Mon égo serait sûrement davantage satisfait si elle laissait tomber ce surnom ridicule. Mais puisque j'ai décidé de passer une bonne soirée (et qu'elle reste une meuf au physique avantageux, certes), il n'est pas question que je m'emporte pour si peu ! Au contraire, je lui sors plutôt un sourire amusé.

- "Non, il en faut bien plus le satisfaire mais, on peut dire que c'est un début."

Aucune bonne soirée ne commence sans alcool n'est-ce pas. C'est donc tout naturellement que je passe au bar commander deux verres, avant de revenir vers la demoiselle qui ne parait pas vouloir lâcher sa machine. Ce qui peut se comprendre quand je la vois revenir vers moi avec ses gains... Nan mais comment c'est possible sérieux ?! Moi ces machines se foutent toujours de ma gueule à avaler mes jetons sans jamais rien recracher !! J'suis sûr que c'est un truc d'italiens ça, c'est pas possible autrement !

- "Ok, je vois que tu ne viens pas non plus pour perdre ton fric. Enfin, t'as peut-être pris pas mal d'avance, mais je ne compte pas te laisser gagner plus que moi !"

Je lui tends son verre, entame le mien et... Je me fais engueuler. Comme si j'allais la laisser régler toutes les conso de ce soir ! J'ai un minimum d'honneur quand même !

- "Eh, c'est pas de ma faute si tu t'es jetée sur une machine comme si ta vie en dépendait ! Bien sûr que je vais aller jouer. Mais moi, j'préfère les jeux de cartes."

Et on ne se pointe pas à une table sans un verre à la main ! Ça fait trop débutant. Plutôt satisfait par la répartie de celle qui m'accompagne ce soir, je désigne la table de Blackjack d'un signe de tête. Ouais, c'est là-bas que je vais gagner de l'argent ce soir !

- "Si tu veux apprendre comment gagner de l'argent sans se reposer uniquement sur une chance immorale, tu devrais regarder !"

Un léger sourire moqueur, je m'approche finalement de la table déjà occupée par quatre joueurs en plus du croupier qui leur fait face. Je sors une mise de base que je double rapidement dès que le nouveau tour commence. Je laisse passer quelques manches tranquillement, en jouant sans trop me prendre la tête, les victoires et défaites se compensant plus ou moins, avant de me mettre à jouer plus sérieusement. Il y a plusieurs paquets de cartes utilisés, ce qui rend évidemment le comptage des cartes quasi impossible pour qui ne possède pas un cerveau hors normes, mais avec quelques règles de statistiques en tête et en faisant très attention à ce qui est tombé et à ce qui continue de tomber, il est possible d'optimiser ses chances.

Je passe une bonne quinzaine de minutes à cette table avant de me retirer en ayant doublé mes mises. Pas énormément puisque j'ai seulement gagné l'équivalent de deux cents dollars américains, mais je n'ai pas non plus l'intention de m'arrêter en si bon chemin. Seulement, ça commence à faire trop longtemps que mon verre est vide. Je pars donc retrouver mon acolyte de la soirée.

- "Alors, t'as réussi à ne pas tout cramer de sorte à payer la deuxième tournée ?! Parce qu'il est largement temps de prendre une pause clope !"

L'ambiance et la musique dans le casino c'est cool, mais à un moment, prendre l'air en se bousillant les poumons sur la terrasse, c'est important !

La chance n'est jamais immorale, elle est toujours extrêmement juste, car justement, elle n'est jamais garantie. Gros risques, grosses récompenses, quitte ou double, tout ou rien, la chance, c'est la balle du pistolet à la roulette russe. Gagner signifie gagner gros, perdre signifie tout perdre. Alors la chance n'est jamais immorale, la seule chose immorale dans la chance, c'est essayer de lui donner une logique. Alors Mira sourit simplement, cette pensée en tête tandis qu'elle regardait Tiago s'écarter jouer au Blackjack.

C'était le jeu préféré de son père lorsqu'elle n'était encore qu'une gamine. Ce genre de mémoire, ça reste, encore plus lorsque la personne concernée a été enterrée il y a peu. Mira n'y avait pas vraiment pensé, mais son deuil a été extrêmement rapide. Enfin, son père et sa mère étaient les premiers à lui dire que les sentiments étaient une faiblesse, ce serait un déshonneur que faire preuve de pareille chose plusieurs semaines après ... mais sur le coup, elle avait eu envie de les rejoindre.

Ravalant son verre et les pensées parasites qui l'envahissaient avec, elle alla simplement s'asseoir un peu plus loin, par-dessus l'épaule de Blanchette qui était certainement trop occupé à jouer. Il était intéressant ce bonhomme, il le serait encore plus lorsqu'il lui aurait révélé les détails de son petit business au sein de cette école. Amusant, tout de même comment un seul endroit pouvait rassembler l'innocence de l'éducation adolescente et un semblant de trafic. En soi, ça ressemblait vraiment à un simple lycée.

Mira se fit discrète le temps qu'il finisse ses jeux, l'autre palot. En attendant, elle vérifiait ses comptes, envoyait des messages à Hortensia qui venait sûrement de finir de manger son repas du midi. Même aussi loin, elle continuait à suivre ses affaires du domaine et ça commençait doucement à lui peser sur la tête. Alors lorsque Tiago revint la trouver, elle était assise à une table à fouiller sur son application bancaire. Elle releva les yeux vers lui alors qu'il lui demanda si elle n'avait pas tout perdu. Elle lui fit signe d'approcher, et tourna son téléphone vers lui.

- Regarde et apprends, mon associée vient de me confirmer la vente de trois caisses de vin du domaine qui m'appartient. Parmi ces trois caisses se trouvent deux de rouge de 1990. Si t'es pas connaisseur, c'est une cuvée exceptionnelle facilement vendable à 200€ la bouteille. L'autre caisse c'est une de champagne à 60€ la bouteille, environ. Chaque caisse contient douze bouteilles.

Elle laissa un instant flotter, l'espace d'une paire de secondes, avant d'enchaîner.

- Si t'es pas doué en maths, ça fait 5520€, soit 650.000 yen qui vont arriver sur mon compte d'ici trente minutes. Alors ...

Gardant les yeux rivés dans ceux du jeune homme, l'italienne releva son verre, en finissant le contenu tout en marquant une pause. N'abaissant que légèrement le récipient, ses lèvres toujours à moitiés cachées, elle décocha un sourire en coin avec un regard insolent, qui s'accordait avec le ton de sa conclusion.

- ... tu le veux avec une pute, ton verre ?

Et elle s'écarta vers l'extérieur, commandant avant tout deux verres de Martini Rouge, le blanc étant un sacrilège aux papilles de la jeune femme. Poussant la porte, elle sortit son paquet de cigarettes de sa poche et en proposa une à Tiago avant d'en prendre une elle-même. Tirant sur la sienne, elle commença.

- Comment t'as atterrit ici, Blanchette ?

Quand je reviens à hauteur de Mira, celle-ci est absorbée par son téléphone. Pas de quoi me vexer. De toute façon, elle me montre très rapidement ce qui accapare toute son attention. Ok, je n'ai peut-être pas l'habitude des euros mais je suis capable de reconnaitre que ça fait beaucoup. Et finalement, je crois que je m'habitue suffisamment à la façon de parler de Mira pour ne pas mal prendre ses mots.

- "Ok, t'es juste en train d'me dire que t'es pétée de thunes en fait ! Une femme d'affaires donc ?!"

Ce qui est effectivement le cas. Et elle ne se prive pas pour le faire savoir à travers une proposition qui ne peut que me faire sourire. Parce qu'il n'y a décidément pas assez de gens qui font ce genre de commentaire à Terrae !

- "Ah, ouais, si on pouvait trouver des putes à Terrae, ce serait hyper tentant ! Mais ça risquerait d'écouter la soirée qui s'annonce et là tout de suite... Je suis plutôt bien en ta compagnie ! Le verre ce sera suffisant !"

Nan mais c'est vrai. J'dis pas que c'est pas sympa de pouvoir juste tirer un coup contre du fric quand on en a envie mais... C'est plus sympa de relever le challenge du consentement au lieu de se satisfaire du pouvoir qu'offre l'argent. Pour l'ego.

Et en plus j'ai droit à une clope ? Ouah, c'est ouf de se faire des potes friqués ! C'est faux hein, j'ai bien assez de thunes pour faire c'que je veux quand je veux, mais c'est vrai qu'en général, c'est plutôt moi qui arrose toute la soirée. Et c'est plutôt rare que ce ne soit pas mon paquet de clopes qui fasse le tour. Du coup je ne fais pas le difficile et j'accepte tout ce qui est si  généreusement offerte par mon œnologue italienne.

Mais j'ai tout juste le temps d'allumer cette clope qu'une question fort gênante débarque. Ok, nan mais parce qu'en général, personne n'aborde ce genre de sujet hein. Mais en même temps, ça ne m'étonne pas tant que ça d'entendre cette demoiselle en particulier lancer le sujet. Heureusement, la désinvolture dont elle fait preuve me permet de prendre la question avec légèreté.

- "Comme un peu tout l'monde j'pense. Un type a débarqué, m'a raconté des histoires à dormir debout sur un lieu inconnu à l'autre bout du monde où les gens ont des pouvoirs de ouf."

Je tends mon verre (Martini, vraiment ? Ok, j'vais pas faire le difficile, tant qu'il y a de l'alcool) pour trinquer avec la miss. Il y a un peu de monde sur la terrasse mais avec la musique qui sort et la distance entre chaque groupe, ça reste possible de parler assez discrètement. Je me rapproche de la rambarde avant de poursuivre.

- "Et comme tout le monde askip, c'est parce que... La vie est parfois super merdique alors, on perd tout, on recommence ailleurs. Et on attend le prochain coup du sort. Mais avant ça, on peut aussi en profiter pour sortir, boire, fumer, rencontrer des gens... S'amuser en bref !"

Évidemment que c'est plus complexe que ça. Mais eh, je ne vais sûrement pas parler de mes vrais problèmes à une inconnue un peu trop canon hein ! Pas sans être défoncé en tout cas !

- "Toi en revanche, tu n'as pas l'air d'avoir perdu grand chose d'après c'que j'viens de voir. Et... Tu n'as pas l'air d'avoir très envie de rester ici non plus, ce qui est compréhensible. Du coup la vraie question, ce serait plutôt comment est-ce que toi, tu as atterri ici ?"

Ouais, d'accord c'est un peu facile de retourner une question. Mais moi j'en ai vraiment chié pour réussir à retrouver un compte en banque confortable ! Et j'en chie toujours un peu d'ailleurs. Alors que ça fait plus d'un an que je suis ici ! Elle... C'est vrai qu'elle m'intrigue. Je l'imagine mal être juste ce genre de petite fille trop pourrie gâtée en échange d'une absence totale de choix et de liberté. Elle n'est pas suffisamment innocente pour ça. Non, elle elle continue à gérer son business même à distance et pour ça... Peut-être que je l'envie un peu. Ou que je l'admire ? J'sais pas encore trop. C'est trop tôt.

Ce que Mira craignait de voir arriver arriva, ou plutôt d'entendre. Tiago lui récita l'évidence et c'était bien le genre de choses que l'italienne n'appréciait vraiment pas, que l'on se contente des banalités. Où est la tragédie, où est le malheur ? Quelle peine a donc été assez forte pour mettre un gaillard pourtant aussi léger à genou ? Qui pourrait seulement croire en regardant cette tête qu'il avait déprimé au point d'en devenir un magicien ? Même si effectivement, il y a des points qui ne trompent pas, souvent, il s'agit simplement d'imaginer la tête que ferait telle ou telle personne si elle devait être vraiment malheureuse. Si ça lui va bien, alors c'est qu'elle l'a déjà tirée.

La manière dont Mira visualisait le latino était bien du genre à cacher sa souffrance jusqu'à ce qu'elle déborde. Dans son imagination, il continue à l'ignorer et à faire le fier, mais finalement, il se fait vite rattraper par la réalité. Et lorsque la réalité frappe, elle le fait fort. Effectivement. Le chagrin lui allait bien.

La jeune femme se retourna, se penchant sur la rambarde en sirotant dans son verre, écoutant sans faire de commentaires. C'était triste ... il avait l'air du genre à laisser les tragédies suspendues au dessus de lui, jusqu'à ce que leur corde ne cède et qu'elles ne l'écrasent.

Si Mira n'avait pas eu un sang aussi froid, elle aurait certainement brisé son verre à entendre la dernière remarque de son camarade. Ravalant sa salive elle se retourna vers lui, avant de reprendre une gorgée de martini, sans s'arrêter de le fixer. Fronçant les sourcils, elle prit une intonation basse avant de s'approcher de lui, tête baissée.

- Je crois que c'est ... Luc 23:34. "Pardonne leur, Seigneur, car ils ne savent pas ce qu'ils font." Je vais te pardonner parce que tu ne sais pas ce que tu dis.

Elle lui offrit le même sourire que l'on offre à un enfant qui dit qu'il peut voler, un mélange de pitié et d'affection. Après tout, il venait de sous-entendre que ce qu'elle a traversé n'était absolument rien, vu qu'elle avait encore du fric.

- Mon argent était à mon père et là normalement tu es censé déjà te rendre compte que tu as dit une connerie, parce que je viens de dire "était". elle marqua une pause. Bref, il ne faisait pas que produire du vin, il était parrain et pas celui que tu choisis au baptême de ton enfant.

Quoi, elle s'en foutait de lui dévoiler des trucs à lui, comme s'il pouvait seulement faire quoi que ce soit pour lui nuire depuis cet endroit. De toute manière, elle l'avait vu plus tôt, il n'était pas du genre à s'encombrer de soucis.

- Il y a ... deux mois, il a été abattu par l'un de ses clients qui n'avaient plus de quoi le payer. On ne se sort pas d'une dette avec la mafia, quand bien même mon père était un homme admirable, il n'allait pas le laisser s'en tirer à si bon compte. Alors, il a pris un flingue et l'a buté, lui et sa femme, alias ma mère.

L'ironie de son ton se fit manifeste lorsque ses traits s'adoucirent enfin de la brève colère qui venait de lui monter à la tête. Tirant sur la cigarette, elle serra les paupières, comme si elle réfléchissait à une quelconque question philosophique, mais rien de bien émotionnel.

- Le truc qui a provoqué mon Vide, c'était que l'assassin est mort dans la fusillade. Alors moi, après, je n'avais rien à faire. Je n'avais même pas le privilège de les venger. Et tu sais quoi ? Ces cons de Terrae ont mis du temps à venir me trouver, moi ! Pendant presque un putain de mois j'ai du me démerder avec mes pouvoirs, et tu sais comment j'ai fait pour me sortir de la déprime ? Je me suis trouvée un autre coupable et je l'ai tué moi-même.

Elle avait laissé son ton l'emporter un peu, mais avant que la phrase ne se termine, elle en était déjà revenue au calme absolu. La jeune femme se contenta alors d'hocher la tête d'un air convaincu.

- Je t'assure, la vengeance, ça fait vraiment du bien. N'écoute pas les conneries des séries et des livres.

Ponctuant ses mots, une larme coula de son oeil droit, alors que rien sur son visage ne semblait annoncer son arrivée. Dès qu'elle la sentit, la brune l'effaça de son ton surpris d'un revers de la main. Sa mâchoire s'ouvrit alors en grand, laissant place à un bâillement qui lui redonna les yeux brillants.

- Merde, je fatigue. Je devrais rentrer. On est dans le même dortoir ? Tu me guides ?

Tu la sens la pente glissante là ? Nan mais quelle idée d'aborder ce genre de sujet aussi ? C'est pas pour rien que la raison du Vide de chacun est considérée comme question tabou. Du moins, que ce n'est pas le genre de chose dont on parle juste une heure ou deux après avoir fait connaissance ! Même pas en offrant un verre ! Sauf que si elle veut s'engouffrer sur ce chemin chaotique, je la suis sans hésiter. Et manifestement, le résultat n'est pas glorieux. Comme il allait s'y attendre en fait.

La bible ? Vraiment ? Je ne suis pas particulièrement étonné de constater qu'elle est croyante, mais de là à m'en citer des versets comme s'il lui fallait ça pour justifier sa réaction... Non, bien sûr que ça ne me plait pas et je ne me prive pas pour lui renvoyer un regard franchement agacé face à sa façon de faire.

Pourtant elle réussit à me surprendre largement en évoquant cette partie précise de son passé. Non pas parce qu'elle contient des détails qui ne devraient pas parvenir à certaines oreilles (même si on ne se connait pas particulièrement, j'imagine que ce n'est pas très difficile de comprendre que je ne fais pas partie des lèches bottes qui iraient rapporter le premier dérapage auprès des autorités), mais plutôt parce que ça ne doit pas être particulièrement agréable. Comment est-ce qu'elle arrive à en parler avec un tel détachement ? On est d'accord que c'est censé être la raison d'un grand mal-être ? Mal-être qui doit être frais compte tenu de son arrivée récente.

Pourtant, il faudra plus que quelques drames familiaux pour me voir prendre un visage désolé. Non, si je l'écoute avec attention, je me garde bien d'exprimer la moindre émotion. L’apitoiement, ce n'est clairement pas dans mes compétences. De toute façon, ce genre d'histoire ne m'est pas vraiment étrangère. Ce vocabulaire non plus.

Non, la seule partie de son discours qui trouve une résonance douloureuse chez moi, c'est la fin. La vengeance. Non, là j'ai sûrement du mal à cacher un réel désagrément. Les muscles de la mâchoire qui se contractent alors que mes yeux se plissent légèrement, j'aimerais bien ne pas y penser. Trop tard. La vengeance. Un sujet qui m'obsède depuis tellement longtemps que j'ai l'impression de n'avoir jamais connu aucun autre état d'esprit. Un sujet que j'essaie de garder bien enfoui au quotidien.

Je n'ajoute rien et je suis presque rassuré de l'entendre proposer de rentrer. Ouais, je vais avoir besoin de prendre un peu de distance avec tous ces idiots maintenant qu'elle m'a foutu ces putains de pensées en tête. J'acquiesce, retrouvant un sourire légèrement provoquant.

- "Ça m'va. J'ai pas l'habitude de jouer les guides, mais si c'est pour te ramener jusqu'à ta chambre, je devrais pouvoir faire un effort."

Je ne suis plus en état de trouver meilleure réplique. Je termine mon verre d'une seule descente, essayant de mettre de côté toutes ces émotions désagréables. Ouais, en fait, heureusement que c'est une meuf et qu'elle est canon. J'crois qu'autrement, je me serais juste barré tout seul. Mais finalement, j'arrive à me reprendre pas trop mal après avoir écrasé mon mégot.

- "Allez princesse, en route"

Je prends quand même le temps d'aller échanger ces jetons en billets avant de quitter pour de bon le Casino. J'attends que la mafieuse qui m'accompagne soit prête à partir et je prends la direction de l'Institut. Je n'ai jamais été dans cet état d'esprit en prenant ce chemin accompagné d'une fille sexy.

- "Tu sais, t'es pas la seule à avoir les mains sales ici. On est plusieurs à avoir ce genre d'expérience, mais ça ne reste pas spécialement une bonne idée de l'exposer aussi ouvertement à quelqu'un que tu n'connais pas. Il y a aussi de sacrés cassos dans l'coin et pour beaucoup... T'es vite mal cataloguée avec ce genre d'histoire."

Si elle a vraiment été élevée selon les codes inculqués par la mafia, l'adaptation à Terrae ne risque pas d'être évidente. J'en sais quelque chose pour ne toujours pas m'y être fait. Ici, impossible de supprimer un connard qui te cherche un peu trop d'emmerdes. Enfin, j'imagine qu'elle aura bien l'occasion de s'en rendre compte. Eh, j'suis pas là pour accueillir et aider les p'tits nouveaux hein. Et puis les mafieux italiens... Je ne les porte pas particulièrement dans mon cœur.

Alors pour supporter correctement tout ce que je viens d'encaisser, un peu d'aide extérieur ne sera pas de trop. J'attrape de nouveau mon paquet de clope mais j'en sors cette fois un joint que je porte à mes lèvres pour l'allumer.

- "Tu fumes que des clopes ?"

Ouais, j'veux bien partager quand même. Jusqu'à preuve du contraire, elle n'a pas mis les pieds en Colombie elle. Et oui, toujours pareil.... Elle est canon.

La réponse expressive du jeune homme à une seule de ses phrases trouve une empreinte dans l'esprit de l'italienne. De deux choses l'une, soit il aimait beaucoup les scénarios clichés de bouquins à base de "la vengeance c'est pas bien", soit il réprimait une idée qui lui faisait du mal. Parce que ça, ce n'était pas le regard d'un garçon qui était bien à l'abri dans sa tête. L'air insouciant qu'il avait jeté n'était plus rien d'autre qu'une amère expression. Mira le nota, mais elle ne réagit pas, quelque part, elle était satisfaite d'avoir pu arriver à un semblant d'hypothèse concernant le passé du jeune homme, mais rien n'était encore sûr. Pour l'instant, il pourrait tout aussi bien la juger avec dureté pour sa manière de penser, mais venant d'un gars comme ça, ça l'étonnerait.

Il acquiesce à l'idée de rentrer aux dortoirs, le ton qu'il prend est bien moins enjoué que tout à l'heure, de toute évidence il y a quelque chose qui lui court dans la tête. Ce n'est certainement pas le scénario de The punisher ou John Wick qui le préoccupe à ce point, alors l'italienne élimina définitivement la première option de ses pensées. C'était évident, il avait fait un truc qui le perturbait et s'il ne l'avait pas fait, alors il mourrait d'envie de le faire. Mira décida que c'était un bon moment pour la fermer, les silences sont parfois les meilleurs dialogues à avoir.

"Princesse" qu'il dit, exactement comme le faisait le Don Delacorte. Décidément, la jeune femme pensa qu'elle devait avoir la gueule du métier, si tout le monde lui accordait ce surnom. Elle retira son argent après le latino, des sommes gagnées pour aucun effort, quel genre de justice était-ce là ? Ah oui, celle de la chance, Mira ne comptait pas s'en plaindre.

Alors qu'ils rentraient et qu'il n'y avait aucune oreille pour les déranger, Tiago brisa le silence que l'italienne avait décidé de garder. Elle voulait le laisser un instant avec ses pensées, pour qu'il soit disposé à échanger sur ces dernières. Simple psychologie, lorsque l'on laisse un poids pendre à une corde, celle-ci finit par céder, et vu le ton précédent employé par le latino, ça sonnait comme une évidence pour Mira qu'il finirait par parler de quelque chose lié à leur précédente conversation. Bon, c'est ce qu'il fit, mais pas sur ce que l'italienne espérait. Elle écouta en silence, encore, sans d'abord répondre, se contentant de lui jeter un regard vide d'expression.

Il lui proposa une fumette un peu différente de l'ordinaire, le genre que la jeune femme n'avait jamais touché. Elle pouffa de son habituel ton hautain lorsqu'il le lui proposa, puis laissa dériver ses yeux vers le ciel.

- Jamais essayé. Mais comme je suis pour l'apprentissage par l'expérience ...

Alors, elle le laissa tirer en premier attendant qu'il ne la lui concède, question, une fois encore, de politesse. Elle essaya ... il y avait comme un goût ... indescriptible, comme si elle venait de manger de l'herbe, mais en cent fois plus acide et par les narines. Elle grimaça, avant de redonner la fumette à son propriétaire.

- Je préfère le tabac normal ... j'imagine que je devrais attendre les effets pour me prononcer ?

A ce point là, Mira avait juste décidé d'aller dans le sens de Tiago, elle n'avait pas envie de le froisser outre mesure, elle préférait largement rester sage à ce niveau. Hors de question de reparler de passé avec qui que ce soit d'autre, ça foutait une sacrée ambiance. Pour la première fois, l'italienne se munit d'un sourire qui se voulait autre chose que suffisant. Simplement gentil ? Parfois il fallait savoir être doux avec les personnes que l'on veut garder, quand bien même ce n'est pas la spécialité de la maison.

- Ne te fais pas de souci pour moi par rapport à l'adaptation, je suis une vraie passe-partout et quand bien même ce ne serait pas le cas, je m'en fous. Je vois bien que tu fais pas partie de ces gens qui tireraient une gueule de vingt mètres de long parce que mon père était un baron du crime.

La brune fait un pas devant lui, ce serait dommage de pas capter son attention pour ce qu'elle allait dire, ce n'était pas le genre de discours qu'elle tenait souvent. Avec un minimum de sincérité ? Encore moins.

- Désolée si je t'ai froissé. T'as l'air d'un bon gars, Blanchette. J'aime pas blesser les gens que j'apprécie.

Passant lentement sa main sur sa joue, elle acheva sa caresse d'une tape indolore, soupirant très lourdement pour faire sortir l'excès d'empathie. Elle se remit à marcher devant, enchaînant sur une explication.

- Je suis pas quelqu'un de douée pour le soutien émotionnel, loin de là. J'enfonce le couteau dans la plaie, en général, mais des solutions, j'en ai des tas. Si t'as besoin d'aide avec quoi que ce soit, un jour, dis-toi que je t'en dois une.

Mira aimait penser qu'elle réglait toujours ses dettes, quoi de plus perturbant que d'être à la solde de quelqu'un, même moralement ? Brrr, rien que d'y penser, c'était à en chialer de honte. Et donc, rien à voir, mais le fait qu'il la raccompagne chez elle laissait traîner une arrière-pensée dans l'esprit de l'italienne. En fait, il s'agissait plutôt d'une certitude.

- Au cas où ton ... "escorte" de ma personne serait motivée par les draps qui s'ensuivraient, je tiens à te repréciser que je suis fatiguée. Mais si tu cherches un peu de compagnie pour dormir, je peux bien faire un effort, moi aussi.

Mais seulement dormir. Elle n'était clairement pas assez éveillée pour du sexe, elle risquerait même de le décevoir, le pauvre garçon, dans un état pareil. Cette option là n'était de toute manière pas envisageable.

Je suis un peu étonné de l'entendre me dire qu'elle n'a jamais testé l'herbe. Parce que c'est plutôt light comme "drogue", que ça se trouve facilement et que beaucoup de gens ont déjà essayé. Encore plus si on prend la part de personnes présentes à Terrae. Mais puisqu'elle se montre curieuse, je tire deux lattes avant de lui tendre le cône. Même si ce qu'elle a pu dire précédemment n'est pas pour me plaire des masses, je ne lui en veut pas à elle particulièrement alors... Autant oublier ce désagrément momentané pour essayer de profiter du reste de la soirée.

- "C'est parce que tu n'y es pas habituée. Comme pour la clope, la première fois c'est jamais ouf. Mais, ouais, les effets devraient être plus plaisants."

J'ai l'impression qu'il y a quelque chose qui a changé par rapport au moment où on s'est rencontrés. Ou même par rapport à tout à l'heure. Ce n'est peut-être que mon état d'esprit général qui est en cause. Ou bien ça vient de ce pouvoir. J'en sais rien, mais ça me va bien.

- "Hum nan, ne te fais pas de fausses idées. Ca ne m'enchante pas. Enfin, pas vraiment qu'il ait pu être un baron du crime, ça j'm'en fous. C'est juste que, les criminels italiens, j'ai un peu d'mal."

J'suis désagréable un peu là non ? Ouais en plus j'ai un ton particulièrement peu engageant. Alors que j'ai pas forcément envie de l'être. J'crois que je l'aime bien dans le fond. Enfin, elle a beau être orgueilleuse et aborder des sujets bizarres, elle ne me parait pas désagréable. Oui, son physique oriente aussi un peu mon appréciation, certes.

- "Nan, nan, ça va t'inquiète pas. J'suis pas froissé mais c'est vrai que... Le passé, c'est pas un truc dont j'aime parler, c'est tout."

C'est même honnête comme explication. Ouais, voilà, après ce contact physique un peu étrange (je ne sais pas trop quoi penser de cette fausse "claque amicale" ? on va dire ça comme ça) j'arrive à retrouver mon état à peu près normal. Je vois bien qu'elle doit faire des efforts pour essayer de me sortir de mes pensées déplaisantes. Du moins, je le ressens. Bah ouais, je suis toujours sensitif et c'est franchement pas agréable ! Parce que maintenant je me sens aussi un peu obligé de faire un effort pour laisser tomber tout ça !

- "Ça tombe bien, je supporte pas ces gens qui passent leur temps à demander ce qui ne va pas, à croire qu'avec de belles paroles et quelques pseudos câlins tout ira mieux. Mais, je retiens. C'est cool de proposer."

Bah, on est issu d'un milieu plus ou moins semblable après tout, ce n'est pas très étonnant qu'elle ne corresponde pas au cliché de ces gonzesses qui ne jurent que par les paillettes et les arcs en ciel. Ce qui m'arrange bien. Et en fait... Je crois que je suis plutôt content d'avoir rencontré ce genre de nana. Parce que des gens avec cet état d'esprit, je n'en connais franchement pas des masses. Il y a bien Baxter. Les autres gardent cette horrible manie de vouloir tout savoir pour se contenter de vous plaindre. Enfin, la suite de la conversation me ramène dans un élément que je maîtrise un peu trop, mais qui a au moins le mérite de me faire me sentir parfaitement à l'aise dans mes pompes.

- "C'est sympa de prévenir ! Je ne connais pas beaucoup d'hommes qui pourraient refuser de partager tes draps, mais je serais totalement incapable de dormir avec toi à mes côtés. Alors, si tu as vraiment l'intention de t'endormir à peine un pied mis dans ta chambre, il vaut mieux que je me contente de t'accompagner seulement jusqu'à ta porte."

Parce que je n'ai pas franchement beaucoup de self control une fois le stade "intimité" passé. Bien sûr que si je me retrouve seul avec elle dans sa chambre je vais avoir envie de beaucoup de choses mais sûrement pas de dormir ! Et que je ne risque pas de la laisser facilement dormir non plus.

- "Mais, si jamais t'as encore de l'énergie... Un peu de compagnie avant d'aller me coucher, ça me tente bien."

Oui, elle savait. Elle savait l'effet qu'elle avait sur les hommes, en général, avec un minois pareil, comment pourrait-il en être autrement ? Le seul type sur ce monde qui n'aurait pas eu envie de l'attirer dans ses draps était son père, mais lui, il avait déjà sa propre épouse comme excuse. La beauté est héréditaire, oui, mais tout ça, Mira le savait. Alors, le compliment, qui n'était au final qu'un fait, lui passa par-dessus la tête.

L'important, là, était plutôt de savoir si elle voulait continuer un peu la soirée, ou bien directement passer à l'étape d'emmêlement des draps. Parce qu'il y avait quelque chose de clair, elle était fatiguée, et juste l'éventualité d'aller prolonger la nuit l'ennuyait, et ça se voyait sur son visage. Elle arqua un sourcil. C'était qu'il avait l'air vraiment sérieux, Blanchette, c'était bien à savoir qu'elle aurait de la compagnie sous le coude, si jamais elle devait se sentir seule, cependant ... sa propre personne est la meilleure amie qu'elle pouvait demander. Ca, et causer le chaos sur Reddit en balançant tout ce qu'elle a l'esprit sur des posts de SJW. Ah, quel délice ...

- Dans tous les cas, tu viens jusqu'à ma porte, alors on verra une fois arrivés.

Ils étaient déjà en train de grimper les escaliers de l'établissement, ce n'était qu'une question de minutes, voire de secondes avant que le suspense n'éclate. Mira reconnaissait déjà bien mieux les couloirs que le jour de son arrivée, celui des feux était là où l'odeur était la plus forte. Non, ce n'est pas une coïncidence, juste le résultat d'avoir mis ensemble tous les éléments perturbateurs d'un seul établissement. Moi exclus. Je suis un ange caractériel.

On arrive devant ma porte et je me retourne vers le jeune homme. Evidemment que j'avais pris ma décision, en fait je l'avais déjà prise quand je lui ai dit qu'on verrait, mais j'ai un esprit opiniâtre. Le plan, pour ce soir, je l'avais établi il y a déjà bien longtemps, tout se passait très bien, pour le moment. Et tout se passerait très bien, jusqu'à la fin, pour une raison bien simple ...

Je lui prends les mains, avant de l'attirer pour un doux baiser que je sais qu'il ne refusera pas. Oh, j'aimerais pouvoir dire que c'est romantique, mais la vérité, c'est juste que son slip doit devenir un peu trop serré et qu'il doit avoir hâte de pouvoir s'en débarrasser. Sauf que je m'écarte de lui, lui donne une petite claque sur les fesses, avec un sourire en coin et en lui désignant le reste du couloir d'une inclinaison de tête.

- Tu auras ta chance, Blanchette. Mais pour l'instant ...

Ma porte m'efface derrière elle, tandis que je me glisse sur ma moquette, chaussures déjà enlevées. Avec le même sourire malicieux, je referme doucement le battant,sans oublier de conclure sur une petite phrase, aussi polie que digne d'une véritable salope, disons-le.

- ... je te souhaite de faire de beaux rêves.

Et se ferment la porte comme la serrure, après un clin d'oeil qu'il aura certainement eu le temps d'apercevoir. Il avait dit lui-même qu'il serait déçu si j'étais aussi facile à attraper, je comptais bien le faire mariner. Après tout, c'est lui qui me l'a demandé, moi, maintenant, je n'aurai aucun remords à le faire chavirer avec ce genre de choses. J'étais sûre que, quelque part, il adorerait ça.

Est-ce que j'apprécie cette façon qu'elle a de laisser planer le doute sur ses intentions ? Oui, clairement. D'ailleurs, je ne suis pas sûr de l'avoir raccompagnée jusqu'à sa chambre si elle m'avait affirmé que c'était totalement mort. Même si nos chambres ne sont pas particulièrement éloignées l'une de l'autre, j'aurais pu me diriger ailleurs dans Terrae. Mais non, je dois admettre apprécier la compagnie particulière de Mira. Pas que sa compagnie, ok, mais sur le coup, c'est ce qui me décide à m'arrêter avec elle devant sa porte. Au moins maintenant, je sais où est sa chambre, ce qui est déjà pas mal.

Et finalement, je crois que j'ai bien fait. Ce baiser que dépose la demoiselle sur mes lèvres a de quoi me donner envie de beaucoup plus. Non pas que j'imaginais particulièrement en arriver là ce soir en la rencontrant un peu plus tôt, mais je ne vais pas sûrement pas m'en plaindre ! Sauf que j'ai à peine le temps d'envisager une suite beaucoup plus intime à ce baiser, que Mira me coupe très net dans mon élan, achevant de briser mes espoirs d'une claque sur les fesses un peu trop aguichante.

- "Nan... C'est pas cool de teaser comme ça sans montrer la suite !"

Je râle juste pour la forme, parce que dans le fond, cette façon de faire a malgré tout quelque chose d'excitant. Je ne crache jamais sur une fille facile, encore moins si elle est jolie, mais ce petit jeu qu'elle met en place ne me déplait pas. Disons juste que ça a de quoi me donner encore plus envie de la revoir.

- "Ouais c'est ça... Toi aussi."

Un sourire à moitié amusé qui se tord légèrement en grimace de contrariété, je me retrouve désormais face à une porte fermée en ayant le goût désagréable de l'inachevé. Comment est-ce que je peux juste dormir après ça moi ?! Avoir envisagé autre chose sans y être parvenu, ça n'a rien de particulièrement agréable. Malgré tout, je ne regrette pas cette rencontre. Ni la soirée passée en sa compagnie.

C'est donc avec une pointe de frustration que je me détourne de cette porte (je ne vais pas non plus m'abaisser à insister davantage !) pour me diriger vers ma chambre. Bah, maintenant que je suis là, je n'ai pas particulièrement la motivation de ressortir. Ce qui n'empêche qu'après ça, je ne risque pas pour autant de réussir à m'endormir avant un bon moment...