Le temps a filé à toute vitesse, tant et si bien qu’il fait déjà nuit alors qu’elle a rejoint le terre peu avant seize heures. Ils n’ont ni gouté ni mangé, et si votre quête n’avait pas été si importante elle aurait déjà entendu son ventre gargouillé, mais le seul écho qu’elle entende clairement est celui de son sang qui frappe dans ses tempes. Trop fort, elle presse encore le rythme pour suivre les grandes enjambées de Ramiel. Elle le suit, elle ne savait que Terrae pouvait être si lugubre mais le tonnerre ayant fait sauter les deux lampadaires les plus proches la ruelle ne se présente pas sous son meilleur jour. Tout n’y est qu’’ombres inquiétantes, éclats de lune terrifiante.

Contrairement à Ramiel elle n’aurait rien à perdre à s’entailler sur les quelques déchets métalliques mis en exergue par la lumière blafarde de la lune. Seulement elle ne le sait pas, cela ne l’en fait pas moins ralentir le pas. Elle a grandi dans des rues bien moins éclairées et bien plus sales. Elle n’a pas peur, ses opales s’adaptent avec aisance à l’obscurité. Quand elles tombent sur Baxter elle a un mouvement de recul, elle le pense mort mais Ramiel lui parle alors elle comprend qu’il est vivant et dans un sale état. Elle comprend aussi aisément que le russe ce qu’il s’est passé…

Alors Afya s’emplit d’une douce et silencieuse colère. Afya elle ne pense pas que c’est la faute de la personne qui ait vendu cette dope à Baxter… Ce n’est pas elle qui lui a injecté ce poison dans les veines. C’est lui qui c’est fait ça tout seul. Elle est en colère contre lui pour s’être mis dans cet état, pour aller volontairement mal. Elle serre les dents et ne dit rien, mais ce n’est pas son silence habituel. Elle ne cherche pas quelque-chose à dire. Elle se baisse à côté des deux hommes après avoir donné un coup de pied dans la seringue pour l’éloigner.

« Aides-moi on va le porter jusqu’à la rue principale. Là on trouvera forcément un tonnerre qui pourra le canaliser et on pourra appeler une ambulance. »

Il faut être méthodique.

Les pensées autour de moi sont toutes plus sombres au fil du temps, comme si je plongeais dans un torrent de négativité. Je m'approche un peu plus de Baxter et je vois ses yeux, tandis que j'entends ses larmes, puis c'est comme si je me mettais à entendre ses yeux et voir ses larmes. Allons Bax, tu le sais pourtant qu'avec moi tu peux me parler de ce qui t'a pourrit; qu'est-ce que c'est qui t'a bouleversé? On partage la même chambre et nos nuits, on discute tout les deux en permanence et on s'amuse à faire les cons, alors non. Tu me fera pas croire que tu es encore celui que tu étais avant, Baxter. Alors je sais que chaque fois que tu me confie une de tes peurs j'ai un cheveux blanc qui pousse, mais là, faut pas non plus abuser, tu te pousses à bout mec.

Je regarde Afya, et je me rends compte que celui ou celle qui renvoyait autant de négativité dans ses pensées était sûrement elle. T'a vraiment merdé Bax, parles-en la prochaine fois, t'a des proches c'est pas pour rien. La pauvre est dans un état qui lui ressemble pas. Comment je sais que ça lui ressemble pas? Je sais pas à vrai dire, je la connais que depuis quelques heures, mais, sa façon d'être est assez simple, même pour quelqu'un d'aussi complexe. D'ailleurs, elle a probablement raison, il faut être méthodique, et bouger le gros cul de Bax en dehors de cette ruelle. Je regarde Afya et acquiesce d'un mouvement simple de la tête.

T'en fais pas, il est pas blessé je le sais, donc je peux le porter seul. Assure toi simplement que la voie n'est pas dangereuse avec tout ces vieux métaux rouillés au sol s'il te plaît. Heureusement que t'es venue me parler de tout ça, ça va peut-être éviter qu'il se laisses crever cet état.

Je m'empresse de passer Baxter sur mon épaule, tout en luttant contre la migraine causée par toutes ces écoutes télépathiques. Pourquoi je lutte contre la migraine? Simplement pour écouter qu'il pense encore. Tant qu'il pense, il est conscient, ou du moins en partie, même si c'est qu'un peu. Une fois qu'Afya s'est assurée que je pouvais passer sereinement, je marche en faisant tout de même attention; elle est fiable, j'en suis sûr, mais l'erreur est humaine et peut arriver à n'importe quel moment, puis au bout de trois ou quatre pas, j'ai arrêté de faire attention là où je mettais les pieds : Afya est réellement de confiance, et je pense que je peux compter sur elle pour surveiller mes arrières, enfin, mes pieds en l’occurrence ? Une fois sortis de ces ruelles, je le dépose doucement au sol, adossé à un mur, et me dirige vers Afya

Ca me dérange un peu de te demander ça comme ça, mais... Tu crois qu'on devrait lui donner de l'eau à boire ? Je sais pas si tu préfère rester avec lui ou aller chercher de l'aide toi-même ?

« D’accord. »

Ce n’est pas un travail bien compliqué que celui de donner un coup de pied dans tous les encombrants qui gênent le parcours de Ramiel. Elle pourrait y mettre toute sa colère mais la jeune ivoirienne est une femme modérée, et sa colère croissante reste paisible comme les eaux d’un lac de montagne ; il ne nous reste plus qu’à espérer que le barrage ne cède pas. Elle se redresse souplement et lui ouvre la voie. Ses orbes percent facilement l’obscurité et elle décale tous les obstacles qui pourraient le gêner.

Ils se retrouvent dans une allée éclairée rapidement, il semble que le système électrique des arcades principales soit plus résistant aux aléas du pouvoir de l’initié tonnerre. Elle soupire quand il le pose à terre, trouver de l’aide. C’est évident, simple et évident. Quand il parle d’eau, elle les vannes s’entrouvrent un peu et elle imagine une grosse quantité de cette dernière déferler sur le tonnerre pour le sortir de son état comateux. Trempé jusqu’aux os par cette froide soirée, elle ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine jubilation à cette idée qu’elle ne concrétise pas.

« Non. On ne sait pas ce qu’il a pris et il est p’t’être pas assez éveillé pour boire, il pourrait se noyer ? Vaut mieux attendre qu’il ait vu des toubibs. »

Elle n’aurait pas idée de verser de l’eau dans la bouche d’une personne endormie et l’état de conscience du tonnerre se rapproche pas mal du sommeil quand même.

« Reste avec lui, je vais trouver quelqu’un. »

Fonctionnelle, c’est ainsi qu’elle est. Elle se détourne des deux hommes sans le moindre regard en arrière et d’un pas rapide se rend à la première enseigne allumée. C’est celle d’un kombini. Elle en pousse la porte et expose au caissier surpris son soucis. Il appelle donc une ambulance alors qu’elle traine volontairement un peu plus longuement en sa présence pour ne pas rejoindre Baxter, ou ce qu’il en reste. Elle ne doute pas que le caissier eut passé ce coup de fil après qu’elle lui ait demandé, mais elle reste à ses côtés pour vérifier qu’il le fasse. Elle gagne ainsi un peu de temps à distance du jeune homme qu’elle ne reconnait plus.

« L’ambulance arrive. » dit-elle en les rejoignant finalement avant de se positionner sur le bord de la chaussée pour faire de grands gestes à celle-ci afin qu’elle ne les manque pas.

Heureusement que Afya est là. Je serais pas dans la merde sinon, j'ai les bonnes idées, mais pas les connaissances du lieu encore. C'est pas à moi de gérer tout ça pour le coup, et va vraiment falloir que j'apprenne les numéros d'urgence du Japon, en plus de me prendre un portable. Les numéros d'urgences sont-ils vraiment utiles à Terrae? Ou alors appelle-t-on un autre numéro? Ça y est. Je me pose trop de questions, dans une mauvaise situation pour le faire en plus. C'est pas le moment de penser à ça Ramiel. Pour l'eau, Afya a raison parcontre, faut peut-être pas le faire boire si il est déjà à peine capable de penser.

Tu dois avoir raison. Je t'attends, t'en fais pas. De toute façon, je risque pas d'aller bien loin avec lui.

Afya est partie d'un coup, comme une fusée, mais une furie à la fois. Dommage pour toi Bax, t'aurais pas dû dérailler comme ça, tu l'as déçue. Mais, faut pas croire, c'est pas car tu nous a fait une boulette qu'on va te filer entre les doigts. On reste là pour toi, je supposes ? C'est mon cas pour le coup. Alors évite juste de resombrer dans des conneries pareil. va de l'avant mec.

Par contre, elle en met un de ces temps à revenir. Elle est partie tellement vite, j'imaginais qu'Afya reviendrait avec des bonnes nouvelles en un rien de temps, mais là c'est tout le contraire. Elle s'est pas perdue en route j'espère? J'pourrais pas aller voir où elle en est avec Baxter. Cependant, faut pas que j'oublie de vérifier son état et que je continue de lui parler. Je dis des trucs un peu aléatoires, je lui parle de quand on s'est tapés sur la tronche, de Hakan aussi. Même si bon, je suis pas sûr que ce soit le bon sujet de conversation qu'on aurait si il se réveillait. Ça me ferait même sacrément chier. Tout en lui parlant, j'commence à prendre son pouls, son cœur bats encore, ça va. J'écoute sa respiration, elle est difficile, et se fait assez "rugueuse" si je puis dire. On ressent la douleur dans son souffle. Mais il respire, c'est déjà ça. Je regarde un peu le ciel, puis les bâtiments, surtout les bâtiments. La rue est déserte à cette heure là. Il se fait déjà tellement tard. Sûrement trop tard même. On a passé combien de temps à le chercher au juste? Ça se compte en heures, ça c'est certains. J'attends donc. Le vent souffle, il fait froid, on y voit un peu grâce aux lampadaires, mais c'est pas non plus le grand jour. On est plus proche de la pénombre que la nuit cela dit. D'ailleurs, la lune se fait discrète, c'est vraiment pas elle qui nous éclaire.

Après de très longues minutes, Afya arrive, et annonce la bonne nouvelle : On cherchait une ambulance, et on aurait une ambulance. Ouf. Je souffle un coup, assez bruyamment sans vraiment y prêter attention, mais au final, c'est car je me sens un peu plus léger, soulagé. Je regarde celle qui m'aura aidé toute la soirée, les yeux dans les yeux. C'est bien le premier contact visuel maintenu et fort qu'on a eu depuis qu'on s'est croisés.

Tu l'a sauvé, je te remercie pour lui. Il aura sûrement du mal à assumer ce qu'il s'est passé, mais ça ira. Hésite pas à lui tirer la tronche si t'en ressens le besoin. Je m'occuperais de prendre soin de lui derrière. Si t'a besoin de parler de tout ce qu'il s'est passé ce soir, tu peux revenir me voir également. J'ai pas de portable par contre, donc pas encore de numéro. te le donnerais pour si tu as besoin d'aide à l'occasion, je te revaudrais ce coup de main que tu m'a filé.

Il essaie d’être prévenant elle en a conscience mais elle ne peut s’empêcher de le trouver lourd. Sa manière de parler pour Baxter qui ne peut pas le faire l’horripile quelque peu. Un peu comme lorsque certaines personnes se mettent à parler pour leurs nouveau-nés ou leur animal de compagnie. Ce n’est pas à lui de le faire, il a peut-être cet avantage sur ces gens-là étant télépathe, mais même ainsi elle n’est pas certaine qu’il puisse parler pour son ami qui n’est pas réellement conscient. Il ne sait pas si ce qu’il dit est vrai, peut-être que Baxter débarquera comme une fleur au travail quelques jours plus tard, ou peut-être pas. Seulement ce n’est pas à Ramiel de parler pour lui, il peut se défendre seul. Il doit se défendre seul.

De la même manière elle n’apprécie que très moyennement le fait qu’il lui dise qu’elle ait le droit de lui faire la tête. Elle n’avait pas besoin qu’il lui donne la permission d’une part, et d’autre part elle ne lui laissait pas le droit de décider comment elle devait se sentir. ‘Si elle en ressentait le besoin’. Elle se demandait bien pourquoi elle aurait envie de parler de ça avec un inconnu. De parler de ça avec qui que ce soit d’ailleurs. Elle ressentait une vive colère qu’elle ne souhaitait pas partager, comme d’habitude. Le silence serait son unique confident.

« Je ne l’ai pas fait pour toi. »

Elle serre les dents, elle est colère… Mais pas contre lui, pas vraiment contre lui. Malgré le temps passé ensemble elle ne s’est cruellement pas réellement intéressée à Ramiel préférant et de loin s’inquiéter pour celui qu’elle considérait comme son ami. Ami qui l’avait trahie et contre qui elle était actuellement extrêmement en colère cela étant. Elle inspira.

« Il faut le coucher sur le côté ils ont dit au téléphone. D’ailleurs je n’en ai pas non plus, et je ne pense pas en avoir besoin un jour. Je te remercie de la proposition mais je vais la décliner. »

Déjà les gyrophares illuminaient la ruelle. Terrae n’était pas grande et l’ambulance arrive rapidement. Des questions sont posées, brèves et sans réponses. Afya ne sait ni ce qu’il a pris ni s’il a des antécédents particuliers. Elle ne sait rien mais Ramiel à quelques informations à leur fournir et il l’embarque avec eux pour ne pas perdre de temps.

# fin