Le soupire qui s'échappa des lèvres d'Erik fût long, dans le style de ceux qui vous brisent le cœur tant ils transpirent non pas l'agacement ou la désapprobation, mais le désespoir.

« PutaaaaAAAAI*. »

 Le nippon ne savait pas ce qui le mettait le plus en colère sur le moment. Était-ce la tache de café qui recouvrait toute la jambe gauche de son pantalon, ou la cafetière brisée au sol ?

« Bordel de merde ! »

 Chaque chose en son temps. Souffle Erik, souffle. Voilà. Je me saisi d'un morceau de tissu qui traînait là et commence à ramasser les bouts de verre un par un, en utilisant le pauvre t-shirt d'Ipiu comme une serpillière pour effacer les traces de ma maladresse. Oups. J'enlève mon pantalon et jette les vêtements sales dans la machine que je suis censé avoir faite hier mais flemme. J'ai la maison pour moi tout seul, le temps que Piu rentre. D'une mission, ou de chez Nath, je sais même plus. Je ferais ça ce soir. Ou demain. Rien ne presse de toute façon. Je finis de nettoyer le sol, récupère le mug que j'avais eu le temps de remplir avant la catastrophe et me dirige vers la terrasse, allumant le jacuzzi avant de faire demi-tour pour récupérer mes clopes que j'ai oublié dans la poche de mon futal, avec mon briquet et mon téléphone que je pose sur la table de la cuisine en passant pour ressortir.

« 'Chier, je l'aimais bien cette cafetière... »

 Je grattouille la tête de Tifa venue quémander des caresses quelques instants avant de retirer les quelques fringues qu'il me reste et d'enjamber la bordure du bassin, sans avoir à m'inquiéter du regard des voisins grâce à la clôture en bambous. Le contact de l'eau chaude avec mon bas-ventre me fait expirer l'air hors de mes poumons mais je prends très vite mes aises, mon mug dans une main, une cigarette dans l'autre. Les yeux mi-clos, je laisse mes pensées divaguer un instant, profitant du moment. Les premières choses qui me viennent concernent ma vie quotidienne. Le boulot. Ipiu. Mes p'tits potes à fourrure. Les autres potes généralement moins velus. Pour la seconde fois de la journée, je soupire en rouvrant les yeux. De dépit.

 Tout se passe bien. Objectivement, tout va bien. J'ai des potes. Une nouvelle famille. Enfin une nouvelle grande sœur super chouette, surtout. Un boulot que j'aime. Un foyer. Comme si j'étais à ma place. Pourtant. Est ce que c'est vraiment ma place ? Est ce que j'ai mérité tout ça ? Terrae… Cet endroit magique… Pourquoi est ce que je suis ici ? C'est comme si c'était trop beau. Tellement de gens mériteraient d'être ici, et sans doute bien plus que moi. Je sens mes doigts se serrer sur la hanse de ma tasse.

« Parce que la connasse qui m'a mise au monde me tapait dessus ? Parce que je ne pouvais rien faire d'autre que de subir ses envies malsaines ? Bordel... »

 Je l'ai dit à haute voix, prenant ma tête dans mes mains. La porcelaine que je sens contre ma tempe laissera probablement une trace. J'ai subit, sans rien faire. Quand d'autres se sont battus, défendus contre ceux qui leur voulaient du mal. Mais c'est moi qui suis là, au paradis, quand ceux qui ont eu les couilles de prendre leur vie en main viendrons jamais à Terrae.

 Je devrais être heureux, ma vie est parfaite, je suis bien entouré et tout ça. Et pourtant je me laisse aller, je ne fais plus autant de sport qu'avant, je m'entraîne moins qu'avant. Heureusement qu'Onee chan n'est pas là bordel. Ça lui ferait de la peine de me sentir dans cet état. Et ça me casserait les couilles d'en parler. Tout va bien putain. Alors pourquoi je me sens pas à ma place ? C'est ma place, je suis là, je vis un rêve éveillé chaque putain de jour que Dieu fait mais pourquoi moi… Pourquoi je suis là ? J'veux dire… Évidemment que je me plais ici. Alors pourquoi est ce que je me demande sans cesse si un jour quelqu'un viendra pas me voir en disant '' Ça y est tu vas mieux tu peux rentrer chez toi'' ou ''Quelqu'un a plus besoin que toi d'être ici, dégage on t'a assez aidé''
Ça semble si improbable comme situation. Tout le monde ici est bienveillant. En dehors de certains teubés évidemment, mais la majorité des terraens cherchent toujours à prendre soin des autres. Pourtant j'ai peur que ça s'arrête d'un coup. Malgré la confiance que j'ai en mes amis ici…

 Je pose le mug vide sur la table basse à côté du jacuzzi, les yeux tournés vers le plafond. Je sens la langue de ma petite sœur qui profite de ce bras hors de l'eau pour me faire des papouilles alors je flatte la base de son cou et sa poitrine en souriant.

« Il faut que je leur montre que je mérite ma place. Que je travaille dur. Que j'aide les gens. T'es pas d'accord avec moi ma belle ? »

 Plus facile à dire qu'à faire. J'en ai bien conscience. Je délaisse déjà beaucoup trop mon entraînement de futur super héro, à faire des heures sup' et à veiller bien trop tard le soir pour m'assurer qu'Ipiu n'aura pas besoin d'aide quand elle rentrera. La plupart du temps en faisant en sorte qu'elle ne se doute de rien, pour ne pas qu'elle se sente obligée de rentrer plus tôt ou quoi. Mais du coup je suis souvent trop crevé le matin pour aller courir, ou alors je suis juste à la bourre. J'ai pris du poids. Et c'est pas du muscle. Tifa aussi j'ai l'impression. Je la sors moins. J'ai moins le temps.

« Je suis désolé petite sœur, j'aimerais bien passer plus de temps avec toi. Prendre plus soin de toi. »

 Ma poitrine se serre d'un coup, les crocs de la chienne se referment sans violence, mais avec fermeté sur mon poignet. Tifa ? Qu'est ce que… Putain Erik. T'es une sacrée merde. Évidemment que tu veux passer plus de temps avec Tifa gros débile. C'est ta responsabilité de prendre soin d'elle. Prends soin d'elle. Prend soin de toi. Je pousse un nouveau soupire quand cette réalisation me frappe de plein fouet.

 Je sors péniblement du jacuzzi, les yeux rivés sur la boule de poils noirs que je distingue à grand peine sans mes lunettes, et j'enfile mon caleçon, mon t-shirt et passe enfiler un short dans ma chambre à l'étage avant d'appeler mon ange gardien.

« On sort se balader Tif' ? Ouii viens là ! »

 La queue remuante de joie, la labrador me rejoint rapidement, venant caler sa truffe humide dans ma main gauche.

« Excuse moi Tifa. T'es ce que j'ai de plus cher tu sais… On va prendre soin de toi ok ? Good girl ! »

 Parfois, la lucidité dont elle fait preuve m'effraie. Tu me connais aussi bien Tifa ? Tu te rends si vite compte que ça ne va pas ? C'est tata Piu qui t'a appris des tours bizarres ? Je ferme la porte à clé et commence à m'éloigner à petites foulées, la chienne sur les talons.

 Elle a raison. Elle mérite que je prenne soin d'elle, et de moi. On va reprendre le sport. L’entraînement. Même si la priorité ça reste de trouver un moyen de pouvoir rester à Terrae. C'est notre maison maintenant, et je refuse qu'on me vole ma place. Il faut que je sois parfait. Que je sois un exemple. Peut être que je devrais aller voir du côté de l'institut si je peux pas me rendre utile auprès des nouveaux arrivants, ou des jeunes… Peut être donner des cours de japonais, ou d'anglais… Et si ça prend du temps tant mieux, les gens verront bien que je suis investi comme ça !