Mucha tendit son bras vers la housse de sa basse pour ranger la demoiselle, les doigts et les atomes encore tout fourmillant des ondes musicales. Iel avait presque fini de composer ce morceau ; il faudrait quelques ajustages quand même, mais iel commençait à voir enfin la trame globale de sa partition s'achever, ce qui fait plaisir.
Iel remonte tranquillement la fermeture éclair de la protection en tissu rembourré, le flot de pensées petit à petit revenant calmement circuler dans sa tête.
Ziiip-

Un soudain bruit de monde qui éclate lea fit sursauter et suspendre son geste avant qu'il ne soit fini, suivi par un léger tremblement du sol. Les vitres de sa pièce s'agitèrent comme si elles cherchaient à prendre leur envol, mais heureusement, elles n'explosèrent pas.

Iel ne savait pas exactement pourquoi, mais le soudain changement d'atmosphère lui glaça le sang. Étaient-ce des Titans enragés qui s'amusaient à s'envoyer des morceaux d'immeuble dans le campus qui avaient provoqué un tel raffut ? Mucha n'aurait pas été étonné si ça avait été le cas, étant donné que malheureusement pour le soi-disant calme de Terrae (et les portes), son pote Senri s'était découvert des pouvoirs de Titan.
Cependant, iel sentit dans ses tripes que la réalité n'était pas une explication aussi enfantine et humoristique.
Il y eut quelques instants en suspension dans tout l'Institut, comme l'attente de proies terrifiées par l'orage que ce dernier apporte le cyclone signant leur fin.

En l'occurrence, ce n'est pas l'orage qui causa, mais les Masters. Le message résonna de la façon la plus rassurante possible, et Mucha l'assimila immédiatement, sentant l'adrénaline faire un violent tour dans ses veines, et avec, beaucoup d'inquiétude.

Christian. Don Quichotte.

Iel finit de fermer sa housse, la jeta sur ses épaules et se rua vers l'emplacement de dortoir où se trouve son frère, priant pour qu'il ait fait son geek à rester dans le noir avec la capuche de son sweat vert rabattue sur son visage, au lieu d'être sorti au Parc pour prendre des clichés.

Au moment où iel se jetait sur la porte de son frangin, celle-ci s'ouvrit en grand, et ce fut un immense soulagement qui envahit Mucha en voyant son bro' sain et sauf, à la portée de son bras de frèroeur protecteur. Qu'y voulez-vous, lui et leur cochon d'Inde Don Quichotte sont les derniers membres de leur famille restants, c'est un peu justifié qu'iel s'inquiète immédiatement s'il y a un potentiel taré qui s'amuse à faire péter l'entrée de Terrae ?? L'appareil photo de leur père autour de son cou, la sacoche de son pc sur une épaule, et le bestiau dans ses mains, Christian et son aîné se dirigèrent silencieusement vers la cafétéria, avec un affluement de plus en plus grand d'autres étudiants.

Mucha, depuis qu'iel avait retrouvé son petit frère, était moins angoissé, cependant, ce n'était pas le cas de certaines personnes qui fondaient en larmes sous la pression du stress. Cette pression qui commençait sérieusement à attaquer les épaules de lea bassiste malgré iel.
Quand la fille aux cheveux bleus (c'était elle qu'iel avait vu au concert non ?) et ses autres compères eurent fini leurs tirades rassurantes et réconfortantes, tous entourés par la décontractante odeur du thé et du chocolat chaud, une idée frappa Mucha avec l'impact de la foudre.

Et si...

Les Roongrey s'observèrent en même temps. Une idée de génie, et diaboliquement simple.
Après s'être accordés d'un air entendu, ils se dirigèrent tous deux d'un même pas déterminé vers le coin cuisine de la cafèt', se retroussant les manches. Mucha posa délicatement sa basse dans un creux à l'abri, enfila son mythique tablier kiwi qu'iel traîne toujours dans la poche de sa housse, sortit un foulard, et le noua d'un coup sec autour de ses cheveux.
Espérons que l'idée ne tombe pas comme un cheveu dans la soupe.

Avec des mouvements presque martiaux, iel, avec l'aide de son frère, sortit et posa sur le plan de travail tout le nécessaire, dont un immense saladier. Fallait voir très large, comme s'ils se trouvaient à l'armée. Et alors !! Le travail commença. Mucha se saisit de son expérience de son stage en pâtisserie, et...

Certains auraient pu affirmer plus tard qu'on aurait vu des flammes ardentes se dégager de son aura à ce moment. Avec une rapidité, une efficacité, et une énergie exemplaire, tout s'enchaînait : crac, les œufs ; la farine avec des mares laiteuses, poudre sucrée et pincée de bicarbonate, la douceur de l'huile et le pimpant d'un grain de sel, et avec tout cela, le fouet infernal et impitoyable qui battait le tout avec une volonté et un désir méticuleusement professionnel de vouloir faire excellemment, sans parler de la poigne de fer qui dirigeait toutes les opérations sous l’œil brûlant de l'indigo. La température de la pièce avait tout d'un coup grimpé avec la brutalité d'un feu de forêt, enveloppant toute la salle, tandis que de doux embruns de vanille et de cannelle se mêlaient aux décoctions chocolatées et herbées de la plupart des gens.

-Christian, prépare-toi !
-Oui, chef !

Poêle sur le feu, c'était parti.

-CRÊPES GRATIS ! AU BEURRE, AU SUCRE, AU CARAMEL, À LA CONFITURE, AU MIEL, AU NUTELLA, À LA BÉCHAMEL ET AUX ÉPINARDS, SERVEZ-VOUS CALMEMENT, Y'EN A POUR TOUT L'MONDE !

Tout allait vite, très très vite. On voyait à peine la poêle bouger et les crêpes sautaient à la chaîne, tombant pile poil dans les assiettes en carton assemblées autour des garnitures préparées par Roongrey frère. La fragrance qui s'en dégageait était pour ainsi dire irrésistible.
Quoi de mieux, quand on est stressés et en train de chialer, que des crêpes pour se remonter le moral ?!! C'est pas la fin du monde enfin !! Y'a un gars qui a fait du boom certes, mais lui, il sait pas à quel point Terrae peut faire BOOOOOOM dans la gueule des méchants ! La force de Terrae réside en celle de ses membres et de leur solidarité indestructible !!

Chacun aide à son échelle, selon ce qu'il peut faire. En attendant que les Masters règlent tout le tintouin en mode super-héros, pas question de rester à se tourner les pouces en tremblotant. Il faut réagir pour que chacun retrouve la force en soi de ne pas se laisser abattre, et d'être prêt à réagir à n'importe quoi !...
... Même à des Chandeleurs sur le tard.

Il ne faut pas mollir, ah çà non.
Les piles de crêpes descendaient à une vitesse incroyable, et bientôt, il risquait de manquer de garnitures. C'était un boulot si éreintant et si énergique, que même Chuck Norris laisserait une goutte de sueur s'évader de son front.
J'ai envie de dire que ce n'était pas le cas pour Mucha, mais iel était en nages, et son visage était si rouge qu'on aurait pu lea prendre pour un schtrompf retouché sur Photoshop.
Pourtant, non, iel ne ressentait pas la fatigue, et ressentait une immense satisfaction à voir les gens s'empiffrer ; tant que y'a l'appétit qui va, tout va bien. Il s'agit de dés-électrifier un peu l'atmosphère quoi.

Alors, Mucha redoubla d'ardeur, sautant les crêpes à la chaîne comme s'iel se battait avec un vrai démon, des flammes brûlant au fond de ses prunelles. DETERRRRRRRRRRRRRRRRRMINATIOOOOOOOOOOOOOOONNNNNN !!!!!!!! pawer.

Et alors, son coin d'oeil (c'est toujours important les coins d'oeil) repéra quelque chose (c'est aussi important, les quelques choses, surtout dans un récit). Ou plutôt, un regard. Et un môme. Un môme dont le visage, à la vision de son jouet pulvérisé, devint d'abord vide (y faut le temps qu'ils se connectent les p'tits neurones). Et puis, quand le circuit neuronal fit parvenir l'information à son cerveau de gosse, il y eut comme cet instant, vous savez, où vous pensez qu'il ne va rien se passer, qu'une part de vous aperçoit un vague espoir que vos oreilles ne vont pas se déchirer sous l'éclat de cris abominables.

Mucha, s'iel avait été en face du môme, lui aurait foutu la main sur la bouche pour épargner ses oreilles de musicien. Cependant, iel était aux fourneaux. Ah bah oui. Mais, le plus embêtant, c'était le regard du Destructeur de Jouets et d'Enfances Professionnel, qui ne présageait ni rien de bon, ni beaucoup de patience. Il fallait réagir, et vite, si personne ne voulait assister à un massacre d'enfants gratis.

-Christian !!  , fit l'allégorie de la détermination enflammée à son frère qui se déchaînait avec les assiettes cartonnées.
-5 SUR 5 !!!!

Roongrey le cadet, arma sa main d'une crêpe gavée de nutella, et une autre de sucre, et par sa nouvelle force de Titan, avec une précision presque mathématique, il lança les missiles un par un.
Bon, le premier s'étala sur la meuf aux cheveux bleus. Mais Christian avait prévu le coup si jamais il se foirait !!
LE DEUXIÈME ENTRA EN PLEIN DANS LA BOUCHE DE L'ENFANT, qui commençait déjà à s'ouvrir pour faire partager à toute la salle un aperçu de ce à quoi ressemblent les chorales en enfer. La symphonie pour decédance tymponale fut coupée court, et l'enfant se mit à mâchouiller machinalement la nourriture tombée du ciel.... puis la dévora façon monstre aux dents acérées, et s'en fut ailleurs dans la salle.
Fiou. Apocalypse évitée.

Mucha fit une pose à la Gaï-Sensei à celui qui a failli devenir un trucideur d'enfant, le sourire étincelant de la victoire aveuglant les gens à moins d'un mètre d'iel.
Les gardiens Roongrey de la paix étaient sur le terrain, et rien n’obturerait leur chemin !!!

Sauf, que, détail, mais, euh... Du nutella a quand même agressé gratuitement quelqu'un sans aucune raison.