Le visage rouge de la lune nous a longtemps observés au dehors. Elle semblait inspirer au rythme du vent qui allait et venait, qui se glissait entre chaque branche, entre chaque feuille, entre chaque brin d'herbe. Sereine comme nous ne l'étions pas, elle semblait comme une vieille connaissance curieuse et amusée de nous voir nous débattre ainsi.

Terrae dormait. Engloutie toute entière par un sortilège étrange, mais pas malfaisant ; le même que celui dont nous avions été victimes, Huo et moi, et qui m'avait si abruptement rendu mes pouvoirs. Je ne sais pas bien pour quelle raison la poche s'est rompue aujourd'hui ; la puissance de ces pouvoirs, l'anxiété, ou simplement cette énergie si particulière qui secouait Terrae ? Le bébé l'a-t-il senti, lui aussi ?

L'attente fut longue et pénible, mais elle est passée. Ma mère, agitée et nerveuse comme jamais, a été reléguée dans les couloirs le temps qu'elle se calme ; si elle voulait se sentir utile, elle pouvait envoyer un message à Mitsuki et Allen, ainsi qu'à Nicolas, Aaron, Matheo et Ipiu, probablement. Ils se réveilleraient probablement avec une tonne de messages écris en majuscules exprimant son impatience. En espérant que d'ici le milieu de matinée, toutes nos connaissances n'attendraient pas devant la porte ! Bah, j'ai toujours fait confiance à ma mère, Huo et Norah pour nous laisser un peu de paix... Mais savoir mes amis tout près, ma mère en soutien, l'homme de ma vie à mes côtés, tout cela revêt une saveur bien particulière, très douce et sucrée.


Doucement, la lune a pris congé de nous, blafarde sur le ciel qui s'éclaircissait avec la venue du soleil ; nous ne prenions cependant pas le temps de l'admirer. Au creux de mes bras, tout contre mon cœur, je tiens un petit être bien plus précieux encore que l'univers... Un petit garçon qui prend déjà toute mon attention, malgré l'épuisement. Devoir me séparer de lui le temps que les infirmières s'occupent de prendre les mesures et le rincent m'a presque fait faire une crise de nerfs, mais je me sens mieux maintenant. Je sais que ça a été la même pour Huo, tout à l'heure. Mais j'ai eu la priorité quand on nous l'a ramené, désolée !

Mes lèvres se déposent sur son petit crâne chevelu, et je sens que je pleure. En le berçant, ça m'apaise, moi aussi.

—Bonjour, Fai.

Puis je regarde Huo et souris avec tendresse, un peu groggy. Ma tête se pose contre lui ; son bras, sa poitrine ou son épaule, je ne sais pas trop. Je reste simplement comme ça un instant, comme on recharge ses batteries après un long combat. Lentement, j'effleure la joue de notre fils, puis sa main, qui se resserre autour de mon index.

—Regarde, mon coeur... C'est ton papa, je chuchote. Bonjour papa, je pouffe de rire en bougeant doucement mon index, comme pour faire saluer le petit ange*. Tu veux le prendre ?

Je sais que maman et les autres voudront nous voir bientôt. Mais en attendant, ce moment n'appartient qu'à nous trois.



[ça se prononce Faï, sinon
*pour le moment il a l'air d'un ange. pour le moment....
eeeet ouais j'ai du retard à mort-]

Je n'ai pas exactement eu le temps de comprendre ce qui se passait, j'avoue. En même temps, le timing aurait probablement pu être plus… Propice ? J'sais pas, mais ce qui est sûr c'est que j'ai pas assez dormi et que même le réveil brutal était confus.

J'suis même pas certain que j'ai mis mon pantalon à l'endroit donc pour être présentable on repassera. C'est pas comme si Norah allait me regarder de travers pour ça, de toute façon. Vu que les rues sont encore plus désertes qu'habituellement, je soupçonne qu'on est pas les seuls à avoir récupéré nos pouvoirs. J'ai enfin l'impression de récupérer ma stabilité après des mois de tempête. Malgré l'inquiétude, je me sens respirer enfin. J'ai retrouvé ma chaleur intérieure, cette sensation qui m'a tant manqué d'avoir des flammes qui me parcourent les veines.

J'essaye de me focaliser sur ça et pas sur mon anxiété. Je sais qu'il n'y a objectivement pas de raison que ça se passe mal mais je stresse quand même. Moins que Kumiko quand même, je crois, elle était tellement nerveuse qu'on lui a demandé d'attendre dans le couloir. J'espère juste qu'on ne va pas se retrouver avec la moitié de l'institut devant la porte dès l'aube, ce serait bête.

Au final, ce sera passé plus vite que je pensais. Probablement parce que j'étais... Heeuu concentré on va dire. J'ai eu très envie de prendre Fai tout de suite mais il fallait qu'on le pèse et qu'on le lave. Je suis calme. C'est faux. Je tremble presque d'émotion contenue.

Je me suis assis sur le bord du lit pour ne pas me mettre à faire les cent pas. Et là, Norah est revenue et j'ai aperçu une touffe de cheveux au milieu de la couverture dans les bras de ma chérie et ça m'a frappé, comme une droite en pleine tronche.

Je me serre un peu plus contre Aoi, mon menton sur son crâne, immobile. Je crois que je pleure, je vois flou un peu. Je passe lentement ma main vers l'avant pour poser un doigt tremblant sur la joue de- De mon fils ? J'ai la gorge serrée.

— Bonjour Fai, je murmure.

Ma main hésite, je caresse les doigts minuscules qui se sont refermés sur l'index d'Aoi. J'ai l'impression que mon cœur va exploser.

— Je- Oui ?

Je bouge un peu pour me mettre plus près et lui prendre le bébé comme Norah m'a montré, sa tête au creux de mon coude et les bras sous son corps pour le soutenir. Il- Wah. J'suis vraiment papa, en fait.

— J'suis papa.

Je réalise un peu tardivement que ça fait une personne de plus pour laquelle je suis prêt à faire n'importe quoi. Enfin presque n'importe quoi. C'était bien beau d'en faire des blagues quand il était pas encore totalement là mais c'est réel.

— Tu crois qu'Hideko acceptera une négociation pour la place de plus beau bébé du monde ? Je demande un peu stupidement.

Il est magnifique. Il a les yeux fermés, un peu gonflés encore mais je crois que c'est normal. C'est drôle, il a déjà des cheveux.

— Aoi, je- Tu es maman ?

J'avais rendez-vous chez le psychologue relativement tôt ce matin, et si je n'avais jamais raté un rendez-vous depuis que j'y retournais, ce matin-là avait été un peu particulier.

Tout d'abord, n'oublions pas cette nuit clairement agitée que j'avais passée. S'endormir Téléporteur, en ayant peur de me réveiller au beau milieu de la forêt pendant la nuit, pour me réveiller en étant à nouveau Sonore.

On dit que la nuit porte conseil, la mienne m'a plutôt ramené tout un tas de questions. Etais-je heureux de redevenir "moi" ? Avais-je véritablement besoin de mes pouvoirs ? De ces pouvoirs ?

Quand mon téléphone sonna dans la matinée, je crus d'abord que c'était mon réveil que j'avais mal réglé. Mais le prenant dans mes mains pour couper la sonnerie, grommelant au passage, j'écarquillai les yeux en tombant sur ce numéro que je ne connaissais pas. Dès l'instant où je le saisis, il ne cessa de vibrer dans ma main, l'appareil recevant message sur message. Je cliquais enfin pour les ouvrir et découvris qu'Aoi avait accouché. Enfin.

Ce jour visiblement assez particulier déjà.

Je me redressai d'un bond dans mon lit, fixant et relisant les messages en boucle, comme si je ne comprenais pas. Aoi avait accouché. Non. Aoi était devenue maman. Et Huo aussi... Si j'avais parié sur ça.

Mon coeur commença à s'agiter dans ma poitrine sans que je ne sache vraiment comment réagir. L'instant d'après, pourtant, j'étais perdu dans ma commode, cherchant bien ce que je pourrais enfiler.

J'avais envie d'y aller tout de suite, mais je savais aussi qu'Aoi aurait probablement besoin de repos, aussi me forçai-je à prendre au moins une douche avant de décaler.

Sur le chemin jusqu'à l'hôpital, j'appelais au secrétariat de l'aile psy pour décaler mon rendez-vous au début d'après-midi. Lorsque j'arrivais devant la porte de l'hôpital, je baissai les yeux de mon téléphone pour fixer l'entrée. Aoi était devenue maman.

Un pas, et les portes s'ouvrirent automatiquement. J'avançai jusqu'au secrétariat pour demander sa chambre. Arrivé devant celle-ci, j'aperçus Kumiko, la maman d'Aoi que j'avais déjà croisée plusieurs fois en allant lui rendre visite pendant l'Eclipse. Elle se jeta sur moi, les larmes aux yeux, un immense sourire contagieux sur les lèvres. Je frappai quelques coups discrets contre la porte, et attendis qu'on m'autorise à entrer pour glisser ma tête dans l'entrebâillement de la porte.

-Félicitations aux parents... murmurai-je, ne pouvant cesser de chercher du regard où se trouvait le bébé.

Lorsque mes yeux tombèrent sur lui, mon coeur s'agita dans ma poitrine.

Pas de blague vaseuse aujourd'hui. Pas de réflexion taquine à l'intention d'Huo.

Un sourire.

-Il a l'air si calme...

Un murmure.