Huo est certainement la personne la plus crétine que je connaisse, après ma mère. Il lui ressemble un peu, finalement. Toujours à dire ce qu’il lui passe par la tête -- ou non, justement ; il fait tout pour dire le contraire, ou pour t’embrouiller. Et visiblement ça marche plutôt bien, vu ce que je suis en train de penser. C’est vraiment un crétin, il met le bordel dans ma tête. Qu’il ne supporte pas les gens, visiblement. Et qu’il ne supporte pas non plus qu’on discute calmement. Je comprends pas sa réaction -- pourquoi il fait ça ? Noël, c’est censé être convivial, on est pas censés être… comme ça ? C’est débile…
Un soupir m’échappe malgré moi lorsqu’il attrape ma main, et je retiens une moue courroucée en rougissant. Il fait froid dehors, j’aurais pas dû l’emmener là. Mais peut-être que ça lui fera du bien. Refroidir un peu ses idées ; pourquoi est-il aussi sanguin ? Impulsif. Je lui reconnais bien ce trait de caractère ; c’est le même qui lui fait dire des stupidités pour essayer de blesser, inconsciemment ou pas, quand il se sent attaqué. Mais pourquoi il s’est senti en danger ? C’est Allen… Même s’il n’avait pas l’air ravi de le voir. Qu’est-ce que je lui censé lui dire, là ? Que c’est pas grave, qu’on oublie ? Ou, au contraire, lui faire la morale comme au sale gosse égoïste qu’il est ? Peut-être que ça lui ferait du bien, d’entendre ça. Et que ça me ferait du bien de le lui dire. Pour évacuer. Lui faire comprendre que ce qui me compresse le coeur, c’est cette situation complètement nulle qui s’est créée au fil du temps.
Je me mordille la lèvre, ralentis un peu le pas. Ne peux m’empêcher de le fixer. Pour l’interroger, silencieusement. Tenter de comprendre.
Je n’aime pas quand il ne parle pas, l’ambiance est toujours trop étrange. Son visage trop lisse. Ses yeux trop brillants. Je sais jamais ce que je suis censée y lire…

- Huo, je soupire. Pourquoi tu réagis comme ça ?,

Je détourne les yeux, sans lâcher sa main, trop perturbée.

-J’avais envie qu’on s’amuse tous ensemble, je lâche d’un air un peu boudeur, retenant de mon mieux ma déception.

Je pince les lèvres à ses paroles, le fixe en croisant les bras, rompant le contact physique. Il l’a énervé. Certes. Fort bien. Et moi, je suis censée faire quoi ? Faire la navette entre mon meilleur ami et la personne que-- Non, mais non. Il est vraiment stupide. Je crois qu’il le fait exprès, des fois, même. Juste pour que le sang me monte à la tête, et que je sois suffisamment agacée pour avoir envie de lui mettre les cheveux en vrac. Lui qui y tient tant, je trouve que c’est une punition qui mérite d’être gardée en réserve… Hinhin. On verra bien plus tard, s’il dit encore une bêtise.
Après, j’avoue qu’Allen m’a un peu surprise aussi. Certes, je lui avais parlé d’Huo à demi mot, et je lui avais à moitié pleuré dessus à cause de lui. Maiiis c’est pas une raison pour répondre aux provocations ! Les garçons sont bêtes. Je suis sûre que c’est parce qu’ils ont un honneur plus développé que la moyenne. Ils ne supportent pas qu’on leur dise quoi faire, ou qu’on leur dise qu’ils ont tort. Qu’on leur marche sur les pieds. Ou qu’on leur réponde. Ou… Bref, la liste est longue, mine de rien. C’est assez drôle à observer. Mais en même temps, si je pouvais le tuer, je crois que je le ferais…
Enfin peut-être pas ce soir.

- Non, je le suis pas, je grommelle, avant de soupirer lourdement une fois de plus.

Allez, c’est Noël. On peut bien lui pardonner pour cette fois, non ?

- Fais des efforts, s’il te plaît… Allen est mon meilleur ami, j’ai pas envie que vous vous entendiez pas.

S’il me demande pourquoi j’en ai pas envie, je le tape.

- Mais c’est pas grave, ok ..? On en parle plus. Enfin on essaie…

Mon regard se fait presque noir, et mon visage bien plus boudeur encore. C’est ça, ravale ton sourire si tu ne veux pas que je te le fasse ravaler moi-même ! Tu es vraiment stupide Huo, combien de fois il faudra que je le répète ? Je crois que j’ai jamais connu ça. Enfin si, sur certains points, mais… Disons que c’est agaçant. Et forcément, les gens qui sont agacés n’aiment pas ça -- mais la personne qui agace, elle.. ! Elle s’éclate ! Oui, “agacer” est mon verbe de la soirée, j’espère que ça ne dérange aucun pauvre petit télépathe à quelques mètres à la ronde, sinon jeee…
Sinon rien du tout, en fin de compte.

- Crétin.

Ma voix n’est qu’un souffle, et la vapeur d’eau forme un petit nuage devant mes lèvres, alors que je resserre mes bras autour de moi, autant pour me protéger de ses mots que du froid environnant. J’avais pas pensé à ce détail quand je suis sortie…
Mes joues se colorent d’un rouge soutenu et je toussote un peu pour me redonner contenance. Le compliment me fait plaisir -- comment ne le pourrait-il pas, venant de lui ? Mais son commentaire sur les pics à cheveux manque de me faire m’évanouir. Il le fait exprès. Il le fait définitivement exprès, pas vrai ? Dès qu’il remonte un peu dans mon estime il rebaisse aussitôt. Enfin, mon échelle “d’estime”, c’est plutôt mon échelle de patience je crois. Je sens que je vais criser avant la fin de la soirée -- et il aime ça, je sais qu’il aime ça ! Faire perdre ses moyens aux gens… Maudit Marionnettiste.

- Ah… merci.

Je peux difficilement faire mieux, et je n’attends aucune réponse de sa part. Je suis écarlate et je n’arrive même plus à le regarder, tellement je suis mal à l’aise et gênée. Allen, pitié, sauve moi !
Je m’apprête à faire une remarque quant à son cadeau de Noël, lorsqu’il met ses mains entre nous pour y faire apparaître des flammes. Le geste me fait sourire subrepticement -- et je suis ravie de la source de chaleur à proximité. J’avoue qu’il fait froid. Très froid. On est en décembre en même temps, mais j’avais pas prévu de passer ma soirée dehors moi…

- Non, non, c’est bon, merci, je lâche en secouant la tête, embarrassée.

Impossible de lui dire oui. Plutôt mourir de froid ! Ça doit être fun de se transformer en glaçon.

J’ai un nouveau soupir, long et agacé. Comment je suis censée lui faire comprendre que j’ai envie de le remercier ? Je suis sûre qu’il ne comprendrait pas en plus. À quel point ça a pu me toucher et m’émouvoir de savoir que ces “babioles” venaient de lui. Et ce cristal, ce n'est pas "rien". Le retrouver m’a redonné le sourire, d’un seul coup. C’est bête. Mais j’ai eu l’impression qu’il a voulu effacer définitivement cet épisode de la salle d’entraînement. Faire comme s’il n’avait jamais eu lieu… Ce serait bien. Peut-être que ça m’aiderait aussi à me faire confiance. À lui faire confiance, peut-être aussi… Au sujet de tout. Et surtout de tout ce que je n’ai pas envie de lui dire… De lui confier. C’est un peu ça, maintenant. Peut-être que ce sera à celui qui abandonnera le plus vite le combat, lui pour savoir, moi pour cacher ; je sais que je baisse déjà trop vite les armes, la preuve... Et alors ? Pour une fois, oui, j’aimerais qu’il m’aide un peu. S’il fait un pas en avant et qu’il ne me donne aucune occasion d’en faire un à mon tour, ça… risque d’être assez triste, finalement…
Je frissonne lorsqu’il parle de ma mère. Etire un petit sourire, mi joyeux, mi mélancolique.

- Non, pas cette année. La dernière chose qu’elle m’a envoyée, tu as eu l’occasion de la voir de plus près lors de notre première rencontre, je lui rappelle avec un petit rire. Je pense que j’irai bientôt la voir. Pour lui offrir tous les cadeaux que j’ai en retard.

Je penche la tête en suivant son regard et rougis un peu. Mais essaie de garder un visage souriant et composé. Je me sens moins agacée que tout à l’heure, c’est un bon point. Comme quoi, tout peut arriver avec un peu de volonté des deux côtés ! C'est merveilleux, ahlala.

- Et ne change pas de sujet ! Je vois pas en quoi ce n’est pas la peine. J’en ai envie. Dis moi un truc qui te ferait plaisir ! S’il te plaît ? j’ajoute avec une moue boudeuse.

J’ai un petit rire, discret. Un garde du corps ? C’est tentant. Mais pour ce que je vais faire, je sais pas si c’est une bonne idée de lui demander de m’accompagner. C’est… aller me recueillir, revoir maman, et trouver papa. Je ne sais pas encore si je peux lui faire confiance… Dans le sens où c’est vraiment une étape importante de ma vie qu’il faudra que je passe. Alors là… être seule serait peut-être mieux. Même si je serai terrorisée dans ce cas-là.

- On verra ça, je souris en coin. On y est pas encore de toute manière…

Je me masse la nuque avec un air gêné lorsqu’il me répond finalement. Une écharpe. Pourquoi pas après tout. Je sais tricoter… Mine de rien c’est pas si dur ! Et c’est pas une occupation de grand-mère, d’abord. Maman se moquait toujours de moi. Mais elle c’est parce qu’elle a toujours réagi comme… comme quoi, au juste ? Comme une enfant ? Plutôt une adolescente en crise, je dirais.

- Une écharpe alors. Je t’en ferai une. Même si elle est pas géniale, tu auras intérêt à l’accepter ! je fais mine de le menacer, l’index pointé sur son nez.

Puis je me recule avec un sourire amusé, fais quelques pas en levant la tête vers le ciel. La lune est belle, ce soir.

- Maman me manque, oui, je lâche d’un air mélancolique. Mais je n’ai jamais eu qu’elle. Et Keiji. On fêtait toujours Noël et Nouvel an ensemble. Pour mon anniversaire. J’ai toujours aimé cette ambiance festive. Même si on était que tous les trois.

J’ai un sourire très doux à cette pensée. La chaleur du salon, nos assiettes sur les genoux, devant la télé allumée pour le réveillon, et un sapin allumé dans un coin ; les feux d’artifices à la nouvelle année, et ces quelques mots murmurés au creux de mon oreille. “Bon anniversaire, Aoi-chan.”
Avant, il y avait Rin. Mais Rin s’est éloigné, et il… est définitivement parti. Trop loin pour que je puisse le rattraper.

- Mais le reste ne me manque pas. J’ai toujours cherché à fuir le monde ; et je suis plutôt contente d’être cloîtrée ici au final, je lui avoue à voix basse, les yeux fuyants. Même si j’ai déjà eu l’occasion de partir pendant quelques heures par la voie des airs… Je préfère ne pas attirer d’ennuis à l’institut.

Je me mordille la lèvre. Petite fille sage, hein… Certainement. C’est ce que j’avais souhaité être après tout -- pour rendre le sourire à maman. Pouvoir lui faire comprendre que je ne voulais pas lui rendre la tâche plus difficile. Elle m’a élevée seule… J’aurais été cruelle et égoïste de ne pas chercher à le devenir, au final. C’est comme ça. Parfois, on sacrifie un bout de nous-mêmes et de liberté pour les autres ; maman l’a fait pour moi, je voulais en faire de même.
Huo, au moins, ne s’impose pas vraiment de règles. Peut-être que c’est ça ce que je recherche, au final. M’accrocher à quelqu’un qui m’aidera à me libérer. Parce que c’est ce que je fais après tout ; je m’accroche à lui comme une moule à son rocher. La comparaison est pas vraiment ce qu’il y a de plus classe, mais l’idée est là, au moins.
Je hausse les épaules.

- Je ne pense pas.

Une moue s’installe sur mon visage. Je dis vraiment que des débilités ce soir. Pour changer. Je ne sais pas ce que je suis censé en penser, très sincèrement. Oui, c'est un mafieux, mais... c'est aussi Huo, après tout. Et il est ici, à Terrae.

- Je veux dire. Même si c’était le cas, ça ne changerait rien, non ?

Mes yeux le scrutent un instant. J’ai encore peur qu’il essaie de me faire perdre mon calme, mais il avait presque l’air de plaisanter. Alors je ne dirais rien, et je me contenterai d’observer. Pour comprendre… ou du moins essayer de le faire.