De la fenêtre de ma chambre, je vois le ciel bleu et dégagé. Un léger vent secoue les arbres. Les Terraens se baladent sous les branchages, tranquillement, d'apparence du moins.
Je dis bien d'apparence, parce que d'après toutes les pensées qui viennent heurter mon esprit...je n'ai pas l'impression qu'ils soient si tranquilles.
J'entends les craintes face à ce nouveau changement de pouvoir, mais aussi l'attentat, la peur de ne pas réussir son année scolaire avec tous les événements, et tant d'autres frayeurs.

Je grimace et me détourne de la vitre pour aller prendre une douche rapide. J'enfile ensuite un chemisier et un pantalon léger - il commence à faire plus chaud, ces derniers temps - avant de sortir de ma chambre.

Je dois aller voir Alice. En vérité, j'ai un peu peur, mais il faut que j'essaie de lui parler de ce que j'ai...vu ? Entre-aperçu ? Je n'en sais rien. Pendant le peu de temps où j'ai été voyante, j'ai eu du mal à comprendre comment cela fonctionnait.
Mais je les ai vus. Je l'ai vue essayer de lui parler, et lui ne pas vouloir l'entendre. J'ai vu la dispute possible. J'ai vu ma petite Terre aller encore plus mal.

J'inspire et me mets en marche. Chaque personne que je croise est une torture pour mon esprit. Comment Alice faisait-elle pour ne pas devenir folle avec toutes ces voix dans sa tête ? En plus, ce ne sont que des fragments, rien de vraiment intelligible pour le moment.
J'ai l'impression de ne pas avoir dormi depuis cinq jours.

Enfin j'arrive devant la chambre de mon ancienne Télépathe...devenue Marionnettiste. Si cela, ce n'est pas un comble.
Je toque, deux petits coups discrets. La porte ouvre rapidement, quoi que avec douceur, et ma douce apparaît. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres parce que malgré ses cernes, malgré son air accablé, cela continue de me rendre heureuse de simplement la voir. Avec tendresse, je dépose un baiser sur son front, puis sur ses lèvres :

- Bonjour Alice. Je suis désolée, je ne t'ai pas prévenue que je passais. Est-ce que je peux tout de même rentrer ?

Je n'entends pas précisément ses pensées, mais un léger sentiment de sécurité s'en dégage. Elle semble contente de me voir.

Alice ouvre la porte. Depuis le début de l'Eclipse, Alice a du mal à trouver le repos, et son corps fait du yo-yo : elle a des cernes, elle n'en a plus, une légère acnée recouvre son corps, il disparait, elle perd l'appétit, elle le retrouve, ses cheveux sont cassants, ils ne le sont plus. Les signes sont faibles, mais ils sont là. Alice est fatiguée, elle n'est pas particulièrement en forme, et pourtant, elle va bien. Alice s'occupe, trouve du temps de réconfort. Certaines périodes l'ont apaisés, notamment l'Air, et son apprentissage auprès d'Aoi et Ariana, l'ancienne Morphe est d'ailleurs devenue une alliée précieuse de l'actuelle Feu depuis.

Elle dessine beaucoup, fabrique encore plus qu'avant, prend du temps pour écrire ses idées pour les réunions des préfets, aide les nouveaux-Télépathes dès qu'elle le peut, continue de travailler avec les enfants, passe moins à l'hopital mais essaie tout de même de donner un coup de main. En somme : Alice est fatiguée, trop occupée, mais elle va plutôt bien.

Un sourire se dessine sur son visage. Adé est venue la voir, et Alice en est bien heureuse. Elle est Télépathe. Alice est Marionnettiste. Une drôle de situation. Improbable. Et pourtant. Alice sait que la Télépathie n'est vraiment pas évidente à maitriser dès le départ. Elle se dit qu'elle l'aidera sans aucun problème et qu'elle essaierai d'être présente au maximum comme elle a pu l'être avec Aria et lui tenir la main régulièrement pour que ses pensées se mélangent plus aux siennes qu'à celles des autres autour.

« Bonjour Adé. Il n'y aucun problème, je suis contente de te voir. Oui entre ! J'étais en train de faire du thé, tu en veux ? »

Alice l'invite à entrer, et retourne dans sa petite cuisine, ouvre un tupperware avec de tout petit moelleux au chocolat qu'elle pose sur la table, et sort une tasse en plus pour Adé, une des plus jolies qu'elle trouve, bleu pâle avec des margerites. Alice a envie de lui faire plaisir et se sent réellement contente qu'elle soit là.

« Est-ce que tu t'en sors avec la Télépathie ? Je sais que les premiers jours sont plutôt douloureux. Tu le savais déjà, mais le vivre, c'est encore autre chose ! Si je prends trop d'espace, dis-le moi. »

Comme à son habitude, Alice se montre douce et prévenante en me demandant comment je vis la télépathie. Elle s'enquit aussi de savoir si elle prend trop d'espace. Oh, elle en prend un peu. J'ai des bribes d'images et d'idées trop sombres pour son visage tendre qui traversent mon esprit. Elle doit en recevoir des inquiètes et soucieuses de mon côté. Mais ça va, elle ne m'envahit pas. D'une certaine manière, j'ai presque la sensation de retrouver notre ancien lien qui me manquait depuis le début de l'éclipse.

- Non tu ne prends pas trop de place. J'ai l'impression de n'être jamais seule, mais je m'en sors.

Je bois une gorgée chaude du thé qu'elle m'a servi.

- J'ai du mal à ne pas envoyer mes pensées aux autres, aussi. Il faut que je travaille là dessus.

Si je n'ai pas encore changé de pouvoir d'ici à ce que je maîtrise celui-ci. La pensée amère a résonné trop fort dans ma tête, et je m'en sens immédiatement désolée. Alice n'est pas bien. Je ne devrais pas lui imposer quoi que ce soit de négatif.

- Qu'en est-il de toi, Alice ? T'en sors-tu avec le feu ?

C'est si étrange, cette inversion des pouvoirs.

- Tu as l'air fatiguée. Est-ce que tu as bien dormi, la nuit dernière ?

Je la regarde avec douceur. Une part de moi aimerait l'emmener loin de toute cette agitation et la laisser se reposer dans mes bras jusqu'à ce que ses cernes laissent place à son énergie vive habituelle.

Alice lui sourit, rassurée de savoir qu'elle ne prend pas trop de place. S'il y a bien un facteur commun à tous les nouveaux Télépathes, c'est cette impression, de ne jamais être seul, de ne pas avoir dormi pendant longtemps. Les pensées des autres prennent trop de place.

« J'imagine, ça ne te gène pas trop ? Tu arrives à dormir ? »

Adé a l'air de s'en sortir plutôt bien, ce qui rassure l'ancienne Terre. Elle hoche la tête en l'entendant. Ariana avait la même difficulté, à ne pas envoyer ses pensées dans celles des autres. C'était assez amusant, Alice avait vécu la Télépathie au niveau Initié, et il était presque impossible de faire de la sorte. Seule les Etoiles assez expérimentées avait directement ce souci en passant Télépathe.

« On pourra travailler ensemble si tu en as besoin. Ca me ferait plaisir de t'aider. Et puis j'ai quelques tips pour ça ! »

Elle lui sourit, et bois une gorgée de thé. Hmm, c'est chaud, c'est parfumé, ça fait du bien ! Elle hoche la tête sans grande conviction à sa question.

« Ce n'est pas aussi indomptable que l'électricité pour moi, et la phase Invisible m'a aidé, donc ça va. C'est plutôt le Marionnettisme, la plupart du temps tout va bien, mais parfois les gens font les mêmes gestes que moi sans que je m'en aperçoive, c'est un peu gênant... Mais je n'ai eu que des gentilles réactions jusqu'à maintenant ! »

Elle avait fait se gratter la tête à plusieurs personne, sautiller d'autres, et plonger une main dans un verre d'eau alors qu'elle attrapait son bout de pain, mais tous avaient bien réagit. Adé lui dit qu'elle a l'air fatiguée. C'était le cas. Elle lui sourit doucement.

« A peu près. J'ai du mal à trouver le sommeil, mais je ne veux pas te déranger trop souvent. Mais ça va ! J'essaie d'aérer un peu mon emploi du temps, tout en m'occupant avec de chouette choses. D'ailleurs. »

Elle attrape une madelaine dans un bocal à biscuits, cuisinée par ses soins.

« Je réfléchis à demander quelques jours de pause, pour avoir des vacances, de tout. J'en ai parlé avec ma psychologue, et elle pense que c'est une très bonne idée ! »

Alice sourit à Adé. Elle va mieux. Elle ne va pas complètment bien, mais bien mieux qu'il y a quelques mois. Malgré sa discussion compliquée avec Houston qui lui pèse toujours un peu, Alice est en train de fixer beaucoup de choses. Et cela fait longtemps, très longtemps, qu'elle n'a pas demandé de vacances. Elle le fait maintenant, bien avant de craquer. Prendre soin d'elle, un peu.