Un thé, donc. Les yeux fermés durant un instant, Misao profite de la quiétude de la chambre, de ces souffles qui ralentissent et se font plus lourds et plus doux. Au bout d'un court instant, il finit par s'écarter ; sur un dernier sourire et regard par dessus son épaule, il retourne silencieusement vers la cuisine afin de mettre la bouilloire en route. Le calme de la nuit, après autant d'agitation et de cris, laisse une impression un peu vague et ensommeillée.

Puis il attrape la théière, prépare l'infusion - il est peut-être un peu tard pour du thé, finalement, et il préfère ne pas être responsable de l'insomnie de sa petite soeur.

—C'est parce que j'ai pas d'potes, plaisante-t-il.

Nan, objectivement, c'est pas loin de la réalité, hein. Il lève des yeux amusés vers elle. Puis, réalisant, il fronce les sourcils. Il va falloir qu'il passe voir Elwynn et Matheo. Surtout Matheo.

Qu'est-ce qu'il peut bien lui raconter d'intéressant… C'est pas comme si sa vie était passionnante. Et puis, Misao sait pas parler de lui sauf quand on le lance sur un sujet intéressant, c'est chaud, ok ?!

—Je fais un peu de parkour avec Elwynn, lâche-t-il. Enfin, moins en ce moment, j'aime pas quand ça caille. Mais le sport est sympa, ça permet de penser à autre chose. J'fais un peu de basket de temps en temps avec une autre nana, Sarika ? Je sais pas si tu vois qui c'est. Cheveux courts, baggy, du genre à te mettre un poing dans la tête,…

Hideko, avant que tu me dises que j'ai un type de nana, j'aimerais ajouter : elle est lesbienne.

—Sinon… (Il plisse le nez, un peu gêné.) Hm. Je m'entraîne un peu avec Sibylle… C'est… euh… Une rousse, qui fait de la danse ? Oui, voilà, celle qui tient le club de danse. Toujours hyper à fond. Elle a une manière bien à elle d'utiliser ses pouvoirs, j'ai rarement vu ça. Elle fait comme ça, dit-il en faisant onduler sa main, créant dans son sillage une traînée de flammes comme un ruban, qui s'amuse à suivre le même mouvement. En utilisant les mouvements. Sinon, j'suis sur mon ordi et je joue... Ou alors on s'organise des trucs avec Huo ou Matty. C'est toujours sympa.

Puis il va verser l'eau dans la théière. …. Il aurait pu utiliser ses pouvoirs pour la réchauffer, en fait, mais il a oublié. Pas sa faute. Puis il relève les yeux vers sa soeur, plus souriant.

—Enfin, rien d'intéressant, en gros.

—Elle est sensitive, du coup.

Il acquiesce donc et continue son explication, sans vraiment détailler ce qu'il fait réellement. Faut dire, à raison d'une ou deux heures par ci par là, c'est pas une vie sociale ouffissime non plus. On peut pas dire qu'il bosse à temps plein, et parfois il est juste sur sa switch à jouer à patpat ses pokémons en attendant que ses résultats d'analyse chargent. Bon, et ses horaires sont pas toujours hyper diurnes non plus, faut dire.

Misao roule des yeux devant le cynisme amusé de sa frangine, avant d'esquisser un sourire en coin, s'appuyant sur le plan de travail derrière lui.

—Hé, c'est que de temps en temps, s'offusque-t-il à demi. Mais oui, bon. Je sors un peu, ok. Plus que toi, en tout cas, c'est clair~

Il lâche un rire avant de bloquer son sourire et cligner des yeux face à Hideko. "Sibylle donc." Quoi. Quoi. Quoi "Sibylle donc". QUOI. Il incline à demi la tête, sans se départir de son sourire. Il la connait à mort. Elle pense à un truc, là. Pourquoi ? Déjà Huo lui a fait le coup ? Faut qu'ils arrêtent ? ET NON IL VA PAS LA RELANCER DESSUS PUTAIN. Il secoue la tête et grimace alors qu'elle enchaîne, un peu perplexe :

—Parce que, hm, je cherche pas spécifiquement à le maîtriser ? Je voulais pas m'entraîner avec elle à la base, c'est Huo qui me l'a refilée dans les pattes en disant "OH TIENS je connais un SUPER invisible il va pouvoir t'aider" alors que j'sers à rien avec mes pouvoirs ; du coup elle a débarqué, m'a assommée de "STP STP STP ENTRAINE MOI JE SERAI GENTILLE ET CE SERA COOL ET" bla, bla, BLA, râle-t-il en l'imitant. Si elle avait pas autant insisté, j'aurais jamais dit oui.

C'est qu'il pourrait presque gonfler les joues, hein !!! Il se racle la gorge.

—J'veux dire, les pouvoirs, ça m'intéresse pas ? Mais c'est intéressant quand même, alors au final c'est pas si dérangeant-…

Puis il lui lance un sourire goguenard.

—Tu aurais voulu m'apprendre à me servir de mes pouvoirs ?~ T'es jalouse ?

Mais. Mais c'est qu'elle se fout d'sa gueule en plus ? Il s'empourpre à demi et secoue la tête, avant de chercher à se rattraper : non mais c'est pas ce que je voulais dire, et blablabla, tu m'as compris, prout, bref. Il finit par bouder à demi devant la réaction d'Hideko qui consiste à balayer sa tentative pour mieux se faire comprendre de la main. Pff. Elle l'écoute vraiment jamais, ma parole !!! Il hallucine complet !! (Oué c'est un peu un rageux)

Bon à rien !!! BON A RIEN ??!!! Ah ouais, bah…

—Mais non, pas du tout !! J'aime pas du tout jouer au- Comment ça ta supériorité ?!

À dire vrai, dans n'importe quelle autre circonstance, il aurait été prêt à l'avouer : Hideko est supérieure à tous, point. Mais l'enchaînement de piétinage de son pauvre égo maltraité (il va appeler SOS homme battu) fait beaucoup, même pour lui. D'autant qu'il n'a jamais aucun problème à avouer sa nullitude dans son utilisation de ses pouvoirs — c'est un fait, c'est parce qu'il ne s'entraînait, au final, pas tant que ça, même après être passé Etoile.

—Le thé de sa majesté la déesse suprême des flammes est servi, ironise-t-il en servant sa soeur, puis sa propre tasse, un sourire en coin aux lèvres.

Il n'est pas vraiment vexé, il en faut plus pour ça, quand même ; mais elle sait sur quels boutons appuyer pour obtenir une réaction. La preuve, il ne s'arrête pas :

—Sache, madame, que ma fierté masculine n'a absolument rien à voir dans tout ça. Tu ne sais pas de quoi je suis capable, rajoute-t-il en la pointant de l'index, la provoquant à demi, un rire au bord des lèvres. Si ce n'était pas tellement le bordel dehors, je te défierais en duel juste pour laver cet affront-

Et en plus, elle se fout de sa tronche. Non mais il rêve ! Son sourire goguenard reflète celui de sa jumelle (petite soeur), moqueur, brillant comme ses yeux.

—Alors il faut en faire l'affrontement de la prochaine décennie, lui lance-t-il, tout aussi amusé, lui lançant un clin d'oeil.

Honnêtement, Misao ne se sentirait probablement pas capable d'affronter sa propre soeur. Il tient beaucoup trop à elle pour ça, et malgré leurs chamailleries, malgré son manque de maîtrise et de puissance, comparé à elle, il ne voudrait pas risquer de la blesser. Même si, autant être honnête, elle aurait juste à le regarder pour le mettre au tapis. Le marionnettisme, c'est un peu de la triche.

—Une occasion pareille ? Quoi, tu crois qu'il va vouloir m'affronter en duel ? Je provoque jamais mon neveu, moi, je suis de son côté, tu sais… Jusqu'ici, c'est plutôt toi qui a l'air de galérer !

Et pour cause : ce chenapan maîtrise tellement bien ses pouvoirs qu'il pourrait aisément distancer n'importe quel Master ! C'est ça, la nouvelle génération… Des enfants aussi puissants que des dieux, yolo.

—Mais je veux bien te donner des conseils quand tu veux ! se moque-t-il.

Un petit défi… Que Misao relèverait certainement, mauvais perdant comme il l'est ! Il aime les challenges, après tout ; et Daisuke est tellement doué avec ses pouvoirs qu'il ne rate jamais un moment pour parler de ses réussites.

—Évidemment qu'il utilise mieux ses pouvoirs que moi ; Terrae tout entier maîtrise mieux ses pouvoirs que moi, se moque Misao, les yeux brillant de malice. Cela étant, c'est sûr qu'il finira par le faire… mais pour le moment, j'ai encore mes petits trucs qui font qu'il me respecte trop. Bon, en vrai, j'utilise très bien la technique ancestrale de notre famille : l'art de changer de sujet.

Le sourire amusé de l'ancien invisible s'étire encore face aux propositions de sa frangine.

—Tu es trop généreuse avec moi, Ô grande Hideko, Déesse des Feux…

Quelques conseils ne seraient probablement pas de trop, si seulement il en avait quelque chose à faire. Mais son égo masculin n'est pas encore prêt à laisser un enfant de sept ans le ridiculiser, donc il évitera de se passer de quelques conseils salvateurs.

Il s'apprête à lui poser LA question un milliard ("alors, tu m'conseilles quoi, ö grande [blablablabla] ?") quand un bruit de clé et de porte qui s'ouvre se fait entendre. Oh non, pas lui… Toujours quand il s'amuse, c'est pas croyable… Ryu tire une tête cheloue en voyant Misao, qui lui fait un grand sourire et un signe de la main. S'il a l'air de contrôler la situation, c'est uniquement parce que personne n'a vu la tronche qu'il a tirée en entendant la clé…

"Grâce à Misao"… Hinhin…..

—Salut. Il paraît que c'est un peu le bordel ?

"Rassure-moi, c'est pas ta faute pour une fois ? Loul."
Hé, il a rien dit.

Misao reprend une gorgée de thé d'un air détaché face au regard jugeant de sa frangine et à la réponse digne des meilleures monosyllabes venant de Ryu… qui s'assoit à côté d'Hideko, et fixe Misao. Qui le fixe aussi sans rien dire, reposant sagement sa tasse de thé. Quelle tension ? Aucune tension à table. Absolument aucune.

Hideko le relance et Misao en profite pour détailler le nombre de dalles sur le carrelage, comme il le fait régulièrement quand Ryu et lui sont présents dans la même pièce et qu'il est obligé de l'écouter parler plus de dix secondes. C'est très long, quand quelqu'un parle pendant plus de dix secondes, surtout quand tu ne l'aimes pas. Mais c'est sa faute, il sait, blablabla, voilà. Ryu n'a jamais fait l'effort de l'inclure dans sa vie non plus, hein. Et la lampe en pleine poire n'était peut-être pas méritée, mais les coups de poing si. Complètement.

Il acquiesce donc de temps en temps, parce qu'il fait tout à fait partie de la conversation, c'est évident (66, pour les dalles, sinon) et qu'être inclus est tout à fait normal quand on fait partie de la même famille, woah !! Petit moment romantique, tout ce qu'il y a de plus beau. Misao a juste le temps de lâche son plus beau sourire hypocrite et lâcher, en même temps que Hideko (qui essaie de rappeler qu'il existe, il le voit, il le sait) :

—Misao/Ryu, tu veux du thé ? demandent-ils de manière parfaitement synchrone, tandis que Misao tend sa main vers la théière. Ah. Ca va, je me ressers ! Hideko, t'en veux aussi ?

Il sourit à Ryu tout en servant du thé à ceux qui en demandent. Ouais, il existe, connard.

—Ça a l'air vachement chargé, de gérer les Masters, tout ça... Vous devriez vous prendre des vacances de temps en temps !

Nan mais laissez, il part pas tout de suite. Encore cinq minutes, maman, laisse-moi embêter ce gros c-

C'est toujours drôle de constater qu'ils ont encore cette vilaine habitude de détourner la conversation de manière magistrale (il avait bien dit que c'était le super pouvoir ancestral de leur famille : personne ne le croit jamais, il va finir par se vexer), de la même manière et au même moment. Le sourire de Misao s'étire en coin. Ce qu'il note cependant, c'est que malgré ma question, j'ai pas eu de réponse hein. PUTAIN MAIS CA LUI ARRACHERAIT LA GUEULE DE- calme, calme-toi Misao, TOUT VA BIEN putain mais il va le déf- hmhmhmhmhmhm on sourit, on a dit. Voilà, sourit, comme ça. Déçoit pas Hideko !....

Misao sert donc le thé et retient une remarque débile du type "pour vous, votre Altesse", parce que c'est pas le moment et qu'il en a aussi conscience.

—Pas maintenant. Mais un jour, quand ce sera possi- Attends, quand est-ce que j'ai dit ça ?

Il voit la tête de Ryu.

—Ah, oui, j'ai dit ça, c'est vrai.

Tout pour le faire chier, ouais. Bon, il l'a aussi proposé, mais ça lui est revenu en comprenant que ça emmerdait Ryu (et que ça arrangeait sa soeur, bien sûr… Bien sûr !…)
Bien sûr.

Misao sourit à Ryu. "On va passer un bon moment !!!" a-t-il envie de le provoquer.

—Ca va bien se passer.

Nan mais c'est sûr que ça va bien se passer, c'est juste qu'ils vont se croiser plus souvent, c'est tout. Pas de quoi en faire un fromage, hein Ryu ? Ca va être plus difficile de l'ignorer s'il est dans tes pattes. (connard.)
Après quelques gorgées de thé, il repose sa tasse.

—Dans tous les cas, lance-t-il à Hideko, plus sérieusement. Demain, si rien n'a changé, je lance tout de suite des analyses pour voir quels processus sont en jeu. Si vous avez besoin de quelqu'un pour les enfants, hésitez pas.

C'est sûr que parler recherches va gonfler Ryu, mais faut bien qu'il le dise à Hideko un jour, hein. Qu'il continue à faire ce qu'il fait de mieux (à savoir l'ignorer) si ça l'arrange ; il va pas s'arrêter de vivre juste parce qu'il vient de débarquer.

Boire une tasse de thé dans le silence le plus religieux de la terre en compagnie de votre soeur et beau-frère que vous détestez et qui vous déteste à peu près autant que vous ne le détestez (au moins ils sont d'accord sur un point) est à peu près aussi agréable que de porter des chaussettes munies de piques. Très agréable quand on est masochiste, c'est-à-dire pas énormément pour Misao, mais surtout agréable de constater que ça picote autant pour le voisin. Donc tout va bien, ça le vaut bien.

Et puis d'un coup, Ryu se lève, embrasse sa femme et part. Misao continue à boire son thé sans aucune émotion apparente, mais il repose un peu brusquement sa tasse vide quand il l'a finie, les yeux brillants de colère contenue. Il acquiesce aux paroles d'Hideko, la bouche sèche, l'écoutant à peine, trop focalisé sur ses pensées tournées vers l'autre homme. Il vient de se souvenir pourquoi il n'aime pas être dans cette maison.

—Entendu, répond-il simplement, robotiquement, puisque c'est ce qu'il imagine qu'on attend de lui. Pas de problème. C'est pas vraiment une chance, je fais mon boulot.

Il se lève et récupère les tasses vides pour les laver rapidement dans l'évier, dos à sa soeur.

—Pense à contacter maman dans les prochains jours, si tu as un peu de temps. Ca lui fera plaisir de savoir que tu vas bien.

C'est pas un sujet qu'il évoque souvent. Mais l'Eclipse, ça lui rappelle de mauvais souvenirs. Et il ne doute pas que ça en rappelera aussi à leurs parents… Il déglutit, est heureux de ne pas lui faire face. Il peut cacher un peu les émotions de colère, de tristesse et de confusion qui s'éparpillent partout sur son visage.

Au moins, cette fois, Hideko était là quand il l'a cherchée chez elle.