Sac à dos posé, rangé, planqué. Quelques photos imprimées, d'autres postées sur ses réseaux sociaux ; les anniversaires des copains, qu'elle fête avec bonheur. Elle se sent mieux, mais elle n'a pas oublié le message d'Allen. Enfin, le message en réponse au sien, plutôt ; visiblement, c'est elle qui lui a demandé à se parler à un moment donné, dans un excès de faiblesse. Honteuse, la Aria ; elle aimerait bien pouvoir faire comme si de rien n'était, mais avec les souvenirs qui lui sont venus après (et l'aide précieuse d'Afya et sa voyance) elle ne peut plus reculer. En réalité, il serait plus sage de dire qu'elle ne veut plus reculer : elle a juste envie que les choses s'améliorent, ou au moins de poser des mots sur tout ce bazar.

Alors elle attrape un gros élastique, s'attache les cheveux, enfile ses ballerines, met un gilet polaire tout choupi, et va toquer à sa porte. L'heure du dîner est passée depuis un moment, avec un peu de chance, il sera pas de sortie (ce serait ballot). Elle sent son coeur qui tambourine dans sa poitrine et à ses tempes, la cavalcade de sa vie. Qu'est-ce qu'elle a envie de lui dire ? Est-ce qu'elle a envie de lui parler ? Elle sait pas trop. Au moins commencer par dire qu'elle est rentrée, ça peut être sympa. Mais elle veut faire les choses bien, et pas comme une fille neuneu fâchée et bourrée, cette fois. Assumons-nous un peu, hein Aria ?

Elle attend que la porte s'ouvre en se tortillant les doigts. Hm, peut-être qu'elle aurait dû lui envoyer un message pour le laisser se préparer mentalement, en fait.

(speed ?)

Mes yeux se fixèrent sur mon téléphone et sur ma conversation avec Aria. Enfin, "conversation" c'est un grand mot. Autant dire qu'elle a balancé tout ce qu'elle avait sur le coeur, et que j'ai rien trouvé d'autre à répondre que "On parlera quand tu rentreras". Puis après j'ai eu mes partiels. Et puis j'ai balisé sur un examen. Et puis le temps a passé. Et elle a publié qu'elle était rentrée, mais silence radio. Est-ce que c'était à moi de lui envoyer un message ? Bien sûr, même Pandora m'avait tanné pour que j'ai LA conversation. COMME SI C'ETAIT FACILE.

Je laissai retomber mon bras le long de mon corps, fixant le plafond. J'aime vraiment ce plafond, hein, j'devrais le décorer à l'occasion quand même.

Bref, un soupir plus tard, je constatais que de toute façon, avec tout le temps libre que j'avais depuis une semaine, depuis la fin des exams quoi, la seule chose que je faisais c'était essayer de trouver des choses pour me changer les idées, ce qui n'est pas si facile que ça quand on n'a pas de potes en fait.

J'allais me motiver à ENFIN envoyer un message quand on frappa à ma porte. Je posai mon regard quelques secondes dessus, me demandant bien qui ça pouvait être (sachant que la seule personne susceptible de venir était Pando, et qu'on n'avait pas prévu de se voir, quoi). Je finis par me lever et ouvrir, tombant sur...

-AH, Aria. Viens entre, je t'en prie. Heu... C'était bien, ton voyage ? Tu en as bien profité ?

OK MDR LA CONVERSATION C'EST POUR TOUT DE SUITE BIEN SUR QUE JE DECRYPTE SON AIR LA.

"AH, Aria."
"AH" ? AH ? C'est quoi cette réaction ? Pourquoi entrer ? Il discute déjà ? Il a jamais autant parlé dans sa vie, Ariana en est à peu près certaine. Nan mais si, juré. Qu'est-ce qu'il vient de se passer, là ? Rien ne va. Déjà, pourquoi il lui parle comme si c'était trop normal qu'elle soit là, genre, il l'attendait ? QUI L'A PREVENU ? Et qu'il lui dise de rentrer comme ça, comme si euh omg la dernière fois c'était quand ils se sont plaqués, enfin que Aria l'a plaqué, enfin que Aria a cru que Allen l'avait plaquée donc qui l'a plaqué... Elle sait plus, elle sait pas, et clairement, la panique se lit bien sur son visage. Elle jette un regard confus à droite, gauche, derrière elle, derrière Allen, puis regarde Allen, et whaaaaaaaat. CERVEAU REPOND STP

ON INSPIRE.

—Ah, euh, bah, c'était chouette, merci ! J'ai fait plein de trucs, j'ai visité Hakone, le mont Fuji, puis après je suis allée au Chili, et j'ai fait du bénévolat dans une association de protection des animaux marins ! C'était... plutôt... Bien. Et toi alors ?! Tu as dû passer des examens y a pas longtemps non ?! Ou alors t'es encore en pleine période...? J'espère que je te dérange pas !

Yes. Yeeeeeees. Pourquoi elle est déjà dans sa chambre ? Merde, son corps a réagi par automatisme, elle marche comme un robot. Il est trop tard pour partir ??

—Je, euh. Je venais juste pour te dire que j'étais rentrée.

ON EST PAS OBLIGES DE DISCUTER HEIN.
VRAIMENT PAS-

Ok, donc si j'étais déjà pas très serein, sa façon de réagir me met encore plus dans la panique. Elle est obligée de regarder partout comme ça ? Pourquoi elle regarde partout ?! Pourquoi elle fait ça ?! POURQUOI ?!

Allez on se reprend, ça va bien se passer. Elle a l'air hyper heureuse d'être là, super à l'aise, tout ça, on est bien. Elle est même rentrée, et elle me parle de son voyage, si c'est pas magnifique ! Et vous savez quoi ? Le pire c'est que ça aurait vraiment pu m'intéresser, et que j'aurais vraiment pu répondre et réagir si j'étais pas en gros souci de réflexion, avec des pensées qui valdinguent dans tous les sens comme si j'étais pas là quoi. Parce que oui, littéralement, j'ai l'impression de plus être là et d'avoir un corps et un cerveau qui vit à ma place.

-Oh non, les examens sont finis depuis une semaine là ! On verra bien ce que ça donne, j'aurais les résultats... ben la semaine prochaine, normalement. Ou celle d'après, je sais plus.

BIEN SUR QUE JE SAIS, JE SUIS JUSTE PLUS CAPABLE D'ALIGNER DEUX MOTS CORRECTS. On souffle, on se calme.

-Tu voulais parler ?

HAHAHA ouais ok, c'est sorti. On se calme Allen. Tu as imaginé dix fois la scène, t'en a parlé lors de ta dernière séance chez le psy, tu es prêt. Ou pas. Si tu dois être prêt. Au pire ben tant pis pour ta gueule, tu chialeras ta mère.

Parce que concrètement, t'as besoin de dire quoi ?

Quel malaise palpable. Aria se rappelle soudain qu'elle a le droit de sourire, et d'un coup, elle sourit, mais c'est peut-être un peu crispé, elle sait pas trop. Pas de rire nerveux, allez, tout va bien. Le pauvre a pas l'air d'en mener large non plus, mais elle est beaucoup trop centrée sur la boule dans son ventre pour réussir à se concentrer sur ses expressions à lui. Enfin, pour ça, faudrait aussi qu'elle arrive à le regarder dans les yeux, et elle fait tout sauf ça...

Bon, allez, on relève le menton et on essaie de le regarder dans les yeux. Comme une bonhomme. Ou une madame. Enfin, quelqu'un qui est pas en train de mourir dans sa tête, pour commencer. Dire qu'il est si proche, et qu'elle ne sait juste pas ce qu'elle fait là.

—Oh, mince !! J'espère que tu les as bien réussi, je croiserai les doigts pour toi !! Tu, euh, tu me tiendras au courant ?

La conversation qui est à des années lumière de ce qu'il est réellement en train de se passer dans cette pièce, check. D'autant qu'elle arrive pas à faire des phrases sans bégayer, là, c'est fort. BRAVO ALLEN !!!!

Et puis d'un coup il pose la question qui fâche. Son corps se raidit, elle a l'impression d'être projetée en arrière dans sa propre tête, et sent ses épaules tressauter.

—Euh... Je sais pas trop ? Oui j'avais envie de parler, mais c'était pas forcément... Pas ce soir, enfin. J'avais pas envie de t'imposer ça sans te prévenir avant ?

La tenir au courant ? J'sais même pas quoi répondre. Oui, j'ai bien envie de la tenir au courant, mais est-ce que ça va pas encore être trop bizarre ? Quelqu'un m'aurait dit "Non, Allen, c'est pas sain", ça m'aurait bien aidé à réfléchir, et à répondre autre chose que :

-Oui, bien sûr, sans faute.

Et puis vient la question qui fâche. PARCE QUE VOILA. Après tout, elle est là pour ça. Personne s'infligerait ce malaise sans raison valable non ?! Elle est même ENTREE. Elle va pas rentrer dans la chambre d'un mec comme ça sans raison derrière ! Personne n'a envie d'être aussi mal à l'aise que ça dans sa vie ptn !

-Je... J'pense que ce serait bien de parler. Quand même.

Parce que là, même avec le peu de raisonnement que j'ai, je crois que même moi je réalise que c'est peut-être plus trop supportable comme réaction...

-Tu... Peux me poser les questions que tu veux, pour commencer. J'imagine.

Oui, bon, le "j'imagine" était pas nécessaire, MAIS JE SAIS PAS COMMENT AVOIR UNE CONVERSATION PAREILLE OK.

Aria a un sourire un peu pâle, et acquiesce. Sans faute. Elle sait pas trop pourquoi elle lui a posé la question, mais il faut croire qu'elle s'inquiète toujours de ce qu'il devient. Parce qu'avant d'avoir été son copain, il a aussi été son ami. Et rien que ça, ça lui manque pas mal.

La gorge nouée, elle acquiesce une fois encore. Quand même, oui, ce serait bien.

—Je suis d'accord... Merci.

Son regard court dans la chambre d'Allen, puis se reporte sur lui.

—Est-ce qu'on peut faire un tour pour parler, plutôt ? Il fait assez doux ce soir.

Et elle n'a pas envie de rester enfermée, ça lui permettrait de se sentir mieux. Marcher, ça fait aussi un peu du bien. Ca rend les silences moins dérangeants, plus simples à supporter. Et ils auront besoin de ces silences pour réfléchir...

Mon regard suivit l'espace d'un instant celui d'Ariana, et je me pinçai les lèvres. Ouais. Peut-être que parler ici, où tout a changé du jour au lendemain, c'est peut-être pas la meilleure solution... Il y a un an quasiment jour pour jour, je révisais mes examens, et Ariana est venue, et tout a dérapé, à cause de cette putain d'Eclipse et de Télépathie...

Ou peut-être simplement à cause de mon mal-être sous-jacent que je n'avais jamais réussi à exprimer...

-Oui, bien entendu.

J'attrapai une veste, et la passai sur mon dos avant d'aller ouvrir la porte et d'inviter Aria à passer devant moi pour refermer derrière. Après deux tours dans la serrure, je glissai mes mains dans mes poches et commençai à marcher à ses côtés.

-Je suis désolé, tu sais. Vraiment. Pour tout ce qui s'est passé.

Ca vaudra ce que ça vaudra...

Le soulagement qui lui tombe dessus lorsqu'Allen acquiesce et qu'elle sort enfin de la chambre est balayé très rapidement lorsqu'il reprend la parole. Ses excuses sont comme un coup de poing, et pourtant, quelque part, elle attendait ces mots depuis un moment. Même si ça ne répare pas tout ce qu'il y a eu entre eux ; ils ne pourront sûrement jamais retourner en arrière, après tout.

Ils se mettent à marcher, côtes à côtes. Elle ne sait pas trop quoi répondre tout de suite, sans doute parce qu'elle a peur de se remettre à pleurer. Ses yeux la piquent, mais elle arrive à sourire — et c'est sincère. Peut-être que ça fait du bien, au final.

—Je... Moi aussi je suis désolée, Allen.

Elle baisse les yeux vers le sol. Elle aimerait bien dire pourquoi elle est désolée, mais au fond, elle ne sait même plus.

—Désolée pour le message, aussi. J'avais bu cette nuit-là, je crois que j'étais un peu perdue. Ca devait pas être agréable à recevoir, j'aurais pas dû te dire les choses comme ça...

Sa main serre son propre poignet, comme pour s'accrocher à quelque chose de tangible.

—J'aurais dû faire plus attention à toi.

Les mots sortaient enfin, et c'était assez déroutant de voir à quel point ils pouvaient faire aussi mal qu'ils soulageaient cette incertitude qui pesait depuis bien trop longtemps maintenant.

Mes yeux dérivèrent sur les doigts d'Aria qui serraient son poignet, et j'eus un pincement au coeur avant de me faire violence pour en détourner le regard.

-Au moins tu as fait le premier pas.

Parce que visiblement, j'avais été trop frileux pour réussir à le faire.

-Pourquoi tu dis ça ?

Faire plus attention à moi parce que j'allais mal mais que je souriais ? Parce que j'en avais même pas encore conscience moi-même et que mon déni avait réussi à prendre le dessus sur ma conscience ? Il a fallu une éclipse pour que j'en prenne conscience, alors...

-J'ai des problèmes dans l'attachement que je peux porter aux autres. C'est pas ta faute. Et t'aurais pas pu le savoir...

Au moins elle a fait le premier pas ? Non. C'est faux. Le premier pas, c'est Allen qui l'a fait, quand il a envoyé cette lettre. Cette lettre à laquelle elle n'a jamais répondu, qu'elle a ignorée, essayé de ranger dans un coin de sa tête, pour ne pas se souvenir de tout ce que ça lui avait renvoyé.

Ou alors elle a fait le premier pas quand elle a essayé d'en parler, l'année dernière ? Quand il a refusé de lui parler ? Refusé de communiquer ? Refusé d'arranger les choses ?

Une partie d'elle-même est encore en colère, et l'autre a simplement envie de lui dire qu'elle veut que tout redevienne comme avant.
"Mais c'est pas possible."

Les mots restent bloqués dans sa gorge alors qu'ils descendent les escaliers. Elle n'arrive pas à prononcer un seul mot durant quelques trop longues secondes... Ce n'est que lorsqu'elle arrive à mi-chemin de la dernière volée de marche qu'elle s'arrête, le regard fixé sur le sol.

—J'aurais dû faire plus attention, répète-t-elle simplement, comme une auto-accusation.

Une accusation qu'elle s'est faite maintes fois, mais qu'elle a aussi appris à remettre en question. Pas ce soir. Elle relève les yeux vers lui.

—Et j'aurais aussi aimé savoir.

Pourquoi elle a envie de pleurer comme ça. Elle se retient très fort, aussi fort qu'elle se tient à la rampe. Elle déglutit. Les mots s'échappent.

—Pourquoi tu m'as jamais parlé ?

Je m'arrêtais en la sentant se stopper elle aussi à côté de moi, sans réussir pour autant à affronter son regard, me contentant de ses paroles lourdes de sens et de reproches.

La tête me tourna un instant, mais je continuais à fixer devant moi, vide. Mes yeux finirent par se poser sur mes pieds, et je me pinçai une nouvelle fois les lèvres. Peut-être que j'aurais dû attendre. Peut-être que j'aurais dû dire ça une fois que nous étions sortis, et pas encore dans les couloirs...

Tu aurais aimé savoir Aria, mais moi aussi, j'aurais aimé le savoir.

-Parce que je n'en avais pas encore conscience.

Mes poings se serrèrent dans mes poches et je détournai la tête en sentant la colère qui montait. J'essayai de bloquer mon regard sur quelque chose, n'importe quoi, sans vraiment réussir à faire quoi que ce soit.

-Tu m'as demandé dans ton message si tout ce qu'il s'était passé avant était basé sur des mensonges. La réponse est non. J'ai toujours été honnête dans ce que je ressentais pour toi.

Comment aurais-je pu mentir sur ça...

Ariana s'est arrêtée, comme si soudain elle n'avait plus la force d'avancer davantage. Son coeur cogne dans sa poitrine ; comme s'il voulait s'échapper, partir en courant en même temps qu'elle.

La réponse d'Allen lui semble un peu brusque, mais en même temps, elle ne peut pas le lui reprocher. Pourtant, ses doigts se resserrent sur la rampe, sa mâchoire se contracte. Les mots résonnent dans sa tête alors qu'Allen fuit son regard.

Il ne savait pas. C'est sans doute vrai, elle n'en doute pas. Pourtant, pourtant... Une boule grandit dans son estomac, dans sa gorge alors qu'il reprend ce fichu message qu'elle a envoyé sans prendre le temps de réfléchir. Mais c'était peut-être la meilleure façon d'être honnête ?

—Et pourtant, tu as quand même fini par m'éviter, répond-elle sans réussir à se retenir, tandis qu'elle sent ses yeux la piquer. Je suis devenue un poids, tu pouvais même plus me voir en peinture. Tu faisais semblant. Comment je peux y croire après ça ?

Ses mots claquent. Ce n'est pas ce qu'elle voulait dire, et pourtant, au fond d'elle, c'est ce qui l'a rongée pendant un an. Il lui a menti, il s'est forcé. Combien de temps ?

Sans lui laisser le temps de répondre, elle reprend sa descente d'un pas plus rapide, des tremblements dans le corps à cause de l'émotion qu'elle contient. Elle ne voulait pas partir dans les reproches, alors pourquoi ça sort maintenant ? Est-ce qu'elle voulait vraiment de ses excuses, de toute manière ?

—Je sais pas si tu sais ce que ça fait de découvrir du jour au lendemain que la personne qu'on aime le plus au monde veut juste qu'on disparaisse de sa vie, arrive-t-elle à prononcer d'une voix vive, mais chevrotante. J'ai jamais compris ce que j'avais fait de mal. Je me disais que tu me détestais. Puis tu m'as envoyé ta lettre, et j'ai encore moins compris ce qu'il se passait... Tu peux pas juste dire "c'est pas toi, c'est moi", après tout ça.

Ariana ouvre brusquement la porte qui mène vers la cour, les larmes aux yeux. L'air de l'extérieur lui balaie le visage comme une claque.

Mon coeur se serra tandis qu'Ariana me dépassait pour terminer de descendre les marches, s'éloignant devant moi. Ce n'était pas ce qu'il s'était passé. Ce n'était pas du tout ce qu'il s'était passé, alors pourquoi ? Pourquoi est-ce que j'avais l'impression que nous avions littéralement vécu deux choses différentes ? A quel point notre perception de la réalité était-elle si éloignée ?

Je me remis à avancer, sans pour autant accélérer l'allure pour la rattraper. Je gardai mes yeux rivés sur elle alors qu'elle franchissait la porte de l'Institut pour arriver dans la cour, m'adressant des mots si durs à accepter avec une voix pourtant si fragile. Je tentai de desserrer mes poings dans ma poche, ravalant difficilement ma salive.

-Ce n'est pas ce qu'il s'est passé.

Gardant une main contre la porte de sortie encore ouverte, je m'arrêtai, fixant Ariana à quelques mètres de moi.

-Je suis passé par toute une phase de pouvoirs qui ne faisaient que te faire du mal. Je ne t'ai pas "fui" parce que je n'avais pas envie de te voir. J'ai évité de te voir trop souvent parce que j'avais peur de te faire mal.

Je détournai le regard pour le poser sur un arbre dont les feuilles naissantes étaient balayées régulièrement par le vent. Ma main retomba mollement contre mon corps et j'avançai d'un pas pour laisser la porte se refermer derrière moi.

-J'ai été Morphe, et toutes les larmes qui ont dévalé tes joues m'ont bien fait comprendre que tu aurais préféré que je sois tout sauf ça. Puis j'ai été Titan, et j'ai littéralement détruit tout ce que je touchais. Et j'ai été Télépathe. Et j'ai réalisé que mon attachement pour toi était obsessionnel.

Autrement dit, pas sain...

Ce n'est pas ce qu'il s'est passé ? C'est ce qu'Allen vient de dire ? Ariana s'arrête nette, puis se retourne, sans doute dans l'objectif de lui lancer un regard noir, énervée. A la place, elle rencontre les yeux remplis de douleur d'Allen, et s'entend jurer mentalement. Elle déglutit, essaie de respirer, mâchoires contractées. Qui ne faisaient que lui faire de mal ? Parce qu'il avait peur de lui faire du mal ? C'est... complètement insensé.

Aria veut ouvrir la bouche pour le contredire immédiatement, du tac au tac, comme pour répondre à la douche froide qu'elle vient de se prendre. Une partie d'elle veut juste hurler qu'il ment ; qu'il ment, car il ne lui a jamais dit tout ça. Il n'a pas parlé. Il lui a simplement dit qu'elle était nocive pour lui !!! C'est ce qu'il s'est passé. C'est tout ce qu'il s'est passé. Il ne s'en souvient plus ? De ce qu'il a pu lui dire ? Lui écrire ? Qu'à force de trop s'occuper d'elle, il souffrait ?

Les larmes brillent dans ses yeux, elle ne les contient même plus, mais elles ne coulent pas encore. Des gens semblent vouloir monter vers l'institut, mais elle leur lance un regard furieux, et ils comprennent bien vite qu'ils n'ont pas intérêt à traîner dans les parages. Qu'ils fassent le tour !

Serrant d'abord les poings, elle s'écarte de l'entrée pour éviter de recroiser encore d'autres gens, lèvres pincées, cherchant à se contenir du mieux qu'elle peut pour ne pas simplement exploser de colère et de tristesse mêlées. Croisant les bras sur sa poitrine, serrant ses bras comme pour réprimer des frissons, elle essaie d'inspirer comme elle le peut. Des bribes de cette conversation, il y a un an, lui reviennent. Tu as toujours été à la hauteur pour moi, Allen.
J'ai besoin de me retrouver.

Non, Allen, ça non plus, ce n'est pas ce qu'il s'est passé. Elle renifle, fronce les sourcils.

—Tu ne m'as jamais demandé mon avis...

Elle ferme les paupières très fort un instant, comme prise de vertige. La boule dans son estomac la fait se sentir nauséeuse.

—J'ai jamais eu besoin qu'on me protège, souffle-t-elle en baissant les yeux vers le sol. Et dans tous les cas, je ne... comprends pas. Ca ne change rien ? J'ai jamais... C'était à moi de décider si c'était problématique que ça me fasse du mal ou pas. Pas à toi ! D'autant plus que c'est pas tes pouvoirs qui me faisaient du mal, ou toi, c'était l'Eclipse ! Je n'allais pas bien, et ce n'était pas ta faute ! s'emporte-t-elle un peu, désespérée. Je comprends que tu voulais prendre de la distance, pour rendre ça moins... toxique pour toi, mais-

Elle se passe une main sur le visage. Ne pas s'énerver. Rester calme. Temporiser. Comprendre. Le laisser parler. Il a le droit de parler. Tu le lui as demandé, alors écoute-le, même si tu ne comprends pas.
Je ne comprends pas.

—Mais au final, la conséquence a été la même, non ?

Non, elle ne comprend vraiment pas.

—Est-ce que c'est pas à toi que ça faisait le plus mal, en réalité ?