En ce moment, c'est un peu compliqué de se croiser avec Allen, aussi Ariana a-t-elle décidé de prendre les choses en main. Armée de son bloc à croquis et de gros feutres pastel, elle a décidé de faire une surprise à son chéri : juste passer un peu de temps avec lui pendant qu'il travaillerait. Non parce que, faut dire que c'est son excuse principale en ce moment, et vu que les examens approchent bientôt, il doit être plutôt stressé de pas pouvoir gérer tout ça correctement à cause des conséquences de cette fdijhgfghf d'Eclipse de sdghfgjdsJHQRBHFB… Du coup : elle fera ses croquis pour de prochains vêtements de son côté, et lui pourra bosser, et elle a même ramené un thermos de thé pour quand ils feront une pause et qu'ils voudront papoter ! C'est trop bien !!

Elle toque à la porte et offre un sourire gigantesque à Allen en lui montrant son matériel contenu dans son petit sac en tissu.

—Coucouuuu chéri !!! Tadaaam !! Je viens pour te soutenir - très silencieusement, comme toujours - pendant que tu révises !! J'ai même pris de quoi dessiner ET mes écouteurs pour pas être tentée de te parler quand tu travailleras…

Toute fière, elle sautille sur place. C'est encore difficile à cause de sa télépathie, mais elle veut faire un effort !!

Les phases de l'Eclipse s'enchaînaient : de Morphe, j'étais passé à Titan, puis à Télépathe. Comme prévu, je ne pouvais donc plus toucher Ariana, et puis après, je ne pouvais plus l'approcher, de peur qu'elle puisse entrer dans ma tête. Une super vie de couple, oui. J'étais maintenant Invisible, mais c'était Ariana qui était Télépathe, pour mon plus grand plaisir.

A cela, il fallait rajouter que mes examens approchaient, et c'était plutôt l'angoisse. Je vais pas mentir, je priais un peu chaque jour pour que l'épidémie du Coronavirus se répandent suffisamment pour toucher fortement le Japon et les forcer à déplacer les examens pour cause de professeurs et étudiants infectés. Parce que moi, pauvre Terraen que j'étais, j'avais du suivre la totalité d'un semestre à distance, et il fallait maintenant que je trouve le moyen de me rendre à l'université pour les examens... Ce qui était assez improbable, vu les restrictions de sortie.

Je pestai en relisant le dernier paragraphe que je venais de lire et tapai d'un coup de poing sur mon bureau, énervé. Je n'avais rien retenu, mes pensées étant bien trop troublées par tout ce qui semblait me tomber dessus en ce moment (défaitiste, vous avez dit ? dégage de là la psy, laisse-moi dans mon déni).

Quelques coups à la porte plus tard, un grand sourire sur les lèvres, Ariana me faisait face, armée de son bloc-note et de ses écouteurs et de sa... Télépathie.

Je refoulai une mine surprise et ignorai mon coeur qui se serrait. Comment j'allais pouvoir réviser en étant constamment concentré sur mes pensées ? Pas de problème Allen, respire, soit pas un monstre qui sous-entend que sa simple présence est un problème stp.

-Viens, entre, souris-je après m'être décalé pour la laisser entrer.

Je retournai à mon bureau et me remis au travail.

Woah, il a l'air un peu choqué d'la voir débarquer, héhé, aha, oups-… Aria lui fait un graaaand sourire mais est un peu perturbée par les quelques mots random qui se bousculent dans sa tête. Et comme il y a des gens dans les chambres d'à côté, c'est vraiment pas pratique d'avoir l'impression d'avoir trois personnes qui te parlent en même temps dans ton cerveau omg. Enfin bon. Elle sautille et va pour lui faire un câlin directement, mais il a l'air pressé de se remettre au boulot.

—Hééé, j'ai même pas droit à un câlin ?! se plaint-elle comme une enfant, la voix un peu plus aigue. Plus personne risque de casser personne, tout va bien !!

Hm, bon, on va mettre ça sur le dos de ses exams, c'est stressant des exams ; Aria se souvient quand elle en passait encore, POUAAAHHH, elle se liquéfiait de stress à chaque fois, trop l'angoisse !! Elle en oubliait presque de manger parfois !!

Un peu pris au dépourvu, je me sortais de mes ruminements pour tourner sur ma chaise de bureau et regarder Aria.

-Excuse-moi, j'suis vraiment désolé, j'ai...

Et ça recommence. Je me passai une main dans les cheveux, et me levai pour m'approcher d'elle et la prendre dans mes bras, déposant un baiser sur le sommet de son crâne avant de lui faire relever le menton pour l'embrasser pleinement. Je m'éloignai d'elle et m'installai à mon bureau.

-Les examens approchent, et je révise comme un taré, évidemment. Sauf que je sais toujours pas comment je vais pouvoir faire pour pouvoir les passer...

Le rêve ce serait d'accuser un nouveau changement de l'Eclipse pour que je passe téléporteur et que je puisse me rendre sur place ni vu ni connu, mais bon... L'Eclipse n'a pas trop été dans mon sens, d'une manière générale, depuis qu'elle est là.

La remarque a l'effet escompté : Allen se lève finalement pour lui faire un câlin et elle se jette dans ses bras pour lui en faire un très fort, toute contente comme un chiot à qui on fait la fête. Et elle a même son bisou !!! Parfait !!! Voilà une bonne façon de se mettre à travailler !! Le contact, cependant, accentue le flux d'information et Ariana a un peu de mal à distinguer pensées et paroles prononcées. Malheureusement, il s'éloigne aussi sec...

—Oh pas besoin d'être téléporteur !! Je pense qu'on pourrait en parler à Hideko pour la prochaine réunion des préfets ? Ce n'est pas juste, vous êtes beaucoup d'étudiants à attendre de passer vos examens... surtout si vous êtes accompagnés par un Master ; de toute manière c'est pas comme si le monde entier avait pas l'habitude que ça parte en vrille... puis : tu peux demander un blocage de pouvoirs avant de sortir !!

La petite ex-morphe-télépathe lui offre un grand sourire, toute contente d'avoir pu trouver une solution (pense-t-elle) à tout ce bazar.

Je sentis mon corps se tendre à l'entente des mots que prononça Ariana. La main qui tenait mon crayon disparut quelques secondes avant de redevenir visible. Un sourire un peu nerveux étira mes lèvres. Je déteste cette sensation. Je sais très bien qu'elle n'est pas responsable, et que je n'ai pas fait de meilleures performances qu'elle lorsque j'étais Télépathe, mais sentir que quelqu'un a accès à la moindre de tes pensées à toujours quelque chose de désagréable.

-C'est vrai, t'as pas tort, ça vaut le coup d'essayer... Mais je pense que ce ne sera pas si facile que ça, parce que même si on se fait retirer les pouvoirs, on n'est pas totalement sûr du temps que ça dure, ça pourrait revenir pendant l'examen, et de manière brutale...

J'essaie de me détendre mais ce n'est pas facile. Cette situation est vraiment trop anxiogène pour moi. Ce n'est pas parce que le monde entier est habitué à ce que ça parte en vrille que c'est "normal". Ces pouvoirs, cette puissance, ces capacités, rien de tout ça n'est normal. Et ça ne devrait pas devenir une habitude, que tout parte en vrille...

Ok, elle a fait une bourde. Il l'a pas dit à voix haute, génial. Le cœur battant, Aria va s'installer sur le lit et abandonne ses chaussons l'eau sol, se balançant d'avant en arrière tout en étant en tailleur pour faire passer sa nervosité. Elle se mordille la lèvre. Oué, ça aussi elle l'a entendu. Elle se dit qu'elle doit s'excuser, mais si elle fait comme si elle n'entendait pas ses pensées du tout, peut être que ça irait mieux ? Elle étire un sourire maladroit et remet une mèche de cheveux derrière son oreille :

—Oui mais on peut tenter, je veux dire... si on n'essaie pas, c'est sûr qu'on n'aura rien. Je suis sûre que ça se passera bien, et tu ne dois pas être le seul dans le même cas alors ça vaut le coup d'essayer de s'organiser ! Et puis, on a toujours des solutions mêmes quand c'est désespéré ! Le blocage des pouvoirs juste pour un examen, ça doit pouvoir se faire, ça fonctionne bien quand on est ici... Peut-être qu'il faut juste être un peu... optimiste ? ose-t-elle prononcer.

Ouh, pente glissante.

Un petit silence s'installa pendant qu'Ariana s'installait sur le lit. Le silence me paraissait pesant, et à juste titre : j'ai probablement encore fait un pas de travers... Cette obsession me rend fou.

J'essayai de relire pour la quatrième fois cette phrase dont je ne tire plus rien depuis qu'Ariana est là. Est-ce que c'est normal d'être stressé, comme ça ? Non. Non, mais si t'étais plus honnête, Allen, ça n'arriverait pas. Si t'avais pas la fâcheuse manie de croire que tu vas la blesser à chaque mot que tu dis, t'aurais simplement pu l'accueillir avec un sourire et lui dire que tu préférais travailler seul, pour pouvoir bien te concentrer sur ton travail sans penser à autre chose. Et t'aurais aussi pas autant peur de ce fichu pouvoir de Télépathie... Plus le temps passe, plus tu t'enfonces, et t'as visiblement pas prévu d'arrêter.

Colère, agacement, je ne sais pas trop, mais je me retins de donner un petit coup sur la table en entendant les paroles d'Aria. Plus optimiste...

-Nan mais tu as raison. J'essayerais d'évoquer l'idée, lors de la prochaine réunion. C'est une bonne idée, et puis si on propose des idées tout de suite, ce sera plus facile de considérer l'idée pour les Masters.

Même si je doute concrètement qu'ils aient du temps pour ça. J'me vois déjà ramener l'idée, alors que tous les masters sont en mission ici et là à gérer des gamins avec des pouvoirs, et une possible autre menace dont on n'a probablement pas encore entendu parler, parce que comme d'hab, on est trop lents à la détente. C'est sûr que les examens, ça passe en prio...
Optimisme, on a dit, Allen.

C'est amer. Il est amer. Elle ne le voit pas, mais elle peut l'entendre. Son cœur se serre pendant que les pensées d'Allen se déroulent dans sa tête. Il ne lui montre pas, tout ça. Il a ce visage un peu fatigué, mais pas fondamentalement désespéré. Elle en a presque le souffle coupé. Alors elle fait un sourire, un peu triste, un peu gêné.

—Hm... Tu sais, tu-

Elle se mord la lèvre, a un rire embêté. Pourquoi est-ce qu'il a tant peur de la blesser ...?

—Je sais que tu veux pas que je lise dans ta tête, mais- Si tu préfères être tout seul pour réviser, je peux juste... partir ? C'est pas grave, on peut se voir quand tu auras fini ?

Je sens la colère monter. Encore une fois. Encore une fois, t'as pas réussi à bloquer tes pensées Allen ! Tu peux pas faire un effort ?!
Il y a une raison, toute simple, pour laquelle j'ai toujours fait très attention à garder mes pensées bien au chaud pour moi : il y a un terrible écart entre ce qu'il se passe à l'intérieur de ma tête, et les mots qui s'échappent de mes lèvres.

Je plissai les yeux et serrai mon crayon dans ma main. Nier ? Ce ne serait pas un peu exagéré, peut-être ?

-Je... J'veux pas te blesser, articulai-je un peu difficilement, dans un murmure.

Je me ressaisis, et me tournai pour lui faire face, lui adressant un sourire un peu plus confiant.

-Tu peux rester, t'inquiète pas. C'est juste que j'ai quelques difficultés à me concentrer en ce moment, avec tout ce qu'il s'est passé, et ce qu'il se passe encore d'ailleurs...

Et on va commencer à compter mentalement, pour brouiller les pensées... Ca va pas tellement m'aider à réviser, mais c'est mieux que de vexer Aria, non ?

Le malaise est puissant. Aria arbore une mine d'abord confuse, puis inquiète. Elle ne comprend vraiment pas ce qu'il se passe. Elle a l'impression de l'entendre pester contre lui-même ; de râler parce qu'elle peut entendre ce qu'il se dit ; de... elle comprend pas bien. Et maintenant, il compte. Pourquoi est-ce qu'il ne lui dit pas la vérité ? Elle l'a entendu, tout à l'heure... mais peut être qu'elle a halluciné ? Que cela venait de quelqu'un d'autre ? Lol... aucune chance. L'émotion qui la traverse est indescriptible ; elle ne comprend vraiment pas. Pourquoi il a tant peur de la vexer que ça ..? Pourquoi il est pas honnête ? C'est-

—Mais ça me blesse pas si tu me dis que tu veux travailler seul, je- Je peux le comprendre ?

Sauf si c'est pas ça le problème ? De toute manière, encore une fois, Aria se sent de trop. Envahissante. Enfin, pour le moment, le seul truc envahissant, c'est les chiffres qui s'égrènent dans sa tête. Elle se pose une main contre le crâne, grimaçant. Elle a du mal à penser elle-même, avec tout ça.

—Pourquoi tu comptes comme ça dans ta tête ?...

Tu peux le comprendre, mais pourtant tu viens quand même, tu tentes quand même.
Ok, là c'est trop, arrête tes pensées Allen.

Les paroles d'Ariana me ramenèrent sur Terre. Je portais mon attention sur mes cours, essayant vainement de me remettre dedans. En bossant, ça ira mieux. Chaque chose en son temps, on avait vu ça avec la psy. Et pour le moment, l'important, c'est mes cours. Bon, bien sûr, ça c'est pas ce qu'on a vu avec la psy, c'est ce que moi j'ai décidé.

-C'est pas volontaire. Désolé.

Mensonge. C'est tellement pas volontaire que t'arrive même pas à garder le fil et que t'as perdu tes nombres depuis qu'elle t'a fait la réflexion.

-Tu le vis comment, la Télépathie, alors ?

Mieux que moi ? lol.

Malgré les pensées du reste du dortoir qui forment comme un brouhaha en arrière-plan, comme lorsqu'on se trouve dans une foule une peu bruyante, elle est capable de distinguer celles d'Allen, plus proches, plus vives, qui fusent.

"Tu peux le comprendre, mais pourtant tu viens quand même, tu tentes quand même."

Son cerveau s'arrête de fonctionner à ce moment-là. Elle n'entend presque plus le reste, n'entend plus qu'un ensemble de bruits informes qui prennent le pas dans sa tête. Même ses pensées ne se formulent plus, elle fixe juste Allen sans répondre, la bouche un peu ouverte, figée dans son mouvement. Il la regarde même pas, tout concentré qu'il est sur ses cours qu'il n'a pas l'air de vraiment lire, de toute manière.

Elle déglutit. Essaie vainement de ne pas se traiter d'inutile, de fille encombrante et collante.

"Ca y est Aria, t'as recommencé. Lui aussi, il te trouve chiante, en fait."
La constation lui donne envie de pleurer, mais elle se contient.

—Mieux que toi, oui. Mais ça n'a pas l'air difficile, arrive-t-elle à articuler.

Mieux que...

Mon crayon m'échappa des mains une bonne fois pour toute. Je m'arrêtai instantanément dans mon geste et me tournai pour regarder Aria sur mon lit. Il me suffit de croiser son regard pour comprendre. J'ouvris la bouche, en quête d'une réponse à lui apporter, mais rien ne sortit. Bravo Allen. C'est une victoire fulgurante. A force de ruminer tes pensées et à te concentrer sur des conneries, t'as fini par faire la seule chose que tu ne voulais pas faire.

-C'est pas ce que tu crois, Aria, c'est...

C'est quoi ? Ouais, c'est quoi, alors, Allen ? Et puis, après tout, qu'est-ce qu'elle a compris ? Même toi tu sais pas, alors arrête de jouer au grand.

-Tu veux pas me faire réciter mes cours ? J'ai fait une fiche ce matin sur un dossier que je dois connaître par coeur, je dois bien pouvoir trouver ça... articulai-je difficilement en commençant à fouiller parmi toutes les feuilles étalées sur mon bureau.

C'est pas ce qu'elle croit ? Qu'est-ce qu'elle croit, ou plutôt, qu'est-ce qu'elle devrait croire ? À part qu'elle dérange, qu'elle est de trop, qu'il n'est visiblement pas honnête avec elle,… Qu'est-ce qui n'est pas ce qu'elle croit ? Elle ne peut pas non plus essayer de s'extraire de ses pensées, et pourtant, là, tout de suite, elle essaie très fort. Si fort que ça lui fait mal à la tête ; son esprit cherche à tout prix à se connecter à quelqu'un, alors elle se fige sur des pensées qui vagabondent de l'autre côté du mur, tranquilles, tout en musique, et elle essaie de ne plus penser à autre chose qu'à ça. Mais c'est difficile, et les pensées d'Allen reviennent comme les visions qu'elle avait : sombres pop-up qu'elle n'arrive pas à enlever de son système.

Ariana baisse les yeux sur la couette et fait la moue. Elle ne comprend vraiment pas. Dans d'autres circonstances, elle aurait dit oui. Oui, bien sûr, je t'aide ! J'aimerais t'aider ! J'aimerais pouvoir t'aider, moi aussi, Allen…

—Pourquoi tu te forces alors que tu as pas envie ?