Je suis de très bonne humeur.

Crédible ? J’m’en tamponne.

On se regarde tous les uns les autres, on attend le signal de Tomoe pour décoller. Mitsu nous a fourni des cristaux en disant « faites en bon usage ! » et on sait tous que c’est Aaron qui va le mieux gérer donc on compte sur lui. Keitaro lui nous a fourni des cristaux télépathes pour pouvoir communiquer entre nous sans un mot, mais aussi pour qu’il puisse nous communiquer des informations de la part de Tomoe sans s’épuiser de trop.

On est aux petits oignons. On sait ce qu’on doit faire. A la seconde on doit le faire mais on n’est jamais trop prudents. On réfléchira après. Après la mission. Après que ce soit fini. Faut agir maintenant.

C’est moi qui ait ressenti son vide, c’était logique, quelque-part. Pourtant on ne l’a pas retrouvé de suite. Ce vide était perdu, disparaissait, reparaissait, en pointillés. On se doutait qu’il y avait un truc pas net, on se doutait qu’il y avait des cons qui utilisaient un des nôtres… Mais c’était ténu, et on avait autre-chose à faire surtout. Puis un jour, un peu après une discussion des plus étranges avec Ariana, j’ai débarqué chez Tomoe un peu complètement désorientée et j’lui ai dit « j’veux retrouver mon fils, retrouves-le je t’en supplie. » et elle m’a écouté parlé beaucoup, et elle m’a pas envoyée bouler. Elle a cherché, suivi la temporalité de cet être qui s’était détaché de moi sans que je ne l’ai pris une seule fois dans mes bras à partir des quelques informations que j’avais sur lui et elle a fait le lien entre le Vide en pointillés… Et Aylan.

Et j’ai clairement pas envie de penser à ça putain. Je serre le dents. C’est l’heure. Ashton à ma droite. Ryu en face de moi. Je m’agrippe à la main de Ronron, un peu désespérée. Heureusement qu’il est là. Quand on arrive l’un s’occupe de calmer les appétits guerriers des dogues du Centre, l’autre de niquer le système de brouillage des pouvoirs et de communication de l’avion.

Soudain le vide reparait. On a six minutes. Je regarde Tomoe. Elle hoche la tête.

« Go. »

Une inspiration. Une expiration.

J'ai le ventre tordu, la gorge compressée ; un sentiment de malaise qui me parcourt tout entier. L'adrénaline agit. Coeur qui bat fort, respiration plus rapide que la moyenne. J'essaie de la contrôler pour me contrôler moi-même.

Tout est allé trop vite. Après le stress provoqué par le combat de Nicolas contre Hideko, c'est sur une toute autre mission que l'on doit se focaliser. Le choc passé, j'ai essayé de prendre soin d'Ipiu comme je le pouvais. Et évidemment, je serai là. Je serai là.

C'est important. On a pas le droit de se louper. Sauf que là, c'est un tout autre niveau de dangerosité. On s'attaque au Centre, qui retient Aylan dans un avion à la technologie de pointe, dans les airs, pour lui faire subir des expériences sans doute inhumaines. Un bloqueur et brouilleur de pouvoirs est installé. Il faut donc qu'on le désactive en priorité. Mais avant, il faut qu'on arrive dans ce foutu appareil.

Il a été décidé à l'unanimité moins un que je m'occuperai de la téléportation ; moins un parce que se téléporter dans un avion en déplacement, c'est pas de la tarte, et j'avais pas envie de prendre cette responsabilité. On a révisé le plan des dizaines de fois, on a exploré les possibilités grâce à Tomoe, on sait ce qu'on doit faire ; l'objectif, c'est d'y aller et d'en ressortir le plus rapidement possible. Mais on sait tous que ça peut prendre cinq minutes comme ça peut prendre des heures.

Cela étant, si on arrive pas dans l'avion, ça prendra juste le temps d'une chute libre. Je lève les yeux vers Ryu à ma gauche, cherchant son soutien silencieux. Si je me loupe, je compte sur toi.

Inspiration. Expiration.

Avec Ashton, on a fait les calculs chacun de notre côté, qu'on a ensuite mis en commun, pour déterminer la vitesse de déplacement de l'avion et surtout où je dois me téléporter par rapport à mon point de ciblage. Je cherche son regard. J'ai jamais été aussi content qu'il fasse partie d'une mission.

Inspiration. Expiration. Doucement, je serre la main d'Ipiu dans la mienne.

Ipiu donne le feu vert. Je me connecte à cette énergie qui résonne à travers elle, laissant dans le même temps une vague de calme m'envahir et s'écraser sur mes coéquipiers. Mes yeux se colorent d'or alors que je prends le temps de cibler mon point d'atterrissage. Quelques secondes, tout au plus.

Je retiens mon souffle et nous téléporte grâce au cristal de Mitsuki.





On atterrit sur un sol. Je suis crispé sur la main de Ryu et Ipiu, j'crois que j'en tremble un peu lorsque je me rends compte que j'ai réussi. Tout le monde est là, j'ai perdu personne en route lol. Pas aussi proche d'Aylan que je l'aurais souhaité, on est sans doute au milieu d'un couloir à quelques dizaines de mètres. Je relâche la main de Ryu, garde celle de mon amie dans la mienne un instant de plus. Je sais pas si c'est pour me rassurer moi ou la rassurer elle, mais il me faut plusieurs secondes pour reprendre mon souffle. Puis je lève mes yeux luisants vers mes trois collègues.

—Désolé, j'ai pas réussi à faire plus proche, je lâche sobrement, tout en me disant qu'on aurait aussi pu crever, donc en fait ça va.

Tout en parlant, je pose ma main sur le mur, comme si ce fait pouvait m'aider à m'infiltrer dans le système avec plus de facilité. En réalité, c'est juste pour ne pas perdre le contact de la réalité pendant que je m'occupe de tout ce merdier. Remonter un fil. Remonter le système des caméras. On bloque tout sur des images fixes, on remonte en arrière, juste avant notre arrivée. Je respire. Le système de brouillage — bloqué en position fermé. Les communications — interception. Communications vers l'extérieur — bloquées. On brouillera les communications à l'intérieur quand ils auront remarqué notre présence. En attendant, je les relie à nos oreillettes en mode écoute — ça nous permettra de savoir quand on sera repérés. Je n'entends pas ce qui se dit autour de moi ni dans l'oreillette, trop concentré.

—Système HS, communication vers l'extérieur bloquée, brouilleur bloqué, je reprends succinctement. Ca peut être déverrouillé avec un peu de bidouille manuelle, mais ça leur prendra au moins quelques minutes. Faut qu'on se grouille.

Ipiu s'occupe des gardes. Ca va aller. J'ai pris le contrôle de l'avion en arrière-plan, faut que je reste un minimum concentré et je pourrai maintenir tout ça sous surveillance. J'vous laisse me guider pour l'instant, les gars.



HRP : comme le dé tiré est à 82, c'est pas une réussite de l'enfer, donc je les téléporte pas à côté d'Aylan !
- Aaron est HS durant quelques minutes à l'arrivée, faudra pas attendre quoi que ce soit de plus de lui avant un moment ; trop d'énergie déployée d'un coup.
- Je vous laisse le soin de déterminer s'ils sont repérés ou pas
(on avait dit speed ? lol déso. j'ai séparé en deux pour que ce soit plus lisible !)

     Quelques instants plus tôt, au large des côtes argentines.
     « On était trois dans le mirador, tu vois ?
     – Ouais.
     – Et alors, attend, tu vas rire, là, y’a l’adjudant qui se ramène.
     – Pourquoi c’est toujours les adjudants qui prennent ?
     – Parce que. Bon tu la veux ton histoire oui ou merde ?
     – Vas-y.
     – Ok, donc l’adjudant se ramène, et là, véridique hein. Il nous regarde. Genre, il savait qu’on était trois, tu vois. Et tu sais ce qu’il nous dit ? “hé vous là-haut, je veux la moitié qui descende !”
     – Arrête…
     – Je te jure ! Après on a tous pris deux semaines parce qu’on pouvait pas s’arrêter de se ma⁠—
     – Ça se fout de la gueule des adjudants ici ?
     – Non mon adjudant.
     – J’aime mieux ça. Je sais qu’il se passe rien ici mais essayez de pas être des trous du cul trente secondes. J’ai pas envie d’avoir à expliquer aux patrons que des fils de pute qui sont loués deux mille dollars le mois passent leur temps à faire des pauses café et à raconter des blagues de merde. Tiens ben en parlant de café, allez m’en chercher un au lieu de glander dans les couloirs. »
     Contrairement à ce qu’on pourrait s’attendre, l’ambiance était relativement détendue, à bord. Ou du moins, cela dépendait d’où on se trouvait dans l’appareil. L’escouade de mercenaires armés ne trouvaient rien de constructif à faire de son temps. Et comme à chaque fois que l’oisiveté règne, sa discipline se relâchait quelque peu. Dans le cockpit, au contraire, la tension était beaucoup plus palpable. Tout d’abord, le pilote et le copilote de l’appareil n’étaient pas une bande de soudards irlandais, mais des professionnels du Centre, du personnel naviguant formé et particulièrement embrigadé. Se laisser aller était beaucoup moins dans leurs habitudes. Il en allait de même pour les escorteurs qui volaient autour de l’avion de transport. Une demi-heure plus tôt, des chasseurs anglais avaient repéré de convoi et il s’en était suivi un long moment de tension, où le copilote du Centre avait envoyé les faux codes d’accès namibiens qui devaient les autoriser à circuler dans cet espace, suspicieusement proche des îles Malouines. Les Anglais du coin avaient tendance à être excessivement précautionneux et à ne pas regarder à la dépense de carburant. Ils pouvaient se permettre de faire voler leurs propres avions autant qu’ils le voulaient peur ces vérifications procédurières à la con. Et cela exaspérait profondément le pilote :
     « La prochaine fois, même si ça rajoute une heure de vol, on passera plus au nord. Marre de me farcir ces connards. »
     Leurs autorisations confirmées par la base aérienne des Malouines, les chasseurs britanniques s’étaient retirés, mais cela ne voulait rien dire. Comme d’habitude, leur réponse avait été sibylline : « Enregistré, on va voir ce que dit le contrôle. » Si tout se passait bien, ils ne reviendraient pas. Autrement, pas dit qu’ils envoyassent un coup de semonce ou prévinssent avant de commencer à tirer.
     Dans cet laps de temps où le convoi risquait encore de recevoir une visite impromptue, la partie de l’avion occupée par le laboratoire appela le cockpit :
     « Bonjour les gars.
     – Bonsoir. »
     Le pilote avait répondu avec son ton massacrant habituel. Si le reste de l’équipage venait de finir son petit-déjeuner, lui était à son poste depuis plusieurs heures et commençait à en avoir jusque là de faire des vols aussi tôt avec cette bande de branleurs qu’il devait trimbaler.
     « Ouais ouais ouais, bonjour. Vous nous désactivez le bouclier ?
     – Ça peut attendre une demi-heure, qu’on sorte de l’espace d’interception anglais ?
     – Nan. »
     Le pilote coupa l’interphone et appuya sur le bouton de désactivation. Puis se fendit d’un commentaire à son copilote :
     « Vraiment ras le cul. Quand on sera arrivé, rien à foutre, je demande à être muté. »
     « Je demanderai aussi à ce que tu le sois. » Le copilote n’osa pas répondre à voix haute. Mais des deux occupants du cockpit, c’était clairement lui qui était le plus gavé par cette mission : il subissait les mêmes problèmes que son collègue, et son collègue en prime.

     Pendant ce temps, dans le labo, on gloussait un peu. La personne qui contrôlait réellement cet appareil, du nez à la queue, c’était lui : le responsable supérieur de l’équipe scientifique. Il n’était pas capable de faire voler un avion ou de « tirer sur un penny à cinq cents mètres de distance avec un L85 », comme le responsable de la sécurité s’en vantait souvent, mais il était responsable de la seule chose ayant de la valeur dans ce coucou miteux. Et il le savait très bien.
     « Aylan, on peut commencer les tests. Pouvoir air, expérience n°23, heure de bord 0912. Réessaie de nous faire cette boule d’air, comme hier.
     – Oui monsieur. »

     L’instant après que le bouclier ait été désactivé, un des deux mercenaires s’étant fait reprendre plus tôt sortit du coin où on prenait sa pause café. Remontant les couloirs, il tomba au détour d’un couloir sur un groupe de quatre personnes.
     « Vous… »
     Peu importe ce que cela signifiait, son entraînement revint et ses réflexes se réactivèrent. Il lâcha le petit plateau où trois cafés et un croissant étaient disposés pour atteindre sa radio. Pas dit qu’il allait avoir ne serait-ce que le temps de la saisir.

Ashton posa son regard sur Aaron, puis Ipiu. Ils avaient réfléchi le plan, les calculs étaient précis, tout devait normalement bien se dérouler. A supposer que personne ne cède à ses pulsions. Selon lui, tout reposait sur la capacité des deux Tonnerres à garder leur calme. Une chance qu'ils soient Sensitifs... Mais ça pouvait aussi être à double tranchant. Ils se canalisaient, ou affublaient tout le monde de leurs émotions incontrôlables. Et vu le niveau de puissance des membres de l'équipe, aucune barrière de Master ne ferait le poids.

Il attendit qu'Aaron soit prêt pour la téléportation, sentant une vague de calme l'envahir, et rangea soigneusement le plan de l'avion dessiné grâce aux indications de Tomoe dans la poche arrière de son pantalon. Quand la voix d'Ipiu attira son attention, il posa sa main sur l'épaule de Ryu, et l'instant d'après, ils étaient téléportés dans l'engin volant.

Aaron s'occupa immédiatement de brouiller les signaux électroniques tandis que le Master Morphe sortait son plan pour essayer de repérer l'endroit où ils avaient atterris. Ryu siffla discrètement.

-Il est pas loin.

Sa greffe, si souvent pointée du doigt, avait au moins le mérite de l'aider à cerner les énergies encore plus rapidement que n'importe lequel d'entre eux ici. Et Ashton trouvait cela rassurant ; s'il n'avait pas encore testé ses pouvoirs, il avait maintenant la certitude qu'ils n'étaient pas bloqués, que ce soit grâce aux mots prononcés par Ryu ou Aaron.

Ils étaient donc quatre. Mais n'avaient pas encore été repérés. Il était temps de s'infiltrer.
Ashton allait se transformer quand une voix attira son attention derrière lui. Il pesta. Prendre l'apparence d'un insecte invisible pour couvrir leurs arrières n'était déjà plus possible.

C'était donc à Ipiu d'ouvrir la marche, à eux de la couvrir.

Une sphère d'eau apparut sous le plateau avant qu'il ne touche le sol et ne fasse du bruit, réceptionnant au vol tout ce qui était sensé se trouver dessus. Ryu augmenta la pression de l'air autour de l'homme, bloquant ses gestes pour l'empêcher d'atteindre ce qu'il semblait chercher pour, probablement, sonner l'alerte.

-A toi de jouer, souffla Ashton alors qu'il prenait l'apparence de l'homme qu'il venait d'intercepter.

Et il lui tendit le plan des lieux.

Ronron a réussi. On est dans la place. Je sens mon ventre se nouer. Je le vois se projeter vers son but.

On sait où on est grâce aux plans des voyants et à leurs visions que nous ont transmis les télépathes, suffit de mettre les deux en rapport. Ashton s'y colle. Soudainement une vague de flemme s’abat sur les gardes présents dans l’avion, s’insinue en eux, comment-ça, une ronde à faire ? LOL. Flemme. Bien sûr je sais qui fatiguer et qui laisser indemne pour l’instant, le timming tout ça. Pas besoin de les voir, je sens leurs énergies vaporeuses et les rattache aux plans que je connais. Quand les deux branques débarquent derrière nous je regarde Ashton il sait ce qu’il a à faire. Ryu aussi. Moi aussi.

J’avance, il y a quelques présences dans des salles adjacentes mais aucune n’a tellement envie d’aller faire un tour de notre côté, flemme, fatigue, on remet ça à plus tard. Soudain. La porte. Cette porte. Je serre les dents. J’ai pas assez d’énergie pour tout gérer simultanément. Moi et les autres. Alors pour l’instant faut que je gère les autres. Leurs énergies. La fatigue. L’asthénie intense. Ils sont incapables de bouger quand nous entrons dans la pièce, quelques secondes plus tard, seul le jeune garçon blond est encore en capacité d’agir par lui-même. Je plaque un. Non déso, j’arrive pas à sourire.

Il est. Magnifique. Etonnant. Etonné. Surprenant. Là.

« Bonjour Aylan, nous sommes venus te chercher. »

Est-ce qu’il va bien ? Est-ce qu’il sait qui je suis ? Est-ce que je vais bien ? STOP. On compartimente. La mission. LA MISSION.

Une inspiration. Une expiration. Je reste concentré un moment sur le système, pour prévenir toute défaillance, toute faille, toute perte de contrôle, toute information qui filtrerait. Mais avoir son cerveau dans un bain de données, ça nous empêche un peu d'être réactif au monde extérieur. C'est pour cette raison que Ryu et Ashton sont là ; et très honnêtement, je leur fais amplement confiance pour cette tâche. Ils sont d'excellents éléments, bien davantage que moi. J'ai beau ne pas apprécier Ashton pour la simple et bonne raison que je le trouve trop rigide et calculateur, c'est aussi pour cette raison qu'il est redoutable sur le terrain. Ryu est plus posé, mais tout aussi réfléchi ; s'il y a un problème avec Aylan, il arrivera probablement à user de la voie (ou la voix, dans son cas) diplomatique. Ipiu, elle… Je ne vais pas m'attarder à m'interroger sur ce qu'elle pense et ressent, j'imagine qu'au plus tôt cette histoire sera bouclée, et au plus tôt on pourra en discuter. Ou faire comme si de rien n'était pendant quelques années, selon son niveau d'alcoolisation et de déni.

Un homme arrive, Ashton et Ryu se chargent de lui, je hoche la tête en approbation ; j'peux pas faire grand-chose de plus. Ipiu se charge d'endormir la méfiance des gardes, avec un peu de chance on pourra les amener à faire un bon dodo quand on sera en face d'eux... Elle prend le plan, je suis sur ses talons (enfin ses roues, quoi).

Nous entrons. Aylan n'est pas seul dans la pièce, mais il a l'air le seul à ne pas avoir les yeux lourds de fatigue. Mon coeur loupe un battement. J'pose un regard sur Ipiu, inquiet, mais reporte rapidement mon attention sur Aylan en me posant contre l'encadrement de la porte. Bras croisés mais un sourire aux lèvres. C'est un sourire que je veux sympa, sans doute un peu automatique, pas trop large. Aux aguets ; je reste quand même concentré au maximum. Aucune information ne sortira de cette pièce. Les caméras passent en boucle les images de la discussion du chercheur et Aylan. Ca endormira les suspicions de ceux qui surveillent durant quelques minutes, mais pas vraiment plus. J'ai l'impression d'avoir la cocotte qui fume, et essaie de pas me déconcentrer sur les émotions d'Ipiu : je lui fais confiance pour gérer.

—J'm'appelle Aaron, et voici Ipiu. Tu veux bien qu'on discute ?

Ouais, parce que commencer par "salut, bon, on y va ?" c'est pas toujours le moyen le plus diplomatique de se présenter, hein. Pour autant, j'sens que c'est pas à moi de gérer cette rencontre pour le moment. J'attends le feu vert. Ne pressons pas les choses...



TLDR : Aaron continue à bloquer les communications, il reste aux aguets niveau transmission ; il crushe un peu sur Ryu et Ashton qui gèrent, stresse pour Ipiu et sourit à Aylan pour faire genre "non mais on est pas trop chelous mdr".

     Quelques instants plus tôt, dans la pièce d’expérimentation.
     « Très bien, continue comme… oooaaah… »
     Aylan releva la tête. Le professeur Nassim, bâiller ? lui qui passait son temps à insulter dans trois langues sémites différentes ses assistants quand ils osaient prendre une pause, qui refusait de nommer les mercenaires de la CSC (pour Cork Security Company) les accompagnant autrement que comme les « Café Sieste Clope », qui avait fait virer un des pilotes des escorteurs sur motif de « glandouillage » ?
     Déconcentré, sa boule d’air lui échappa des mains et fusa contre la vitre pare-balle avec un certain fracas.
     « Oups. Monsieur Nassim ? »
     Celui-ci serait déjà en train de noter le résultat en songeant – ou plutôt gloussant – à une application sur le champ de bataille, mais à la place…
     « Ouais j’ai… juste… besoin d’une… »
     Et il s’assit, ou plutôt, s’affala sur une chaise. Et… Se mit à baver ? Aylan se frotta les yeux, essaya de se souvenir de ce qu’il avait mangé dernièrement. Non, ce n’était ni un rêve ni l’effet de produits étranges qu’on lui aurait fait avaler. Il n’avait pris aucun cachet dernièrement et ça faisait longtemps qu’il était assez docile pour qu’on ne les lui administrât plus à l’insu de son plein gré.
     « Monsieur Nassim ? »
     Alors il était juste fatigué ?
     « Ooohé monsieur Nassim ? Je fais quoi moi si vous dormez ? »
     Aylan se mit à lui tapoter l’épaule. À peine une réaction. Plus fort. De plus en plus fort. Au bout d’un moment, ça devint carrément des coups du plat de la main.
     « HÉO MONSIEUR NASS— Oh. »
     Des gens. Qui parlaient anglais. Dans le tiers de l’appareil du professeur Nassim. Qui avait affiché des panneaux « interdiction de cracher par terre et de parler anglais » un peu partout. Et viré tous ses assistants qui ne pouvaient pas parler en un arabe parfait.
     D’ailleurs, le professeur Nassim s’effondra de sa chaise suite à la dernière tape. Aylan le regarda. Regarda les nouveaux venus. La femme en chaise roulante. Le type dans l’entrebâillement de la porte qui lui avait parlé. Les deux autres gonzes derrière qu’on pouvait deviner derrière.
     Le type qui lui avait parlé et avait les yeux qui s’illuminaient d’une énergie magique, chose assez étrange pour être signalée.
     « Euh. »
     « Vous êtes qui d’abord ? » serait une question évidente, mais au Centre, on ne pose pas ces questions. Quand des adultes donnent des ordres, on obéit d’abord, on réfléchit ensuite. S’il doit venir avec eux et discuter, il vient avec eux et ils parlent. Mais Aylan avait vu des employés du Centre en rabaisser, insulter, torturer, tuer d’autres, mais jamais il n’en avait vu en faire s’endormir d’autres à distance.
     Des Terraens ?
     « C’est vous qui avez fait ça ? »
     Il désigna le professeur Nassim. Inutile de préciser que c’était une question rhétorique.
     « COMMENT C’EST MÉGA TROP COOL ! Ah oui pardon pas hurler. Vous avez endormi tout le monde ? »
     Si Aaron avait des DEL et Ipiu des larmes dans les yeux, Aylan lui avait des paillettes.

La situation était pour le moment sous contrôle. Ryu suivit le groupe qui se déplaçait. Il ne devait de toute façon pas quitter Aaron d'une semelle ; si quelque chose cessait de fonctionner, ce serait à lui de reprendre le contrôle du vaisseau par les Airs.

Ashton, désormais affublé d'un nouveau visage, restait à ses côtés pendant que les deux Tonnerres s'avançaient dans le couloir. Ils restèrent en retrait pour monter la garde alors qu'ils pénétraient dans une pièce où devait se trouver Aylan.

Tout se passait un peu trop bien pour le moment, ce qui commençait déjà à le stresser. Lorsque la voix du garçon s'éleva un peu fort dans les airs, il fronça légèrement les sourcils, l'atténuant avec son pouvoir de Sonore pour que personne à part eux ne l'entende. Il se doutait bien qu'Ipiu avait utilisé son pouvoir sur une bonne partie de l'avion, mais il se doutait aussi qu'elle n'avait pas pu endormir tout le monde sans savoir précisément où tout le monde se trouvait... Capter l'énergie de personnes sans pouvoir n'était pas si évident que ça.

Il continua à scruter le couloir. Ashton s'avança un peu plus, sous couverture, pour vérifier que personne n'arrivait de l'autre côté, à l'embranchement.

Sa réflexion sur l'énergie lui permit d'ailleurs de constater que personne d'autre à part Aylan ne semblait avoir de pouvoirs dans l'appareil, ce qui était plutôt une bonne chose. S'ils avaient pu retrouver Aylan et concentrer toutes leurs recherches sur lui, c'était bien parce qu'il était plus facile à repérer grâce à Ipiu. Mais malgré toutes leurs préparations, les brouilleurs les avaient empêchés de savoir à l'avance si d'autres membres de l'équipage avaient des pouvoirs. Et s'il ne ressentait aucune autre énergie maintenant que les boucliers étaient tombés, c'était bon signe. Restait à espérer qu'ils n'avaient pas mis la main sur des cristaux... Car il savait que certaines machines fournies à leur partenaire avaient déjà été volés.

Il resta donc prêt à réagir face au moindre problème, tandis que le binôme de Tonnerre s'occupait de l'enfant.

Evidement Aaron formule le truc mieux. C’est parce qu’il est papa. C’est sûr. Il sait qu’on dit pas à un gamin « allez viens suis-nous ! » bon en soit, j’aurais pu faire pire et dire « allez viens suis nous on a des bonbons. » sauf que hein, j’l’ai pas fait, et c’est pas évident d’être concentrée, je sais où se situent à peu près les gens que je dois endormir… Et tout se situe dans le à peu près, j’endors massivement des pièces sans me focaliser sur les énergies propres… En soit, je perds pas de temp, je gaspille de l’énergie. On fait comme on peut.

En parlant d’énergie, j’vous ai parlé de celle d’Aylan ? C’est genre une pile électrique, et pas besoin d’être sensitif pour le savoir, rien que dans son attitude, son écoute… Ah, le scientifique a l’air d’avoir passé un mauvais quart d’heure, à moins qu’il ne soit méga négligé, et ça n’en a pas l’air quand on regarde le pli impeccable de son pantalon. Pourquoi je remarque ça ? Parce que je suis méga mal à l’aise de regarder cet enfant.

« Oui c’est nous, et non tout le monde ne dort pas. On n’a pas énormément de temps pour t’expliquer. Il faut que tu viennes avec nous. »

J’aimerais lui dire « tu as le choix de nous suivre » mais clairement il ne l’a pas. Désolée Aaron, c’est toi la diplo aujourd’hui.

Le gamin ressemble beaucoup trop à Ipiu, c'en est indécent. Déjà, y a les yeux. C'est le premier truc qu'on remarque à son sujet, déjà parce qu'ils sont violets, et ensuite parce qu'Ipiu a exactement les mêmes. S'il calculer 2+2 peut-être que j'aurai pas à lui annoncer à la place d'Ipiu que "salut c'est ta daronne, comment tu vas sinon ?". Pourquoi à la place d'Ipiu ? Les gars, vous connaissez Ipiu dans son déni ? C'est chaud.

J'ai un sourire en coin face à la question un peu innocente… Puis ouvre grands les yeux à son exclamation. Ouais. C'est l'fils de sa mère. J'pensais pas dire ça un jour. Quel enfer.
Enfin, j'ai compris le message.

—En fait, c'est surtout elle qui a fait ça, je souris en pointant Ipiu du pouce. On débarque un peu à l'improviste, désolé. Cela étant, j'te propose un marché : on répond à toutes les questions que tu veux, on te montre nos pouvoirs, mais on le fait une fois qu'on est sortis de cet engin, ça te va ? C'est pas qu'on aime pas trop tes collègues, mais si on peut éviter de les impliquer ce serait cool.

J'regarde le mec affalé sur son siège d'un air inquiet. Ouais, j'suis surtout inquiet parce que c'est moi qui suis chargé de convaincre un gosse capable du pire, là. Les impulsifs comme ça, j'les connais... J'me dis : imagine-toi que c'est Senri en face, en plus intelligent. SOIS PRÊT A TOUT.

     Que faire dans cette situation ? Dans l’esprit d’Aylan, deux raisonnements contradictoires s’opposaient : d’un côté, des adultes lui demandent de faire quelque chose, il doit obéir, c’est comme ça. Surtout que s’ils peuvent se téléporter dans un avion et contrôler une grande partie des personnes présentes en les faisant sombrer dans un état catatonique, ils ne lui demandent son avis que pour la forme.
     De l’autre, ce sont des Terraens. Techniquement des ennemis.
     Oui, mais ils étaient super méga géniaux avec leurs pouvoirs giga impressionnants. Pour paraphraser son train de pensée.
     Est-ce qu’Aylan crevait d’envie d’en voir plus ? Carrément.
     « D’accord. »
     Par contre, il n’avait pas du tout calculé le lien entre Ipiu et lui. Déjà parce qu’il n’avait d’yeux que pour Aaron, qui paraissait bien plus classe que cette nana en fauteuil qui osait à peine le regarder en face. Ensuite parce qu’il avait un peu trop d’informations à traiter pour le moment.
     « Mais… On peut pas partir comme ça ! Si on part comme ça, l’adjudant Flanagan va se faire punir. Et… il est gentil. »
     Pas la peine d’expliquer tout ce qui pouvait se cacher derrière une punition administrée par le Centre. L’adjudant Maguire, toujours soucieux d’emmerder le professeur Nassim sans pour autant perdre son boulot, trouvait à chaque escale un moyen pour acheter des bonbons et les refiler à Aylan. Lors des longues phases où l’équipe de recherche n’avait pas besoin de leur sujet de test, les Irlandais et Aylan traînaient en général ensemble. Cela ravissait les chercheurs, qui n’avaient pas à faire garderie, et les mercenaires, qui avaient un compagnon de jeu supplémentaire. Si vous vous demandez un jour pourquoi Aylan est si bon au poker, vous saurez d’où ça vient.
     Enfin, ce n’est pas pour autant qu’Aylan avait un plan pour les aider. Il s’attendait à ce que ce soient les adultes qui trouvent à sa place et prennent des initiatives, comme d’habitude. Inutile d’être fin psychologue pour voir que ça lui faisait du mal de partir comme ça avec des inconnus.
     « Et, euh… Je peux aller chercher mes affaires ? Elles sont pas loin hein ! Juste à l’arrière de l’avion dans un sac. »

Ashton traversa le couloir sans croiser personne sur son chemin. Quand il repartit dans l'autre sens, il s'assura que personne n'arrivait derrière.

Il rejoignit donc l'équipe de sauvetage après une minute d'absence, entendant déjà leurs voix parvenir discrètement à ses oreilles. Tout en restant au coin du couloir, il jeta un coup d'oeil à la silhouette d'Ipiu qu'il distinguait dans le cadre de la porte. Elle avait l'air de tenir le coup, ce qui le rassurait un peu, même s'il se doutait qu'emmener ce gamin avec eux ne serait pas aussi facile. Les sensitifs allaient-ils utiliser leurs pouvoirs pour le convaincre de partir au plus vite ? Ou auraient-ils trop de remord à le faire, le contraignant à suivre encore les ordres avant de lui offrir la possibilité de discuter ?

Il ne s'en occupa pas, n'écoutant que d'une oreille distraite. Son rôle à lui était simplement de protéger ses équipiers.

Il s'adossa donc contre un mur, et se concentra sur les bruits qu'il entendait. Il releva la tête quand, à travers l'oreillette, la voix du gamin arriva à ses oreilles, demandant la permission d'aller récupérer ses affaires avant de partir. C'était une plaisanterie ? Ben oui, tiens, et il pouvait même s'amuser à piloter le vaisseau avant de partir aussi. Il croisa le regard de Ryu. Non. Il en était absolument hors de question. Il y avait suffisamment d'affaires à Terrae pour lui refaire un stock de vêtements. Manquerait plus qu'il évoque son doudou et Ashton serait vacciné à vie contre les gamins.

La diplomatie à la Ronron. Il fait genre il lui laisse le choix, il l'appâte. J'ai parlé des bonbons tout ça ? Et bien entendu Aylan profite de la proposition pour faire l'enfant. Qui pourrait le lui reprocher, sauf que je sais qu'il a été élevé au Centre. Je sais ce que cela implique comme formatage.

"L'adjudant Flanagan risque bien plus si on part avec lui que si on le laisse ici. Le Centre ne punira pas tous les membres de ce vol. Ils sont trop nombreux. Tu sais que ce serait contre productif de faire un exemple nombreux, tu diminues les soldats compétents en nombre pour rien. Par contre, si on l'emmène avec nous. C'est un complice. Une cible."

On parle le langage de la logique implacable. Oui, il y aura des sanctions. On le sait. Seulement peu de chance que ce soit sur quelqu'un d'utile. Flanagan est utile. Il fait croire aux enfants qu'ils sont importants pour lui. Quand on se sent important pour quelqu'un on a une attache.

"Tu n'as pas besoin de tes affaires. Nous te fournirons ce dont tu as besoin."

Et d'ailleurs je préfère que tu ne prennes rien, je ne sais pas ce que tu peux cacher dans lesdites affaires… Ou pire, ce que le Centre peut cacher dans lesdites affaires.

"Et il est gentil."
Ce gamin est trop mignon. Beaucoup trop chou. Une partie de mon cerveau essaie de passer en mode Daaron, mais la partie qui se souvient qu'elle est en mission face à un enfant soldat élevé par le Centre lui rappelle de se tenir à carreau. Enfin, je suppose que c'est surtout l'arrivée d'Ashton dans notre dos qui me fait me mordre l'intérieur de la joue pour pas répondre immédiatement "mohhh bb" ahem. Heureusement, Ipiu est censée. Ipiu répond bien. C'est bien Ipiu !! Merci ! J'acquiesce vivement à côté, peut-être un peu trop spontanément, mais si j'arrive à me le permettre, c'est qu'une partie de moi sait que ce gosse a peu de chance de mal réagir. S'il est bien spontané comme il l'a montré tout à l'heure, il y a moyen que ce soit un comportement qui ne le choque pas en face et au contraire aide à créer du lien.

Et puis là................................. le mode Daaron s'active définitivement. Dans un seul souffle, je manque de dire "Bien sûr aucun problème on va te chercher tes affaires" mais Ipiu arrive à répondre avant moi. Je lui lance un regard un peu outré, mais croise le regard froid et agacé d'Ashton. Pour le soutien, je cherche celui de Ryu. MAIS VAZY, TOI AUSSI T'ES UN PAPA !!!

—C'est... sans doute mieux si tu ne les emmènes pas, oui, j'arrive à prononcer, la mort dans l'âme. On pourra te racheter ce dont tu as envie ! (Sauf un flingue, j'suppose.)

Mon pauvre coeur de papa se brise en disant ça. Je sais à quel point les objets peuvent être importants pour des gosses. J'm'y connais. Même pour les plus âgés, c'est compliqué ; mes frangines étaient trop tristes dès qu'elles devaient se séparer d'un vêtement, sac ou objet un peu vieux ou cassés. Et surtout face à un garçon qui a sans doute un paquet de traumas au compteur... 'Fin j'trouve que c'est important de lui permettre de garder un peu de connu. De pas l'arracher à son environnement. Sinon, on est peut-être pas mieux que le Centre, au final ? Mais en même temps, ouais, la sécurité, le temps, tout ça.......

__-L’handicapée répondit quelque chose de tout à fait sensé. Un raisonnement implacable, à la logique efficace. Et qui était très certainement tout à fait correct.
__-Mais ces caractéristiques de son discours n’étaient absolument pas celles auxquelles Aylan étaient réceptives en ce moment. Elle parlait moins comme quelqu’un qu’il voulait entendre que comme quelqu’un qu’il avait dû entendre depuis qu’il était né. Mais le problème, c’est qu’elle était là avec ses deux potes pour le sauver. Est-ce là le comportement d’un sauveur ? En vérité oui, mais bien sûr que oui, mais Aylan pouvait-il seulement le comprendre ; qu’on voulait son bien en se montrant dur et antipathique ? On s’était tout le temps montré dur et antipathique, et on n’avait jamais voulu son bien. Sauf quelques personnes, à de rares moments.
__-Dont l’adjudant Flanagan.
__-Ce n’était pas un sauvetage. C’était un rapt. Il n’était pas une personne à secourir, mais une arme à voler à des concurrents. Après tout, c’était pour cette raison qu’il était dans cet avion : pour éviter qu’on ne s’empare de lui et ses facultés.
__-Préférait-il suivre ces inconnus, qui ne s’avéraient pas être si différents du Centre, ou rester avec celui-ci, dans la sécurité des liens déjà forgés avec quelques rares personnes agréables ?
__-Est-ce que celui avec une voix agréable était différent ? Pas dans ce qu’il disait, donc pas dans ce qu’il pensait. Faire chevroter sa voix pour abuser des adultes, on lui avait appris à le faire.
__-« VOUS MENTEZ ! »
__-Ce ne fut pas un simple cri, mais un cri de Sonore non-contrôlé. Je ne connais pas vraiment l’étendue des pouvoirs qu’un Aylan énervé aurait pu déployer ou en combien de temps, mais ça pouvait augmenter et devenir dangereux pour lui et toutes les autres personnes présentes.

__-Pendant ce temps, un peu plus en altitude.
__-« C’est compris les gars, on dézingue ces pouilleux et en rentrant, je me ferai la fille du maréchal de l’air, oooou-yah !
__-– Mm, commandant, vous savez qu’on est toujours en ligne avec Mont Plaisant ?
__-– Quoi ?
__-– Le lieutenant Taylor a raison, Atkinson. On va avoir une petite discussion à mon retour. Sur ce, commodore, je vous laisse le poste de contrôle, je vais me faire un café. »
__-En vérité, le maréchal de l’air Dwight Learmonth n’allait pas se faire un café, mais appeler sa fille pour lui dire qu’il invitait le commandant à dîner. Il n’avait jamais rien eu contre les avances que cet imbécile de Morgan Atkinson faisait à sa Enola chérie, en vérité. Bien que très cru, c’était de loin un des officiers les plus consciencieux qu’il ait connu. Avec lui, Learmonth serait sûr que sa fille ne partirait pas avec le premier socialiste venu à djembé et dreadlocks ; qu’elle serait avec quelqu’un qui pourrait rendre heureuse sa fille unique. Vantard et fêtard avec ses collègues, Atkinson se muait en un personnage doux, attentionné, sachant écouter et étant d’une très bonne influence en présence de sa fille.
__-C’était un imbécile, mais un imbécile loin d’être idiot ou d’avoir un mauvais fond.
__-Un silence s’était abattu entre les membres de la N°1435 Flight RAF. Jusqu’à ce qu’Atkinson le rompisse.
__-« Bon les gars, je vais me faire enguirlander comme pas possible en rentrant…
__-– Aussi, quelle idée de dire ça, même radio éteinte.
__-– Ta gueule Taylor ! J’ai besoin d’une pilote, pas d’une lèche-botte, là. Mais bref, je rappelle le plan pour les deux du fonds qui suivent pas ou ont été trop captivés par la perspective de me voir être humilié en public…
__-– C’est vrai qu’elle est alléchante…
__-– On ne sait pas ce que trimbale cet avion, juste qu’il ne doit pas arriver à sa destination, peut importe ce qu’il y a à l’intérieur. Et à l’intérieur, il peut y avoir des civils, des otages, que sais-je. Et même si ce ne sont que des terroristes ou des connards de ce calibre, on leur doit un minimum de charité chrétienne. »
__-Quelques heures plus tôt, le convoi aérien du Centre avait été repéré par la base aérienne de Mont Plaisant, dans les Malouines. Celui-ci faisant le trajet régulièrement, ce n’avait été qu’un échange radio de routine, un contrôle de routine des laissez-passer. Mais l’embêtant quand on forge des faux documents, c’est qu’à un moment, ça finit par ce savoir. Cela n’aurait pas été un problème si les communications entre l’avion-cargo n’avaient pas été coupées. Le cargo aurait simplement dû transmettre des informations supplémentaires, que Learmonth aurait entendu – ou qu’un de ses subordonnés lui aurait transmise – et celui-ci, avec un soupir et une remontée de souvenirs de son enfance qu’il avait enterré très profondément dans sa mémoire, aurait donné l’autorisation.
__-Mais il n’y avait rien eu de tel. Silence radio total. Sûrement un coup de la part de ces intrus, qui devaient se croire à l’abri de toute menace. Même les armées de l’air les moins recommandables avaient la politesse de répondre, quand ils violaient un espace aérien sans permission valable.
__-Le maréchal avait une décision difficile à prendre. Il ne restait plus beaucoup de carburant dans les Eurofighters qu’il avait envoyé ; ils ne pouvaient pas se permettre de traverser le Pacifique jusqu’à l’Argentine pour escorter cet appareil et ensuite laisser les locaux s’en occuper. Pendant ce laps de temps, ces inconnus pouvaient faire beaucoup de choses. Il revenait donc aux Anglais de neutraliser l’appareil, puis aller sur le site d’amerrissage pour récupérer ces potentiels terroristes. On avait affecté Learmonth dans ce coin perdu du Pacifique parce qu’il était trop prompt à choisir la violence comme réponse à tout problème, ce qui était peu politiquement correct pour les médias anglais. Certes, Learmonth avait souvent rêvé de larguer en parachute au-dessus de l’Afghanistan tous ces politicards et ces journaleux pour qu’ils découvrissent auprès de la population locale le certain intérêt que pouvait avoir l’usage de la force. Mais d’un autre côté, cette retraite forcée éloignait sa fille de tout un tas de mauvais garçons londoniens, ce qui n’était pas plus mal.
__-Et puis, il faisait confiance à Atkinson pour gérer la situation au mieux. Une autre qualité de ce garçon : il partageait son appétence pour l’usage de la force.
__-« Taylor, Sharp, Thakur, vous gérez les escorteurs et ma sécurité. Brouillez leurs senseurs et restez prêts à intervenir si ça dérape. Je vais profiter de ces nuages pour m’approcher et leur mettre un pruneau.
__-« Votre définition de charité chrétienne, c’est un missile ?
__-– Je vais le tirer sur le réacteur tribord et le faire exploser avant l’impact. Ça ne devrait pas suffisamment menacer la stabilité de l’appareil pour le faire se renverser, mais ça devrait l’abîmer assez pour le forcer à descendre. Dès que j’ai fait ça, je me retire, on surveille qu’ils partent bien sur une trajectoire descendante et on rentre. Des questions ?
__-– Permission d’engager le combat avec les escorteurs s’ils tentent une riposte ?
__-– Mm, en vrai, après la petite claque mise sur la seule chose qu’ils doivent garder entière, ils seront aussi paumés que des fils de pute le jour de la fête des pères. Je doute qu’ils nous posent problème. Mais si jamais, sélectionnez une cible et préparez-vous à tirer un missile s’ils se retournent, sauf si je vous donne un contre-ordre. Dès que j’aurai effectué mon demi-tour, vous m’imitez et on rentre. Ce sera tout ? Bien. Allez c’est parti. »

__-Enfin, les pouvoirs de Sonore auraient pu être dangereux, si une violente secousse n’avait pas traversé l’appareil. Elle projeta Aylan au sol, lui faisant saigner du nez. Il essuya une larme avec la manche de son pull. Ça, ça voulait dire quelque chose qu’il arrivait sans peine à imaginer. Mais une situation à laquelle il n’avait pas du tout été préparé.
__-Recroquevillé au sol, il regarda les trois Terraens avec un regard de panique. Ne voulant certainement pas se tourner vers eux, il alla vers le professeur Nassim et le secoua, chouinant et criant – et vous savez ce que ça implique niveau explosion des décibels – en arabe :
__-« MONSIEUR NASSIM IL FAUT VOUS RÉVEILLER S’IL VOUS PLAÎT S’IL VOUS PLAÎT S’IL VOUS PLAÎÎÎÎÎT ! »