HRP : time alert

S’il est des jours calmes, celui-ci n’avait pas été de tout repos. La jeune femme l’avait pourtant commencé comme tous les autres, à renfort d’eau et de balais éponge elle s’était occupée toute seule des couloirs des dortoirs avant même que les terraens ne se lèvent. L’été c’était un peu plus compliqué, le reste du temps si l’on faisait les couloirs entre neuf et dix heures ils avaient le temps de sécher avant que les terraens ne sortent de cours… Là elle les faisait entre cinq et sept heures vu que sa collègue habituelle avait pris des vacances bien méritées, et les étudiants et autres habitants des lieux les trouvaient propres quand ils commençaient à sortir de leurs chambres pour se rendre à la cafétéria qui faisait son premier service vers sept heure trente.

Cela ne changeait pas de ses habitudes cela dit, cela faisait plusieurs semaines qu’elle avait adopté ce réveil avant l’aube et qu’elle enchainait sur le service à la cantine du petit déjeuner puis du déjeuner. Elle profitait des vacances des autres pour faire plus d’heure et ainsi plus d’argent… Elle voulait envoyer un maximum a sa famille tant qu’elle le pouvait et espérait qu’elle réussirait l’année prochaine à passer une équivalence de bac pour aller à l’université. Elle savait qu’alors elle n’aurait plus le temps d’ainsi s’astreindre à ses petits jobs… Il fallait qu’elle ait assez pour mettre sa mère et sa sœur à l’abris temporairement.

Elle s’était habituée à ce rythme, ce n’est pas lui qui l’épuise… Mais hier soir encore une fois elle s’est rendue dans le parc pour conter une histoire. Encore une fois elle a utilisé de petits personnages aqueux pour l’illustrer… Et cela l’a épuisée, elle a récemment pris conscience qu’elle ne devait développer ses pouvoirs… Et qu’il faut qu’elle s’entraine.

C’est d’ailleurs ce qu’elle est venue faire. S’entrainer, mais alors qu’elle entre dans l’arène ses yeux se posent sur… Elle ne connait pas encore son prénom bien qu’elle lui ait offert le sien à leur dernière rencontre. A-t-elle été prétentieuse ? Peut-être ne voulait-il pas connaitre son nom. Elle a envie de faire demi-tour, de se cacher dans un trou, de disparaitre, elle ne comprend même pas d’où lui vient ce sentiment d’angoisse à l’idée de le revoir. Elle trouve cette pensée bien sotte. Elle avance.

« Bonjour ! »

La voilà qui rit après avoir stressé de le rejoindre quand il l’appelle Ombre. C’est un détail insignifiant qu’elle avait totalement occulté puisqu’ils parlaient tout deux français (et surtout, parce qu’il faut bien le reconnaitre, parce qu’elle était déjà bien assez embarrassé de lui avoir livrer son prénom la fois passée pour penser que la puce l’avait automatiquement traduit.

« Enlève ta puce traductrice, lui intima-t-elle, elle ajouta une fois que cela faut fait : je m’appelle Afya, je ne sais pas pourquoi cette maudite puce continue de traduire mon prénom ainsi… »

Elle n’avait par ailleurs pas répondu aux questions du jeune homme avant que cela n’eut été fait. Il lui était important qu’il connaisse son prénom, son vrai prénom. Cela lui faisait bizarre qu’il ait pensé à elle en tant qu’Ombre depuis leur dernière rencontre.

« Les deux sont possibles, tes pouvoirs peuvent avoir augmenté et tu peux mieux les gérer. L’un n’exclue pas l’autre ! »

Elle savait que les deux allaient souvent de pair les premiers temps, jusqu’à se heurter au sceau qui scellait les pouvoirs les plus dangereux et puissants, ceux dont la maitrise demandait une certaine maturité… Elle vient d’arriver et lui est déjà en sueur.

« Tu ne veux pas te désaltérer avant ? Ca pourrait être mon échauffement ! » lui dit-elle en souriant, il lui semble évident qu’elle accepte son offre, alors elle ne le formalise pas autrement.

Il lui donne à son tour son prénom, et cela lui fait plaisir. Elle se fait la réflexion qu’elle penserait pourtant toujours à lui en image, car c’était ainsi qu’elle avait appris à se le représenter. Il entre directement dans une chorégraphie dont elle a du mal à comprendre le sens jusqu’à ce que s’élève peu à peu un nuage de sable, su muant en silhouette et suivant ses mouvements… Elle avait l’habitude d’être statique, son esprit seul étant le pinceau de son pouvoir… Elle ne voulait pas le décevoir, elle voulait qu’il soit fier d’elle. Alors elle essaya de le suivre, de reproduire ses mouvements… mais elle n’y arriva que sommairement, elle n’avait pas la fluidité qu’entraine l’exercice répété à l’infini, ne comprenait pas pleinement les gestes qu’elle voyait et avait bien du mal à les singer dans la globalité. Son pouvoir bien entendu était plus fluide que ses gestes, et s’il s’épuisait lui aussi c’était bien moins rapidement que son corps. Bientôt elle sentirait des courbatures…

S’il avait refusé qu’elle lui offre de l’eau il lui fait l’affront de lui proposer une bouteille, elle lui sourit amusée alors que la gourde dans laquelle il s’est déjà désaltéré se remplie à nouveau grâce au pouvoir de l’ivoirienne. Elle ne l’utilise d’ailleurs pas, peut-être par esprit de défi, peut-être parce qu’il y a déjà bu, et préfère faire apparaitre de l’eau sous forme de petites bulles aqueuses, flottant devant elle jusqu’à ce qu’elle les happe.

Elle incline la tête quand il lui dit que c’est étrange que la puce traduise systématiquement son prénom. Elle est d’accord, elle avait toujours plus ou moins une conscience du sens de ce dernier, mais n’y avait jamais adhéré ne parlant que trop peu la langue maternelle de sa mère. Elle n’avait pas conscience par contre qu’elle mettait d’autant plus se sens dans ses paroles quand elle se présentait, quand elle se définissait.

Cela lui plait qu’il croit qu’elle a suivi avec aisance ses enchainements, alors elle met quelques secondes avant de lui avouer que ce n’est pas le cas.

« Je manquais de fluidité et je ne comprenais pas tous tes mouvements. »

C’était peut-être finalement plus simple de dire la vérité que d’accepter un compliment qu’elle ne mérite pas. Elle accepte l’exercice, assez semblable à celui qu’ils avaient entamé dans la forêt peu de temps plus tôt, formant une boule de boue, mêlant terre et eau pour avoir chacun une part de contrôle dessus et se la renvoyer l’un l’autre. Du moins c’est ainsi qu’elle semble comprendre l’exercice quand il le lui explique.

« Je ne sais pas si c’est comme les oracles d’antan. » répond-elle avec simplicité.

Il faut dire qu’elle n’a pas l’impression que Terrae ait toujours existé. Les plus jeunes des enfants de masters, sont jeunes. Si Terrae existait depuis la nuit des temps, alors il y en aurait de tous âges. Elle ne peut donc pas être certaine qu’elle voie comme des anciens médiums, car elle ne sait pas la manière dont ils voyaient.

« Tu penses qu’il y avait d’autres personnes avec des pouvoirs dans le passé ? »

Elle réfléchit, énormément. Suivant ses mots, au grès de leurs échanges de la boule de terre et d’eau. Est-ce que les héros d’autre temps avaient réellement des pouvoirs ? Peut-être. Elle réfléchit, elle ne veut pas que cette théorie se vérifie. Elle aime son monde tel qu’il est, et elle aime croire que des hommes ordinaires peuvent faire des choses extraordinaires. Elle ne livre pourtant pas ses pensées à Akkiko, les trouvant encore trop confuses pour les partager.

C’est drôle de penser à lui en tant qu’Akkiko. Elle ne pensait pas le faire si tôt. Pourtant ça lui est venu naturellement, comme si cette pièce du puzzle se rajoutait à un complexe dessin. C’est comme si cela prenait sa place naturellement. Elle est surprise. Elle essaie de ne pas le montrer.

« Tu étais déjà fatigué quand je suis arrivée, tu es certain de vouloir continuer l’entrainement ? » elle lui demande conciliante.

Elle n’a pas envie qu’il pousse au-delà de ses limites et se fasse du mal. Elle voit bien à son expression qu’il est déterminé, mais… Est-ce que sa fatigue en vaut la peine ? Elle sait qu’elle n’arrivera pas à le reconduire à sa chambre si le besoin s’en fait sentir. S’il s’écroule elle ne lui sera d’aucune aide. Elle n’est pas air, ne pourra le faire voler jusqu’aux dortoirs, et ne pourra le guérir… Elle préfère donc prévenir que guérir.

C’est parfois peut agréable d’avoir l’impression de mettre des bâtons dans les roues à ceux qui vous entourent. Elle a l’impression de le casser dans son élan… Mais… Prudence est mère de sureté, et moi j’vais aller me coucher parce que trop de proverbes en trop peu de temps c’est le signe que je défaille.

Il se range à l’avis de l’ivoirienne, bien qu’il ait follement envie de continuer l’entrainement il doit reconnaitre qu’il est déjà fatigué. Peut-être leur précédente rencontre lui a-t-il appris à se montrer sage ? Il lui propose de lui montrer comment s’étirer, elle doit avouer n’en avoir aucune idée et ne pas en voir l’intérêt. Elle a toujours fait du sport « à la sauvage. » N’ayant pas conscience que l’entrainement devait comporter des étirements et d’autres exercices autre que celui dont il était la finalité. Quand elle courait, elle courait vite, quand elle jouait au foot, elle jouait au foot. Pas d’étirements, pas d’exercices particuliers. Elle se plia donc au début à ceux que lui proposaient Akkiko sans comprendre leur utilité… Mais elle fut légèrement mal à l’aise quand il commença à la toucher, oh, elle voyait bien qu’il n’avait nulle mauvaise intention, mais… Elle ne pouvait s’empêcher de se demander à quoi servaient ces contacts, oh ils n’étaient pas déplaisants, mais… Elle ne les comprenait pas. Elle n’était pas de ces personnes tactiles, et sentant croitre son malaise elle s’en ouvrit à l’homme.

« A quoi ça sert, j’veux dire… Ces positions ? »

C’est jamais évident de poser ce genre de questions, car elle savait que son malaise diffuserait, mais la taire pourrait être encore pire… Il lui expliqua et revint sur un sujet dont elle pensait qu’il était clos, mais qui semblait l’intéresser. Elle n’avait pas de notion en évolution des espèces cela dit, mais elle avait une réponse qui pourrait le surprendre.

« On sera une jolie histoire, comme le seigneur des anneaux ou n’importe quel récit. Une fiction réaliste dont les traces écrites et visuelles ne sembleront pas plus crédible pour nous que Charybde et Scylla. »

Il lui explique à quoi servent les étirements avec calme, dissipant son malaise. Elle accepte donc qu’il continue de l’aider. Elle comprend que ses mains sur son corps ne sont pas là pour chercher une intimité mais uniquement pour l’aider. Elle avait besoin de ça pour se laisser aller et se détendre. Crispée jusqu’alors par un comportement qu’elle ne comprenait pas. Elle n’était pas quelqu’un de tactile, pas quelqu’un qui touchait les autres ou se laissait toucher. Elle avait du mal à vivre avec son corps, sa maladie, et le monde.

Il rebondit sur ses paroles avec une certaine tristesse.

« Je pense qu’il y a déjà assez à faire dans le présent, pour ne pas s’encombrer de celles du passé ou du futur. Après tout, le présent est la seule chose que nous vivons… » répond-elle à sa mélancolie.

Elle est bien trop terre à terre pour se focaliser sur le passé. Elle aime les histoires pour le rêve, pas pour leur réalité. Elle n’aime pas spécialement la réalité, l’enjolive de multitudes d’histoires, mais ne veut pas s’en échapper. Sa proposition d’aller boire un verre est tentante, elle lui sourit.

« Et si on allait au lac plutôt ? Tu as fini ton entrainement, j’ai à peine commencé le mien… On pourrait essayer de trouver un coin tranquille pour discuter et j’pourrais jouer avec l’eau en même temps. »

Cela lui semble une idée plutôt bonne. Elle sourit.