Je reste silencieuse un instant, en continuant à l’observer. Il a l’air un peu… pas vraiment agacé. Peut-être exaspéré, je ne sais pas vraiment. Ses yeux sont troublés -- mais ce n’est sûrement que la lueur des lampadaires qui me donne cette impression. Je ne suis même pas capable de comprendre pourquoi il me pose la question ; elle est évidente je crois, non ? Inconsciemment, je me mordille la lèvre. Ça a quelque chose d’étrange d’avoir cette discussion avec Huo. Justement parce que c’est un “bad boy”. Qu’il a plus l’air d’un mafieux que d’un gentil lycéen avec qui on discute après les cours. Différent de tout ce que j’ai connu. Parfois j’en viens à me demander comment on fait pour avoir des discussions aussi banales. Un peu stupides. Attendrissantes, comme maintenant.
Il a l’air d’un enfant, en attente d’une réponse favorable. Dire qu’il a quatre ans de plus que moi… C'est dingue.

- Tu sais, je commence en détournant les yeux, un peu gênée. Si je ne t’appréciais pas au moins un peu, je t’aurais déjà mis une gifle avant de rejoindre Allen. J’aime bien passer…

Passer quoi, du temps avec lui ? C’est ça, je crois. Mais je m’interromps avant de finir ma phrase, trop embarrassée. Il n'est pas obligé de savoir tout ça.

- Je t’aime bien quand même. Même si tu es bête et crâneur.

J’ai un petit sourire sur les derniers mots, taquine. Je pensais qu’il l’avait compris depuis le temps, que je suis bien loin de le détester. Peut-être un peu trop loin. Mais c’est comme ça… Il y a des choses contre lesquelles on ne peut pas lutter. J’ai cessé de lutter contre ce que je ressens depuis un moment.

J'essaie tant bien que mal d'ignorer sa première remarque, pour ne pas faire de tête bizarre, puis me concentre sur le reste.
Je me mordille la lèvre. Je n’aurais pas dû parler de mon anniversaire tout à l’heure, je vais encore me remettre à déprimer, comme tous les ans. Même si ce sont de beaux souvenirs, je sais que ce ne sera plus jamais comme ça. Même si tout le monde est là, à Terrae ; il me manque des personnes chères à mon coeur, certaines que je ne retrouverai plus jamais. Mais c’est comme ça. On y peut rien…

- Je ne veux pas de cadeau, je rougis brusquement. Et je ne vois pas en quoi c’est super…

Je fais la moue et détourne les yeux. Je suis trop gênée par ce qu’il a dit tout à l’heure, c'est horrible. J’ai bien fait de ne pas y répondre, je crois...

- Il y a bien les feux d’artifice, mais… tout seul ça ne sert à rien.

En même temps, je la recherche, cette solitude. On ne peut pas dire que je ne la mérite pas un peu. Est-ce que maman aussi regarde le ciel, le soir de nouvel an, en pensant à moi ? Parfois je me le demande. Si je lui manque un peu. Ce qu’elle fait, comment elle va ; parfois je m’inquiète, d’autres je me force à ne pas m’élancer par ma fenêtre pour aller la rejoindre, et la prendre dans mes bras, comme avant. Je devrais m’excuser, certainement. Je ne sais même plus si je l’ai déjà fait. Après tout, je suis partie il y a presque trois ans… C’est si long… et court à la fois.

- Quand est-ce que tu es né, toi ? Et ne me dis pas qu’on s’en fiche, je râle tout de suite, le menaçant doucement pour ne pas lui laisser une chance de se défiler encore.

Je frissonne, mais ne réponds pas. Je n’ai pas envie de plomber encore une fois l’ambiance. Le jour de notre naissance, hein… Lorsqu’elle n’est pas réellement désirée, peut-on vraiment être heureux de le fêter ? Pour les autres, je veux bien ; mais pour soi-même ? C’est un peu narcissique. Et je ne m’aime pas assez pour remercier le ciel de m’avoir permis de naître. Il n’y a que ma mère que je remercie pour avoir pu connaître de merveilleux moments… et sans elle, ça n’a aucun sens. Je préfère autant rester seule si je ne peux pas lui montrer mon affection et ma reconnaissance.

- J’essaierai de retenir, je lâche avec un léger sourire.

Lui, en revanche, j'ai envie de lui faire plaisir. Avec un peu de chance, d’ici là, je trouverai un cadeau potable à lui offrir. Pas un de ces cadeaux inutiles qu’on a envie de jeter à la poubelle ou de donner à quelqu’un en retour, parce que c’est encombrant ou moche. J’aimerais quelque chose qui lui plaise réellement. Pour qu'il ait un souvenir, peut-être aussi. Un peu plus égoïstement, qu'il puisse penser un peu à moi en le voyant, comme je penserai à lui en voyant ces pics et son cristal de feu. J'ai l'air bête en pensant ça, mais c'est quelque chose qui me ferait... du bien, peut-être ? Je ne sais pas. C'est stupide au final... Je m'emballe trop.

- Comme ça, si tu ne fais pas ton gros bébé, on pourra peut-être le fêter, je ris doucement en lui faisant un clin d’oeil.

Mais le connaissant, je sais qu’il serait capable de s’enfuir avant que je ne puisse le lui souhaiter. Parce qu’il est bête.

- Tu n’avais vraiment pas de cavalière pour rentrer ? je l’interroge finalement, un peu curieuse. Tu m’avais dit que tu demanderai à Matheo et à… Comment elle s’appelait déjà ?

J’ai une petite moue agacée. J’arrive vraiment pas à m’en souvenir, ça m’énerve !

Un rire léger s’échappe d’entre mes lèvres et se perd dans un petit nuage de vapeur. Huo est vraiment un gosse… Il réagit comme tel. Et même si son visage n’en donne pas l’air, ses mimiques aussi rappellent parfois celles d’un enfant. Sauf lorsqu’il a ce regard mélancolique et un peu triste, et qu’il se perd quelques secondes dans ses pensées de cette manière. Je crois que je n’ai jamais osé lui demander pour quelle raison il se trouvait à Terrae… Mais ce soir, c’est exclu. Je n’ai pas envie qu’on parle de choses tristes. On est ici pour s’amuser, après tout. Je retiens une moue boudeuse en repensant à Allen, que j’ai laissé seul tout à l’heure. Mon dieu faites qu’il trouve quelqu’un pour discuter avec, là, sinon je vais passer les quatre prochains jours à m’excuser auprès de lui, je me connais !

- Raison de plus pour le faire, je souris doucement.

Un sourire en coin étire mes lèvres lorsqu’il me dit qu’il a pu passer grâce à une fille toute seule, à l’entrée. Avant que je ne rougisse bêtement devant sa demande.

- Si tu veux tant que ça danser, tu n’as qu’à la retrouver, je le taquine gentiment, le temps de retrouver une couleur normale.

Danser avec Huo ? Jamais. Même pas en rêve, ni en cauchemar, ni rien ! Rien, nada, niet, c’est non ! Allen je veux bien, je peux, mais lui, je vais juste m’évanouir. Et avec un peu de chance, il plaisantait, et il veut pas aller danser au final ? C’est peut-être juste ça ! Ou peut-être que--... Oh, Aoi, mon dieu, tais-toi, et réponds quelque chose !
Je détourne les yeux. Essaie de garder un ton désintéressé et plutôt neutre, sans grand succès. Je ne peux pas m’empêcher d’être contente qu’il me le propose, même si c’est la plus mauvaise idée du siècle.

- Mais si tu aimes te faire marcher sur les pieds, ça ne me dérange pas, je toussote.

Arg. Aoi, tu es une femme faible.

Huo fait une petite révérence devant moi et je dois me retenir de ne pas me détourner d’embarras. Il le fait exprès. En plus, pourquoi il continue à m’appeler comme ça ? Habituellement il évite de le faire autant en aussi peu de temps. Et là, depuis tout à l’heure, c’est une catastrophe. Princesse par-ci, Princesse par-là… J’ai rien d’une princesse. Une fille un peu cloche dans une robe qui ne lui va pas, et une veste trop grande pour elle.
Cependant, je ne proteste pas lorsqu’il m’attrape la main pour me conduire à l’intérieur. Je regarde tout autour de moi. Comme par peur d’être épiée, reconnue. Je n’ai pas envie de danser devant tous ces gens. Tout à l’heure, ce n’était pas gênant ; j’étais avec Allen. Et lui, c'est mon meilleur ami ! Danser avec lui, c'était... pas aussi stressant ! Là, Huo est mon cavalier. Je vais faire une bourde, et me ramasser lamentablement, ou je vais le faire se ramasser, et je vais manquer de nous tuer. Au secours. Allen sauve moi pitié. Ou Mitsuki, laisse ton rouquin et viens me sauver du mien ! Je suis sûre qu’elle pourrait faire passer ça pour un enlèvement… Une petite téléportation, comme ça, et hop, disparues. Plus de piste, plus de danse. Plus d’Huo.
Même si ce serait dommage de ne pas en profiter. Rahhh, ma bouche !

- J’essaierai, je bégaie soudainement alors qu’il pose sa main sur taille, et les miennes sur ses épaules.

Je vais m’évanouir. On est trop proches. Et là, je suis sûre qu’il peut encore mieux voir la couleur de mes joues. Lorsqu’il reprend la parole, je n’ose pas lui dire que c’est un second cadeau qu’il m’offre à moi aussi. Pourquoi faut-il que les deux partenaires, dans une danse, soient aussi proches ? J’ai presque peur qu’il entende mon coeur battre à la vitesse de la lumière.

- Tu ne voulais pas récupérer ta veste ? je souffle en baissant les yeux, incapable de les garder ancrés aux siens.

Si on m’avait dit que ça arriverait… je crois que je n’aurais jamais cru personne.

Je hoche lentement la tête, essayant de me concentrer sur mes pieds, perdant parfois le rythme lorsque j’ai un élan de panique. Cette situation est ignoble. Trop bizarre. J’arrive même pas à voir ce qu’il y a autour de nous -- j’ai l’impression que si je le faisais, une catastrophe allait arriver. J’inspire longuement alors qu’il me demande de me détendre un petit peu, essaie de suivre son conseil. Mais il est tellement proche de moi que j’ai l’impression de sentir son souffle sur mon visage. Et son parfum qui se fait plus entêtant. J’essaie de m’abandonner petit à petit dans la musique, entre ses bras, sur cette maudite piste de danse qui me donne le tournis.
Je relève les yeux vers lui alors que je le sens rapprocher doucement son corps du mien. Sa main toujours posée sur ma hanche. Mes yeux dans les siens. Je crois que je vais craquer. Mes trois derniers neurones viennent de griller. Mes mots se bloquent dans ma gorge et je n’arrive pas à lui répondre. Pas de gêne. Je trouverai ça… un peu malvenu. Même sa voix est basse. Très douce ; ça m’étonne un peu. Mais ça me fait du bien.

- Je suis sûre qu’avec un peu de poivre… je lâche avec un demi sourire, dans un murmure.

Il ne doit pas m’avoir entendu, avec la musique et le bruit des conversations. Tout a l’air si spécial. Si nouveau.
Je ne l’avais encore jamais vu d’aussi près.
Petit à petit, j’ai un peu moins de mal à suivre ses pas ; le rythme est toujours très lent. Balancé. Je ne connais pas vraiment la musique, mais elle me plonge petit à petit dans une bulle de confort. La piste ne donne plus le tournis. Ses gestes ne me paraissent plus suspects. Doucement, comme mue par une étrange volonté, je me rapproche à mon tour en fermant les yeux, et dépose ma joue contre son épaule. Lentement.
J’espère de tout mon coeur qu’il ne posera pas de question.

HRP : #dead
https://www.youtube.com/watch?v=76x2pVGsaME Pour clôturer cette jolie aventure ♥ ♥ ♥



Il ne m’a pas repoussée. C’est assez particulier de se rendre compte à quel point une petite chose comme ça peut nous rendre heureux. Nous continuons à danser, sans rien dire. Pas un mot, pas un son. Son souffle rase mon oreille et mes cheveux avec douceur, et je me sens bien. Pour la première fois depuis longtemps, je crois bien, je n’ai pas peur. Ni de lui, ni de moi-même. Je suis juste bien, là… On dirait… Un monde merveilleux. Je m’en fiche si j’ai l’air bête à dire ça. Je m’en fiche s’il est un “bad boy”, et que je suis une “gentille fille”, ou que sais-je. Peu importe. Peu importe, parce que ce Noël est tout simplement merveilleux.
La musique se termine et je quitte ma position, presque avec regret. Avec regret, en réalité, mais ça il ne le saura pas. Son sourire est doux, mais son regard est trouble. Je m’apprête à m’excuser, les joues un peu rouges, quand il se penche vers moi. Lentement. Une caresse furtive effleure mes lèvres, et je me fige, ouvrant grands les yeux pour le fixer alors qu’il se recule. Sans rien pouvoir dire, sans rien pouvoir faire. Pas de réaction immédiate. Puis je comprends, et je rougis. Encore et encore, sans pouvoir m’arrêter, le coeur menaçant de m’exploser dans la poitrine. Un long frisson remonte le long de mon échine, et j’essaie d’articuler un mot, un nom, qui se bloque dans ma gorge. Je ferme les yeux un instant en sentant sa main caresser ma joue. Mon dieu. Qu'est-ce qu'il vient de se passer ?
Il me remercie, me souhaite un joyeux Noël et s’éloigne sans un mot de plus. Et je reste plantée là, comme la fille stupide que je suis, à regarder son dos s’éloigner, sans parvenir à le retenir -- alors que je veux le faire ! Pourquoi tout est toujours aussi compliqué ? Je resserre instinctivement les pans de sa veste autour de moi, avant de réaliser que je n’ai pas pu la lui rendre. Mais ce n’est pas ce qui m’inquiète le plus.
J’ai dansé avec Huo, et lui, lui, là, il m’a embrassée. Il m’a--...
J’arrive à peine à me demander pourquoi. À réaliser. À comprendre s'il s'est fichu de moi, ou si je peux espérer, au moins un peu. Y croire, l'espace de quelques secondes.
Un peu hébétée, les joues toujours aussi rouges en essayant de repérer ses cheveux dans la foule, je retourne près des buffets, complètement dans la lune. J'essaie de retrouver Allen pendant un moment, sans vraiment de succès, mon cœur s'écrasant dans ma poitrine avec autant de force et la tête toujours en vrac. En me jurant de ne jamais lui raconter ce qu'il vient de se passer. Avec Huo. Oh bordel.
En plus, je n’ai même pas pu lui souhaiter un joyeux Noël.