Son coeur bat tellement fort dans ses oreilles qu’il n’entend plus vraiment la musique autour de lui, si ce n’est en un brouhaha désagréable. Il sourit pour contenir son expression de panique un peu déconnectée, et pour lui éviter de juste se rendre invisible et se barrer.

Heureusement, Pandora répond que non. Un instant, il a le coeur qui se serre, mais il décontracte la mâchoire pour essayer d’en rire et balayer les derniers vestiges de cette discussion de l’enfer. Ca aurait pu s’arrêter là, mais elle décide de partir, sans même bredouiller une excuse bête, sans dire “je vais aller chercher à manger” ou “Kiyo m’appelle de nouveau”. Elle aurait pu faire ça, il ne l’aurait pas mal pris, même si son coeur est pas tout à fait d’accord avec son cerveau actuellement, et qu’il est encore un peu paralysé. Il inspire, et souffle lentement, s’accrochant à son verre, qu’il fixe d’un air plat, comme si tout était de sa faute ; mais pour le coup, c’est un peu de la faute de Misao, surtout.

Puis finalement, elle ne part pas, elle lui attrape le bras avec force et le tire. Il se souvient pas à quel moment il a perdu son verre sur le chemin, il se souvient juste qu’il les a rendus invisibles tous les deux pour préserver le peu de dignité qu’il lui reste. Jusqu’à ce qu’elle le pousse contre un arbre et lui attrape le col, dans une attitude défiante, un peu agressive. Il ne reconnait pas les traits sur son visage comme transparent, devant elle, alors qu’il ne relâche pas son pouvoir sur eux. Il lui reste pas beaucoup de dignité quand elle recommence à parler, juste un peu d’espoir.

Qu’il lutte pour pas le ranger sous le tapis immédiatement.

A plusieurs reprises, il ouvre la bouche pour essayer de parler, mais Pandora ne s’arrête pas, et il a le coeur qui bat encore plus fort. Il prend ses mains (qui sont toujours agrippées à son col) entre les siennes et se penche vers elle pour poser son front contre le sien.

Il s’arrête là, sinon il sait qu’il pourrait vraiment tout gâcher.

—Je sais pas bien faire non plus.

Ca sonne comme un aveu d’une voix maladroite, toute basse. On rappelle qu’il y a aucun Feu ici. Par où commencer ? Qu’est-ce qu’il peut lui dire, alors qu’il est juste conscient qu’il voulait danser avec elle ce soir, et peut-être l’embrasser maintenant ? Il se demande s’il ressentira encore tout ça quand il n’aura plus d’alcool dans le sang, ou s’il ne restera qu’une honte cuisante et douloureuse. Il était pas prêt du tout pour avoir une conversation à propos de sentiments sur lesquels il venait à peine de commencer à réfléchir.

—Moi aussi j’ai besoin de temps. C'est pour ça... que j'ai dit qu’il fallait pas que je boive.

Après ça va trop vite, et je sais plus comment respirer.

—Je t’aime beaucoup.

Il a oublié ce qu’il voulait dire après ça lol

—Mais euh... J’ai pas envie de...

Non mais il a son front posé contre le sien, il respire vraiment plus en fait mdr.

Misao nous rend Invisibles, mais je ne m’en rends compte que lorsque j’arrête de marcher et le pousse contre un arbre en lui faisant face ; je le vois toujours, mais plus vraiment. Comme en filigrane. Ça ne change pas grand chose, je sais qu’il est là, juste devant moi, je sens sa chemise sous mes doigts quand j’agrippe son col un peu brusquement. Les mots commencent à sortir de ma bouche sans que je les contrôle vraiment ; trop de mots, trop vite. Ma poitrine se soulève et s’abaisse douloureusement ; trop vite, elle aussi, trop fort. Ma respiration est un peu sifflante, ma voix basse, dure. Est-ce que je suis en train de lui avouer qu’il est possible que j’aie des sentiments confus à son égard, tout en l’engueulant à moitié ? On dirait bien, oui. Je crois que c’était vraiment pas nécessaire de souligner que je ne sais pas m’y prendre, hein… Puis lui aussi, il m’avoue qu’il ne sait pas bien y faire pour tout ça. Regardez-nous, là, les deux grands dadais qui viennent d’être poussés dans la grande profondeur, sans brassards, et qui essayent de ne pas se noyer… Au moins, on essaye ensemble, ça doit compter pour quelque chose j’imagine.

Quand Misao pose doucement son front contre le mien, ma respiration se bloque un peu dans ma poitrine - mais quand elle repart finalement, elle est plus lente, plus régulière. Je ne bouge pas et me contente de fermer les yeux. Mon cœur bat toujours fort, mais à présent c’est plutôt à cause de sa proximité, moins à cause de la panique. Je décrispe mes doigts de son col quand ses mains entourent doucement les miennes, lâchant finalement le tissu pour serrer ses doigts à la place, délicatement. Sa peau est si chaude ; ou peut-être que c’est la mienne qui est anormalement froide, je ne sais pas. Son souffle aussi est chaud, il caresse mon visage doucement, et je prends soudainement conscience que j’ai très envie de franchir les quelques centimètres qui séparent ses lèvres des miennes. Mais la légère odeur d’alcool qui flotte entre nous me rappelle que c’est une mauvaise idée. Qu’on vient déjà de brûler bien trop d’étapes et que si on en brûle d’autres encore, c’est tout le fragile édifice qu’on tente de bâtir qui risque bien de partir en fumée.

Alors je ne bouge pas, et je ne dis rien. J’écoute les mots hésitants du Feu en gardant les yeux fermés, front contre front, nos doigts toujours entrelacés sur son col. Il me répète ce qu’Elwynn a dit un peu plus tôt - mais cette fois, au lieu de m’emporter dans une spirale infernale, ses mots se déposent tout doucement au creux de ma poitrine ; c’est chaud, agréable, et ça chatouille un peu. Je serre ses doigts plus fort avant de lui répondre ;

"Moi aussi, je crois que je t’aime beaucoup. Mais c’est…"

Trop frais, trop confus. Trop tôt. Pour lui autant que pour moi, j’ai l’impression, et je n’ai pas besoin qu’il termine sa phrase pour comprendre ce qu’il veut dire. Je finis par ouvrir les yeux et reculer un peu la tête, pour le regarder - regarder le contour de ses traits, plutôt. J’ai envie de le voir pour de vrai, mais je crois que je préfère rester comme ça, si ça veut dire que personne d’autre ne peut nous observer.

"On pourrait juste… Continuer à faire comme avant ? Se voir, discuter, rigoler… Apprendre à se connaître." Apprendre à s’apprécier, et même un peu plus que ça, j’en ai conscience maintenant. "C’était… Bien. J’ai pas envie que ça change et que tout devienne trop bizarre maintenant… … Un peu bizarre, ça va."

Je force un petit sourire tordu sur mes lèvres. Ça ne sert à rien de prétendre que rien ne changera entre nous après… Tout ça. Même quand l’alcool se sera dissipé. Mais tant que ça ne change pas de trop ; tant que le malaise ne s’installe pas si fort qu’on commence à s’éviter pour de bon… Alors je crois que je peux envisager l’idée de voir où tout ça nous mène ; à notre rythme d’escargots. Je baisse la tête pour venir poser mon front contre son épaule, passant mes mains sous ses bras pour les poser doucement sur ses omoplates, sans le serrer contre moi pour autant.

"Tu avais promis de me faire danser…"

Ici ou là-bas, Invisibles ou non ; c’est comme il veut. Mais je n’ai pas envie de m’éloigner de lui, de sa chaleur ; pas tout de suite. Je suis encore fébrile, je tremble un peu, à l’intérieur. Mais quand il est si près de moi, je me sens mieux.

Durant un moment, ils restent comme ça sans trop bouger. Les mains de Pandora se désagrippent progressivement, et Misao laisse son dos reposer contre le bois un instant, à la fois confus, soulagé et terrifié. Il identifie étonnamment bien ce qu’il se passe en lui, malgré l’alcool et l’adrénaline. Il fait de son mieux pour ralentir sa respiration, la calquer sur celle de Pandora, qui se calme elle aussi. Il n’a pas encore réfléchi à tout ça, c’est trop d’un coup. Pour elle aussi, il semblerait. Mais elle lui renvoie ses mots, et au fond de lui, quelque chose de très doux s’allume, très rassurant aussi. Comme la sensation qu’il n’a pas tout rêvé, sur des mots qu’il ne voulait pas mettre. Il lui a dit tout à l’heure, et il le pense toujours ; parfois, il faut voir si ça vaut le coup… et se lancer, sinon on sera toujours malheureux.

Il n’a pas l’impression de la connaître suffisamment, pourtant. Pas qu’il n’ait pas appris à reconnaitre ses sourires ou la lueur dans ses yeux, l’intonation de sa voix, ses mains qui cherchent sans cesse les siennes ; mais ce qu’elle a déjà pu lui laisser entrevoir lui laisse entendre qu’il y a tellement plus, là derrière. Et c’est ça qui l’anime, souvent, quand il lui propose ; comme une envie de la découvrir dans toutes les situations et sous tous les angles, pour s’en gorger et la reconnaître partout où il va.

Quand elle se recule, il est tout gêné, un peu rouge encore, surtout au niveau de ses oreilles. Est-ce qu’elle le voit, dans les couleurs toutes transparentes et atténuée de sa magie ? Il a un rire soufflé du nez, regrette instantanément qu’elle puisse le regarder, et ils deviennent un peu plus transparents encore l’un pour l’autre… Alors elle aussi, elle aimerait le connaître plus. Pour elle non plus, ce n’est pas assez.

Pourtant, il a l’impression qu’elle connait déjà le pire de lui. Ca rend les choses à la fois faciles, parce qu’il y a une chose de moins à avouer ; mais aussi plus difficiles, parce qu’il se demande comme elle peut faire, pour bien l’aimer.

—Bien sûr. J’aimerais. … Ca risque d’être un peu bizarre, oui.

C’est parce qu’il est un peu bizarre.

—Mais si c’est trop bizarre, dis-le moi.

Il panique encore, on dirait. C’est pire quand elle pose son front contre son épaule ; et comme à chaque fois, il reste d’abord immobile, presque tétanisé par le contact, avec l’impression de brûler de l’intérieur. Mais les mains de Pandora cherchent à l’enlacer, alors il se décolle de l’arbre pour ne pas blesser ses mains de musicienne, pose ses mains dans son dos, juste au milieu, respectueux. Danser, hein. C’est peut-être encore à sa portée, qui sait.

—On peut rester ici ?

Malgré son hésitation, Misao la serre contre lui, juste une pression dans son dos. Sa main remonte sur son omoplate, puis la naissance de sa nuque ; comme une barrière qu’il n’arrive pas à franchir, plus pour sa propre tranquillité d’esprit qu’une quelconque bienséance. Et toujours pour sa propre tranquillité d’esprit, il pose son nez contre ses cheveux, en sent les parfums qui lui rappellent étrangement cette nuit (très platonique, cher lecteur) qu’ils ont passée ensemble il y a de ça plusieurs mois. Etrangement, il avait bien dormi, cette nuit-là.

Nous restons un moment dans cette position étrangement intime, front contre front et doigts entrelacés. On échange peu de paroles, juste ce qu'il faut ; mais pour une fois, j'ai l'impression qu'on se comprend sans avoir besoin de plus que ces quelques mots murmurés maladroitement. Et c'est à la fois rassurant et terrifiant. Tout comme ces sentiments qui se déposent dans ma poitrine sont à la fois doux et agréables, mais aussi redoutables. J'essaye de ne pas trop y penser, de rester concentrée sur ma respiration, et la sienne aussi, sur sa chaleur, son odeur ; tous ces petits détails qui me réconfortent et m'apaisent.

Je me recule ensuite légèrement en décollant mon front du sien, et quand Misao confirme que ça risque en effet de devenir un peu bizarre, j'ai un petit rire étranglé. Pour être honnête, je crois que ça fait un moment que les choses entre nous sont un peu bizarres - peut-être même depuis le tout début, en fait... Mais est-ce que j'arriverais à le lui dire, si tout ça devient trop pour moi ?

"Je crois que tu t'en rendrais vite compte... Quand je panique, je, mmh... Je gère pas très bien. Je m'énerve, ou je m'enfuis."

Ou un mélange des deux, comme un peu plus tôt ce soir. Je cherche ses doigts à nouveau, et son regard surtout. J'ajoute dans un souffle, sans lâcher des yeux le peu que je vois des siens.

"Ne me laisse pas m'enfuir, s'il te plaît..."

Parce que même si je suis là, devant lui, que je serre doucement ses doigts - la petite voix dans un coin de ma tête, qui me conseille de fuir cette folie avant qu'il ne soit trop tard, elle n'a pas tout à fait disparu. Et je sais qu'elle risque de se faire plus forte et plus pressante, par moments, quand je doute, que je suis seule. Je ne suis pas certaine de pouvoir la faire taire - mais lui, peut-être, qui sait.

Je m'approche une fois de plus de Misao et pose ma tête contre son épaule en passant mes mains dans son dos, alors qu'il me serre tout doucement contre lui en retour. J'ai envie de danser ; il a envie de rester ici. Je hoche la tête dans son cou.

"Oui, ici c'est très bien. Est-ce que tu pourrais... J'ai envie de te voir mieux."

Pas simplement quelques faibles contours flous. J'utilise ma magie à mon tour, pour amplifier la musique en arrière-fond sonore, qui s'élève maintenant doucement autour de nous aussi. La soirée doit être déjà bien avancée ; c'est le moment des musiques douces et romantiques. Tant mieux. Je me presse un peu plus contre lui et commence à tanguer doucement, en gardant ma tête contre son épaule et mes mains dans son dos.

Heureusement qu’elle se recule, se dit-il en l’observant d’où il est. Il a encore un peu de volonté, mais elle risque de s’effriter rapidement sur ses lèvres s’il n’y fait pas attention. Il prend d’abord un peu de recul, comme pour reprendre contenance, mais il n’y arrive pas vraiment. Il est surtout content qu’ils se comprennent sans avoir à tout dire, comme pour en sauvegarder un peu pour plus tard. Misao a un rire soufflé, mais aussi le coeur un peu serré.

—J’ai constaté.

Il s’humecte les lèvres à son tour. Finalement… finalement, ça n’aurait pas été si violent, qu’elle s’en aille. Ils auraient pu en reparler à tête reposée. Mais elle aurait certainement été en colère contre lui.

—Comment je peux savoir si tu as besoin de temps, ou si tu es en train de t’enfuir ?

C’est là qu’il se rend compte qu’il a oublié de la regarder dans les yeux durant quelques instants, alors qu’il cherche à rassembler un peu de courage dans tout ce chaos. Il la serre un peu contre elle, comme pour contrecarrer les pensées qui s’entrechoquent en lui.

—Moi aussi j’ai envie de fuir parfois. Alors ne pars pas trop loin.

Il ne sait pas toujours comment faire, quoi dire, comment réagir, alors parfois, il disparaît juste. Mais s’il le fait, cette fois, il sait qu’il va vraiment tout gâcher. Alors il tient juste Pandora contre lui, la serre encore un peu, alors qu’il garde son nez dans ses cheveux, comme pour fuir un peu son regard. Il ne peut pas toujours être observé, tout entier, dans cette sorte de pudeur qu’il cache sous des airs indifférents. Et son souffle dans son cou, un peu frais… Il sentirait presque ses mains trembler.

La musique s’élève, couvrant le brouhaha des convives, ce dont il lui est reconnaissant ; s’humectant encore les lèvres, Misao relâche lentement sa pression sur son pouvoir d’Invisible et les fait réapparaître, petit à petit. Il n’y a pas de mal à danser un peu, pas vrai ? Mais tout est soudain si tangible et si réel, c’en est terrifiant. Il a l’impression que les battements de son coeur vont lui crever les tympans, alors qu’il la fait doucement danser, tellement conscient de la chaleur qui émane de son corps.

Les musiques s’égrènent, et bientôt, il y a de nouveau des musiques qui bougent davantage, pour les fêtards à l’autre bout de la piste. Misao s’écarte lentement de Pandora, glissant sa main le long de son bras, jusqu’à retrouver la sienne.

Et il ne sait toujours pas quoi dire.

Une légère moue étire mes lèvres à la réflexion de Misao. Ouiii, bon. Effectivement, il a eu une petite démonstration de ce que ça donne, quand je suis propulsée un peu trop loin en dehors de ma zone de confort... Ce qui est vraiment rare, je n'ai jamais eu froid aux yeux, du genre partante pour tester à peu près tout et n'importe quoi - en revanche, dès qu'il est question de relations, de sentiments ; toutes ces choses abstraites et effrayantes... J'ai besoin de faire les choses à mon rythme, sinon je perds mes moyens et mon premier réflexe est de me refermer comme une huître. Ce mécanisme de défense est malheureusement bien ancré, chez moi ; et même si j'en ai bien conscience, il reste difficile à combattre.

"Je... me ferme, juste. Je ne parle plus, et je me dérobe..."

C'est compliqué à expliquer ; bien sûr qu'il m'arrive de perdre mes mots ou fuir son regard en rougissant parce que je suis simplement embarrassée, sans pour autant avoir envie de battre en retraite. C'est plus profond que ça ; comme un réflexe d'animal sauvage et blessé. Ce que je suis peut-être un peu, dans le fond. Misao me serre contre lui en posant son nez dans mes cheveux, et je ferme les yeux pour profiter de ce contact, avant de reprendre d'une voix plus basse ;

"J'aime bien être près de toi. C'est presque... Instinctif ; j'ai envie d'être toujours plus près. Alors si je recule quand tu t'approches, c'est que ça ne va pas."

Je me blottis un peu plus contre lui en serrant mes mains plus fort dans son dos. Et quand il m'avoue que lui aussi, parfois, il a envie de s'enfuir, je remonte mes lèvres le long de son cou, jusqu'à son oreille, pour murmurer ;

"Alors je ne te laisserai pas partir trop loin non plus."

C'est si facile à dire ; probablement beaucoup moins à faire. Mais pour le moment, on ne peut pas faire grand-chose d'autre qu'attendre, et voir. Et espérer très fort que tout ça ne finisse pas en coeur brisé. Mais pour commencer, une danse, c'est bien - de nouveau visibles, c'est encore mieux. On tangue doucement, l'un contre l'autre, durant de longues minutes ; jusqu'à ce que la musique change à nouveau, et que Misao s'écarte un peu pour venir chercher ma main. Je ne suis pas sûre d'avoir assez d'énergie pour danser vraiment, mais j'essaye, au moins le temps de quelques chansons. Puis après un énième demi-tour, je reviens contre lui, mon dos contre son torse, nos doigts entrelacés posés contre mon ventre. Je penche légèrement la tête en arrière pour venir m'appuyer contre son épaule, les yeux à demi fermés.

"Je crois que je commence à fatiguer... Est-ce qu'on peut... Juste rester un peu plus longtemps comme ça, avant que je rentre ?"

L'idée de quitter la chaleur de ses bras me tétanise un peu. Que ce soit la dernière fois. Qu'après cette soirée si étrange, et quand l'alcool se sera évaporé, tout s'effondre comme un château de cartes. Alors j'étire le moment jusqu'à la dernière seconde, pour en profiter autant que possible.

Elle se ferme, elle ne dit plus rien, se dérobe ; comme de l’air qui glisse entre les doigts, elle devient inaccessible. Il peut comprendre ça, c’est un peu de la même manière qu’il peut réagir, parfois. Sauf que lui s’enflamme davantage, fulmine, se contient, comme une cocotte minute prête à exploser. Alors pour cette fois, Misao acquiesce et la serre contre lui, c’est tout. Son coeur se réchauffe encore un peu, et il sourit… instinctif… C’est juste qu’ils en ont envie, peut-être, se dit-il. Il ne croit pas à l’attirance magnétique du coup de foudre, mais il sait aussi ce que ça fait que de chercher sans cesse l’autre sans réussir à tendre la main.

—Alors si tu recules, j’aimerais qu’on essaie d’en parler. Même si c’est plus tard.

Et ses lèvres, tout près de son oreille… Il ferme les yeux, le corps parcouru d’un frémissement. Tout ça lui suffit amplement, finalement, cette promesse à demi mot, en tout cas la promesse d’essayer. Parfois, il faut se dire que ça en vaut la peine, c’est tout.

Quelques danses s’enchainent, une valse se perd au milieu. Pandora est bientôt dos contre lui, alors qu’il l’enserre toujours, la tête contre la sienne, presque contre son épaule.

—Bien sûr.

Lui aussi profite de son parfum, mais il s’efforce de ne pas poser son nez dans son cou ou contre sa peau. Ca créerait quelques problèmes, alors même qu’ils essaient désespérément de mettre fin à l’échange. Leurs doigts restent pourtant entrelacés un moment, ce n’est pas que c’est impossible, c’est simplement qu’ils ne le veulent pas.

Un temps passe encore.

—On se revoit la semaine prochaine pour les cours ? Comme d’habitude ?

Je suis bien là, contre Misao, ses bras serrés doucement autour de moi. J'ai chaud, le coeur qui bat fort, et l'estomac qui se tortille ; mais c'est aussi étrangement agréable, comme sensation. Les fameux papillons. Je hoche la tête contre son épaule, avant de répondre à voix basse ;

"D'accord, oui, on peut faire ça."

Parler, quand ça ne va pas, au lieu de simplement fuir ; ou plutôt, fuir un peu pour mieux revenir ensuite. Juste le temps que la panique s'apaise, que ce qui est parfois trop étouffant et effrayant redevienne supportable. Avec lui, pour lui, j'ai envie d'essayer, au moins.

On danse ensuite pendant un temps, avant que je ne m'arrête, rattrapée par la fatigue et le mal de tête de l'alcool qui commence à redescendre. Je reste dans ses bras, le dos contre son torse, nos doigts entrelacés. Je sais qu'il est temps que je rentre ; mais je n'en ai pas très envie. Et je crois que lui non plus, n'a pas très envie de me lâcher. Alors on reste comme ça pendant un moment, juste l'un contre l'autre, en silence. Misao ne propose pas de me raccompagner, et je lui en suis reconnaissante ; sinon je crois que j'aurais un peu trop envie qu'il reste, et ce serait une mauvaise idée.

"Oui, bien sûr. Comme d'habitude."

C'est rassurant, les habitudes ; quelque chose qu'on connaît, qu'on maîtrise. Je finis par me détacher de lui, à contrecoeur, gardant tout de même ma main dans la sienne. Je me tourne un peu, juste ce qu'il faut pour venir embrasser doucement sa joue. Mes lèvres restent contre sa peau un peu trop longtemps avant que je ne recule finalement pour de bon, faisant glisser mes doigts contre les siens. Je lui souris doucement.

"Bonne nuit, Misao."

Et je me retourne pour partir, décollant du sol après quelques pas pour rentrer par les airs ; c'est plus rapide comme ça. J'ai si froid, soudain, et je ne peux m'empêcher de tourner une dernière fois la tête vers lui, pour le voir disparaître lentement à mesure que je m'éloigne. Mon coeur se serre un peu dans ma poitrine. Je pars, mais je reviendrai vite, c'est promis.

Quelques unes de ses craintes sont temporairement apaisées, au moins. Il en aura bien d’autres demain matin, mais au moins, pour ce soir, il accepte de la laisser s’écarter. Misao lui sourit, ferme les yeux lorsqu’elle lui embrasse la joue, et porte sa main à ses lèvres, pour y déposer un baiser, sur les premières phalanges.

—Bonne nuit à toi aussi. Rentre bien.

Ca le brûle un peu, sur ses doigts et sa joue, là où son contact commence déjà à s’effacer lorsqu’elle s’éloigne et décolle finalement. C’est un peu vide, soudain. Il l’observe faire un moment, le coeur battant dans ses oreilles, avant de se passer une main sur le visage et s’appuyer contre le fameux arbre, encore un peu perdu. Il reste un moment ici, pensif, avant de finalement se rendre invisible et faire le chemin retour, lui aussi ; à pied, cependant. Il a besoin d’un peu de temps pour réfléchir… et peut-être d’un peu plus pour arrêter de le faire.