La dernière fois que j'ai débarqué chez Aaron, j'ai failli mourir.
On dirait une métaphore hein, mais non, j'étais juste trop à l'Ouest pour m'en rendre compte à ce moment là mais j'ai grave joué avec le câble électrique au dessus de mon bain. En vrai, c'était drôle, je regrette pas, mais depuis j'ai mon patron qui me death glare dès qu'il me voit ricaner (et pas de chance pour lui, dès que je le vois j'ai envie de ricaner). Est ce que c'était une bonne idée de me mettre à dos un des Masters les plus anciens et plus puissants de Terrae, qui en plus se trouve être mon garant judiciaire ? Ceci est une question rhétorique merci de ne pas répondre enfoiré.

Sauf que j'ai atteint une limite.
Je commence à m'épuiser à utiliser ma voyance aussi souvent, je dors de moins en moins, et j'ai tourné et retourné toutes les solutions dans ma tête : je vais me faire griller. Déjà je sais qu'Alice sait beaucoup de choses (j'ai pas osé lui demander de pas regarder dans ma tête, ça serait encore plus suspect, de toutes façons je peux pas lui cacher grand chose), mais si je continue à ce rythme même Mitsuki risque de se poser des questions, et si elle se doute de quelque chose c'est fini quoi. J'veux dire, je suis de moins en moins attentif à nos joutes verbales, tellement je dois me concentrer à suivre Atumane sur les différents écrans. Le moi d'avant aurait piraté mon écran, il aurait tout de suite compris que j'étais en filature.

En me dirigeant vers la maison d'Aaron, je manque de faire demi-tour 4 fois.
Non mais sérieusement, je vais faire ce que je pense ?! C'est stupide. Il va me griller direct. J'veux dire, le mec est sensitif. C'est presque plus dangereux que télépathe tsais- Ouais mais si je le fais pas, je pourrais jamais avoir de preuves. D'un autre côté ça sera des preuves obtenues illégalement... OUI MAIS- Enfin vous voyez l'tableau hein.

J'arrive à une heure où je suis sûr de ne croiser que celui que je veux voir (vu que sa maison c'est l'auberge espagnole maintenant) et devant la porte, je grogne. Putain. Idée de merde. Ok trois scénarios ; soit il m'accueille avec un sourire poli mais pas aimable (probabilité 2%), soit il me crache dessus (probabilité 30%), soit il me foudroit sur place sans écouter ce que j'ai à dire (probabilité 68%), soit 100% d'idée de merde. Bon, pour une fois je viens pas à 4h du matin (ce serait con, toute la maisonnée est là à cette heure).

Nerveux, je toque à la porte. De toutes façons vu comme je pus l'embrouilles à 10 bornes vous pouvez être sûr que l'autre crétin m'a senti arriver hein. Mon attente anxieuse me prend la tête, et je suis dans cet état chiant où l'eau perd ses degrés autour de moi (faut vraiment que je m'occupe de cette histoire de glace avant que ça devienne vraiment relou putain-). Puis je me rends compte qu'attendre devant des portes ça a jamais été mon truc en fait ? Depuis quand je suis devenu aussi civilisé au juste ? Je suis beaucoup trop sage.

_ Putain mais tu vas l'ouvrir cette porte oui, je grogne.

Je crois que j'ai perdu toute patience.

Cette aprem, pas de cours ; les garçons sont occupés avec leurs études, ce qui veut dire moment privilégié avec la choupette ! Lou aussi est occupée avec le boulot, alors je vais pas la déranger (puis surtout, c'est un peu la pleine nuit là-bas lol, décalage horaire tout ça). Charlotte voulait qu'on mange dans le parc : on aurait tout à fait pu faire pique-nique dans le jardin, mais elle voulait surtout une glace la chipie, je la connais par coeur. Elle aime aller voir tout le monde dans le parc, renifler (…et manger) les fleurs, se rouler dans l'herbe, etc. Beaucoup trop sociable, cette enfant, j'me demande d'où elle tient ça.

Du coup, on a bien profité du pique-nique ensemble ; à l'ombre d'un arbre, de bonnes boissons fraîches et quelques jeux... On a pu croiser des papillons et quelques abeilles que Charlotte a voulu adopter (ça, elle le tient de moi, j'suis si fier putain). Comme l'air commençait à devenir bien chaud, on est rentrés assez rapidement malgré tout ; le soleil tourne, et les coins d'ombre se font rare à cette heure.

Avant de rentrer, j'ai donc pris une glace à la petite choupette qui s'en met littéralement par-tout (glace au chocolat en plus, elle avait un haut blanc magnifique avec une licorne arc-en-ciel à paillettes dessus, si j'arrive pas à le récupérer je serai deg) et un café pour moi. Accrochée à ma main tout en tentant de manger sa glace (j'ai pas confiance, elle va tomber bordel, AAAAAATTENTION au caillou- c'est bon, réflexe, je l'ai rattrapée, tout va bien. non, mais, chérie, rigole pas comme ça, regarde devant toi- non ? ok non-), on avance jusqu'à la maison. Je la couve du regard tout en essayant de faire gaffe à mon environnement, histoire de pas me manger un poteau sauvage comme ça m'arrive parfois.

Et je pensais qu'on pourrait continuer à avoir une bonne aprem si j'avais pas croisé tête de balais à chiottes sur le pas de ma porte. Air blasé, on s'avance jusqu'à la maison... Charlotte est trop concentrée sur sa glace, elle a pas dû le remarquer. Arrivé à sa hauteur, je l'entends pester... Bah... Sur moi, je suppose ? Putain mais il est là pour quoi lui aussi ?!

Inspiration, soupir profond, saoulé. Nan mais. Aled.

—Ce serait plus simple pour moi d'ouvrir la porte si t'étais pas planté devant, je le salue, tenant d'une main la petite main de ma fille et de l'autre mon café, dont je bois une gorgée.

Charlotte semble enfin remarquer sa présence et dévie son attention de son cornet presque vide, la bouche pleine de chocolat. Là, ses yeux s'illuminent. Oh crotte. La petite étire un grand sourire et s'avance vers lui pour faire un câlin à ses jambes en lui disant bonjour. ... Ouais, elle l'a reconnu. J'sais pas pourquoi elle l'aime bien. J'aurais pas dû la faire cotoyer Blobby, ça lui a vraiment donné des goûts bizarres en fait...

J'lui laisse le temps de bien tâcher son pantalon avant de la rappeler, main tendue pour qu'elle vienne me l'attraper, sourire en coin.

—Viens ma puce, tu vas salir le monsieur. (Puis je lève les yeux vers lui.) Tu me laisses passer s'te plaît ?

Non, j'vais pas lui demander ce qu'il fout là, j'm'en fous en fait.

Ok, je sais pourquoi j'ai failli mourir maintenant, je sais que je recommencerait.
Voir toute trace de joie s'effacer d'un coup du visage d'Aaron quand il voit ma gueule ça me procure un plaisir fou. Le problème c'est qu'il le fait probablement à 50% parce qu'il juge au physique et merde quoi ! je me suis grave amélioré ! Enfin je veux dire, Ariana m'a grave amélioré ! Merde, est ce que ça veut dire qu'elle a vraiment des goûts de merde en terme de shampoing et crème de jour ? Putain faudra que je check ça avec... Ouais non pas Zola il est pas objectif, Fausteen non plus LOL, dans un sens opposé en plus. Génial, j'ai les meilleurs squatteurs de chambre, pas utiles pour un sou.

J'oublie le fait que je suis passé pour un gros con alors que monsieur était dehors- oui bon ça va ok, je savais que j'aurai dû entrer sans frapper niquez vous. Et puis comment vous voulez qu'il ouvre la porte comme ça, il peut pas tenir à la fois son café, sa gamine et les clés j'suis désolé ! A moins qu'il veuille que je lui prenne son café. C'est tout à fait possible, quand il veut, je peux le boire aussi hein. Oooook on se calme je suis pas venu pour être irrité et insupportable. MAIS IL ME FACILITE PAS LA TÂCHE OK ?! Notez le.

Et là, la gamine me capte. Je- Alors on va pas se mentir, d'un côté je sais pas comment réagir quand un gamin te choppe la jambe pour venir essuyer son reste de glace sur ton pantalon -déso Aria pas ma faute- d'un autre côté, savoir que ça fait enrager le padre me met extrêmement en joie. Et puis on va pas se mentir, elle est bien plus sympathique que lui. MAIS PUTAIN- Je t'en mettrais moi des "tu vas salir le monsieur" avec ton petit air satisfait à la con là ! Tu mériterais que je la prenne dans les bras ta gamine, que je la kidnappe et que je te fasse courir tout le bahut pour la retrouver putain.

Caaaaaalme, on a dit calme. On a dit : tu viens pour parler d'Atumane- ok c'est bon maintenant je suis vraiment énervé. Je me pousse avec un grognement pour le laisser entrer.

_ Ça va ou il lui faut plus d'espace à la princesse ? je sors d'une voix tranchante.

J'ai pas envie de lui parler. Vous savez même pas la force que ça me demande de parler à ma psy ou à Alice, alors à un mec que je supporte que quand je peux l'emmerder ? Faut même pas y penser. Mais c'est mon garant, et je vois mal à quel autre master je peux dire ça, qui me comprenne. Mitsu c'est mort, Gaetano c'est le vide intersidéral, Athéna on a jamais eu ce genre de relation et elle est trop... Trop calme pour comprendre, Ipiu c'est la colporteuse de rumeurs merci mais non merci et Huo a trop d'éthique morale. Et les autres j'les connais que de nom c'est mort aussi. Alors pourquoi il faut qu'il soit si chiant putain ?!

Je me fais violence pour essayer de lui demander d'entrer après lui, et alors que des images de mon altercation avec Atumane commencent à remonter en surface, je pâlis et serre les dents. Ok non c'est mort. Je m'apprête à faire demi-tour pour de bon quand une petite main attrappe à nouveau mon pantalon. Je croise le regard de Charlotte avec ses petits points d'interrogation dedans. Merde. Je peux pas laisser ce fou furieux mettre en danger les gamins. Alyssa non plus mérite pas ça. Je prends une ou deux respirations avant de me pencher vers elle avec un sourire à moitié rassuré.

_ T'es la chose à la fois la plus chiante et la plus adorable au monde tu le sais ça ? Tu me fais visiter ta maison ? Après je te raconterai la magnifique histoire d'un fils de pute qui va venir foutre la merde à Terrae !

Vu qu'Aaron a visiblement pas l'intention de s'intéresser, j'ai qu'à tout raconter à la gamine, on gagnera du temps.

Woh, eh bah, il enrage vite le Houston. C'est dingue, je me souvenais pas qu'il pouvait passer aussi vite de la joie à la rage à la joie à la rage aux envie de meurtres. En tout cas, pour qu'il se pointe, c'est que ça doit être sacrément sérieux, ou alors il est juste masochiste et il a envie de s'infliger un moment d'émotions intenses par semaine, histoire de redécouvrir la vie du commun des mortels ? La blague. Je hausse un sourcil quand il me parle sèchement, encore une fois. Je lui accorde même pas d'attention, ça me gave, ce genre de comportement. Il vient chez moi pour m'agresser, et après il s'étonne que je lui parle mal ? Mais juste, va te faire enculer à sec, mec, tu me saoules.

Je lâche un soupir et lâche la main de Charlotte le temps de trouver mes clés et ouvrir la porte. Derrière, je sens bien le conflit de Houston. Y a clairement un problème, mais s'il descend pas d'un ou deux étages dans lui-même, il pourra aller se faire foutre pour que je l'aide à le régler. La question est pas de me respecter parce que je suis Master, la question est d'me respecter parce que je suis un putain d'être humain, et il s'est jamais comporté comme tel avec moi. Sa passion dans la vie c'est de me briser les couilles, mais j'ai juste rien demandé, à la base, hein. Donc qu'il commence à faire son caliméro avec ma fille qui le retient en arrière-plan, ça me les brise complet. Qu'il pète un câble dans sa tête ? Balek. Qu'il utilise les mots "fils de pute" devant Charlotte ? Mais va te faire foutre, putain.

Sentant la colère monter, je laisse la porte que je viens d'ouvrir en grand et me rapproche, attrapant délicatement la main de Charlotte en l'appelant, pour attirer son attention, puis lui demande de rentrer, malgré ses protestations ; elle finit par obéir. Puis je fusille Houston du regard.

—Ok alors. Je t'autorise pas à parler comme ça à ma fille, je siffle, à deux doigts de lui faire faire un vol plané de cinq mètres, avant d'inspirer et essayer d'articuler plus calmement. Si tu veux rentrer chez moi, t'as intérêt à surveiller ton langage. Et à arrêter de me parler comme de la merde. J'ai pas dit que j'allais pas te laisser entrer. Par contre si tu veux que je t'écoute, je te jure que t'as intérêt à te calmer. Tu m'agresses alors que tu viens me chercher ? T'as vraiment un problème.

L'histoire du fils de pute, je suis tout à fait disposé à l'entendre. Mais pas venant d'un mec qui me manque de respect à chaque fois qu'il me croise mdr. Faut être cohérent dans la vie.

J'lui laisse le choix, pour le coup. J'ai aucunement envie de m'énerver pour des conneries. Parler, c'est très bien, et je suis disposé à faire des efforts si ça concerne Terrae. Après tout, on n'est pas obligé de supporter tout le monde. Par contre, autant mettre les choses à plat directement : il ne rentrera chez moi que s'il fait profil bas. C'est du donnant-donnant. Et j'suis pas désespéré au point de le supplier de me dire ce qui l'inquiète au point de se dire que me voir moi est la meilleure idée du monde. Si c'est si important que ça, il n'aura qu'à passer outre. Sinon, je me débrouillerai bien tout seul.

Ah bah au moins j'aurai réussi à lui faire quitter son air indifférent LOL.
Il fait rentrer tout doucement sa fille et lorsqu'il se retourne je m'attendais à me faire fusiller. Et même pas putain. Je vais pas mentir, son regard me file un frisson mauvais, je sens que s'il pouvait il m'aurait déjà envoyé un coup de jus que j'aurai mis du temps à oublier. Ça aurait probablement dû me calmer, mais je trouve la raison con. Quoi, pour un gros mot sérieusement ?! Faudrait arrêter de prendre les enfants pour des cons aussi un peu. Et je voudrais pas être en colère pour un truc aussi con, mais je sais pas pourquoi j'y arrive pas.

Il m'invective et ne cache pas son sel à mon égard. Mais. c'est. quoi. ton. problème ?!? Être taquin ça fait parti de ma personnalité, t'es même pas capable de voir la différence entre des plaisanteries et moi qui bad à mort ?! J'en reviens pas comme mon patron est con putain. Et merde vas y qu'il joue le mec avec sa maison, mais si tu l'as c'est pas parce que t'es censé être un Master avec un minimum de jugeote qui laisse pas rentrer n'importe qui ici ?!?!

Je serre les dents, me demandant comment je vais me démerder pour me calmer avec ce qu'il me balance à la gueule ?! J'essaye de prendre une inspiration,je ferme les yeux. Peut-être que si je vois pas sa gueule ça devrait le faire.

_ Je fais pas exprès figure toi, je finis par sortir, agacé. D'être en colère j'veux dire. C'est pas particulièrement contre t-

"Tonton... Quand est ce qu'il revient papa ?
Les odeurs de la pièce remontent, ma main est dans celle de mon oncle, je trouve ça bizarre.
- Il ne reviendra pas.
- Ah."

Fermer les yeux, pire idé-

Un contact. Une annulation. Trois lettres au sens lourd. Des boîtes aux lettres. Atumane sale enf-

J'ouvre les yeux en grand et pose ma main sur le mur le plus proche pour prendre de grandes inspirations. Et ça n'en finit pas putain. Je suis encore plus en colère, encore plus perdu qu'en arrivant ?! Putain pourquoi les évènements ne veulent pas se produire dans l'ordre ?! Merde merde merde, et ce con qui comprend rien aussi là ! J'aurais mieux fait d'aller voir Mitsuki.

_ Putain le con, il va- Merde ! Je crois que je vais avoir besoin d'un coup de main si tu veux vraiment que je me calme, je grogne.

Si j'avais eu toute ma tête, j'aurais su que c'était probablement la pire idée.

Heureusement que Charlotte est là, quelque part. Ca m'oblige à garder mon calme face à cette tête de noeud. J'suis plutôt content de le faire flipper, pour être honnête, mais j'aurais préféré qu'il vienne pas m'emmerder dans un premier temps. Il se calme pas, il a même l'air relativement plus furax, mêlé à une pointe de... j'sais pas, on dirait de l'agacement, et de la crainte. Dents serrées, il m'assure qu'il le "fait pas exprès". Et que c'est pas contre moi en particulier. Super, ça me fait une belle jambe. J'vais t'apprendre à un truc, du con : j'suis pas ton punching-ball, que ce que t'aies à me dire soit important ou pas. Mais hélas pour moi, je comprends que trop bien. Un soupir m'échappe, qui se bloque dans ma gorge lorsque je le vois buguer sévèrement, assailli par des émotions soudaines et plus violentes.

Durant quelques secondes, je le regarde encaisser ce que je crois être une pensée très désagréable ou une vision. Il ressort de son absence en posant une main sur le mur pour se soutenir. Vertige. Mwé, vision. Il a pas l'air bien, lol. C'est à peu près là que mon moi compatissant a décidé de se calmer et de pas lui défoncer la gueule.

—Respire. Calme-toi, je lui demande plus doucement, en instillant une dose de calme dans son organisme, ainsi qu'en réduisant grandement sa panique et sa colère, mais sans les faire disparaître.

Les mettre en sourdine, ou en arrière-plan, pour qu'il puisse reprendre du contrôle. J'aurais pu y aller plus brusquement, mais c'est pas la meilleure des idées quand visiblement il a des infos qui m'intéressent. Il a l'air d'avoir vraiment besoin d'en parler, et s'il en est au point de venir me voir moi pour ça, sans feindre ses émotions (et je doute qu'avec son quotient émotionnel il soit capable de me tromper), c'est que ça doit être suffisamment important. Autant pas être un con et lui donner un coup de main quand il le demande.

—Viens, je lâche simplement quand je remarque qu'il a plus de couleurs sur son teint déjà habituellement bien gris, avant de rentrer et enlever mes chaussures dans l'entrée.

J'aide Charlotte à faire de même, et elle tourne autour de Houston sans trop oser l'approcher avant que je ne l'entraîne à ma suite pour lui laver les mains et le visage dans la cuisine, allumant la cafetière au passage. J'attrape un chiffon que j'humidifie avant de le lancer à la tête du Voyant quand je le recroise, désignant son pantalon.

—Bon, il se passe quoi ?

Qu'est ce que j'ai dit ? Qu'est ce que j'ai fait- Pourquoi je suis venu ici bordel, je devrais être dans ma putain de chambre comme à chaque fois que ça arrive, pour pas emmerder dans le monde, m'enfermer pendant un ou deux mois, attendre que ça passe... Je sais pas d'où sort toute cette colère, ça vient de moi ? Je suis jamais en colère. Je peux pas me le permettre, j'ai pas le droit- Je suis en train de me perdre merde, c'est tellement dur de se raccrocher à la réalité.

Respire. Calme toi. Je sens- Presque immédiatement, mon corps répond à la demande. Est ce que c'est ? Oui, probablement. Je me jette à corps perdu sur cette dose de calme qui sort de presque nulle part, sens ma colère et ma détresse s'éloigner un peu. Je reprends ma respiration, tremble presque sous la sensation de bien être que me procure le fait de sortir de cette presque crise de panique. Je tremble et je sens mes yeux devenir humides. Enfin. Après des jours de frustration, de tension, mon corps me renvoie à la gueule la fatigue accumulée et je pourrais presque pleurer et m'endormir dans l'instant. Je me stabilise. J'inspire. J'expire. C'est... Je comprends qu'on puisse y être accro.

J'essuie mes yeux et le suis tel un robot lorsqu'il me propose de le suivre. J'enlève même mes chaussures, si ça c'est pas une preuve que je suis drogué au calme je sais pas ce qu'il vous faut. Je le vois emmener Charlotte à la cuisine, et je ne réagis pas vraiment. Je n'observe même pas les lieux, je sais qu'ils se graveront dans ma mémoire de toutes façons. Je marche tranquillement jusqu'au canapé le plus proche et m'assoie devant, au sol, ramenant mes jambes contre mon torse.

Je sais que j'ai l'air d'un enfant. Mais j'ai besoin de ça. D'avoir l'impression d'être protégé, c'est toujours comme ça, quand ça arrive. Je me recroqueville dans un coin, loin des fenêtres, caché par un objet volumineux, dans un angle mort. Pour éviter les tireurs. Peu importe que je sois calme pour le moment, je sais que les autres émotions, celles qui me maintiennent éveillé dans la peur, ne sont pas loin. Je ferme les yeux un instant. C'est un souvenir qui m'éffleure.

Wass : Putain mais pourquoi tu triches connard ?!
H. : Je triche pas. C'est toi qui est nul.
Wass : Mais n'importe quoi ptn ?!? Tu peux pas modif' le jeu juste parce que ça t'arrange, j'arrête de jouer si t'es pas capable de faire une partie sans toucher une ligne de code.
H. : Ok. A la loyale.
Wass : Fils de pute, tu trichais vraiment. J'vais te défoncer.
H. : Lol, joue au lieu d'parler enfoiré. J'ai pas que ça à faire.

Un souvenir agréable.
Un chiffon mouillé me sort de ma torpeur, et quand j'ouvre les yeux, blasé, je vois Aaron qui désigne mon pantalon. Quoi ? Ah oui, ok. J'essaye d'enlever les tâches de chocolat sans grande conviction. Au pire pour ce que je sors et à quoi je ressemble, je pense que tout le monde s'en moquera éperdument.
Il lance le sujet avec la délicatesse d'un mammouth en rut. J'aurai fait la même chose. Je prends une inspiration, profitant encore un peu du calme, essayant de me rappeler cette sensation pour la conserver.

_ Atumane Ngwenya.

Je sais pas ce qu'il est censé faire de ce namedrop total, je crois qu'il va falloir que je donne plus d'explications. Ouais hein. Mais au moins son nom est sorti, j'aurai plus à le prononcer à nouveau.

_ C'est... Avant que tu me dises qu'on a tous le droit à une seconde chance à Terrae, il faut juste que tu sâches que ok, je suis obligé d'être d'accord parce que je suis le premier à en bénéficier, mais pour ça il faut avoir l'intention de changer. Et ce type... J'ai pas l'impression qu'il a envie de changer. Je sais même pas pourquoi il est là, est ce qu'il a vraiment ressenti le Vide ?! On dirait pas putain.

Je sens mes frustrations remonter. Je sais que je ne fais pas les choses dans l'ordre, je devrais pas commencer par ça. Ça va juste réussir à me faire passer pour un abruti incapable de pardonner, mais je n'arrive pas à faire autrement. Je n'aime pas du tout le sentiment de danger que j'ai quand je passe à côté de lui. C'est viscéral.

_ Quand j'étais séques- enfin, avant, j'observais tout un tas de gens. Pour les affaires. Bon et ben la tante de ce type, elle faisait parti de ces gens là, elle avait même un place assez haute sur le tableau, parce que son activité professionnelle c'est rien de moins que fournir la moitié du monde en armes. Alors oui là tu me diras "mais enfin son neuveu c'est pas elle donc pas de problème" et ok, alors j'ai voulu vérifier -j'ai pas brisé ma conditionnelle je précise, il y avait pas de condition pour l'espionnage grâce aux pouvoirs à ce que je sâche. Même en étant ici, il continue les affaires, il continue- enfin est ce que vous auriez voulu de moi si je détruisais encore la vie des gens à distance ?! Je sais pas ce qu'il a en tête- si en fait je sais, sa famille est composé de putains d'opportunistes qui ne collent pas à la la morale conventionnelle occidentale et qui verraient un intérêt à monétiser les pouvoirs. Je-

Je m'embrouille complètement. Alors je finis par fermer la bouche et me taire. J'en ai trop dit. Et pas assez. Je sais pas par où commencer, par où finir. Je crois que j'ai tout dit ? Et pas du tout assez. Je crois que je suis juste complètement paumé.

Les pouvoirs sont parfois utiles, quand tu as un mec qui sait pas gérer ses émotions juste en face de toi — vous me direz, cette description peut convenir à 99% des élèves de Terrae alors je m'avance pas trop en le désignant de cette manière. Je lui laisse le temps, mais je lui parle pas. Par contre, le temps de rentrer, enlever les chaussures et tout ce bordel, il a l'air vraiment choqué. Par quoi, j'en sais rien, mais il dissocie complet le mec. Il se met à demi en PLS sur le canapé, jambes repliées contre le torse. Je lui balance quand même le torchon, en espérant que ça le réveille.

C'est quand je vois ce genre de trucs que je peux imaginer un instant le niveau de trauma de ce mec. J'en avais aussi fut un temps, alors je connais. J'vois ce regard, cette expression qui retourne dans le lointain même quand il rouvre les yeux. C'est comme s'il était pas là, même s'il est physiquement devant moi.

Il me lâche un nom. Ouais, ok. C'est un mec arrivé il y a peu, je crois. Je me souviens pas de sa tête, mais son nom me parle, comme il est un peu spécial. Je m'assieds sur le bord du fauteuil à côté du canap pour être à peu près face à lui. Je sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que cette discussion mériterait une bonne clope.

Quand il commence son discours par, grosso modo, un truc genre "tout le monde a droit à une nouvelle chance je sais MAIS MDR" j'vous avoue que je flippe à demi. Je note les éléments qu'il me donne, sans vraiment en avoir l'air. Pas l'intention de changer, hm, ok. Il avait quoi comme passif, celui-là, déjà ? Je sais plus...

Seques-quoi ? MAIS MDR GROS LÂCHE PAS DES TRUCS COMME CA. Même moi j'vais finir par compatir à ta sale gueule. J'en ai marre, sérieux, omg. Je pince les lèvres subrepticement, acquiesce… et hausse un sourcil. Traffiquant d'armes ? Nice… Mais c'est son n-- Houston, je t'interdis de lire dans ma tête.

Roulement d'yeux cette fois-ci (il a pas tort pour la question des pouvoirs, p'tit malin).

—Ok, calme-toi.

De nouveau une vague de calme, il va entrer en combustion spontanée sinon. Je reste dans mon coin à fixer le vide, réfléchissant le plus vite possible. Je le regarde ensuite dans les yeux, et je passe pas par quatre chemins.

—T'as des preuves ? Concrètes, je veux dire ?

Avant qu'il continue, je lève une main pour l'arrêter ; je sais qu'il va se vénère.

—Je dis pas que tu as tort, et j'te remercie de me prévenir. J'en parlerai à Hideko. Simplement, si tu as des trucs concrets à nous donner, ça nous aiderait pour évaluer le potentiel de menace et voir nos options. Enfin, s'il a un projet en tête ? Parce que là, à vue de nez, je dirais qu'il y a un gros potentiel pour qu'il fasse de la merde... Mais en même temps, un intérêt pour monétiser les pouvoirs, ça veut pas dire qu'il y arrivera ou qu'il veuille réellement le faire… Puis, le Vide ment pas. On peut pas l'induire.

Je réfléchis pendant que je parle, jugez pas. Mine inquiète, je me frotte le menton.

—Après, s'il continue son travail illégal malgré nos avertissements, avec un peu de chance ce sera suffisant pour le virer. Mais s'ils sont si influents dans le milieu et que les Masters s'en sont pas rendus compte avant...

J'essaie d'imaginer un monde où nos pouvoirs seraient utilisés pour faire la guerre. Et ça, ça craint. Moralement, j'aime pas l'idée que mes gamins traînent dans la même ville qu'un terroriste, hein. La gorge serrée, mais sourcils froncés, je reprends :

—Qu'est-ce que tu sais d'autre sur lui, ou sa famille ? Et surtout, tu évalues le niveau de danger à combien ?

Parce que j'aimerais bien savoir pourquoi tu paniques à ce point, là. Ca a tendance à me contaminer, même si j'essaie de rester assez neutre.

J'arrive pas à me concentrer sur Aaron. Je dois dire que rien qu'imaginer la tête qu'il pourrait avoir me fait flipper. Est ce qu'il me croit ? Est ce qu'en fait il s'en tamponne complètement et il m'écoute pas ? Est ce qu'il baille ou se curre le nez ? Arrêtez vous savez qu'il en serait capable. Je crois que le pire reste l'indifférence. Qu'il écoute, qu'il note, et qu'il me dise que j'ai un pet' au casque. Parce que ça serait pas faux, mais ça serait sous-estimer la grosseur de l'impact. C'est pour ça que je reste les yeux fixés dans le vague, préférant conserver la vague illusion qu'il est attentif et sérieux.

Il me dit de ma calmer, et je voudrais bien, mais je sais pas trop comment faire. J'essaye de mettre en ordre les choses dans ma tête, mais c'est comme vouloir écrire un message sur son portable un jour d'hiver au milieu d'une pluie battante. Ce moment où t'as beau taper sur cette foutue lettre "m", ta chaleur corporelle se mélange avec le fluide céleste et tu finis juste sous un porche, frigorifié et tremblant, décidé à attendre que ça se calme pour rentrer à pied (et choper la crève).

Heureusement pour moi mon chaperon est d'humeur généreuse, et je sens à nouveau une vague de calme se répendre en moi comme une chaleur salvatrice. J'accueille à nouveau le sentiment avec une profonde respiration et m'y accroche pour qu'il dure le plus longtemps possible. Promis Mitsuki, plus jamais je te reproche de faire la même. C'est la meilleure drogue du monde. A consommer dans des endroits non exposés évidemment, je prendrai jamais le risque d'être calme dans un contexte de danger faut pas abuser.

Il me demande si j'ai des preuves. Concrètes. Je fronce les sourcils, essaye de me concentrer. Euh, non ? Alors, on va faire un point preuves avec vous : je sais très bien en fabriquer. Genre, vraiment très bien. Habituellement ma parole suffit dans ce genre de cas, sans compter que on me demandait pas forcément d'en avoir, plus souvent de faire savoir que j'en avais. Les gens ont bien plus peur des possibilités que des faits accomplis, les films d'horreur marchent exactement avec ce ressort. Seulement, ce que Aaron me demande, ce sont des preuves en bon et due forme, comme on en fait dans les séries télés. Et là je me sens carrément baisé, parce que sans preuve ici c'est ma parole contre celle d'un type entraîné à l'art du discours.

Avant que j'ai le temps de répondre (je suis particulièrement lent aujourd'hui, au cas où ça vous aurait échappé), il me dit que ce n'est pas qu'il me croit pas. Donc potentiellement il me croit. Mais qu'il a besoin de plus, qu'il doit savoir si c'est vraiment une menace ou si je me monte des films. Et pour la première fois de ma vie, je sens la volonté forte de montrer ma légitimité, de me faire comprendre. Oui, j'ai paniqué, oui, c'est excessif, oui, j'ai des raisons d'avoir fini dans cet état.

Je prends une grande respiration, plus confiant.

_ J'ai pas de... Mon cerveau peut servir comme une preuve ? On va dire que non hein, c'est con d'avoir des télépathes et de pas pouvoir faire ça... Disons que- la plupart des choses je les ai vues en vision, alors le passé et le présent sont un peu... Mélangés ? Mais- si attends. Il a des dossiers, sur chacun de nous. Il les écrit dans une langue locale du coup j'ai mis plus de temps à les déchiffrer, mais j'ai vu des noms, des codes, et je suis plutôt doué pour décoder des trucs. Il note des tas d'informations, des détails sur nos pouvoirs, il nous note en fonction de notre dangerosité, de notre façon de penser, sur- il écrit aussi des rapports. Ecrivait ? Sur ce point je ne suis plus trop sûr. Il a déjà demandé à sortir d'ici ? J'ai vu des refus de la part des Masters. Et après... Ou avant, c'est- enfin bref, il y a un autre code, celui là il est court, je pense que c'est pour rompre le contact, parce qu'après je l'ai vu se débarasser d'une partie des dossiers. Mais est ce que ça a déjà eu lieu ? Je sais pas.

Je sens que je recommence à paniquer alors je fais une pause. Je reprends ma respiration. Inspire. Expire. Accroche toi au calme.

_ Il a aussi des informations dans son ordinateur. Tu n'imagines même pas à quel point ça me démange d'aller lui piquer. C'est une sacrée machine, même si rien d'infranchissable, en tous cas il est assez malin pour ne jamais la connecter au réseau de Terrae ou de Tokyo. Et de toutes façons j'aurai pas le droit d'y toucher, je sais. Mais quand même, joli morceau.

Je repense à Meta, ce bijou de technologie révolutionnaire que j'ai balancé du haut d'un bâtiment le jour où j'ai décidé de changer de vie. Je crois que parler d'informatique m'a considérablement apaisé.
Passons à l'instant famille.

_ Ce que je sais de sa famille c'est... De base, l'Afrique c'est compliqué pour un blanc Nord Américain, c'est pour ça que mon oncle mettait pas trop son nez là dedans -et donc moi par extension. Historiquement, sa famille a fait fortune pendant la Guerre Froide en tant qu'intermédiaire soviétique- non en fait, t'embarasse pas de l'histoire, c'est pas ça qui est important. Ce sont des intermédiaires, c'est à dire des opportunistes. Ils ne produisent pas ou très peu, ils achètent au plus désireux et qualitatifs et revendent aux plus gros porte-feuilles. CE QUI VEUT DIRE QUE ils ont une éthique aussi changeante que les looks de Johny Depp, ils suivent les tendances et les arrangements avec -je dois l'admettre- un talent qui me tape sur le système. Un jour ils sont pro-américains, le lendemain ils serrent la main à la Corée du Nord, tant que ça reste dans leurs intérêts, personne n'est en dehors de leur viseur. Pas même Terrae- surtout pas Terrae.

Je fronce les sourcils, essayant d'estimer le niveau de danger qu'ils représentent vraiment, en ignorant mes peurs.

_ Eux mêmes ne représentent pas un danger. Il n'y a aucune alliance qui puisse faire de l'ombre aux Masters pour le moment, mais ça pourrait venir. Leur principal problème je pense, c'est qu'on aliène leur marché même ; avec des personnes capables de maîtriser une armée en un claquement de doigts, on projette la fin de leur marché. Donc, soit ils en sont, ils mordent dans la pomme avec nous, soit on les ignore et ils font leur truc de leur côté, le notre du notre, soit nous devenons un danger suffisemment grand pour qu'ils trouvent des alliés assez puissants pour nous faire de l'ombre. MAIS, tout ce calcule tombe à l'eau avec Atumane. S'il conserve son éducation et son parti pris pour sa famille, il repartira avec ses pouvoirs et les mettra au service du plus offrant- ce qu'on ne veut pas. Il y a malgré tout un risque pour qu'il se plaise ici et qu'il change d'avis sur la façon de fonctionner de sa tante, j'admet, mais c'est exactement en ça que je n'arrive pas à croire... Comme ce sont des gens qui pensent et agissent vite, je dirais qu'on est sur un bon 80% de chance que toute cette histoire nous revienne dans la gueule.

Je lève les yeux sur lui pour ma conclusion, cette fois à peu près calmé. J'ai toujours mes jambes contre mon torse et le cul par terre, ce qui doit pas mal atténuer mes propos, mais je viens de réussir à faire passer mon message, et c'est le plus important.
Je reprends mon souffle une fois de plus, en attente.

Lentement, Houston se calme. Ce n'est pourtant pas gagné d'avance si on en juge par son état actuelle ; il est véritablement angoissé et, plus que tout, c'est ce constat qui m'inquiète. Joignant les mains, doigts croisés et corps penché vers l'avant, coudes sur les cuisses, je l'écoute attentivement.

Son cerveau peut servir de preuve auprès des télépathes, bien entendu. Mais on ne peut évidemment pas faire de recours judiciaire sur cette base ; il faudra être plus malin que ça. Des preuves plus concrètes nous permettraient d'être plus certains de ses intentions et de ne pas se baser que sur des suppositions.

Mes sourcils se froncent, j'acquiesce lentement de temps à autres pour lui montrer que je l'écoute encore. La dernière fois qu'on a monté des dossiers sur nous de cette manière, c'était Ipiu, et elle était en de mèche avec le Centre. Ca veut pas dire pour autant qu'il ne va pas se ranger à notre camp plus tard ; faut juste voir le comportement global du bonhomme.

Se débarrasser des dossiers, des fichiers sur nous, des contacts à l'extérieur... Hm… Je hausse un sourcil amusé quand il me parle des données de son ordinateur.

—Tu sais bien que je peux pas te laisser faire ça, même si ça me démange aussi. Par contre, moi, j'peux le faire, je rajoute en haussant les épaules, sourire aux lèvres.

Clairement, je suis bien moins doué que Houston ; mais mes pouvoirs de Master Tonnerre m'ont depuis toujours permis d'entrer dans les systèmes électroniques les plus complexes afin d'extraire les données. Faut juste que j'ai accès à l'ordinateur, que je la voie, ou que je la sente à proximité. En traînant près de sa chambre, y a sans doute moyen de faire.

Cela étant, je le laisse reprendre, la suite m'intéresse. Il me décrit sa famille. Enfin, l'historique, plus précisément. Haussement de sourcil bis, plus circonspect. Je vois tout à fait l'machin. J'acquiesce. Opportunistes, je vois l'idée. Le genre de personne à qui tu ne peux surtout pas faire confiance. Manquerait plus que le Centre tente de s'allier à eux.

Cette fois, mes sourcils se froncent.

—On ne le laissera pas repartir avec ses pouvoirs pour aller les utiliser sur des marchés de vente d'armes, on n'est pas aussi stupides, rassure-toi. Sauf s'il arrive à nous filer entre les doigts, ce que je ne nous souhaite du coup pas. Mais avec nos pouvoirs, ça me semble difficile.

Revenant en arrière, je prends quelques secondes le temps de réflechir. Il ne m'en voudra sûrement pas ; lui aussi a besoin d'une pause. Faut qu'il respire un peu. Et moi ça me permet d'assimiler ce bordel.

Si je comprends bien, rien que sa présence ici est un danger pour nous. Cela étant... s'ils se mettent à nous voir comme des ennemis, ils pourront aussi s'imaginer qu'on essaiera de les sortir de la carte. Ca ferait p'tetre du bien au monde d'éliminer une entreprise pareille... Mais est-ce que ce serait pas le piège, justement ?

—Déjà, faut se dire qu'il n'a aucune chance de faire du bénéfice à Terrae. Et s'il commence à y avoir des armes qui rentrent sur le territoire terraen, on saura directement vers qui se tourner. Si la sécurité interne est compromise, ça risque de vite partir en sucette.

Je me pince l'arête du nez.

—Pour les conséquences extérieures à Terrae… Je vois un peu le topo. S'ils sont de si grands acteurs dans l'armement, on risque de devenir des cibles très facilement. Déjà qu'on n'est pas très bien vus...

Un soupir m'échappe. Pourquoi y a toujours des mecs casse-couilles qui viennent à Terrae ? Ils ne peuvent pas juste... nous laisser vivre tranquillement ?

Tandis qu'on continue à parler, Charlotte se rapproche avec un de ses camions et le montre à Houston, tout sourire, pour qu'il joue avec elle. J'esquisse un demi sourire, encore contrarié par la discussion qu'on vient d'avoir. Si on se fait à nouveau impliquer dans une guerre, il faudra se battre pour protéger ceux qu'on aime.

—Tu veux un café ?

Il doit avoir fini de couler.

Il ne peut pas me laisser regarder dans l'ordinateur, et merde. J'ai un léger sourire un peu cynique, évidemment que je ne m'attendais pas à ce qu'il me dise oui, mais je ne m'attendais pas non plus à ce qu'il se propose de le faire. C'est logique d'un autre côté, d'abord parce que c'est mon patron, ensuite parce que c'est un Master et c'est bien connu que les Masters peuvent faire absolument tout ce qui leur passe par la tête parce que ce sont eux, la loi, même quand ils sont eux-mêmes complètement teubés (oui Ys je pense encore et toujours à toi). Je n'approuve pas forcément d'un signe de tête, il n'a pas besoin de mon approbation de toutes façons, et même s'il en avait besoin je suis persuadé qu'il préférerait s'en abstenir.

Il affirme qu'ils ne le laisseront pas sortir avec ses pouvoirs, évidemment. Je veux dire, normalement tu peux pas te barrer avec comme tu veux, c'est clair qu'ils me laisseraient pas sortir. Bon, sauf s'il leur échappe. Je répète : sauf - si - il - leur - échappe. OUI BAH OUI BIEN SÛR TU VAS ME RASSURER OUAIS. Alors oui y'en a qui sont capable de retrouver les auras depuis super méga loin, comme LOL MITSUKI OU YS N'EST CE PAS. Je doute pas une seconde qu'ils sauront gérer la situation...

J'essaye de me calmer à nouveau, prenant de grandes respirations.

_ Ouais, j'espère bien que vous le laisseriez pas filer, parce qu'avec sa télépathie il peut faire beaucoup de dégâts en très peu de temps. Des dégâts ou de la thune, à voir.

Je penche plus pour la thune personnellement, c'est ce qu'on attend de tels profiteurs. Ou plus de l'influence, mais elle amène à une forme de pouvoir aussi procuré par l'argent donc pour moi ça revient plus ou moins au même.

Aaron commence à déblatérer pour se rassurer plutôt, de dire qu'il n'a aucune chance de faire son commerce ici, d'y faire entrer des armes. Alors d'abord, je ne serai pas si catégorique. Parce que je suis sûr que Fosteen aimerait bien récupérer son fusil à pompe rose, même si elle doit passer par un black et surmonter son racisme ordinaire de texane à la con.
J'arrête un tremblement à ma main en appuyant dessus, me sentant obligé de le contredire.

_ Sécurité interne ouais... Manquerait plus qu'il se fasse des potes détraqués et bim, pleins de mini-profiteurs en herbe... L'effet de masse, est pire.

Ok, il faut que je respire, il faut que je me calme à nouveau.
Je m'inquiète plus pour ça que pour le côté "cible". On est déjà une cible immense, il leur faut toujours plus de raisons de haïr de toutes façons, qu'elles soient réelles ou non. Tous convoitent nos pouvoirs, mais heureusement qu'ils ne connaissent pas déjà l'identité de la moitié des personnes ici. La moitié sont des victimes, l'autre moitié, des criminels.

Il se tient le nez, sa fille arrive avec un petit camion à me montrer, visiblement très fière de son jouet. Elle veut que je joue ? Ouais c'est ça. Sa présence me détend encore, même si elle a dégueulassé mon pantalon y'a pas un quart d'heure et que je sais vraiment pas ce qu'elle veut que je fasse de son fichu camion. Je le prends et commence à le faire rouler sur le sol d'un air un peu perdu, elle a l'air aux anges.

_ Ouais, je veux bien un café, merci.

J'ai soufflé un merci là ?
Putain je vieillis si mal...

Des dégâts ou de la thune, ouais. Sauf que concernant un revendeur d'armes, ce serait davantage des dégâts ET de la thune, parce que de toute manière, ils n'ont aucune limite et s'en foutent bien des vies qu'ils mettent en jeu. Pour eux, le monde est une partie d'échec rigolote dont ils ont l'impression d'être les rois. Ça leur convient comme ça ; alors grand bien leur fasse.

La réponse Houston me tire un hochement de tête grave. On est bien forcés de l'admettre, des détraqués, y en a plein à Terrae. Ils se calment la majorité du temps, parce qu'on les flique à mort et qu'on tente de les restreindre. (Et après on passe pour les méchants parce qu'on aimerait qu'ils se tabassent ou ne se tuent pas entre eux, youpi confettis.) Cela étant je suis bien forcé d'admettre que c'est chaud. Je suis pas contre la possession d'armes (j'suis un bon américain) mais quand on voit les dérives que ça peut donner, j'avoue que ça m'inquiète. De toute manière, c'est quasiment certain que des élèves s'en trimballent, je suis pas un jambon non plus. Et j'serais un peu hypocrite si je disais que j'en avais pas, mais elle est bien planquée et je la sors que pour les missions où les gens en face ont envie de nous tuer. Autant dire qu'elle est pas sortie de son étui depuis la guerre contre les scientifiques, salut. Cela étant, posséder quelques armes et permettre à un trafic de se développer, c'est comme pour les drogues : ça augmente l'accès et ça craint. Point.

—Il va forcément se trouver des potes. Un type comme ça, ça sait parler et embobiner les gens. Et s'il trouve des personnes qui ont ne serait-ce qu'un peu envie de foutre la merde, il y a des chances qu'il se mette à faire n'imp. Et au final, s'il fait n'imp, c'est bon pour nous : on aura de vraies raisons de le fliquer.

Comment ça je suis partisan de "laissez les teubés faire de la merde, comme ça on a des preuves et on peut les virer ? Pas du tout. Je finis par hausser les épaules et m'en vais dans la cuisine pour servir deux bonnes tasses de café.

—Sucre, lait ?

Ouais chuis gentil. J'suis même pas parano ; la preuve je lui laisse la petite sans lui dire "si elle a un cheveu de travers quand je reviens je te bute sauvagement, oups" ! Enfin, dans tous les cas je reviens avec le café, que je pose sur la table. J'ai envie de lui dire "C'est pas empoisonné" mais il serait capable de se sentir agressé quand même.

—Selon toi, à part le fliquer, qu'est-ce qu'on devrait faire ?




* Et la joueuse ne partage pas cet avis--

Aaron a l'air de faire avancer la réflexion de son côté et je me contente de reprendre définitivement mon calme en main. Et la gamine me butte, comment on peut trouver ça drôle qu'une reproduction miniature de camion même pas fidèle roule ? C'est rien d'autre hein, juste ça roule et ça suffit. Peut-être qu'elle a vocation chauffeur routier, et si c'est ça elle est mal barrée ici.

Puis Aaron reprend la parole. Il va se trouver des potes. Comme quoi même ici, y'a trop de deuxièmes chances données pour que ça fonctionne bien. Par contre quand il me dit qu'il risque de faire n'importe quoi je secoue la tête très lentement, pas convaincu.

_ Honnêtement, pas sûr qu'il fasse des erreurs. C'est le genre de type qui s'en sort tout le temps, et c'est pour ça que c'est aussi chiant. Fliquez le et il vous accusera de restreindre ses libertés ou je sais pas quelle autre merde. A tous les coups il prépare une plainte à mon encontre pour harcèlement, je ricane.

Et est ce qu'il aurait tort ? J'crois pas, c'est ça le pire. Même si je ne suis pas dans ses pattes en soit, je l'observe, et dès qu'il finira par le savoir, le monde va se retourner contre moi. Enfin, le monde, je sais pas ce qu'il pourrait me préparer, et j'ai envie de penser qu'il sera plus intelligent que ça.

Il me propose de mettre quelque chose dans mon café. Putain c'est vrai que j'ai accepté, je crois que j'en ai vraiment besoin pour rester éveillé actuellement. Mais je suis une petite nature qui est de nature insomniaque et qui a très peu besoin de café, alors autant dire que sur ce point -comme sur beaucoup d'autres- je suis loin d'être viril.

_ Les deux.

Il revient et pose le café sur la table du coup je le rapproche, juste pour pauser mes mains autour, sentir la chaleur se diffuser dans mon corps. J'ai l'impression d'être froid depuis si longtemps. J'en prends même une gorgée, grimace un peu alors que le liquide brûle quelques papilles et glisse le long de mon œsophage.

Je ricane à sa nouvelle question. Des centaines d'idées me passent par la tête.

_ Euh si c'est pas moi qui doit prendre ce genre de décisions c'est bien pour une raison... Moi je le virerai. Ou, si vous tenez absolument à le garder, au moins lui faire comprendre que ses dossiers secrets sur les résidents c'est mort, et que ses magouilles avec sa tante c'est mort.

Je regarde ma main alors que je propose ça.
Et pourquoi ils t'auraient gardé, toi ? Je le sais.

_ Est ce que vous m'auriez gardé si j'avais continué ce que je faisais avant d'arriver ici ? J'espère pas, je souffle presque. Bref, voilà, j'ai délivré l'info, je vais pas te faire chier plus longtemps. Je sais pas si j'ai le droit mais je te dirais si je vois quelque chose de nouveau, je suppose.

Je finis mon café d'une traite, et tente de me relevé, déjà pour m'asseoir sur le canapé, avant de me lever complètement, un peu titubant. Beaucoup trop d'émotions pour une seule journée.

Lentement, j'acquiesce. Pas un rigolo, le type, en tout cas. Il va falloir être prudent… Sauf si on s'inquiète trop à son sujet. A Terrae, on part du principe que chacun a droit à une deuxième chance ; et même si je fais confiance à l'avis de Houston (ouais, c'est loin d'être mon pote mais il est bon dans son taf) je dois aussi garder ça à l'esprit. Pour le moment, j'acquiesce encore.

—On verra sur le moment. Même s'il s'en sort par une pirouette, s'il s'imagine être plus intelligent que tout le monde, il fera forcément une erreur à un moment donné. Ego oblige. Et s'il fait un écart, on aura une raison de le fliquer ; et là on pourra réellement voir ce qu'il manigance ou s'il représente une menace. Pour le moment, j'imagine que le maître mot sera… Laissons couler.

Et c'est un peu amer que je dis ça. Je suis clément aussi, mais ça ne m'arrange pas systématiquement quand je vois qu'on se trimballe parfois des gens pas du tout adaptés socialement. Pourtant, faut faire avec. Le problème, c'est de protéger les plus jeunes et les personnes du commun de tous ces mafieux, ex-taulards et membres d'un gang. Ils se retrouvent toujours embrigadés ou au milieu de leurs conneries ; et quand ça représente en plus un problème extérieur, c'est la misère.

Après un tour rapide à la cuisine, je pose sucre et lait sur la table basse pour qu'il se serve à convenance. Je me rassois sur le dossier du fauteuil; Houston a un peu l'air d'un enfant comme ça. Un vieil enfant crevé, ouais.

J'acquiesce à ses paroles et bois quelques gorgées de café chaud.

—Qui sait, je souris en coin à sa question sur son compte. C'est pas une question à laquelle je peux répondre. C'est pas moi qui fait les règles, ici. Mais Hideko aurait voulu te laisser une chance, comme à certains autres.

Y a des dizaines d'exemples. Gaetano en fait partie. Moi probablement aussi. Pourtant, malgré mes conneries j'ai jamais été sur la sellette… Ca veut tout dire.

—Ca marche. Dis-moi si tu vois un truc, mais reste dans les limites imposées par ton ordonnance de restriction, je lui rappelle. J'peux fermer les yeux, mais pas sur tout, entendu ? Ah, et. Essaie de dormir, tes cernes font peur de ouf. Et mange des oranges. T'as b'soin de vitamine C, bordel.

Le dernier mot a été prononcé moins fort, pour que Charlotte l'entende pas, mais elle est trop occupée à imitier le bruit d'un camion pour me remarquer.

—Lottie, on dit au revoir au monsieur ?
—Au'voir !!! dit-elle en agitant l'autre main, grand sourire aux lèvres.