Les vacances mes manquent. Pourquoi on ne peut pas rester en vacances toute sa vie ? Maintenant, il faut que je rattrape le taf en retard que j'ai à Terrae, et tous les dossiers que j'ai laissé ; évidemment, Ashton me fait payer ma petite escapade et je suis forcé de corriger ses copies pendant que lui va pépouze draguouiller cette aprèm. Trop chiant, moi aussi j'veux aller draguouiller ma go, mais j'peux même pas, bouhouhou monde cruel. Un soupir m'échappe alors que je pose mon dossier sur la pile des élèves à chercher, pianotant sur mon téléphone pour chercher quelques informations supplémentaires. Stylo coincé entre les lèvres, j'essaie de ne pas jeter un regard à l'heure à chaque ligne terminée... Bon sang, c'est looong, j'me fais chier. Au pire, je rentre et je finis ça demain ?

—Ouais, toi aussi t'as envie de rentrer, hein ? je lance à la petite choupette qui joue avec ses camions et ses cubes, pas très loin de moi, sur le petit tapis de sol que je lui ai posé.

Charlotte tourne la tête vers moi et ouvre de graaands yeux ravis. Tropmignonnealed. Elle tape dans ses mains et je me lève pour m'installer un peu à côté d'elle. Elle babille quelques mots en pointant ses camions et imite leur bruit en bullant. Oh bah alors, qu'est-ce que c'est ça ma grande ? Mais oui c'est un camion, un camion ça fait vrouummm. Mé uiiiiiii blbl. Je l'attrape pour lui faire un câlin et ris doucement, intercepte un regard d'un de mes collègues. QUOI. T'AIMES PAS QUAND ON FAIT VROUM ? Putain.

J'embrasse le sommet de sa tête duveteuse.

—Allez, viens ma chérie, on y va, on rentre à la maison ?
—Maison ?
—Oui, on rentre à la maison. On va ranger les jouets ?
—Range !!

Elle me rend mon gros câlin puis se débat un peu pour m'échapper, et se dandine pour aller se rassoir à côté de ses jouets. Elle les attrape, puis semble avoir complètement oublié ce que je lui ai demandé de faire... Tout en lui expliquant, je range les quelques jouets dans le sac et la félicite chaleureusement quand elle m'en tend un. Je la soulève pour la réinstaller dans sa poussette, qui attend près de l'entrée, et ramasse tout mon bordel pour le distribuer. Les copies d'Ashton, les dossiers... Et c'est partii.

Le sac accroché à la poussette, je salue mes collègues (nuls) et sors de la salle des Masters… pour tomber quasiment nez à nez avec une blonde. Enfin, poussette à nez, plutôt, j'ai failli lui rouler dessus.

—Oh, salut ! C'est... Lys, c'est ça ?

J'ai toujours aucune mémoire des prénoms, j'en peux plus.

C'est marrant comme c'est toujours aux moments les plus bizarres qu'on croise des gens qu'on a vu qu'une seule fois dans sa vie et qu'on savait pas vraiment si on allez le revoir ou pas... Lys mets un moment à me replacer, ou alors elle est juste en train de gagater sur Lottie vu la tête qu'elle fait. Ah, oui. Elle était en train de gagater. Tout va bien, c'est normal. Le monde à cette réaction devant Charlotte. En même temps ceux qui n'ont pas cette réaction devant Charlotte sont vraiment des gens pas fréquentables. Je laisse un sourire étirer mes lèvres et hausse un sourcil. Un rire m'échappe.

—Comment ça c'est elle Lottie ? Elle est si célèbre que ça ? je me marre.

Je m'appuie un peu sur la poussette pour mieux voir le visage de Lys, penchée sur la petite qui lève ses petites mains potelées vers elle, et attends qu'elle daigne relever les yeux vers moi. C'est marrant comme on a l'impression de ne pas exister quand on a un petit bébé blond trop mignon avec soi !

—Nan, t'inquiète. Ça va ouais. C'est moi que tu cherchais ?

Wow, étonnant. À nouveau un sourcil et lui laisse quelques secondes pour m'expliquer ce qu'il se passe. Forcément, j'ai pensé direct à des trucs inquiétants, mais visiblement c'était pas trop ça le problème. J'essaie de revenir le fou rire qui me prend. Blobby. Genre. Vraiment. Maintenant, les élèves viennent me voir pour voir Blobby. Je. Je sais pas trop comment le prendre ? Ahaha

—Et qu'est-ce que tu veux savoir à propos de Blobby ? je lui demande avec un sourire mutin. C'est un poisson très occupé, tu sais...

Ouais, poisson occupé à buller. C'est comme les chiens. Ça dort tout le temps.

Un rire m'échappe. Ah, ouais, Nicolas parle tout le temps de sa soeur, ça m'étonne pas. J'esquisse un sourire amusé et acquiesce lentement. Evidemment qu'elle est parfaite, c'est ma fille, elle ne peut pas être autrement que parfaite pff. J'observe un instant ma petite chérie en train de faire blblbl avec Lys, appuyé sur la poussette.

—Ouais, il l'aime beaucoup. Ca lui fait du bien d'avoir de la famille ici. Enfin, en dehors de ses amis de Terrae, je veux dire. Mais c'est pas tout à fait pareil.

On a beau être plus proches de certaines personnes, à Terrae, et se construire un peu notre propre famille... Enfin, avoir sa petite soeur, ou sa fille, près de soi, ça n'est clairement pas la même chose. D'autant qu'elle est une petite boule de bonheur qui est amenée à apprendre, à observer ; j'aimerais pouvoir me dire qu'elle est un peu préservée du monde violent, ici, et qu'elle pourra grandir de manière saine. Mais avec ce qu'il s'est passé cet hiver, je sais pas si on peut vraiment avoir ces espoirs. Si ça se trouve, le pire est encore à venir lel. Non, je suis pas pessimiste, mais. Ouais, un peu flippé, quand même ?

On en revient un peu sur le sujet précis de sa visite : Blobby. Enfin, pas que Blobby visiblement ! J'étire un sourire amusé.

—Ouais, j'ai vu ça. Félicitations. Tu le vis pas trop mal, ça va ?

Quand je vois comment était Nicolas au même point, je me dis qu'elle a quand même l'air de vachement moins mal le vivre, mais on ne peut pas savoir tant qu'on n'a pas posé la question, je crois.

—Bon, allez, j't'emmène voir Blobby, viens, je me marre. Tu verras bien par toi-même toute l'étendue de son pouvoir.

Il bulle, c'est un grand pouvoir. Il implique beaucoup de responsabilités, vous savez.

—Par contre, j'capte pas ; d'où tu t'entraînes avec Ys ?! Ma pauvre, ça doit être épuisant, je râle en me remettant en route jusqu'à l'ascenseur, qui ne tarde pas à arriver pour nous faire descendre. Les téléporteurs, ils te font courir dans tous les sens. Pas la peine de courir partout quand tu veux apprendre à te servir de ton électricité et de ton don de sensitif !

J'ai toujours détesté me battre avec des téléporteurs, en vrai. Faut anticiper toutes les conneries, c'est relou. Mais je dois avouer que je garde de bons souvenirs de l'époque où je m'entraînais avec Mitsuki.

—Nan, Ys est un mec cool en vrai. J'sais plus si je t'ai dit, mais c'est contre moi qu'il s'est battu pour sa masterisation. Il est doué, je pense qu'il pourra t'apprendre des trucs. Peut-être même à voir un peu le côté sensitif autrement... Mais si t'as des problèmes, tu peux venir me voir, y a pas de problème pour ça. Et pour les téléporteurs, je déconne, hein ? Je m'entrainais avec Mitsuki avant — c'est, euh, c'est la meuf de Ys, enfin j'sais pas s'ils sont de nouveau ensemble, c'est un peu obscur pour moi. Enfin, quand elle était initiée et étoile, quoi. C'était chouette. Mais ils sont épuisants, un peu, tu trouves pas ?

J'me suis aussi battu contre elle pour sa masterisation. MAIS PUTAIN POURQUOI TOUS LES TELEPORTEURS ME CHOISISSENT, LÀ ?
(sinon j'monologue pas. du tout.)

Bon, la miss a l'air relativement bien à l'aise avec ses pouvoirs. Enfin, elle dit qu'elle le subit, mais c'est tellement désinvolte que j'imagine que c'est plus difficile à contrôler qu'à vivre, du coup. Quand je repense aux migraines que j'me tapais à l'époque, c'est chaud. C'est dans ces moments-là que j'me dis qu'on vit vraiment tous nos pouvoirs très différemment, et qu'on a beau avoir les mêmes foutus pouvoirs, on se retrouve avec des utilisations et des sensibilités très différentes. En plus elle, avec un prof qui est téléporteur… enfin, ça ouvre peut-être des portes que certains sensitifs ne penseraient pas à ouvrir, et ça en bloque peut-être d'autres. On ne sait pas trop, du coup ; il faut voir comment elle va se développer, du coup.

J'acquiesce donc avec un sourire, plutôt satisfait de l'entendre. Rassuré, je dirais même. Au moins, ça ne nécessite pas une prise en charge urgente pour lui apprendre à bloquer son don.

—Ah... C'est vrai, j'avais oublié qu'il était teubé, je me permets de le basher avec un sourire amusé.

Pauvre Ys, il s'en prend tellement dans la gueule. Pourtant j'trouve qu'il se débrouille bien depuis qu'il est Master.

Du coup je blablate sur la vie et la mort, et Ys et Mitsuki (pareil) ; je note un peu de perturbation dans l'air et le mets sur le compte se sa prochaine rencontre avec Blobby. ... Ou pas. Hmmmmm. Chelou. Chaud. Elle a l'air tout perturbée quand elle me répond qu'elle ne connaît pas Mitsu. Je hausse donc une épaule, l'air de dire que c'est pas grave, puis étire un sourire amusé lorsqu'elle se plante devant moi avant de partir au pas. Mais meuf, j'comprends que tu t'entendes bien avec Ys, en fait... (Même niveau de connerie, ces tonnerres bon sang. Ouais j'assume, j'suis pareil, bisous.)

Je rigole un peu et la suis.

—Le grand pèlerinage, rien que ça ! Est-ce que t'as prévu une offrande pour Saint Blobby, si déjà tu vas le déranger ? Il est très miséricordieux, mais attention au retour de bulles s'il n'est pas content.

Nous sortons de l'institut et je passe par la petite passerelle d'accessibilité sur le côté pour ne pas avoir à subir les escaliers.

—Tu vois l'hippogriffe dans Harry Potter ? C'est un peu pareil ; quand tu t'approcheras, il faudra être très poli et t'incliner devant lui, sinon il pourra se fâcher fort. Du coup, tu dis bonjour monsieur Blobby, tu t'inclines, et t'attends qu'il te réponde avant de t'avancer. Ca le fera ?

Mdr. Pardon.

Mon visage prend une expression surprise, puis soucieuse.

—Hm, tu sais, si tu ne lui fais pas d'offrande, il va très mal le prendre... Mais je suppose que l'âme de ton poto devrait le faire.

Erik, Erik, ça me dit un truc… AH.

—Eh, dis, Erik, c'est pas un mec un peu relou recoloré qui bosse au bar de Terrae ? Non, parce que si c'est lui, j'approuve plus que fortement le don de son âme.

Ca ferait du bien à l'humanité moi j'dis, hein. Et non, je suis pas vénère parce que j'ai fini à moitié à poils dans le bar, qu'est-ce que vous entendez par-là ?! C'est surtout que c'était de l'abus. Mais bon, il est rigolo en vrai, la soirée était cool, même si j'avais envie de le taper.

On continue à discuter en sortant de l'institut et Lys me fait part de ses questions existentielles hautement importantes. Je me mords à demi la lèvre pour contenir un rire. Woah, la théorie. J'avoue. C'est un génie ce poisson, qui pourrait dire le contraire ?

—Oui, je pense que Blobby est un être très incompris, je lâche avec un semblant de sérieux. Je peux comprendre ce qu'il souhaite, mais pas ce qu'il me dit ; imagine tout ce savoir perdu à jamais... Toutes ces bulles qui ont éclaté et qui n'ont plus aucune signification à présent… Quelle tristesse.

Un petit soupir, avant que je n'étire un sourire.

—Mais ne t'en fais pas pour lui, je suis persuadé que s'il souhaitait faire quelque chose pour l'humanité, il le ferait. Il attend sans doute le bon moment.

Sérieux, ça part trop loin, là, les gars ; j'assume qu'à moitié.

—Tu verras bien, de toute manière, tu seras sans doute surprise !

Quoique, en voyant ce qu'elle est capable de me déballer, y a moyen qu'elle soit déçue par sa banalité !

Haussement d'épaule vague. M'ouaiiis, grandiose non, casse-couilles ouais. Bon, d'accord, il a réussi à me faire finir en calebut dans son bar, mais c'est parce qu'il n'assume pas le fait d'avoir absolument voulu me voir à poil. PD va.

—On a picolé ensemble, rien de ouf. Ca aurait été un chouette garçon s'il n'avait pas tout fait pour me saouler !

Un rire m'échappe. En soi, il sait que s'il raconte quoi que ce soit sur moi, son petit secret va m'échapper de manière malencontreuse. Oops. Non, mais non, je suis pas encore assez cruel pour le foutre dans la merde, hein. Faut pas déconner. J'ai un peu de bienséance, MOI.

Nous repartons sur Blobby (…dans la discussion, il ne s'est pas encore transformé en super-monture) et j'acquiesce fermement aux dires de Lys. C'est sûr, c'est un héros, Blobby.

—Evidemment, c'est de super Blobby qu'il s'agit. Mais chhht. C'est un secret, je lui lance, un doigt devant les lèvres étirées en un sourire mutin. Sois pas trop excitée, tu vas défaillir.

Et j'appelle pas l'hosto pour la réanimation, faut pas déconner. Lorsqu'elle me pose sa question sur les pouvoirs de Lottie, je cligne des yeux.

—Grands dieux non !

... J'ai vraiment dit ça comme ça ? Aled ? J'ai pris 50 ans d'un coup, mdr ? Un soupir m'échappe et je fais la moue.

—Alors, pour Charlotte c'est un peu plus compliqué. Ce n'est pas ma fille biologique, on est allés la récupérer avec son frangin pour éviter qu'elle ne vive l'enfer sur terre là où elle est née, aha. (Ah. Non, c'est pas drôle.) Elle n'a pas connu le Vide, et euh j'espère qu'elle le connaîtra jamais parce que sinon ça veut dire que j'aurai méchamment fail comme papa.

Ce qui serait passablement nul, hein. Non. J'veux pas y penser. J'veux pas qu'elle vive ça. Elle est trop jeune pour que- Juste non, putain.    

—Pour les autres enfants, ceux qui ont été Appelés, ouais, ils ont vécu un Vide. Mais on ne les initie pas avant leurs dix ans ; avant ça, ils sont trop jeunes pour pouvoir contrôler leurs pouvoirs. On a peur que ça devienne trop dangereux pour eux. Du coup on essaie surtout de les couvrir d'amour jusqu'au moment où ils seront prêts à réceptionner leurs pouvoirs.

J'essaie d'imaginer ce que ça donnerait, mais j'ai une grimace. Ouais, non, pas les petits avec des pouvoirs.


HRP : ... aled, il parle comme un petit vieux ? mdr

Haussement d'épaule alors que je fais la moue. Putain, elle est curieuse la meuf.

—On a fait un action-vérité avec une meuf bleue et ma pote Ipiu, et évidemment j'ai fini à moitié à poils à cause de lui. Je crois qu'il voulait voir mon magnifique corps sans vêtements, il devait penser que ça ferait de la bonne pub pour son bar, enfoiré, je dis plus bas, pour que Charlotte ne m'entende pas.

Evidemment, je fabule à demi mais on peut pas dire que ça se rapproche pas de ce qu'il s'est passé au bar, hein ! Mais bon, vous comprenez, j'ai ma fille juste à côté, je ne vais pas entrer dans l'étalage de nos soirées arrosées, elle serait capable de tout comprendre et de prendre de mauvais exemples. Erik n'est pas un bon exemple. (Et moi encore moins, mais moi je suis son papa, alors je vais faire en sorte de faire semblant d'être quelqu'un de normal et ça ira !… Pas vrai ?)

On enchaîne rapidement sur les pouvoirs des enfants de Terrae. Heureusement qu'on n'en arrive pas à ce qu'elle me décrit, sinon ce serait l'apocalypse omg. J'ai une grimace assez appuyée.

—Ah mais quelle horreur. Déjà un bébé normal c'est infernal, mais alors ça ?! J'ose pas imaginer. Faudrait que j'demande à Hideko si Dai-chan ou Riku-chan commencent à devenir chelous.

Lentement, je tourne la tête pour jeter un regard inquiet à Lottie. C'est, euh. Enfin. Ce serait gênant, quand même.

Mais évidemment, miss Lys a encore mille questions dans sa sacoche. Je me retiens de rouler des yeux face à son enthousiasme, mais je ne peux m'empêcher de sourire. Au moins, elle n'est pas dur genre à dire "BOuuuuh les Masters ça pue, remboursez !!" comme les trois-quarts des étudiants depuis cet hiver, hein.

—C'est pas toujours cool, je réponds immédiatement, presque du tac au tac — et c'est sincère, malheureusement. Quand on passe Master, on est plus ou moins formés par les Masters précédents, qui nous expliquent comment monter les dossiers sur les futurs élèves et comment intercepter les Appels. Euh, les Appels, c'est ce qu'on entend dans nos têtes quand vous ressentez un Vide et ce qui nous permet de savoir quel est le problème et comment vous localiser. Et surtout, si c'est urgentissime ou pas.

Ma main passe sur ma nuque pendant que je réfléchis. Charlotte babille un peu et porte ses doigts à sa bouche, alors je m'arrête un instant pour sortir une lingette et lui laver les mains tout doucement. Pas envie qu'elle se choppe n'importe quoi. Elle me parle un peu et je lui réponds avec un sourire doux, puis embrasse son front en lui expliquant qu'on est bientôt arrivés, avant de reprendre ma route avec la poussette.

—Sinon, après ça, les Masters décident de ce qu'ils veulent faire. S'ils sont trop jeunes, ils peuvent continuer leurs études. Mais à côté, on leur demande s'ils veulent prendre des responsabilités — du type s'occuper d'une aile de l'institut, pour s'assurer que les élèves vont bien, ou alors l'administratif, les cours, etc. Enfin, c'est assez large du coup, mais ça évite de laisser un poste sans personne. Résultat, on se retrouve avec un poste mais il peut évoluer en fonction des choix des nouveaux Masters. Genre depuis que Mitsuki est là, j'ai plus besoin de m'occuper H24 de la sécurité de Terrae, c'est elle qui gère à ce niveau-là. ... Oui, avant, c'était moi. Mdr. J'suis un peu occupé en ce moment, donc ça m'arrange, j'admets, je fais en désignant Charlotte. Mais ça me plaisait bien de bidouiller.

Haussement d'épaules.

—Sinon, j'suis aussi prof de maths, mais bon j'pense que j'vais arrêter, c'est pas ce dans quoi j'espérais passer ma vie, je faisais ça pour dépanner à la base. Après, ça m'arrive d'aller chercher des élèves ou de me proposer pour des missions si je pense que mes capacités sont adaptées. De là à dire qu'on part "souvent" en mission j'en sais rien, ça dépend qui en fait. Y en a qui ne font que ça.

Je me rends compte que c'est un peu fouillis, mais fondamentalement, c'est une fourmilière, l'équipe des Masters. Tout le monde est tout le temps occupé à faire un truc, et parfois on se marche un peu dans les pattes. Mais c'est assez bien huilé, et mis à part avec la disparition d'Hideko, ça s'est toujours bien passé.

—Ouais, les cheveux, quoi.

Est-ce étonnant à Terrae ? Non. On a de tout ici. Des gens bizarres. Barrés. Tatoués de partout. Colorés de partout. Même de la touffe. Je repense à un certain blond qu'on avait recoloré en rose. Pink Lady, ahhh, où es-tu passé, beau blond.

—Ah, ouais, Daisuke et Riku, c'est les enfants d'Hideko. Ils sont adorables comme tout, je souris, tout attendri. Je suis le parrain de Daisuke. C'est un bon p'tit bonhomme, mais il a... Mince, il a déjà six ans ? Wow... Le temps passe, je grimace.

Putain la vie. Je deviens vieux, je m'en rends de plus en plus compte ; c'est affolant, je vais pleurer. Lys, elle, a l'air super enjouée pour une raison que j'ignore... J'imagine que c'est la mention des petits qui lui fait cet effet. Elle a l'air de plutôt pas mal aimer les enfants, vu comme elle se comporte avec Charlotte.

Il me faut quelques secondes pour m'occuper de Charlotte, mais nous retournons bien vite à notre discussion. Je cligne des yeux devant tant, de, euh... Questionnements. Bon, ben, je vais la laisser finir, hein, et je répondrai de ce dont je me souviendrai.... Merde putain j'ai pas écouté le début, j'me suis arrêté à la boîte vocale spirituelle. A l e d.

La mention des derniers événements me fait cependant froncer les sourcils et je fais la moue. Comment lui dire… C'est sûr que là, on peut pas dire qu'on était over populaire. Mais j'imagine qu'on l'a aussi cherché, à ce moment-là. On était désorganisé, on a fait comme on a pu, et on n'a pas géré.

Lentement, j'acquiesce et reprends d'un ton plus sérieux, le visage fermé. Plutôt inquiet, en fait. Je n'aime pas me souvenir de cette période-là.

—Oui, y a une bonne raison.

Je ne vais bien sûr pas m'arrêter à cette réponse, mais il me faut quelques secondes pendant lesquelles mon regard fixe le vide pour mettre de l'ordre dans mon esprit.

—Faut savoir que les Masters ont fait le choix de rester. Quand ils passent leur masterisation et qu'on leut octroie la possibilité d'atteindre le rang maximum, ils peuvent refuser. Ils peuvent refuser leurs responsabilités. Mais accepter de devenir Master, c'est accepter de donner sa vie pour l'institut. Si on me demandait de choisir entre ma fille et l'institut, je ne sais pas encore ce que je choisirai, je réponds, les dents serrées. Et ça, c'est quelque chose d'effrayant aussi.

Et pourtant, j'aime ma fille. Et je tuerais pour elle. Je sacrifierais tout pour elle. Mais j'ai fait un serment.

—On n'avait pas la cote parce qu'on a fait des erreurs stupides. Les gens nous voient comme des êtres suprêmes, mais on est des êtres humains. On fait aussi des conneries, des choses qu'on regrette. Même les plus anciens peuvent en faire. Même les plus avisés.

Ryu est l'un d'entre eux. Et je pense que, si j'avais été lui, j'aurais sans doute réagi de la même manière. C'est facile d'être en colère et de lui en vouloir. C'est facile de dire "moi je n'aurais jamais". Mais en fait, on n'en sait rien. Si la vie nous met face à une situation pareille, qu'est-ce qu'on ferait ? Si on m'enlevait ma fille, qu'est-ce que je ferais ? J'en sais rien. Mais je serais sûrement pas pragmatique et méthodique.

Un soupir m'échappe, je me pince l'arête du nez. Les gens ne se rendent pas compte de la pression. Ils ne se rendent pas compte du travail que les Masters font, et pourtant ils sont plus d'une cinquantaine. C'est énorme. Et il y a encore tant à faire.

—La Directrice, Hideko, a disparu du jour au lendemain. Son mari, Ryu, qui est le Sous-Directeur depuis des années et l'a épaulée dans la construction de Terrae, a pensé qu'il y avait une taupe au sein de Terrae. Sa première réaction n'a pas été de nous prévenir, nous les Masters, comme on le fait habituellement en cas de problème. Il a rassemblé tout le monde dans la cour et a retiré les pouvoirs des initiés et des étoiles, et a très fortement réduit les nôtres. Le but était d'empêcher toute attaque venant de l'intérieur pendant que l'on sécurisait l'extérieur. Il fallait le moins de monde possible au courant pour ne pas risquer que la taupe s'enfuie avant que les directives ne soient mises en place. Les élèves ont très mal vécu la séparation d'avec leurs pouvoirs. Ils n'étaient pas vraiment retirés, mais bloqués. Certains ont revécu leur Vide. C'était effectivement très nul pendant un moment.

Sourire contrit.

—On a mal réagi, normal. On était aussi bridés dans nos pouvoirs et inquiets. Pourtant, on pouvait encore s'en servir à moindre mesure et de nombreux Masters savent se battre et possèdent des Greffes qui leur permettraient de se défendre ou défendre Terrae. La réaction de Ryu était certes excessive, mais pour lui, elle était réfléchie. Ce n'était pas la meilleure que l'on puisse espérer de sa part. Mais même si je lui en ai voulu à l'époque, je sais aussi que ce n'est pas uniquement de sa faute. Ce type est... Je veux dire, je le connais depuis plus de dix ans. C'est un des types les plus dévoués et intelligents que je connaisse. Il a jamais fait la moindre erreur. C'est... j'veux dire, il s'est fait tabasser et est tombé dans les pommes avant qu'on ne parvienne à avoir le fin mot sur son plan, du coup on a mis plus de temps que prévu à s'organiser. Ca non plus, il pouvait pas le prévoir.

Je fronce les sourcils. En même temps, Misao a sur-réagi. Mais à lui non plus, on ne peut pas trop lui en vouloir. C'était une histoire compliquée.

—Les élèves se sont retournés contre les Masters et ont considéré que nous ne leur donnions pas assez vite des nouvelles, alors que nous étions occupés à nous organiser pour créer des rondes, vérifier la sécurité, enquêter sur la disparition d'Hideko et nous occuper des élèves qui allaient mal. On n'a pas pu gérer sur tous les fronts, mais les protestations étaient fortes. Faut dire que le climat était tellement nocif que n'importe qui aurait pété les plombs là-dedans. Ca a duré un moment. Hideko n'est pas revenu avant trois semaines ; mais les pouvoirs, eux, ont refait leur apparition quelques jours après leur retrait.

Haussement d'épaule.

—Ryu a ce pouvoir. Retirer les pouvoirs d'initiés et d'étoile est possible pour nous aussi, mais nous ne le faisons que si ceux-ci souhaitent partir de Terrae ou s'ils représentent un danger pour les autres, ne t'en fais pas.

Je lance un sourire faible à Lys.

—Excuse-moi, je parle beaucoup. J'ai oublié tes premières questions. Mais comme ça, au moins, tu sais ce qu'il s'est passé. Les élèves n'ont sûrement pas la même vision des choses que nous.

On a merdé. J'en suis conscient. Mais je sais aussi que nous avons fait tout ce que nous avons pu ; et ça, c'est quelque chose que certains ont encore du mal à comprendre.



HRP : Lys a posé les questions, Aaron y a répondu. Voilà. RIP. Désoulée.