Invisible.
Aux yeux des autres, à mes propres yeux, j'erre.
Quand le ciel est bleu je ne sais que me cacher sous terre
Quand la nuit sort je suis toujours et éternellement ce nuisible
Je suis son reflet, je suis un écho, qui pourra dire qui je suis si je disparais
J'en meurs d'envie, je meurs d'envie, la colère monte en moi comme une vague à quai
Je suis invisible.

J'ai fait mon taff, j'ai rangé mes dossiers, je sens qu'on est pas loin, qu'on approche.
Des fois je regarde mes geste et je me dis qu'ils ont quelque chose de nouveau et d'automatique à la fois, je me dis qu'ils me manqueront quand je serai en prison. Je n'ai pas à ce point l'illusion que je ne me ferai pas prendre, je pourrais signer que ça ne changerait pas grand chose. Est ce que je dois dire que je regrette ? Je ne sais pas. Organiser une chasse à l'homme, c'était intéressant. Amusant. Est ce que Terrae va me manquer ? Comme jamais. Mais je n'ai pas le temps d'y penser. J'ai bien l'intention d'en profiter jusqu'à la dernière minute.

Il est à peine 6h du matin, mais les premiers élèves ne vont pas tarder à arriver.
Alors je quitte la salle des Masters, entière invisible. Je profite des couloirs silencieux, de cette paix qui règne quand personne ne regarde. Je profite du fait que même le silence ne peut pas me voir. Comme si j'étais en train de surprendre le lieu à exister tout seul, quand personne n'est là pour le regarder. Que j'ai de la chance d'en profiter, mais que c'est tout aussi bien de ne pas être dans ce monde là, tout simplement. Dans mon paradis, il n'y aurait personne. Pas même moi.

Je glisse en silence le long des murs, je monte des escaliers, croisant quelques personnes, elles ne me croisent pas vraiment. Certaines sentent ma présence, d'autres un simple courant d'air. Je n'existe pas, nous n'existons plus. Ce pouvoir a dû te causer tellement de problèmes... Mais je comprends. Au final, il te correspondait bien. Un ardent désir de monter, de te déchaîner, couplé à l'honteuse envie de disparaître. On se ressemble pas mal, au final.

Je bifurque pour entrer dans le couloir des eaux et- il y a quelqu'un devant ma porte.

Invisible.
S'il y a des choses que je fuis, je les fuis mieux,
Peut-être que je devrais juste arrêter et faire face à ce qui me fait peur
Au miroir qui me dira où je vais- qui sait où il va, qui sait ce qu'il veut
Je suis toujours aussi paumé, mais je sais que je ne veux pas de cette terreur
Je veux rester invisible.

Elle l'a su dès qu'elle a découvert ses nouveaux pouvoirs. Alice savait qu'elle le ferait. En se réveillant Voyante, Alice avait eu la vague impression de retrouver un semblant de ses pouvoirs psychiques. C'était différent, une autre façon d'appréhender, mais elle se sentait glisser vers ses visions bien plus facilement que lorsqu'elle se transformait durant sa période Morphe par exemple. Les visions ne sont pas toujours joyeuses, mais Alice tient bon. Elle voit des choses peu agréables, des choses qui lui confirment beaucoup de ce qu'elle savait par les autres. Mais le voir, ce n'est jamais pareil. Elle se sent un peu mal peut être, d'avoir l'impression d'être encore plus intrusive dans la vie des gens.

Elle n'avait pas d'avis sur la Voyance, c'était difficile mais acceptable. L'Eau en revanche lui faisait du bien, elle était heureuse de retrouver cet élément qu'elle avait appris à gérer avec Ariana, qui avec beaucoup de bienveillance, lui avait transmis cet amour pour l'Eau. Pourtant, c'était un cristal de Voyance qu'elle voulait fabriquer. 4 jours. Elle y avait passé du temps, donné beaucoup d'énergie. Concentrée, en tailleur sur son lit, les mains jointes, elle avait fait naître un tout petit cristal, l'avait fait pousser comme elle le faisait avec les plantes, avec patience, attention et affection. Le cristal a grandi, et elle l'a formé. Elle l'a formé en tout point identique à celui accroché à son porte-clefs. Une petite pyramide. Elle est seulement plus grande, grâce à ses pouvoirs d'Etoile. Elle en refera, les réserves en ont bien besoin. Mais celui-ci est particulier. Le cinquième jour, Alice est allée à l'atelier de couture demander à emprunter la machine à coudre. Elle y a confectionné une petite sacoche tout juste pour contenir le cristal. Loin d'être précis et professionnel, Alice s'en est piqué les doigts. Tout ça pour un joli "H".

Il est très tôt, le sixième jour. Il y a peu de gens dans les couloirs. La journée va être douce, Alice a revêtu une jolie robe jaune. Elle descend d'un étage, se dirige vers sa chambre. Elle s'arrête devant la porte. Elle sent la vision arrivée, légère, par trop envahissante. Noël, Merci pour tout. Elle ne l'avait pas abandonné. Houston lui manquait terriblement. Elle ne l'avait pas abandonné. Elle le laisserait revenir à sa guise. Elle n'allait pas le forcer. Cela la blesserait aussi probablement, dans sa fierté. Mais elle ne l'avait pas abandonné.

Elle glisse le petit noeud de la pochette à la poignée. Silencieusement, doucement. Sa main retombe le long de son corps. Est-ce qu'il est là ? Est-ce qu'il va bien ? Est-ce qu'il se sent mieux ? Est-ce qu'il est heureux ? Est-ce qu'elle lui manque un peu ? La vision se glisse en elle de nouveau. Elle est sur un écran. Elle marche tranquillement dans un couloir de Terrae. Houston reste quelques secondes à regarder l'écran, puis tourne la tête, et reprend son travail. Il ne regardera plus l'écran pour un moment.

Elle se mord la lèvre. Elle espère que ça lui fera plaisir. Qu'il se rappellera que lui aussi, il peut venir à sa porte pour demander de l'aide. Ou juste, pour discuter. Boire une limonade. Alice rabat ses cheveux derrière ses oreilles, et s'en va d'où elle est venue. Elle ralentit. Elle s'arrête.

C'est difficile, pas vrai ? Elle reprend sa marche vers les escaliers. Elle ne l'abandonnera jamais.

Il y a Alice dans le couloir.
Il y a des réminiscences de souvenirs qui remontent, et je leur fait blocage. C'était moi le premier arrivé, la dernière fois. C'est drôle, qu'est ce qu'ils ont tous avec cette foutue chambre. Je la déteste tellement. J'ai préféré habiter dans celle d'Ariana, même si ça n'a pas duré longtemps. Je serre les dents tandis que mon corps est toujours invisible, ailleurs. Je me suis figé au milieu du couloir, je la regarde juste.

Je la regarde hésitante. Je la regarde si... Incertaine et en même temps si certaine, si vraie, si... Alice. Ma psy m'a souvent dit qu'elle ne pouvait pas être parfaite. Elle a tort, Alice est parfaite. C'est moi qui suis nul. Mais je ne supporte pas toujours la perfection. J'ai Alice, jeune fille de huit ans de moins que moi qui a mieux compris le monde que moi, devant ma porte. J'ai Alice qui m'apporte un cadeau, qui veut qu'on se parle, que je lui demande pardon -parce que c'est moi qui ait coupé les ponts, même si c'est elle qui est partie la première-, j'ai Alice qui ravale sans cesse sa fierté pour aider les autres et accepter mais...

Je suis incapable de faire ça. D'être ce genre de personne, ça c'est évident, mais même... D'accepter ce genre de personnes. Il a fallu du temps avant que ces questions ne remontent à la surface de mon cerveau, mais il y a une raison pour laquelle je ne veux pas voir Alice. Elle pourrait me faire changer d'avis, oui, comme toujours. Mais elle est parfaite, elle pourrait tout faire. Non, la raison c'est que je ne veux pas de cette perfection. Je veux avoir le droit de me venger. Je veux qu'on me laisse être un connard si je veux, je ne veux pas savoir qu'elle a pardonné à Senri ou à Tiago, parce que moi non. Parce que Senri est venu ici. Parce que je n'arrive pas à me sentir mal pour ce que j'ai dis, c'est la vérité de mes propos mêmes qui m'ont fait mal.

Je m'accroche à tout ça.
Je suis figé sur place, j'ai envie de l'approcher. Je reste sans bouger, sans rien faire, alors que quelque part je voudrais aller la voir. Mais c'est trop tôt. Ça ne peut pas bien se passer. Parce qu'aucun de nous deux n'a changé de position. Alors je serre juste mon esprit, je le vide, j'attends que ça passe. J'attends qu'elle accroche son cadeau à la porte. J'attends qu'elle fasse demi-tour. Je m'écarte en silence quand elle me croise. Je n'ai plus tellement l'impression de faire parti d'un monde invisible là, j'ai l'impression qu'elle peut tout à fait me voir. J'avance. Vers cette putain de porte de cette chambre de merde.

Je m'arrête. Je regarde. Un petit sac, cousu main, une lettre. Un cadeau. Mes dents viennent serrer mes lèvres alors que je saisis le petit objet. C'est... Alice, tu es tellement jeune. Il n'est pas question d'âge, il est plutôt question de... D'expérience. Je suis beaucoup beaucoup trop vieux pour ce monde. J'ouvre doucement le paquet. Je sais que je ne devrais pas, pas à l'extérieur. Mais je-

Mon cœur rate un battement.
Ce cristal. C'est le même. C'est... J'ai conscience que ce n'est pas le mien mais- merde- C'est une torture. La forme bleue pulse entre mes doigts alors que je la regarde, avec fascination et terreur. Un frisson me prend tout entier. Evidemment. Pleins de questions se bousculent dans ma tête et- j'arrive pas à aligner deux pensées au clair. Fébrile, j'ouvre la porte de ma chambre. J'entre. Je ferme la porte, les yeux toujours fixés sur le cristal. Je comprends pas. C'est. Un cadeau ? Le paiement d'une dette ? Un pas vers moi ? Je sens mes yeux me piquer et je serre l'objet entre mes deux mains, repliant mes genoux contre mon corps. Je suis tenté de m'en servir tout de suite, de laisser son pouvoir me libérer un peu. De laisser la voyance parcourir mes veines, celles du passé et de l'avenir. Je voudrais hurler "montre moi quelque chose de bien".

Mais je résiste.
Je suis désolé Alice. Je ne peux pas être aussi parfait que toi, je refuse de faire l'effort de juste pardonner. Je suis désolé, ton cadeau est magnifique, il est renversant. Je suis désolé, mais je vais m'en servir pour mieux être imparfait.