Je ne demande que ça, t'apprécier. Aussi je croise les doigts pour que cela arrive. Mais si cela doit arriver, ça sera après que tu ais retiré tes propos. Je ne suis pas ici à ta place. Pas pour toi. Alors viens. Souvent. Le plus possible. Et rend ma présente obsolète. Je ne sais pas ce qu'il se passe entre vous, et je respecte totalement le fait que vous preniez votre temps. Mais ne laisse pas la frustration, la jalousie ou la gratitude parler en ton nom. Je ne peux pas l'accepter. Plante ce rosier devant la fenêtre de sa chambre. Et attends celle que tu aimes avec moi si tu le souhaites. J'en serais ravi. Ou alors reviens quand elle sera là, et je respecterais aussi ce choix. En tout cas, même si je ne vis pas ici pour te rendre service, j'espère que tu sais que je ferais toujours attention à elle, que je ferais le maximum pour l'aider quand elle a besoin. Parce qu'ELLE en aura besoin et que ça ME fait plaisir. Pas parce que ça TE rend service. Et-

...

Pardon. Tes propos m'ont choqué, et j'étais en désaccord. J-

...

Je te resserre un verre?"

Je me suis laissé emporter. J'ai parlé maladroitement. Je ne suis même pas certain que mon message soit clair. Je lui ai proposé de partir, alors que je ne veux pas qu'il parte. Au contraire, je souhaite de tout cœur qu'il reste, qu'on discute. Qu'on apprenne à se connaître. Qu'il s'excuse, parce que même si ses propos contiennent une part de vérité, c'est triste, vexant, révoltant, qu'il dise ça. Et je ne trouve rien de mieux qu'un autre verre d'eau pour le faire rester. Alors je fixe mes pieds, le rose aux joues. Roses à cause de la colère, du manque de souffle, et de la gêne. Alors je concentre mon attention sur ma chienne. Puis sur mes pieds, à nouveau. Et j'espère juste que quand je lèverais les yeux il sera toujours là.

Si Erik avait d'abord commencé par sourire, ce dernier s'était rapidement estompé. Il avait commencé à parler et ne s'arrêtait plus. Nathanaël écoutait, subissait le flot ininterrompu de paroles. Il ne comprit pas au début, puis peu à peu, le Morphe clarifia sa pensée ou peut-être n'était-ce que la répétition des idées qu'il avançait ? Impossible d'en être certain, mais l'Anglais n'appréciait pas vraiment d'être bousculé de la sorte, d'autant plus que son interlocuteur n'avait pas compris le fond de sa pensée... s'était-il au moins correctement exprimé ? Il n'en était pas certain. Il attendit patiemment la fin de ce long monologue, passant d'un sentiment à l'autre, cherchant à démêler les mots et ce qu'il ressentait en les écoutant. Cela faisait mal, il devait bien se l'avouer. Le colocataire d'Ipiu avait-il raison ? Ce dernier rougit en bégayant ses derniers mots.

Non merci.

Nathanaël se leva, mais ne partit pas tout de suite. Il se dirigea vers la fenêtre de la cuisine, appuyant ses mains sur le plan de travail, laissant son regard errer par l'ouverture faite dans le mur. Il tournait le dos à Erik. Il avait besoin de réfléchir. Qu'avait-il dit, d'abord. Il fallait commencer par cela. Il s'agissait du point de départ, de la cause de cette réaction qu'il trouvait bien disproportionné. Le Terre avec remercié son interlocuteur... d'accord, oui. La formulation était particulièrement maladroite. Il en prenait conscience à présent. Il n'avait pas du tout voulu exprimer les choses ainsi. Était-ce complètement vrai ? Il doutait. Ses doigts se crispèrent sur la surface plane et dure. Avait-il vraiment osé penser cela ? Non non, il ne s'agissait pas d'oser, c'était bien pire, c'était bien pu profond. Il baissa la tête. Sa main quitta temporairement le meuble pour rejoindre ses cheveux. En était-il vraiment à ce point ? Comment pouvait-il se permettre de dire qu'il aimait Ipiu s'il avait de telles pensées ? De telles pensées... il ne parvenait même pas à mettre les mots sur ces pensées tant elles le dégoûtaient à présent. Parce que s'il avait formulé ses propos ainsi, c'était bien pour une raison, non ? Il ne savait pas. Il avait honte. Le Titan réentendait certains mots du Morphe dans sa tête, en boucle, et cela lui faisait mal, horriblement mal. C'était comme mettre en lumière une de ses faces les plus sombres. Et il n'avait même pas d'excuse, n'est-ce pas ?

Cependant, il y avait bien des choses qu'Erik n'avait pas compris juste. Par exemple, Ipiu n'avait pas eu le choix de déménager. Il se souvint de son état après qu'Aaron lui ait fait comprendre qu'elle ne pourrait pas rester dans sa chambre. Et pour le reste... Oh, le Morphe n'était pas fautif, étant donné la formulation maladroite utilisée par Nathanaël, mais cela n'empêchait pas qu'il se trouvait dans l'erreur. Il n'avait jamais considéré qu'il était là « pour lui », mais plutôt « pour elle »... en un sens, il lui disait merci pour elle, mais malheureusement, cela ne résolvait pas le problème principal qui rongeait actuellement le cœur de l'Anglais, au contraire, et ce serait une belle preuve de mauvaise foi que de ne rebondir que sur ces détails insignifiants, face à la montagne qui s'élevait devant lui. Il tapa du poing contre le plan de travail, mais sans force. Il s'agissait plus d'une manière d'évacuer la frustration qu'il ressentait face à sa faiblesse qu'un réel accès de colère.

Que devait-il faire à présent ? Il ne savait toujours pas s'il avait vraiment enfoui en lui ses pensées abjectes ou si cette formulation n'était due qu'à une maladresse  linguistique. Il ne savait plus.

Je ne t'ai jamais considéré comme un substitut et je n'ai pas peur que tu prennes ma place. Je voulais juste... je ne sais pas, te remercier d'être là ?... mais même cela, je suppose que tu le prendras mal.

L'Anglais lâcha un soupir. Il tournait toujours le dos au Morphe.

Je réfléchis généralement avant de parler, pour éviter d'utiliser des formulations approximatives. Maintenant je ne sais plus que penser de tout cela, de ce que j'ai dit, de comment je l'ai dit...

Un nouveau silence bref.

Je crois... je crois que je voulais te remercier de ne pas t'être arrêté à des préjugés, comme beaucoup de gens l'auraient fait... mais en m'exprimant ainsi, j'ai bien peur d'avoir justement faire parti de ce groupe de personnes... et cela m'insupporte au plus haut point.

Il serra les poings.

J'aimerais que nous nous entendions bien, Erik, mais je crois que je ne suis pas très doué pour me faire des amis. Je ne sais pas ce qui bloque. Avant... avant je n'avais aucun problème. Depuis que je suis ici, seule Ipiu et Alice ont réussi à faire la différence. Peut-être qu'elles tolèrent mes manquements ou peut-être que je suis naturellement différent avec elles.

Le Titan se retourna enfin pour faire face au colocataire de sa bien-aimée.

Je n'aurais pas dû venir sans prévenir. Cela se serait mieux passé je pense, si Ipiu avait été là, mais je vais faire des efforts, pour elle. Et pour toi aussi, parce que tu es quelqu'un de bien, je pense, et que tu mérites le respect que je n'ai pas su te témoigner aujourd'hui. J'en suis navré.

Il s'avança vers la table pour prendre le rosier. Il s'excuserait aussi auprès de la Master. Il lui expliquerait ce qui s'était passé ce jour-là et peut-être qu'en discuter avec elle éclaircirait son jugement. Il demanderait pardon au besoin.

Je vais aller le planter dans le jardin. Navré de t'avoir dérangé. Je te souhaite une bonne journée.

Nathanaël offrit un sourire doux, mais un peu triste à Erik, avant de sortir de la cuisine par la porte fenêtre. Il lui fallait à présent trouver le meilleur endroit pour planter son cadeau. Ce serait un maigre réconfort. Il utiliserait évidemment ses pouvoirs, puisqu'un rosier ne se plantait jamais en cette saison.

J'entends la chaise qui racle légèrement le sol au moment où il se lève, et quand une poignée de secondes plus tard j'ose ouvrir les yeux, il me tourne le dos, appuyé contre le plan de travail. Et il parle. Pour moi, mais aussi pour lui même. Je sens son doute, l'introspection qu'il effectue. Il se remet en question. Beaucoup. Trop. Et j'ai l'impression que c'est de ma faute. Au fond, je sais que ce n'est pas le cas. Que mes mots n'ont été que les déclencheurs, que la goutte d'eau. Mais je ne peux pas m'empêcher de me sentir coupable du malaise grandissant entre nous deux. Cependant, je garde le silence, comme à mon habitude dans ce genre de situations. J'observe le dos du Titan. Je le regarde serrer les points, taper sur le meuble. Je serre les dents, priant pour que sa force ne se retourne pas contre moi. Je sais que ça a une chance quasiment nulle d'arriver, mais j'ai peur. Peur d'avoir été trop loin. D'avoir été trop crû. Je le laisse parler, et je me contente d'hocher la tête quand il se tourne vers moi. Il ouvre la porte, la plante dans les mains, et il se dirige dans le jardin, me laissant seul.

Je profite de l’accalmie pour boire un peu d'eau, mais surtout pour reprendre mes esprits. Par la fenêtre, je le regarde alors qu'il examine le jardin. Et mon cœur, dans ma poitrine, se sert. Parce que voir cet homme dans cet état me peine, et que je suis en partie la cause de cela. Mais aussi parce que je devrais raconter à Piu qui a planté ce rosier, et ce qu'il s'est passé. Alors évidement, je mentirais. Pour ne pas l'inquiéter, pour ne pas créer de tensions entre elle et son copain, ou pour ne pas créer de tensions entre elle et moi. Je mentirais, et elle le saura. C'est maintenant mon point qui s'écrase sur le plan de travail. Avec plus de force que celui de l'Anglais. De rage. De frustration. De peine. De tristesse.

Me voilà dehors, silencieux, à observer le Terre s'affairer. Il m'a certainement remarqué, mais il fait comme si de rien n'était. Puis, sur un coup de tête, je m'approche de lui. J'enlève ma puce traductrice, que je lui présente, avant de prendre la parole en anglais. Ce dernier n'est clairement pas parfait, mais mon accent est léger et mon niveau largement suffisant pour tenir ce genre de conversation.

"Je- Désolé, Nathanaël-san. C'est surement la puce qui déconne, et c'est sûrement pour ça que j'ai mal compris. Tu peux répéter? Je pourrais comme ça te présenter de vraies excuses, parce que je suis persuadé que tu aimes Ipiu, et que tes intentions et tes remerciement étaient sincères. Tu as été maladroit avec moi au début de notre conversation, alors je n'ai écouté et retenu que ce que je voulais de la suite de ton discours."

Je soupire, et je m'assois par terre avant de continuer.

"Moi aussi, je suis nul pour me faire des amis. Je me suis emporté alors que je sais que tu es juste inquiet pour elle, de part sa condition physique, mais surtout parce que chaque homme est inquiet pour ses amis, et encore plus pour celle qu'il aime. C'est normal, de douter. De s'inquiéter. Mais le plus important, c'est ce que tu ressens pour elle. Et ça, quoi que je dise ou fasse, je ne pourrais pas le changer. Tu l'aimes, et ça se voit. Mais tu as le droit de ne pas être parfait. D'avoir... Peur? Je ne suis pas le Sensitif de cette maison, mais je crois que c'est ce qui émane de toi.

...

Je te laisse terminer. Excuse moi encore une fois. N'hésite pas à re passer par la cuisine en partant, si tu tiens à discuter. Sinon, j'espère qu'on pourra le faire la prochaine fois. Avec ou sans Ipiu. À tout à l'heure, Nath-kun."

Je voulais lui laisser le choix. Il a le choix. Mais la dernière partie de mon discours laisse à penser autrement. C'est sortit tout seul. Sans doute parce que c'est ce que je souhaite? Je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, je retourne à l'intérieur me préparer un autre café, en espérant qu'il ne partira pas après sa tâche accomplie.

Nathanaël observait le jardin, son rosier dans les bras. Il lui fallait trouver l'endroit le plus adapté pour que la plante puisse s'épanouir et grandir en toute sérénité. Le végétal avait besoin de soleil. Il privilégierait donc plutôt une orientation au sud. Une fois le meilleur emplacement défini, l'Anglais s'activa. Il n'avait pas pris d'outils avec lui. Il travailla donc la terre avec ses mains et son pouvoir, creusant d'abord un trou et préparer le sol à accueillir le plant. L'effort lui faisait du bien, lui vidait l'esprit, comme toujours, comme lorsqu'il travaillait au parc et il ne se ménageait pas. Le Titan vit bientôt Erik apparaître à l’extrémité dans son champ de vision, mais il l'ignora. Le Morphe avait le droit de l'observer en pleine action et puis, il s'agissait aussi de sa maison, de son jardin. De toute manière, le Terre n'avait plus rien à exprimer. Il en avait probablement déjà trop dit.

Cette vision le replongea dans leur discussion, dans ce qui s'était passé. Nathanaël devait bien avouer qu'il n'avait pas été très poli avec le colocataire d'Ipiu. Même s'il n'avait rien dit d'expliciter, sa manière de formuler ses questions et le ton qu'il avait employé était indigne d'un jeune homme bien élevé. Et aucune excuse ne viendrait amoindrir ce manquement. Ensuite, il repensa à ses excuses et ses remerciements maladroits. Un frisson lui parcourut le dos. Avant qu'Erik ne l'y rende attentif, il n'avait pas du tout pensé à ce que la formulation de ses propos sous-entendait. N'était-ce pas là un signe ? Un signe qu'il s'agissait d'une simple maladresse. L'Anglais était pourtant convaincu que les mots utilisés et la manière de les assembler révélaient souvent des non-dits et des manières de penser cachées, dont on n'avait pas nécessairement conscience et c'était cela, qu'il redoutait.

Le Titan fut interrompu dans ses réflexions par Erik. Ce dernier lui montra sa puce traductrice qu'il tenait dans sa main. Le jardinier le regarda, surpris, à moitié courbé et les mains encore dans la terre. Il se releva cependant dès que le Japonais commença à parler, en anglais. Il s'excusa, accusant la puce de dysfonctionnement, avant de s'asseoir et de continuer. Il lui expliqua éprouver lui aussi des difficultés à se faire des amis. Il l'excusa même, lui trouvant comme raisons son inquiétude pour la Master, ses doutes et ses peurs. Nathanaël était trop étonné pour rebondir sur de tels propos. Il ne s'était vraiment pas attendu à cela. Le Morphe s'excusa à nouveau et prit congé, l'invitant à revenir dans la cuisine une fois son travail terminé.

L'Anglais resta un instant sans bouger, comme pétrifié. Il réfléchissait à ce qui venait de se passer, à ce pas que le colocataire de sa bien-aimée avait fait vers lui, alors que le Terre avait plutôt pris la fuite. C'était peut-être là une partie de son problème. Il abandonnait trop vite quand il s'agissait d'entrer en interaction avec les autres. Lui qui se targuait pourtant de penser que l'échec n'était qu'une étape temporaire, intermédiaire avant la réussite. C'était un comble, en quelque sorte. Il se réactiva cependant auprès du rosier, replongeant dans ses réflexions. Le Japonais avait vu juste. Le Titan avait peur, c'était une évidence. Il craignait de ne pas être un homme bon, un homme humble et droit. Il se savait imparfait, mais était tout aussi conscient que la quête de la perfection était vouée à l'échec. Il souhaitait simplement s'améliorer, devenir meilleur, être l'homme qui aurait rendu fiers ses parents, l'homme qu'Ipiu méritait.

Une fois la plante en terre, Nathanaël usa de son don pour en fortifier les racines, accomplir en quelques instants le travail de plusieurs jours, plusieurs semaines peut-être. Il avait conscience d'être très en retard dans le processus normal de la nature, alors il faisait une entorse à ses principes et donna un coup de pouce au végétal. Une fois satisfait, il se redressa et se frotta les mains pour y enlever le gros de la terre. Il observa la porte de la cuisine, hésita un bref instant et se décida à y retourner.

L'Anglais s'arrêta sur le seuil de la porte, après avoir vérifié que ses chaussures n'étaient pas sales, et sentit directement l'odeur du café. Un coup d’œil bref lui indiqua que la tasse était presque vide. Erik tourna la tête vers lui et ils échangèrent un regard. Le Titan essaya son front avec son bras.

Je... je vais aller me laver les mains.

Il entra dans la pièce et s'exécuta, prenant soin de ne laisser aucune trace de terre sur sa peau et sous ses ongles. Une fois la tâche accomplie, il s'essuya à son T-shirt et se retourna pour faire face au Japonais. Il se sentait mal à l'aise, ne sachant comment se comporter et quoi dire. Il finit par s'avancer et tirer la chaise sur laquelle il s'était assis plus tôt pour pouvoir s'y asseoir à nouveau.

Gomenasai, Erik-san

Nathanaël le fixait sans ciller. Il ne savait pas si l'homme avait remis sa puce traductrice ou pas, alors il hésitait. Devait-il parler en japonais, comme lui, il avait parlé en anglais ? Comme cette courbette et cette poignée de main à son arrivée ? Il savait son japonais plutôt bon, mais cela restait un japonais d'Européen ou d'Occidental, un japonais appris tard, dans les livres surtout et en cours, et non acquis progressivement pendant l'enfance.

Je suis désolé pour tout ce que j'ai dit et la manière dont je l'ai dit. Et je suis aussi désolé d'être parti de manière aussi abrupte, mais j'ai généralement besoin d'être seul pour réfléchir et... merci d'être revenu vers moi.

L'Anglais prenait soin de parler plus lentement qu'à l’accoutumé, pour être certain que son interlocuteur comprenne son anglais sans sa puce, sans pour autant que cela donne l'impression qu'il narguait son interlocuteur, puisque ce n'était absolument pas le but recherché.

Je dois t'avouer qu'en prononçant les mots qui t'ont énervés tout à l'heure, je ne pensais pas du tout à ce que tu as compris. Ce n'est que lorsque tu t'es exprimé que j'ai réalisé le sens que la formulation que j'ai employée pouvait avoir. Alors, je ne sais plus, parce que j'imagine que si j'ai utilisé ses mots et pas des autres, c'était pour une raison, même si cette raison m'est encore inconnue. Je suppose qu'inconsciemment...

Le Titan lâcha un soupir.

Je ne devrais pas t'embêter avec tout cela. Ce que je voulais te dire, c'est que j'apprécie que tu sois venu t'excuser, même si je ne pense pas que tu sois en faute et que tu n'as donc pas de raison de le faire. Et aussi que tu as raison. J'aime Ipiu, trop peut-être. Et j'ai des peurs, beaucoup de peurs et des doutes aussi, mais cela ne devrait pas impacter mes interactions sociales avec les gens que je côtoie.

Le Terre marqua une courte pause.

Arigatô gozaimasu. Merci d'essayer de me comprendre.

Nathanaël accompagna ses mots d'un signe de tête. Ce n'était probablement suffisant pour un véritable Japonais, mais au moins faisait-il l'effort d'essayer.

Je bois mon café tranquillement, observant la puce dans ma main. Je suis persuadé qu'elle fonctionne très bien, et que j'ai bien entendu ce qu'il a dit, que j'ai compris ce qu'il fallait comprendre. Mais je préfère y aller doucement, sait-on jamais. Après tout, j'ai rien à gagner à le faire fuir. Enfin le voilà qui revient, et je lui souris alors qu'il se dirige vers l'évier. Puis il s'excuse. En japonais. Ce qui me tire un sourire. Et il commence à s'exprimer en anglais, mais en prenant soin d'articuler. Je me retiens de faire une réflexion, mais c'est touchant. Je suis persuadé de pouvoir comprendre tout ce qu'il dit s'il parle normalement, cependant l'intention est gentille, et ça me rassure sur son état d'esprit. J'imagine ses excuses sincères, et ce qu'il raconte me conforte dans l'idée que c'est une bonne personne. Emplie de craintes et de doutes, mais j'imagine que personne n'est parfait, et encore moi à Terrae, avec le Vide omniprésent en chacun.

Il parle, et je l'écoute. Il ne m'a pas interrompu tout à l'heure, alors je fais de même. Quand il s'arrête, je lui lance un regard interrogatif, et il aquiesce, alors je reprends la parole, en japonais, cette fois. Et je parle lentement moi aussi.

"Tu ne m'embête pas le moins du monde. Et j'imagine qu'essayer de comprendre l'autre, c'est la base d'une relation sociale. Ensuite, pour rebondir sur ce que tu dis, tu penses vraiment TROP aimer Ipiu? Tu penses vraiment que c'est possible, de trop aimer quelqu'un ? Moi,  je suis persuadé que non. Et je t'assure que même si tu penses trop l'aimer, ça va te faire bizarre quand tu te rendra compte que tu l'aimes encore que ce que tu penses. On aime jamais trop. On peut aimer d'une mauvaise manière, être trop jaloux, ne pas savoir exprimer ses sentiments, être violent. Mais aimer trop? Non. Ensuite, c'est normal d'avoir peur. Peur de la décevoir. De la blesser. De la perdre. Et ça sera comme ça à chaque fois qu'elle sera loin de toi. Et tu oublieras ça dès qu'elle serra dans tes bras. Puis là, maintenant que j't'ai laisser un peu mariner, j'accepte tes excuses, hein. Ya pas mort d'homme. Et par rapport aux mots que tu as utilisés, ils dépassaient sûrement ta pensée. Ou alors c'était bel et bien ton inconscient qui s'exprimait. Tu penses que c'est lié à quelque chose en particulier ? Si tu as pas envie d'en parler ne le fait pas, mais je suis prêt à t'écouter. Sinon, je crois que la console est toujours allumée, en haut, et on pourrait se changer les idées le temps qu'Oneechan rentre. Mais avant, tu veux quelque chose à boire? Utiliser ses pouvoirs, c'est fatiguant..."

Je remets ma puce qui traînait sur la table, avant qu'elle finisse dans l'estomac d'un chat, puis je dépose ma tasse dans l'evier, pour la nettoyer plus tard. Piu a raison. Je parle beaucoup trop en ce moment...

Erik n'attendit pas longtemps avant de répondre aux propos de Nathanaël. Ce dernier écouta à nouveau avec attention. Il le questionna sur sa réflexion au sujet de l'amour qu'il éprouvait pour Ipiu, se permettant de donner son point de vue, un autre angle d'approche. Il comprit la nuance que le Japonais mettait en avant, même s'il n'était pas certain d'être d'accord avec lui. N'était-ce pas à nouveau jouer sur les mots ? Était-ce vraiment si important ? Sans doute oui et si, au final, les deux hommes étaient parfaitement d'accord sur le fond, sur ce que l'Anglais entendait par « trop aimer », mais que le Morphe traduisait par « aimer mal », tous deux semblaient à nouveau se heurter sur la formulation. Le Terre n'interrompit cependant pas son interlocuteur et le laissa continuer. Il déciderait plus tard s'il souhaitait revenir sur le sujet ou non. Il écouta la suite de son discours, incapable de répondre à la question d'Erik, puis souriant à demi lorsqu'il parla de sa  console de jeux.

Je te remercie Erik. Je reprendrai volontiers un verre d'eau, s'il te plaît.

Nathanaël marqua une courte pause avant de reprendre.

Et je te remercie pour ta proposition, mais je ne joue pas aux jeux vidéo. Cette activité ne m'a jamais intéressée. Mon... mon petit frère jouait beaucoup.

L'Anglais ne tenait pas spécialement à parler de Matt avec le Japonais. Depuis son Étoilisation, il avait beaucoup moins de mal à parler de sa famille. Il évoquait parfois certains souvenirs à Ipiu et Alice, avec une douce et chaude nostalgie, mais il n'abordait pas le sujet avec d'autres personnes. Ses parents étaient de bons parents, stricts quand il le fallait, mais surtout très à l'écoute de leur progéniture. Le petit frère du Terre aimait beaucoup les jeux vidéo. Il aimait parcourir des univers créer de toute pièce comme dans Rayman sur lequel il avait passé des heures. Il adorait les jeux de sports, privilégiant les courses de voitures ou le football, lorsqu'il était sur sa Playstation 3, dans le salon. Cependant, lorsque Matt se rendait chez certains de ses amis, dont les parents étaient moins regardant, il jouait aussi à des jeux qui n'étaient pas de son âge, des jeux de guerre que ses propres parents ne lui auraient jamais laissé acheter. Le Titan chassa ses souvenirs d'un battement de cils et se reconcentra sur son interlocuteur.

Si tu me le permets, je souhaiterais à mon tour rebondir sur ce que tu viens de dire, en référence à ma crainte de « trop aimer » Ipiu. Je ne sais pas à quel point la culture européenne t'es familière et si tu connais les philosophes grecs, mais un homme du nom d'Aristote a développé la notion de « juste milieu ». En très résumé, il met en garde contre toutes formes d’extrêmes pour privilégier plutôt des comportements modérés, le juste milieu entre le « trop » et le « pas du tout ». Je ne sais pas si vous possédez l'équivalent dans votre culture. Je dois avouer que je ne me suis pas encore spécialement intéressée à la philosophie japonaise. Mais c'est dans cette idée-là, cette idée de « juste milieu », que je me situe, lorsque j'utilise une expression telle que « trop aimer », mais sur le fond, nous sommes d'accord, nous sommes d'accord sur ce que cela signifie, je pense. Ce n'est donc qu'un débat de forme.

Ce n'était pas très important en soi, mais cela faisait un bon changement de sujet. Nathanaël savait qu'il ne se concentrait pas sur l'essentiel, mais qu'il s'agissait ici d'une manœuvre pour détourner la conversation, ne pas réfléchir au plus important, parce qu'il ne s'en sentait pas le courage pour le moment ou peut-être qu'il ne souhaitait pas en parler avec Erik, mais directement avec Ipiu ? Il ne saurait le dire.

Il hoche la tête en souriant, et je remplis son verre. Avec mes pouvoirs, toujours. Puis il me dit qu'il ne joue pas aux jeux vidéos, et j'hausse les épaules. La dernière partie sur son frère me fait me poser une question, mais le fait qu'il utilise le passé me dérange. Sans doute que son frère a juste grandit, et qu'il joue moins. Ça, c'est ce que j'aurais pensé si ici ce n'était pas Terrae. Terrae et son Vide. Alors je me contente d'un petit soupir de déception.

"Dommage. C'est sympa pourtant, tu devrais essayer à l'occasion. Un bon jeu, c'est comme un bon livre, ou un bon film, et tu n'es pas juste spectateur. Après, je comprends que ça ne t'intéresse pas. Quand je vois le nombre de joueurs qui n'ont jamais touché de livre de leur vie..."

J'écoute ensuite sa tirade philosophique, et mes yeux brillent d'une lueur amusée. Je crois bien qu'on est d'accord, en effet.

"Evidemment que je connais Aristote, même si je t'avoue que je suis plus familier de son disciple que de lui. L'allégorie de la caverne, tout ça. Mais justement, j'aime à penser qu'il n'existe pas de juste milieu, pas de "trop" ou de "pas assez" en ce qui concerne ce que l'ont ressent envers les autres. Tu ne déteste jamais trop quelqu'un quand tu as une bonne raison de le faire. Et tu n'aimes jamais trop quelqu'un. C'est personnel, c'est NOTRE perception du monde et des autres, et elle est ce qu'elle est, elle ne peut pas être quantifiée et qualifiée comme trop ou trop peu."

Comment ça je suis chiant et pointilleux? Naaaaan, c'est pas mon genre pourtant. Je lui fais un clin d’œil et je reprends.

"Je vois ce que tu veux dire et je comprends ton point de vue. Mais si tu considères "trop" aimer Ipiu, essaye de lui en parler? De voir comment tu pourrais revenir sur le droit chemin? La communication c'est primordiale dans un couple, pour que les deux partis puissent trouver leur équilibre."

Je pense que le moment est venu de changer de sujet de conversation. J'ai pas forcément envie de me lancer dans un débat, de fond ou de forme, comme Nathanaël l'a dit. Je me sers un verre d'eau à mon tour, et je me rassieds en faisant involontairement racler la chaise sur le carrelage.*

"Mh, désolé pour ça. J'aurais une question pour toi, si c'est pas trop indiscret... Te sens pas obligé de répondre, mais t'as déjà eu une copine avant Oneechan? Et qu'est-ce qui te plaît chez elle? Vous avez l'air tellement... Différents? Et complémentaire."

Okay, okay, c'est plus d'une question, et je crois qu'il a relevé, alors jme contente d'un sourire coupable, en levant les yeux au ciel. Oups.

Nathanaël se retint de rétorquer qu'il n'avait pas de temps à consacrer à ce genre d'activités, parce qu'Erik aurait pu très mal le prendre, surtout s'il n'employait pas les termes appropriés et il ne souhaitait pas créer de tensions inutiles entre eux, déjà que leurs échanges n'avaient pas très bien débutés... Et puis, l'Anglais ne souhaitait pas juger la manière dont le Morphe employait son temps libre, contrairement à son état d'esprit de leur discussion précédente. Il estimait simplement, pour lui, qu'il y avait tant de choses bien plus intéressantes à faire. Il pensa à ses études et son travail, laissé en plan sur son bureau... enfin, laissé en plan, pour le Terre, cela signifiait une pile de documents rangés soigneusement sur le côté gauche du meuble, sans qu'aucune feuille ne dépasse, avec quelques stylos posés bien à la perpendiculaire du tas et alignés eux aussi, le reste de la surface propre et libre. Le Titan avait bien d'autres activités en dehors de son travail. Il pratiquait de la natation et s'entraînait régulièrement au Karaté et à l’Aïkido pour ne pas perdre les connaissances acquises, mais aussi prendre soin de son corps et de son esprit. Il jouait du piano aussi et il y avait évidemment son emploi de jardinier au parc de Terrae. Il devait encore gérer le club de jardinage, puisqu'il en était le président. Il participait encore, à raison d'une fois par semaine, à un club où le but était de tester ses pouvoirs et d'en étudier les causes et effets d'un point de vue scientifique rigoureux. Son temps libre, il le partageait entre Ipiu et Alice, ou à lire si aucune de ses deux amies n'étaient libres. Il s'amusait aussi parfois sur des problèmes de math complexes qui l'aidaient à se détendre et à se changer les idées. Non, décidément, il n'avait pas de temps à perdre devant une console de jeux.

Nathanaël fit part à son interlocuteur de sa pensée philosophie et ce dernier répondit avec enthousiasme. L'Anglais écouta, réfléchissant au fur et à mesure. L'idée d'Erik comme quoi le fait qu'il s'agisse d'une conception propre du monde excusait les débordements, les extrêmes ne lui plaisait pas beaucoup. Il ne voyait pas en quoi cela justifiait quoi que ce soit et il trouvait même cela dangereux si on poussait le raisonnement plus loin. Le Terre ne répondit cependant rien, car le Morphe venait de lui faire un clin d’œil. Sérieusement ? Il le laissa donc reprendre sans dire un mot. Il l'écouta lui donner des conseils sur sa manière de gérer son couple. Évidemment qu'il en parlerait à Ipiu. Il essaierait du moins. Le Titan considérait comme essentiel la communication dans un couple, même s'il savait que le sien pêchait un peu dans ce domaine, mais ils avançaient gentiment, pas à pas, à leur rythme... et il n'avait pas attendu qu'Erik lui en parle pour cela. Non non, il ne devait pas se mettre en colère pour si peu, c'était tellement stupide. Nathanaël s'énervait à présent de son agacement lorsqu'il entendait ces mots et ce n'était pas très malin. Il but une gorgée d'eau et clarifia son esprit.

Un raclement de chaise salvateur sembla clore cette partie de la discussion. L'Anglais but une nouvelle gorgée d'eau et faillit s'étouffer lorsque son interlocuteur posa sa première question. Il toussa deux ou trois fois, avant de pouvoir reprendre son souffle comme il le fallait. Il fixa Erik avec intensité. Était-il vraiment sérieux ? Déjà, ce n'était pas une, mais deux questions, en tout cas... non, ne pas s'arrêter sur des détails insignifiants. Pourquoi avait-il dit que la Master et lui était « tellement différents », pour reprendre ses mots ? Le Terre savait que la Tonnerre possédait bien plus d'humour que lui par exemple, mais delà à dire « tellement » différents, il y avait un bon de géant. Il lâcha un soupir.

Non, aucune fille n'était parvenue à attirer mon attention avant Ipiu.

Il se tut. Le Titan n'avait aucune raison d'éviter les questions d'Erik, mais il aurait préféré le dire à la femme qu'il aimait et non à son colocataire. Il se laissa un temps pour réfléchir ou plutôt, pour organiser sa pensée. Il y avait tant de choses qui lui plaisaient chez sa bien-aimée. La première chose qui avait attiré son attention, avant qu'elle ne devienne vraiment elle-même, pleinement, avait été son intelligence et sa curiosité, son savoir colossal aussi. Elle était comme lui, en quelque sorte, une personne qui se perdait dans les livres, une personne qui aimait étudier et apprendre toujours plus, une personne qui s'intéressait à tout ou presque. Elle était quelqu'un avec qui discuter n'était jamais ennuyant. Il l'avait tout de suite trouvée différente, mieux que les autres et c'était probablement ce qui l'avait attiré en premier lieu. Cela avait attisé sa curiosité. Mais Ipiu ne se résumait pas à cela, non. Ipiu était aussi une jeune femme pleine d'humour. Sa manière de le taquiner, de le bousculer parfois lui plaisait, car cela le sortait de ses rails, de ses habitudes, même s'il subissait parfois, rarement, ses facéties. Il appréciait sa manière parfois décalée de voir le monde, d'appréhender les choses avec un autre angle d'approche. Elle avait déjà beaucoup vécu, sans doute trop pour son âge, comme beaucoup de monde à Terrae, si ce n'était la totalité des gens. Elle le faisait réfléchir, le sortant des sentiers battus et il trouvait cela passionnant, bien que parfois déroutant. Et puis, la Master était une femme forte qui n'avait pas peur de défendre ses idées. Il y avait tant de choses qui lui plaisaient chez elle qu'en faire la liste exhaustive ferait couler beaucoup trop d'encre. Dans un autre registre, Nathanaël appréciait l'odeur de son après-shampoing. Il était subjugué par sa beauté naturelle et il ne comprenait pas que la Sensitive puisse en douter parfois. La manière qu'elle avait de s'habiller, même si elle revêtait avant tout d'un aspect pratique lui plaisait aussi, beaucoup, sa manière de le regarder, son sourire et ses petites manies, comme le fait de tout classer, et elle aimait le travail bien fait, comme lui.

Un doux sourire s'était dessiné sur les lèvres du Titan.

Je ne vais pas te faire une liste exhaustive, car ce serait bien trop long... et que je préférerais dire ce genre de choses à Ipiu, et non à toi, mais une partie de ce qui me plaît chez elle, c'est son intelligence et sa curiosité, sa beauté, son humour aussi. C'est une femme forte qui défend ses idées avec passion et qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle m'accepte et me rend meilleur.

Ipiu avait parcouru un long chemin. L'Anglais avait toujours été là pour elle, ou presque, comme elle avait toujours été là pour lui, ou presque. Elle avait vécu des horreurs et avait été formatée à en commettre aussi, mais lorsque Terrae lui avait offert une porte de sortie, une sorte d'échappatoire, elle avait actionné la poignée et s'était libérée l'esprit, avant de pouvoir se libérer elle, en entier et c'était aussi quelque chose qui lui plaisait chez elle. Lorsqu'elle en avait eu l'occasion, elle avait décidé de ne plus subir, mais de devenir maître de son destin. Cela n'avait pas été facile, évidemment, et il ne lui en voudrait jamais pour ses moments de doutes. La Master avait pris le temps nécessaire pour faire son cheminement et il était heureux qu'elle l'ait accepté dans sa vie.

Pourquoi me poses-tu cette question ?

Erik n'en saurait manifestement pas plus. Nathanaël était curieux de la réponse à sa question.