-Mais j'ai env-

Ma voix se bloqua dans ma gorge. J'arrêtai de retourner les papiers sur mon bureau, bloquai mon regard sur le mur. J'inspirai lentement, expirai, tentant probablement vainement de calmer les battements affolés de mon coeur. Pourquoi tu luttes, Allen ? Elle est Télépathe.

-J'y arrive pas. Je peux pas me concentrer quand tu es là Aria, je suis désolé.

J'ai envie d'envoyer valser tout ce qui se trouve sur mon bureau mais, une fois encore, je me retiens. J'ai envie de casser quelque chose mais hé, rappelons-le, tu es Allen, juste Allen, tu veux casser quoi, gros nigaud ?
Je crois surtout que ça fait un peu trop longtemps que ça dure, cette situation. Ca fait un peu trop longtemps que tu en as gros sur le coeur, et t'as rien fait pour améliorer ça, bien au contraire. C'est sûr qu'en la voyant le moins possible, et en jouant la carte du "on oublie les soucis" quand on se voit, tu vas réussir à te remettre en phase avec elle, hein.

-Je réviserai ce soir ! On peut aller se promener cet après-midi, tu en dis quoi ?

Pourquoi il ne la regarde même pas ? Est-ce qu'elle l'embête tant que ça ? Sa mâchoire se contracte un peu, elle se retient de pleurer. Peut-être qu'elle a mal interprété… Peut-être qu'il a raison, qu'il est juste fatigué, qu'il…

Ah. Les mots font un peu mal. Mais elle comprend. Elle comprend… Elle comprend, mais pourquoi est-ce qu'elle tente quand même ?…

Est-ce que c'est mal de vouloir être avec la personne qu'on aime, alors qu'on ne l'a pas vu depuis longtemps ? Alors qu'on ne se voit plus beaucoup ? Alors qu'on aimerait pouvoir, juste un peu, recréer du lien…?

—Désolée, dit-elle piteusement, lui offrant un pâle sourire. Je voulais pas te déranger.

En relevant les yeux vers lui, son esprit connecte à nouveau au sien ; elle entend, encore, des bribes… Des mots qui lui viennent, qui s'imposent. Elle ouvre la bouche pour parler, la referme. Gros sur le coeur ? De quoi il… parle ? Son coeur s'accélère, elle a soudain si mal au ventre qu'elle a envie de vomir. En me voyant le moins pos-…

Elle inspire. Son réflexe serait de dire "oui, bien sûr, allons nous promener". Mais il évite. Il évite soigneusement la question, et… Il lui cache des choses ? Qu'est-ce qu'il ne lui dit pas ? Qu'il ne veut plus la voir ? Qu'elle le dérange ? Qu'il ne l'aime plus ?…….

Rester calme, rester calme. Elle n'arrive pas à parler. À la place, c'est son pouvoir qui décide de la forcer à le faire :

Qu'est-ce que tu ne me dis pas ?

Elle déglutit.

—J'aimerais mieux qu'on parle... On peut se balader plus tard, chuchote-t-elle presque.

Mon coeur et mes poings se serrèrent. "Je voulais pas te déranger". Mais tu ne me déranges pas. Je crois ? Je ne sais plus tellement. J'ai mal et ça me donne envie de vomir. Pourquoi cette après-midi se passe aussi mal ? Je révisais, elle est venue pour bosser en même temps, qu'est-ce qu'il y a de pas bien là-dedans ? Pourquoi est-ce que je me suis mis dans cet état ? Parce qu'elle est Télépathe ?

Elle est Télépathe, et elle peut lire dans ma tête, c'est un fait. Mais pourquoi s'agiter, alors, Allen ? Est-ce que c'est si grave ? C'est pas si grave, dans le fond, non ? Pourquoi tu en fais tout une montagne ?

Je fermai les yeux. Sauf que le problème c'est que je veux pas qu'elle sache que je vais pas bien. Parce que c'était jamais le bon moment pour lui parler de mes problèmes, avant. Je sais que c'est ma faute, je sais qu'elle m'a posé la question "Et toi alors comment tu vas ?! Je t'embête avec mes histoires, désolée !!!" mais était-elle réellement prête pour s'occuper de moi et de mes problèmes ? Non. Non, bien sûr que non. Mais ça c'est ta réponse Allen, c'est toi qui a décidé de ça, c'est pas elle. C'est toi, tu as considéré qu'elle n'allait pas assez bien pour. Elle devait d'abord penser à elle, et tu l'aimes, évidemment que tu veux qu'elle pense à elle, tu veux être là pour elle, tu veux la soutenir ! Quelle question, tu veux qu'elle aille bien, qu'elle se concentre sur elle ; tu es qui pour l'importuner avec d'autres problèmes ? T'as déjà suffisamment de chance d'avoir une copine, alors va pas tout foutre en l'air s'il te plaît. Vois comme elle est là, comme elle vient toujours vers toi, vois l'affection qu'elle te porte ; comment pourrais-tu oser l'ennuyer avec ta misérable vie ? Elle se rendra compte de la supercherie un jour ou l'autre, mais autant laisser ça à plus tard ; elle verra que t'es rien de plus qu'un mec chiant, défaitiste et qui râle tout le temps, mais pour l'instant, tu peux bien être son prince charmant.

Alors ouais, ouais, t'as tout gardé, tout accumulé. Ca commençait avec pas grand chose, des petits détails "Oh, tu sais pas, l'autre jour en cours on a parlé de..." Ah bah non, ça on ne peut pas en parler. "C'est des vêtements de bébé ?" Haha, Allen, mais tu te fous de qui là ? Tu te rends pas compte du malaise que tu as amené ? Des détails, comme ça, ici et là, et puis ça finit par aller de plus en plus mal, parce qu'Ariana a touché le fond quand elle a perdu ses pouvoirs de Morphe, qu'elle a perdu le contact avec la réalité quand elle s'est perdue dans ses visions. Elle a passé des journées à pleurer, à essayer d'aller mieux, mais elle ne pouvait pas aller mieux, parce que ses pouvoirs continuaient à la tirer vers le bas. Et puis j'crois qu'elle a fini par se redresser, et moi j'étais Morphe. A quel moment, dîtes-moi, est-ce que j'aurais pu lui parler ? C'était déjà trop tard, bien trop tard, déjà trop ancré, et puis j'avais seulement mon rendez-vous chez le psychologue, tout ça n'était encore qu'inconscient.

Mais là. Terriblement là. Ne rien dire, la protéger, garder pour soi. Essayer d'être là, toujours vouloir lui faire plaisir, après tout, elle donne tellement pour moi ! Comment oserai-je ne pas lui rendre la monnaie de sa pièce ? Je dois faire des efforts, si je veux la garder près de moi. Avec un tempérament aussi nul à chier que le mien, évidemment que je dois faire des efforts pour elle, sinon elle va partir en courant, et comment pourrais-je lui en vouloir ? Elle aurait raison.

C'est peut-être de là que c'est parti. Faire des efforts, toujours plus d'efforts, tout faire pour que ça se passe bien. Chassez le naturel, il revient pas tant au galop que ça. Des efforts, et la perte progressive d'une attitude naturelle. Maintenant que j'ai commencé à agir comme ça avec elle, comment pourrais-je revenir en arrière ?

Oh, bien sûr, bien sûr, je n'ai pas toujours fait des efforts, n'exagérons pas ! Evidemment que j'ai été naturel, évidemment qu'elle sait qui je suis, mais il y a certaines fois, même si j'avais pas envie, j'ai fait l'effort. La séance photo, alors que j'avais merdé le coup avec les vêtements de bébé. Pourquoi, pourquoi est-ce que j'ai eu ce sentiment désagréable qu'il y avait tant de mots interdits ? Pourquoi j'ai cru que ma langue n'était faite que pour fourcher ? Combien de fois est-ce que c'est arrivé, déjà, avec Ariana ?

Mon diaphragme se comprima. Je rouvris les yeux, les sentant briller d'une étrange lueur, différente de celle de d'habitude ; la sensation n'était pas la même.

Pourquoi est-ce que c'est toujours si compliqué ? Pourquoi est-ce qu'il y a tant de sujets délicats à aborder ? Pourquoi est-ce qu'Ariana est si souvent triste, qu'est-ce qu'elle n'arrive pas à dépasser ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas suffisant, pourquoi est-ce que je ne suis pas capable de lui apporter la moindre chose ? Oh mais oui, Allen, tu vas la réconforter, tu vas essuyer quelques larmes le soir sur son visage ; mais le lendemain matin les larmes seront de retour, et tu ne peux pas te contenter de n'être qu'un mouchoir usagé dans cette histoire.

Mes tourments prirent fin quand je réalisai que mes mains avaient pris feu. J'eus immédiatement un mouvement de recul, de peur de brûler ce qui se trouvait sur mon bureau, ou le bureau lui-même.

Quand est-ce qu'Ariana a été véritablement heureuse et épanouie ? Quand est-ce que c'est arrivé ? Est-ce que c'était avec toi Allen ? Certainement pas. Avant toi ? Avant toi, probablement, en fait. Parce qu'après, il y a eu la disparition d'Hideko, et ses pouvoirs qui lui ont été pris. Ses pouvoirs, et ses amis qui ont été en danger ; Ariana s'est défendue. Et puis elle s'est remise, mais il y a eu Lola ? Et après, après Lola, il y a eu l'Eclipse. Et Lola, est-ce que c'est parti ? C'est pas vraiment parti, non. Et cette rage, à l'intérieur d'elle, c'est pas vraiment parti non plus, il faut voir comme elle a réagi quand je lui ai expliqué que je m'étais pris quelques coups sur le chemin du retour, après avoir croisé... Tiago, je crois que c'est son nom ? Alors, oui, non, vraiment, est-ce que t'as vraiment réussi à la rendre heureuse, Allen ? Non, bien sûr que non. Et une fois encore, tu merdes. Une fois encore, si c'est pas les mots, c'est les pensées qui font mal. Une fois encore, t'as pas fait ce qu'il fallait. Et une fois encore, je culpabiliserais...

Les flammes sur mes mains redoublent d'intensité. Je ne sais plus, je suis perdu. Ariana ne veut pas aller se promener, mais alors qu'est-ce qu'on va faire ? Parler ? Je ne sais pas parler. C'est bien de là que vient tout le problème. Alors quoi ? On va se regarder ? Mes poings se serrèrent davantage, je m'empêchai de donner un coup dans l'armoire à côté de moi. Des larmes de frustration commencèrent à s'inviter dans mes yeux, et leur simple présence me fit revenir sur Terre. Je secouai rapidement la tête pour me chasser ces mauvaises pensées. Mes mains reprirent leur allure habituelle.

Tu étais en colère Allen, ça se voyait. Mais ça allait finir par aller mieux. Tu suivais une thérapie ; ça allait forcément finir par aller mieux.

-De quoi tu veux parler ?

Aïe. Ca fait mal. Les doutes, les questions, les réponses, elle les entend tous ; et tous se mélangent dans son esprit, elle ne sait même pas si c'est elle qui pense ou si c'est dans la tête d'Allen. Son coeur bondit dans sa poitrine, elle reste silencieuse, il reste silencieux ; mais intérieurement, intérieurement… elle peut voir toute cette souffrance, tous ces mensonges qu'il a enterrés. "Etait-elle réellement prête pour s'occuper de moi et mes problèmes ? Non."

Le sol se dérobe sous ses pieds, elle a l'impression de tomber très loin, très vite, à toute vitesse. Il se dénigre, il ne lui fait pas confiance, il ne se fait pas confiance. À eux deux non plus.

Toutes les images, les détails qui lui reviennent, vivement, avec force, rapidement, balayant tout ce qui existe autour d'elle. Toutes les fois où il s'est contenu, où il s'est forcé. Pour elle. Il s'est forcé.

Elle tremble. Les yeux d'Allen sont rouges. Bientôt des flammes recouvrent ses mains, ses bras, et Ariana recule à demi, effrayée. Ses yeux aussi la brûlent, mais différemment. Elle a du mal à respirer, elle encaisse encore plus, les mots se font plus clairs… Elle ferme les yeux, secoue la tête.

Allen…
Allen…

Elle est à demi pliée. Visage crispé, dents serrées, yeux fermés très fort pour contenir les larmes qui lui viennent. La réalisation est difficile. Il fait encore comme si de rien n'était. Et le choc est immense. Toutes ces pensées qui se bousculent, ce moment infime de "faiblesse"… et puis à nouveau, plus rien n'existe. Il ne lui dit rien. Alors qu'il sait pertinemment qu'elle sait. C'est.

Pourquoi tu m'as jamais dit tout ça Allen ? Pourquoi tu me dis jamais quand tu vas pas bien ? Tu me fais pas confiance ? Tu-… Est-ce que je te fais tant souffrir que ça ? C'est de ma faute ?

Ariana lève deux yeux brillants vers lui, encore sous le choc. Incapable de parler. Les mots s'échappent de son esprit sans qu'elle ne les contrôle.

C'est de sa faute, s'il ne veut plus la voir. S'il va mal. Evidemment que c'est de sa faute... Elle aurait dû faire mieux. Elle aurait dû comprendre. Elle aurait dû voir.

Mais elle est égoïste et stupide. Alors elle ne peut le savoir, le comprendre que maintenant...
Et, c'est sûr, c'est sûr, il est déjà trop tard, pas vrai ?




HRP : J'ai marqué texto les pensées qu'elle a, mais en soi, elle doit envoyer grosso modo tout son monologue intérieur vers lui sans le comprendre, donc même c'qui est dans la narration il peut le percevoir, sur la fin, je pense :'x
g mal aled

Les pensées d'Ariana me tombèrent dessus avec une vive intensité qui eut l'effet d'une énorme baffe mentale. D'abord mon prénom. Puis cette plainte. Ce remord. Ces doutes. Ce dénigrement.

Je n'avais pas besoin de la regarder pour savoir. Tout défilait dans ma tête. Tout. Et surtout, une phrase résonna abruptement dans mon esprit. "Est-ce que je te fais tant souffrir ?"

Mon diaphragme se souleva avec difficulté alors que j'essayais d'articuler quelques mots. Elle ne m'avait pas répondu. Elle n'en avait pas besoin. Ses pensées le faisaient pour elle. Et je n'arrivais plus. Je ne pouvais plus bloquer les miennes. Ma vue se brouilla alors que je prenais conscience de ce qu'il se passait. Alors que je réalisais enfin.

Est-ce que tu m'as fait souffrir Ariana ?

Oui.

C'est douloureux. Je n'accusais pas très bien le choc. Je sentis les larmes qui commençaient à couler sur mes joues.

Mais ce n'est pas de ta faute. Ce n'est pas toi.

C'est moi. C'est moi, qui ne suis plus capable de supporter ça. C'est moi qui ne suis plus capable d'être là pour toi. C'est moi qui dysfonctionne. Moi qui ne suis pas à la hauteur.

C'est moi.

Parce que je n'ai pas été capable d'agir autrement. Parce que j'ai toujours eu ce réflexe d'enfiler cette carapace pour protéger les autres de moi.

Parce que j'ai replongé dans ces vieux schémas.

Et n'ai pas réussi à être honnête avec moi-même. Avec les autres.

Parce que j'ai fait le choix de te choisir toi plutôt que moi.

HRP : Les pensées en gras sont celles qui résonnent plus fortement dans la tête d'Allen, donc celles qu'Ariana perçoit avec le plus d'intensité, mais concrètement, elle entend tout le reste aussi, j'pense, à ce stade-là XD

Les pensées d'Allen s'entrechoquent avec les siennes. Elle a l'impression d'étouffer, comme si une main lui enserrait la gorge. Ariana relève la tête vers Allen, les joues mouillées de larmes, et observe celles qui coulent des yeux de celui qu'elle aime. Oui, oui, elle l'a fait souffrir. Elle ne savait pas. Elle ne pensait pas. Elle pensait qu'elle faisait au mieux, mais encore une fois, elle avait tout faux. Encore une fois, rien de ce qu'elle faisait n'allait. Ses yeux se plissent, se ferment presque ; c'est comme si elle n'en avait pas besoin pour voir ce qu'il se passait dans la pièce, parce qu'elle sait qu'Allen pleure, elle sait qu'Allen souffre, et elle sait que c'est entièrement de sa faute.

Il dit que ce n'est pas le cas. Qu'elle n'y est pour rien. Mais elle sait qu'il ment. Elle sait qu'il la protège encore. Peut-être qu'il ne l'a simplement pas compris. Mais elle le fait souffrir, et c'est de sa faute.

—Je voulais pas que tu me choisisses moi, sanglote-t-elle, tout en envoyant la même pensée, très fort, vers lui. Je voulais pas te faire du mal.

Mais elle en a fait. Elle a fait du mal à la personne qui compte le plus pour elle. C'est pour ça que tout le monde la fuit, l'ignore, ou finit par s'éloigner : parce qu'elle fait du mal aux autres, sans le vouloir. Sans le comprendre. Peut-être qu'elle n'écoute vraiment pas assez. Il faut qu'elle arrête de parler. Il faut qu'elle arrête de mettre les personnes qu'elle aime dans ses histoires. Il faut qu'elle arrête…

Lentement, elle se remet sur ses jambes vacillantes ; elle s'approche. Elle s'accroupit à côté d'Allen, aimerait prendre sa main, mais elle ne sait pas s'il la laissera faire. Elle pourrait pleurer à ses pieds, mais elle essaie de se montrer forte.

—S'il te plaît, dis-moi… dis-moi ce que je peux faire pour t'aider, balbutie-t-elle. Tu peux me dire les choses… Tu peux me parler… T'as toujours été à la hauteur pour moi… Je comprends pas...

Sa voix est faible, parfois les mots ne sortent pas mais résonnent dans leur tête.

—Moi j'vais bien, je peux tenir le coup, tu as pas besoin de toujours tout prendre sur toi, je-

Elle déglutit lorsqu'elle sent qu'elle panique un peu. Arrête de parler, Aria. Arrête.

Toutes ces pensées se mêlaient aux paroles qu'elle articulait. Je peinais à garder le contrôle de mon corps, qui ne demandait qu'à exploser, littéralement. Je serrai les poings, évitant toujours soigneusement de croiser son regard, restant de profil face à elle. Du coin de l'oeil, je la devinais en train de se lever, de s'approcher de moi, de... s'accroupir à côté de moi ? Mais qu'est-ce qu'elle fait ?

Mon estomac se tordit brutalement et je dus me faire violence pour ne pas envoyer mon poing contre le mur. Les mains tremblantes, j'écoutais ses mots qui me transperçaient. La douleur devenue insupportable, j'eus soudainement la sensation de ne plus rien sentir. Les couleurs de la pièce se ternirent tandis qu'Ariana affirmait qu'elle allait... bien.

Elle allait... bien.

Ces mots résonnèrent comme l'écho dans la montagne. Elle... allait bien. Alors pourquoi est-ce que tu n'avais pas l'impression que c'était le cas, Allen ?

Mon cerveau me porta le coup fatal en me rappelant les premières paroles qu'elle avait prononcées. "Je voulais pas que tu me choisisses moi". Tch. Ca fait mal ça, Allen, hein ? T'as vraiment une vision trop étrange de l'amour en fait. Tu dois arrêter de croire qu'aimer quelqu'un, c'est tout donner pour lui. Stupid boy.

-J'ai besoin de me retrouver.

Il ne la regarde pas. Ça fait un mal de chien. Allen... Allen s'il te plaît, regarde moi... Dis moi ce que je peux faire...

Les yeux remplis de larmes, Ariana fixe Allen sans comprendre. Elle cherche sa main de la sienne, le cœur en miettes.

—Te retrouver ?... Qu'est-ce que tu veux dire...

Je remontai une main vers mon t-shirt pour le serrer à l'emplacement de mon coeur. Mes yeux se fermèrent durement, et je ravalai difficilement ma salive, la gorge sèche. Ma main libre remonta vers mon visage et j'essuyai les larmes qui avaient coulé d'un revers de la main.

-Je ne suis...

Ma voix se bloqua dans ma gorge. J'inspirai, expirai lentement, essayant de trouver la force de poursuivre.

-Je ne suis pas capable de me faire passer avant toi. Je...

Je t'aime trop pour être capable de le faire.

Le voir comme ça la déchire. Sa main lui échappe, il se cache presque, il ne la regarde toujours pas. C'est ta faute, Aria. C'est vraiment de ta faute. Tu sais ce qu'il va te dire. Pourquoi tu l'acceptes pas ?

—Dis-moi ce que je dois faire, Allen, qu'est-ce qui- qu'est-ce qui t'aiderait ? J'aimerais t'aider, on peut-

On peut quoi ? Elle s'écarte un peu. La gorge douloureuse et le désespoir qui remplit ses yeux.

—À deux, on peut-...

On peut s'aider ? On peut s'épauler ? Je veux être là pour toi, Allen. Je te demande pas de me supporter comme un pilier. Moi je vais bien. Je peux aller mieux. Laisse-moi prendre soin de toi. Pourquoi tu me regardes même pas ? S'il te plaît Allen. Dis-moi ce que tu aimerais que je fasse...

Les mots ne sortent pas.

Les pensées d'Ariana m'atteignaient à certains moments. Une fois encore, ça faisait mal. Une fois encore, tu te ratais, Allen. Une fois encore... Bravo.

-Il faut que je prenne du temps pour moi.

Parce que je retomberai inévitablement dans le même cercle vicieux sinon. Parce que j'ai peut-être au moins le mérite de me connaître, et de réaliser, certes un peu tard, que j'ai un problème avec les relations humaines. Parce que lorsque je tiens trop à quelqu'un, je ne suis tout simplement plus capable de répondre de rien.

-Juste pour moi, insistai-je avec peine.

Parce que lorsque je tiens trop à quelqu'un, cet amour devient obsessionnel.

La gorge bloquée, le souffle court, Ariana le fixe sans comprendre. Incapable de fonctionner, incapable de comprendre où il veut en venir.

—Mais- mais on se voit déjà pas beaucoup, tu-… Tu veux qu'on se voie encore moins ?…

Elle comprend. Elle suffoque.

—Qu'on se voit... plus du tout… ?


HRP : j'ai jamais écrit un post aussi court qui fait AUSSI MAL-

C'était déjà suffisamment difficile, alors pourquoi, pourquoi me forcer à le dire ?

Je passai une main dans mes cheveux, la glissai sur mon visage.

Même si ce n'est qu'un peu, à partir du moment où je saurais que l'on se voit, cette idée hantera mes pensées. Comment réussirais-je à penser à moi alors ?

-Je suis malade Ariana. Je dois me faire soigner.

Est-ce que tu le comprends, ça, Ariana...?

Elle voudrait lui hurler que oui, elle comprend. Bien sûr qu'elle comprend qu'il doive prendre soin de lui. Qu'il doive se faire soigner. Qu'il doive être accompagné. Comme elle l'a été. Et quelque part, elle trouvait ses paroles injustes. Violentes, et injustes.

Comme si elle était trop stupide pour comprendre, alors que lui-même n'est pas capable d'être honnête. Alors que lui-même n'est pas capable de lui dire clairement ce qu'il se passe, qu'elle est obligée de deviner toute seule à la lueur de ce qu'il affiche sur son visage. Il est malade, et jamais elle ne l'empêcherait de se soigner. Elle aussi, lorsqu'elle était au plus mal, en avait besoin. Sauf qu'elle ne lui a pas tout mis sur le dos. Au fond, il la déteste juste. Il ne l'aime plus. Il ne l'aime plus, et le seul moyen qu'il a trouvé pour se débarrasser de la pauvre Ariana pot de colle, c'est en lui disant qu'elle est est un monstre et que tout est de sa faute. Que sa présence est un fardeau.

Il ne lui répond pas. Il la balaie juste.

Il la balaie juste de sa vie.

Poing serré, tête baissée, Ariana serre les dents. Elle tente de contenir tout ce qui lui fait mal, tout ce qui résonne dans sa tête, elle se retient de se recroqueviller au sol comme une enfant.

Qu'est-ce que vous voulez qu'elle réponde ? Elle s'inquiète pour lui. Elle aimerait pouvoir l'aider. Mais il n'a pas besoin d'elle… il… ne la veut pas… près de lui…

Elle se relève courageusement, le regarde. Visage défait, mâchoire tremblante pour retenir ses sanglots. Elle aurait fait n'importe quoi pour qu'il reste avec elle. N'importe quoi.

Mais pas lui faire encore plus de mal.
Je t'aime trop pour ça.

—Je t'obligerai pas à le dire, t'en fais pas.

Puis elle se détourne et va reprendre ses affaires sur le lit en tremblant. Un de ses feutres, le rose, tombe sur le sol, alors qu'elle fourre tout dans son sac. Elle s'apprête à sortir de la chambre et finit par se retourner vers lui. Difficilement.

—Prends soin de toi, Allen. Bon courage pour tes examens.

Puis elle sort en essayant de ne pas claquer la porte, les jambes flageolantes. Elle marche tout droit, jusqu'à l'extérieur du batiment, ignorant les personnes qui la croisent. Ils entendent tous dans leur tête un "Laissez-moi" qui tourne en boucle, de plus en plus fort, de plus en plus vif.



HRP :