Ne pleure pas, Pricie savait que son père ne voulait pas de ses larmes et pourtant celles- ci coulaient en gros sanglots. Elle laissa la main de l'infirmière caresser ses cheveux. Elle sanglotait sans pouvoir s'arrêter. Elle avait la gorge serrée et un peu mal au ventre en raison de l'angoisse. Cette angoisse qui arrive et qui vous prend tout. Elle revoyait son père fondre sous les flammes juste devant elle, la peau se décoller, la chair se calciner.

C'était un cauchemar, juste un cauchemar.

Pricie tremblait sous l'angoisse, un cauchemar, juste un cauchemar. Elle ne pouvait pas être là, elle ne pouvait pas avoir perdu son père, elle ne pouvait pas avoir dû participer à cet attentat qui a blessé tant de gens. Elle ne pouvait pas être ici à Terrae où sa maman aurait dû être si le monde tournait rond, elle ne pouvait pas avoir tant souffert.

« Je me sens si seule. Et bien sûr que c'est de ma faute j'ai treize ans pas deux, je sais prendre des décisions ! » hoqueta Pricie entre ses larmes. Et ce même si elle ne se rendait pas compte qu'on lui avait assenée sans cesse des croyances malgré elle. « Papa a fondu, il... sa chair elle devenait noire comme l'encre. Je suis à Terrae avec plein de gens mais... »

« Même si cela change quelque chose pour vous, je suis sûre que pour d'autres ça ne change rien. Pour d'autres ce ne sera pas un Merci mais un crachat à la tête que j'aurai ! » ragea Pricie en essuyant ses larmes. «  Et vous savez le pire ? Le pire c'est qu'ils auront raison d'agir ici ! »

Elle déglutit : «  J'avais une place chez les Karasus je les ai trahis, j'avais une place avec mon papa il a été dévoré par les flammes, après l'attentat rares sont ceux qui me diront merci de regretter, regretter ne soigne pas les blessures, regretter ne ramène personne. »

L'enfant était trop traumatisée pour dire autre chose que : « Avancer ne ramène personne ! »

Après ce coup d'éclat de nombreuses personnes savaient pour l'attentat. Jusqu'où allaient ils pardonner ? Jusqu'où allaient ils accepter ? Pricie était terrifiée autant qu'elle avait mal. Elle se prit la tête entre ses mains et finit par dire : «  Mais je ne comprends pas si Dieu a créé vos pouvoirs et non vous qui lui avez volés pourquoi serait il offensé ? »

Tout cela était trop compliqué. Pricie ne savait plus si les gens de Terrae étaient des monstres insolents et provocateurs ou non, pas plus qu'elle ne savait si c'était de la faute de Terrae si sa mère avait sombré.

« Cependant personne ne mérite d'être blessé voire pire à un attentat. C'est ce que je comprends à présent, personne même monstre même humain même n'importe qui personne ne mérite ça ! Et au fond je ne sais plus si c'est moi ou les autres le monstre. » Elle secoua la tête tristement : «  Alors je m'y attends d'être rejetée. »

Elle sourit avec une douceur blessée à l'infirmière : « Mais merci de votre gentillesse ! »

L’adolescente tremble encore, pleure encore, s’agace encore. C’est vrai qu’elle a treize ans, mais pour moi, à treize ans, on est encore un enfant. Personne ne devrait avoir à prendre des décisions aussi graves à cet âge. Doucement, je secoue la tête.

—Tu n’es plus un bébé, mais tu n’es pas adulte. Ceux qui te disent le contraire ont tort. Tu es responsable de tes choix, mais pas de ceux qui sont dictés par les horreurs qu’on t’a mises dans la tête.

Et je suis plus ferme, cette fois. C’est la partie de moi intransigeante qui parle, celle qui ressort quand je me sens touchée mais qu’il faut que je reste rationnelle. Ca me rend un peu butée, certainement… Mais je ne peux pas la laisser dire que c’est de sa faute, ou la laisser s’accabler des responsabilités qui devraient incomber aux adultes qui l’ont manipulée et ont essayé de l’envoyer à la mort. Evidemment, pour d’autres, ça ne changera rien ; mais ces autres, est-ce qu’on ne s’en fiche pas un peu ? Il y aura toujours des gens pour mal parler, critiquer. Et ce n’est pas en étant en colère contre ceux qu’elle ne connait pas encore, qu’elle ne veut pas apprendre à connaître, que tout s’arrangera.

—Ils auront aussi le droit d’être en colère contre toi, c’est vrai. Mais ça ne veut pas dire que tu es responsable.

Mes yeux se baissent, se perdent dans le vide.

—Avancer, ça te ramènera toi. Ton papa ne voudrait pas que tu te fasses du mal, il aimerait certainement que tu avances.

Je suppose ; j’espère. On ne sait pas toujours ce que peuvent bien vouloir les parents de la part de leurs enfants, il se passe parfois des choses sordides. Ce qu’ils souhaitent pour eux, ce n’est pas toujours le bien. Mais je choisis de croire que cet homme aimait sa fille comme elle l’aimait, et qu’il n’aurait pas souhaité sa mort ou qu’elle souffre. Sinon, il n’aurait jamais récupéré les explosifs lui-même.

Sa question sur son dieu étrange me fait hausser une épaule.

—Je ne sais pas. Peut-être que ce sont les Karasus qui disaient ça, qu’il n’est pas si fâché que ça... que ce sont eux qui sont fâchés de ces pouvoirs. Mais qui peut vraiment être sûr de ce qu’il penserait, ce dieu ? (Je marque une pause.) Tu sais, souvent, les gens utilisent le prétexte d’un dieu pour justifier leur haine des autres. Pour certains, si tu ne vénère pas le même dieu qu’eux, tu mérites la mort ou les enfers, enfin, je ne sais pas trop comment ça marche. D'autres c'est parce que tu aimes quelqu'un d'une autre couleur que toi, ou du même genre que toi. (Je souris faiblement.) Je ne dis pas qu’ils mentent, mais parfois on est aveuglé par ce qu’on croit être la vérité, parce qu’on y croit très fort. Que ça nous rassure. Je ne sais pas pourquoi on aurait offensé ton dieu, surtout s'il a tout créé… je ne pense pas qu’on ait ce pouvoir. Nous ne sommes qu’humains. D'autres humains, en revanche... on en a offensé des tas, juste parce que nous existons. Et c'est ça qui est très triste.

Avec de la magie, certes ; mais des humains tout de même. Un sourire m’échappe à nouveau, alors que je caresse gentiment son front.

—Tu es une gentille fille, Pricie. Tu es d’accord pour que je t’accompagne à l’infirmerie ? Ou au moins dans ton lit ? Je commence à avoir un peu mal assise sur le sol, je m’excuse à demi mot. Et tu ne devrais pas rester sur le sol froid non plus.

Pricie se referme soudain à la question. « Je ne préférerai pas aller  à l’infirmerie il y a un infirmier il ne fait que se moquer de moi car je refuse qu'on me soigne avec des pouvoirs ! » La jeune adolescente secoue la tête : « Ça me fait peur. » Pricie a une petite moue mais se relève assez vite.

« Mais il ne faut pas que vous restiez sur le sol avec votre enfant ou vous et votre bébé allez avoir mal ! » ajoute la jeune adolescente debout à présent face à l'adulte. Elle lui tend sa main non blessée pour l'aider à se relever. Peut-être que la médecin l'accepta ou pas.

L'adolescente explique : « J'avoue que j'ai encore un peu  peur des gens ici et de toutes ces histoires de pouvoirs ! » Elle a un sourire un peu triste : «  Les Karasus étaient contre un tas de choses et de gens je n'ai jamais compris pourquoi, en quoi c'est mal d'avoir une couleur de peau différente ou d'aimer quelqu'un du même genre ? Ce n'est pas un soucis pour moi ! »

La jeune fille explique : «  Je me suis pris beaucoup de coups sur les doigts avec une règle en fer quand une fois à un cours de religion j'ai demandé ça... » Pricie grimace : «  Mais je n'ai pas bien compris ce que j'avais fait en bêtise... »

« Je crois que j'en veux à Terrae et je vous en veux encore car même si Terrae ne peut pas sauver tout le monde il aurait dû sauver ma maman ! » Les yeux de la petite se remplissent de larmes que du haut de ses treize ans elle essuie rageusement : « Maman ne mérite pas ça, elle ne mérite pas d'être perdue dans sa tête ni de ne voir que des murs blancs ! » La jeune adolescente frisonne en contemplant ses pieds : «  Elle est comme dans une prison dans sa tête et dans le bâtiment... » Elle regarde ses pieds encore un moment avant de dire : «  Papa est mort en se battant contre Terrae, c'était nous deux contre le monde entier, nous deux contre Terrae qui n'a pas aidé ma Maman ! »

Elle fait silence quelques longues minutes avant de dire : « J'ai des pouvoirs mais personne ne peut me forcer à m'entrainer, personne ! » s’entête t'elle du haut de ses treize ans.

« Je ne sais pas si Terrae a offensé Dieu, peut-être que non mais je ne veux pas prendre le risque de faire pareil... » Elle a soudain l'air si petite en ajoutant : «  J'ai trop peur... »

Pricie va évoluer et peu à peu accepter ses dons et le lieu où elle est, les gens qu'elle côtoie, au fil des années elle va s'ouvrir au monde.

Mais pour le moment c'est une petite fille terrifiée, encore un peu abattue par la fièvre, se tenant debout mais tremblotant sous celle ci, qui a besoin de temps, de temps pour tout ça, de temps pour grandir et s'en sortir pas à pas, petit bout par petit bout et ce n'est pas grave si ça prendra des années et des années.

La jeune demoiselle nommée Pricie relève la tête et sourit à la médecin : «  Vous devriez aller vous reposer je vous en ai fait voir de toutes les couleurs ! » Elle rit sans moquerie mais juste pour souligner ses propos.

« Juste … » finit elle par dire. «  Vous voudrez bien passer me voir quand vous serez reposée ? Je vais dormir un peu dans la chambre  j'ai encore mal à la tête et à la main et ... » Elle avoue un peu honteuse : «  J'ai un peu peur dans cet état seule tout le temps vous savez... » 

Elle rougit un peu honteuse en contemplant ses pieds de nouveau.

Un infirmier qui se moque d’elle ? Cela me semble étrange, je n’ai pas souvenir que de quelqu’un qui se montrerait si cruel… Eventuellement taquin, oui, mais c’est bien tout. Je lui lance un sourire un peu embêté.

—Je comprends que tu ne veuilles pas. Je suis certaine qu’il ne se moquait pas de toi. Il te suffit de lui dire que tu préfères des médicaments ou des bandages et les infirmiers te laisseront tranquilles. Sinon, tu n’as qu’à demander à voir Norah ; elle saura te rassurer, je pense.

Sa remarque suivante n’est pas fausse, en revanche. C’est vrai que je commence à avoir mal, assise par terre comme cela. Si j’avais pu, je ne l’aurais sûrement pas fait, mais c’est un peu tard pour que je m’en préoccupe. Il va surtout falloir que je trouve un moyen de me relever, mais ce n’est pas en m’appuyant sur la force de cette enfant que je pourrai le faire ; je refuse poliment et lui souris, préférant essayer de me redresser méthodiquement, en utilisant surtout mes cuisses et en me tenant au mur.

Les Karasus… ils semblaient avoir une vision bien étriquée du monde. Je lui renvoie son sourire triste, touchée par ses mots, et le coeur douloureux en imaginant les petits doigts frêles de Pricie sous les coups de règles.

—Je suis désolée que tu aies vécu cette violence, je lui dis en soufflant un peu, déjà épuisée de m’être redressée comme ça. C’est normal d’avoir peur, quand on ne connait pas quelque chose. Mais ce n’est pas parce qu’on ne le connait pas qu’il faut le repousser. C’est comme ce que tu dis pour les gens d’une autre couleur de peau ou des personnes qui aiment des personnes du même genre… C’est bien que tu te poses ces questions. Un jour, tu trouveras tes réponses, j’en suis certaine.

Et c’est la vérité. Elle sort d’une secte qui l’a endoctrinée ; évidemment qu’elle a peur. Mais elle se pose les bonnes questions ; un jour viendra où elle pourra voir ce que le monde a de beau, ce que Terrae a de merveilleux. Elle verra que les Karasus avaient tort, et pas uniquement à notre propos.

Doucement, j’approche ma main de son front, comme pour vérifier à nouveau sa température ; à la place, ma main glisse jusqu’au sommet de sa tête, où je dépose quelques caresses que je veux rassurantes, alors qu’elle me parle de sa maman. Sa maman qu’on n’a pas sauvé. C’est injuste, c’est vrai. Qui sait, peut-être que nous aurions pu l’aider ? Mais Terrae n’appelle pas tout le monde… et c’est bien malheureux.

—J’aurais aimé que Terrae puisse appeler ta maman aussi. Je crois qu’il y a parfois des choses qu’on ne peut pas expliquer…

Comme je ne peux pas expliquer pourquoi mon propre père est mort ; comme je ne peux pas expliquer pourquoi c’est arrivé si peu de temps après ma seule et unique rencontre avec lui. Mais il ne savait pas… et Terrae n’a pas appelé mon demi frère non plus, lui qui vadrouille sans doute très loin, le coeur rempli de haine et de rancoeur. J’ai la gorge un peu sèche alors que j’y repense.

Je ne sais pas quoi répondre d’autre à Pricie, mais son rire m’en tire un petit aussi, discret et soufflé.

—Si tu veux, je peux rester jusqu’à ce que tu t’endormes. Il me suffira de m’assoir sur une chaise… Ou sinon, je peux revenir d’ici quelques heures, c’est comme tu préfères. C’est toi qui me dis. Ca ne me dérange pas de passer te voir, de temps en temps.

Elle me fait de la peine, cette enfant. Au final, elle a simplement peur d’être seule… comme nous tous.

—Repose-toi bien, Pricie.


HRP : Si tu veux, je te propose de m’arrêter là !!! Si tu le souhaites, Aoi peut être restée un peu avec Pricie, dans ce cas elle se sera assise le temps qu’elle s’endorme et sera repartie peu de temps après ; et elle sera revenue la voir comme promis plus tard dans la journée

Je te laisse décider de la conclusion hihi (sinon, on peut juste s’arrêter sur ce post, c’est toi qui voiiit BISOUS <3)