Je fronce les sourcils en l'entendant jurer, froncement qui se change vite en étonnement lorsque je vois du sang perler au coin de sa lèvre supérieure. A ce point ? Elle veut vraiment me tuer et garder ses informations secrètes au point de s'auto-bouffer ? Outre le fait que cela picote ma curiosité encore davantage, une légère pointe de fierté se manifeste à son tour. J'ai trouvé un bon élément, elle possède la clé du problème. Il ne reste qu'à lui arracher!

Je regrette cependant bien vite mon orgueil car, indistinctement, mon contrôle s'est relâché; et évidemment, elle en profite. Un claquement sourd retentit suivit bientôt par un cri de douleur. Pris de sursaut, je baisse les yeux pour constater, avec perplexité, qu'elle s'est tiré dessus. Décidément, entre la langue et ça... Je commence à me dire qu'ils l'ont trouvé dans les sex-shop coin sado-masochiste celle-là... La suite est moins jolie à voir en revanche. Je ne peux faire que trois pas avant qu'elle chope une des gamines du troupeau, qui continue de brailler.

-Connasse.... sifflè-je entre mes dents.

Je ne peux rien faire, rien qui ne blesserait pas la gamine. Elle le sait. Ses yeux montrent qu'elle sait ce qu'elle fait, elle mise sur ma gentillesse. La mâchoire et les poings serrés, j'essaie d'évaluer rapidement mes options lorsque deux évènements se produisent. le premier, j'entends le spas de Abe et Erika qui se précipitent vers la cabane. Le deuxième, elle jette l'enfant dans ma direction et, alors que je me prépare à l'attraper, lui tire dessus. Dans la jambe. Mes yeux s'agrandissent d'effroi, je lâche un juron -qui j'espère sera oublié par les gosses- et me précipite sur la gamine alors que la mégère s'enfuit.

C'est définitif: elle, je ne l'aime pas. Du tout.

-Erika! Abe! Magnez-vous le cul, bon sang! criè-je alors qu'ils entraient dans la cabane. Elle a été blessée, par balle. La jambe. Je vous la laisse, je dois rattraper la meuf qui a fait ça!

Je me lève mais me retourne une dernière fois, pas très rassuré. Mes deux compagnons me font un signe rassurant, je hoche la tête et fonce à toute allure par l'endroit où elle est sortie. Elle a une balle dans le pied, elle n'a pas pu aller bien loin. C'est le moment de montrer tous ses talents de sportif. Si seulement je pouvais envoyer ça à l'université... Une fois dans la forêt, je tends l'oreille pour faire appel à l'ouïe surdimensionnée des sonores. Passons le moment où le cri de certains animaux nocturnes me vrillent les tympans, je finis par capter ses grognements de douleur, pas loin sur ma gauche. Je fonce à toute allure, sans même utiliser l'air. C'est inutile ici et j'aurai besoin de mon énergie pour l'envoûter à nouveau après. Foutu pouvoir d'air! Qu'est-ce que je ne donnerais pas être eau à présent!

J'aperçois soudain sa silhouette devant moi. Ni une, ni deux, je lui balance une masse d'air dans le dos pour la faire tomber. Je me précipite alors sur elle, écrase la main qui tient de flingue d'un pied, et l'attrape, non sans dégoût, d'une main. Je me laisse ensuite tomber sur elle, à la manière d'un catcheur pour l'immobiliser, me rapprochant le près possible de son oreille pour mettre un maximum de chance de mon côté.

- Arrête de te débattre!

Mes yeux virent au gris -ce qui doit être, vu ma couleur de cheveux, profondément moche- alors que je lui intime cet ordre. Je suis crevé, je commence à en avoir assez de courir après tout le monde dans tous les sens, plus, elle a déjà échappé à mon contrôle. Cette fois, j'y vais donc à fond.

-Je répète mes questions, la vieille : Qui êtes-vous et qu'est-ce que vous faîtes ici ?

Le souffle saccadé, un goût infect de fer dans la bouche, elle essayait d'aller le plus vite possible pour échapper à ces maudits Terraens qu'elle détestait plus que tout. Il fallait toujours qu'ils soient là où on n'avait pas besoin d'eux !

Elle pensait s'en être sortie. Elle le pensait vraiment. Sauf que malheureusement, les choses ne se passaient jamais comme cela devait se passer lorsque ces personnes-là étaient dans les environs. Alors qu'elle se prenait une bourrasque d'air qui la fit tomber sur le sol, elle songea un instant à son partenaire et à l'enfant qu'il avait emmené avec elle. Est-ce qu'ils avaient réussi à s'en sortir ? Est-ce qu'il allait au moins pouvoir rapporter ce futur sujet d'expérience intact ?

Le garçon l'immobilisa et elle pesta. Ce gosse avait vraiment laissé ces enfants seuls ? Avec cette fille blessée ? Et on osait les critiquer, eux... Terrae était-elle vraiment meilleure ? Pff.

Avec un peu de chance, les membres de son équipe étaient revenus, ce qui validait l'hypothèse selon laquelle son coéquipier à elle avait réussi à s'en tirer. A moins qu'il ne soit mort, et que l'enfant leur ait été volé.

Dans sa tête, la voix de ce vaurien se remit à résonner avec violence, et dans une douleur aigüe, sa langue se mouva entre ses dents, claquant dans son palais.

-Le Centre... Les enfants...

L'instant d'après, un choc électrique provenant de la puce qui lui avait été apposée dans la nuque lui arracha la vie. Sa dernière pensée s'envola dans l'obscurité de la nuit. Elle avait essayé de sauver sa vie, mais avait échoué.

Une sensation de brique qui tombe au fond de mon estomac tord mes entrailles à ce seul mot : Le Centre. Une bouffée de colère me prend. Eux, encore, encore et toujours eux. Ils n'arrêteront donc jamais ? N'a-t-on pas déjà assez entendu parler d'eux ? En même temps, une autre bouffée de colère me prend, contre moi cette fois. J'aurai dû m'en douter. Une histoire d'enfants qui disparait... Ca ne pouvait mener qu'au Centre, évidemment. J'ai été stupide de ne pas y avoir pensé aussitôt.

Alors que je m'apprête à passer ma rage sur la suppôt de Satan pour lui faire cracher d'autres infos, elle se raidit et s'effondre, d'un seul coup, comme foudroyée sur place. Mes neurones se connectent plus vite cette fois. Mécanisme de suppression automatique... Ben voyons. Pour le coup, être le type de voyant qui parle aux morts pourraient être sacrément utile. Je me redresse malgré tout et rejoins lentement mes compagnons. Nous avons échoué. J'ai échoué. Son compagnon s'est enfui avec un gosse, elle, elle s'est tuée sans nous donner plus d'infos. Echec total.

Un vaste regard me tire malgré tout un léger sourire lorsque je parviens au repère. Peut-être pas si perdu...

-Comment va-t-elle ? demandé-je à mes coéquipiers.

Sa jambe est dans un sale état. Ils l'ont visiblement bandée comme ils pouvaient, faisant un plutôt bon travail.

-On retourne immédiatement à l'orphelinat. Elle a besoin de soin et nous... on a besoin d'un coup de pouce.

Pas question d'abandonner maintenant, encore moins sans se battre. A toute vitesse, transportant la gamine sur mon dos et le gamin tenant les mains de Abe et Erika, nous rentrons, non sans difficultés avec cette obscurité, à notre point de départ. L'une des responsables nous attend devant la porte, elle s'était visiblement postée ici, incapable de se rendormir, pour accueillir les enfants que nous pourrions retrouver.

Elle laisse échapper un râle de surprise, mêlé au choc de découvrir une des enfants mutilée. Je fais glisser cette dernière, évanouie, dans ses bras, demande aux deux autres d'emmener l'enfant à sa suite tandis qu'elle va prévenir les secours sûrement. Moi, j'ai une autre idée en tête. La même qui m'a permis de savoir la tournure des évènements ce soir. Je ne peux pas savoir où l'homme s'est enfui avec notre sale gosse, mais quelqu'un ici à le pouvoir de le savoir. Un pouvoir que je peux dérober à mon tour...

Silencieux comme une ombre, je retourne dans la chambre des garçons et, à son énergie, repère le marmot qui se prend pour un voyant. Du bout du doigt, je touche son épaule et active ma greffe, lui prenant son pouvoir pour une minute. Je m'assure que la sensation bizarre de l'échange ne le réveille pas. Niquel.

-Merci... Emil, chuchoté-je.

Quoi? Je ne me souviens pas de son nom, c'est plutôt sympa de ma part de lui en donner un de rechange.
Blague à part, je m'éloigne sur la pointe des pieds et retourne dans le couloir. Je chasse mon inquiétude concernant la gamine et l'autre gosse. Ils sont entre de bonnes mains. Inspirant un grand coup, je me projette dans le présent actuel pour retrouver la petite teigne et son mentor.

-Où êtes-vous... Où êtes vous ... ? marmonné-je

Une sensation familière me gagne. Je les ai trouvés.

L'armoire à glace, Helsio, déposa enfin l'enfant sur le sol et lui adressa un joli sourire, s'accroupissant en face de lui. Il passa ses doigts sous ses yeux pour essuyer ses larmes qui perlaient encore, et prit enfin la parole.

-Ne t'inquiète pas Paulo. On va partir d'ici, tous les deux. Aucun mal ne te sera fait, d'accord ? Je me chargerai de toi.

Maladroitement, il passa une main sur sa nuque, grimaçant légèrement avant de retrouver un visage doux en direction de l'enfant.
Il vida ses poches de son téléphone, ses boîtiers noirs et autre, et enterra le tout à quelques mètres d'eux, puis revint vers Paulo pour lui tendre sa main.

-Allez, viens. Pardon d'ici, quittons cet endroit. Moi, je resterai avec toi. Personne ne pourra te faire de mal, d'accord ?

Machinalement, mais aussi rassuré, le petit hocha la tête et attrapa la main de son nouveau tuteur. Il lui faisait confiance. Il était grand et fort. Il savait qu'il saurait s'occuper de lui. Et lui, justement, il ne voulait pas retourner à l'Orphelinat. Alors il était heureux. Il allait commencer une nouvelle vie, avec la seule personne en qui il avait confiance...

Ils quittèrent la forêt, et la vision s'arrêta.