Pour la troisième fois, j'essaie de me remémorer les instructions d'Hideko tout en lisant les dossiers des deux enfants que nous devons aller chercher dans cette secte étrange. Faire attention aux armes. À la police. Les militaires. Je ne sais pas comment nous pouvons nous débrouiller pour les récupérer. Quelque part, je me doute qu'il sera impossible de convaincre leurs parents ; mais dans ce cas, comment faire ? Est-ce que nous devons simplement tenter de les approcher sans qu'ils ne se doutent de qui nous sommes ? Il paraît qu'ils peuvent être dangereux, et nous ne voulons mettre personne en danger.

Après discussion avec Huo et Nicolas, il me semble que la meilleure des choses à faire est encore de tenter de les approcher, de récupérer les enfants, et de disparaître avec eux.

La mission nous a été confiée hier, dans l'après-midi, à Huo, Nicolas et moi. Enfin, je dis nous, mais nous avons plus ou moins choisi la composition de l'équipe. Hideko a lancé dans la salle des Masters quelque chose comme "Qui veut une mission ? Vous ? Vous prenez un élève ? Ok, ben, allez-y hein." Bon, j'exagère. Mais on n'en est pas si loin au final.

On s'est mis d'accord avec Nicolas - déjà pour savoir s'il voulait nous accompagner et ensuite sur la manière de procéder. Mitsuki m'a confié un de ses cristaux de téléportation, que je garde soigneusement noué autour de mon cou, et j'ai soigneusement préparé mes affaires. Nous partirions le surlendemain, dans la matinée, histoire que nous arrivions en pleine après-midi aux US.


Bagages prêts, je m'efforce de ne pas détourner le regard lorsque je regarde dans le miroir. Ariana est passée sous les conseils d'Huo pour me montrer comment me vieillir un peu - impossible pour nous de tenir plusieurs jours sous une autre apparence, et me donner l'air d'avoir plus de 25 ans n'est pas une mauvaise chose en soit, si on excepte le tailleur qu'elle m'a fourni. (Je soupçonne Mitsuki d'avoir aidé dans le choix des vêtements, ça a dû la faire marrer… ahah...)

Un soupir, puis un coup d'oeil vers Huo, qui s'est teint les cheveux. J'ai un sourire amusé, fixe ma fausse carte d'identité et essaie de me dire que oui, je serai peut-être capable de parler anglais malgré mon accent à couper au couteau. Au moins, mes examens sont derrière moi maintenant, j'ai quelques temps de libre avant de reprendre les cours. Ça tombe plutôt bien.

On sonne à la porte et Huo va ouvrir ; c'est sûrement Nicolas. Je vais le saluer, sourit doucement, un peu embarrassée malgré tout. Nous nous ferions passer pour une famille emménageant dans le voisinage ; tout a été arrangé avec les anciens propriétaires. Nous avons quelques alliés de notre côté, là-bas, qui nous aideront à apparaître et disparaître en un seul geste dès que nous le nécessiterons. Huo et moi sommes censés être mariés - l'anneau à mon doigt me dérange et je n'arrête pas de le tripoter pour passer mes nerfs. Nicolas, lui, est le frère adoptif d'Huo, quelque chose comme une histoire d'accident de voiture, de tutelle jusqu'à sa majorité, des choses comme ça... Dans tous les cas, pas le choix : en public, nous communiquerons en anglais, peu importe si nous avons nos puces ou non. Il me semble qu'il serait d'ailleurs étrange de les garder ; j'ai peur qu'ils ne soient trop visibles chez Nicolas et Huo sans cheveux pour les cacher.

— C'est bon, tu es prêt Nicolas ? Huo ? Ça ira pour tout le monde ? je les interroge.

Je leur tends les mains.

— Je nous téléporte chez notre contact, a priori je ne devrai pas taper à côté. Il nous fournira un véhicule. Les cartons sont arrivés ce matin dans le quartier.

Un sourire en coin.

— Il semblerait que nous ayons notre chez-nous pour quelques temps.

Lorsque leurs mains se posent dans les miennes, nous disparaissons de l'appartement.

Nicolas prend une grande inspiration et sort de sa chambre, direction l'adresse d'Aoi. Sac à dos à l'épaule, Aria lui avait préparé des vêtements disons, plus neutre, que sa garde-robe actuelle. Cheveux peignés, t-shirt gris sans motif, jean bleu sans trous par-dessus ses rangers, il avait tout l'air d'un gamin modèle. C'est les cheveux ça, j'ai bien mis une heure à les coiffer alors que d'habitude je m'en occupe pas... La différence est frappante. En fait, il n'y avait que ses cicatrices qui auraient pu gêner... Si on avait pas trouvé cette superbe justification d'accident de voiture, idée de génie. Et comme elles étaient toutes soignées, paf ! On pouvait pas les dater par fraîcheur, si c'est pas beau. Quel timing ! Un peu comme si l'destin l'voulait dis donc. Il avait dépoussiéré son accent américain, ainsi que certaines expressions bien de là-bas. Il s'était préparé sans stresser, comme s'il allait faire les courses, vérifiant ce qui était essentiel ou non, commençant par le plus urgent pour petit à petit s'occuper de ce qui l'était moins. De toute façon en 24h... Il soupire.

Quand Huo et Aoi lui avaient demandé s'il voulait partir en Mission avec eux, il hésita. Pas longtemps, une seconde tout au plus, avant de se dire que ce n'était pas une mauvaise idée au final, d'y aller avec eux plutôt que d'autres, d'y aller maintenant plutôt que plus tard. Il ne ressentait pas le besoin de sortir de Terrae mais quelque part, il voulait vérifier que le monde était dans le même état qu'au moment où il avait décidé de venir à l'institut. Et avec cette mission, il pensait bien qu'il allait vite avoir envie de rentrer... Des jumeaux, une secte, des parents qui doivent, peut-être, sans doute, maltraiter leurs enfants... ...Que demander de plus ?! Nicolas avait beau avoir fait des listes, s'être exercé en tout et n'importe quoi et avoir expulsé un maximum de la rage qui l'habitait avant de partir, il était sûr de n'avoir pas pris encore assez de recul pour rester de glace devant les gosses... Il avait déjà joué la comédie, pendant sept ans dans son village, s'il-vous-plaît, donnez à cet homme un oscar !... Mais les enfants. Voilà, c'était les enfants, les trésors du monde, et les adultes crachaient dessus... Dessus leurs souffrances et dessus leur Vide. Nicolas réprime un frisson.

Il appuie sur la sonnette. C'est Aoi qui ouvre la porte. Attends. :

-Aoi ?

Pas qu'elle était méconnaissable mais il eut tout de même un doute... Et Huo derrière elle, nouvelle couleur, nouveau look... Oh my god. Il étouffe son rire du mieux qu'il peut, pour préserver la dignité de son frangin. Mais c'est dur... Il tousse. :

-Oui, je suis prêt.

Il a un sourire en coin, le même que celui d'Aoi quand elle dit qu'il ont un "chez-eux". Cette simple phrase résonne bizarrement en lui, il met un moment à tripoter le cristal que lui a offert Matheo, dans la poche de son jean... Il a un bref instant de stress qui forme une boule dans sa gorge avant qu'il ne prenne une lente inspiration et prenne la main d'Aoi, direction les États-Unis.

Nicolas tangue un peu après la téléportation, mais il se sent bien. Pas malade en tout cas, ni vraiment angoissé encore puisqu'il ne se rend pas bien compte qu'il vient de traverser une partie du globe en un clignement d’œil. Il sait qu'il a bougé à l'air qu'il hume, comme le jour où il est sorti de l'avion au Japon. Les continents ou les pays ont des odeurs différents... Bon, c'est confirmé. Il inspire une énième fois ; il cherche déjà au fond de lui, la capacité de pouvoir jouer la comédie jusqu'au bout, la force de tenir son masque... pour les gosses.

Je pensais pas que l'attribution des missions se faisait en mode yolo... Enfin. Si je me doutais que c'était un peu au qui veut lève la main. Mais à ce point je pensais pas. Enfin on a quand même des dossiers vous me direz, des infos tout ça. Mais la constitution de l'équipe j'ai ri. J'ai parcouru un peu les dossiers des gosses qu'on doit récupérer en plus des instructions. Je sens que ça va pas être une partie de plaisir. On va y passer pas mal de temps. J'ai jamais été très doué pour jouer la comédie à ce point mais je suppose qu'il va falloir être un minimum crédible.

Je me sens quand même en confiance vu que je suis avec Nico et Aoi. Je sais qu'en cas du moindre problème ils seront là pour assurer. Enfin si tout se passe bien il devrait pas y en avoir, de problème. On a le cristal de téléportation de Mitsuki, les déguisements sont au point et on a tous les papiers officiels qu'il faut. Pas de problème. En parlant de déguisement ça me fait un peu bizarre de voir Aoi habillé comme ça. Je sais que le principe est justement de la vieillir mais l'effet est saisissant.

Je passe une main dans mes cheveux en soupirant et vais ouvrir la porte à Nico qui vient de sonner. Ca me perturbe un peu de me retrouver encore une fois brun. Enfin brun... Ce n'est pas une teinture provisoire cette fois donc j'ai pris une couleur châtain un peu plus proche de celle que j'ai au naturel. Mais ça me fait quand même très bizarre. Un peu comme la fausse alliance que j'ai au doigt. Je ne me sens pas naturel mais j'imagine que c'est normal vu qu'on se déguise. Nico ne change pas trop par contre, il a juste des vêtements neufs et il est... Bah coiffé. J'esquisse un sourire amusé. Ca change beaucoup de le voir presque avec une tête de gentil garçon.

Je révise l'histoire dans ma tête. Aoi et moi sommes censés être mariés et Nico est mon petit frère adoptif. Vu qu'on va devoir parler anglais entre nous j'ai peur que ça complique un peu les choses. Je sais que Aoi est loin de le parler aussi bien que moi et je pense pas que Nico ait un niveau faramineux non plus. Mais bon on fera avec. De toute façon les puces seraient trop visibles on ne peut pas les emporter.

Je prend la main de Aoi en acquiesçant. Je suis un peu stressé aussi je crois. Première mission en tant que Master. Et elle sera surement longue. C'est presque un vrai truc d'espionnage sous couverture. Mais ce sera avec les moyens du bord. Pas de gadgets, juste nos cerveaux en état de marche et nos pouvoirs. J'espère que ça suffira.

- Tant que ça ne le reste pas trop longtemps pour qu'on puisse profiter des vacances.

Je fais un clin d’œil à Aoi alors qu'elle nous téléporte. Maintenant que ses partiels sont finis elle sera plus sereine. C'était un peu la condition pour prendre une mission comme celle-là. La téléportation me refile une vague sensation de nausée qui passe rapidement. Je regarde un peu autour de moi, nous sommes dans un petit salon apparemment. J'avoue que je suis pas super rassuré qu'on se téléporte comme ça en territoire inconnu.

Heureusement le contact est sympa et je me sens plus à l'aise rapidement. Il nous file les clés de la voiture. C'est là que je suis content de savoir conduire. En vrai j'espère que ça posera pas trop de soucis de ce côté. Aoi et Nico ont pas le permis je crois mais on se débrouillera. La voiture est déjà chargée avec les cartons pour nous faire gagner du temps et la maison où nous serons n'est pas trop loin. Je me gare devant l'entrée et soupire doucement.

- Bon bah c'est parti hein...

C'est assez étrange d'être détaillée de cette manière. Je ne sais pas, c'est le regard de Nicolas ; comme si j'avais été quelqu'un d'autre, pas vraiment différente, mais en même temps plus la fille qu'il avait rencontrée. Lui aussi est différent, tout comme Huo ; je crois que si on nous croisait maintenant, nos amis hausseraient un sourcil surpris. Un soupir m'échappe. Je crois que je ne m'habituerai pas de sitôt. D'autant qu'il faudra supporter les "madames"...

Nous atterrissons chez notre contact, qui ne tarde pas à nous fournir nos identités respectives, les clés de la voiture et l'adresse que nous devrions rejoindre. Mal à l'aise, nous posons nos dernières questions d'usage : où se trouve la famille que nous devons surveiller ? Le dossier est dans notre sac bien sûr, avec des informations relatives aux enfants et aux parents, pour que nous puissions encore le consulter ; cependant il faudra veiller à le mettre dans un tiroir bien fermé à clé, au cas où quelqu'un fouillerait la maison à notre insu.

Cette mission m'épuise déjà moralement. Mon stress augmente en flèche lorsque je m'installe côté passager de la voiture. Espérons que ça ne prenne pas des semaines, en effet. Rien que parce que mon cerveau n'est pas programmé pour parler anglais durant autant de temps - quelle blague, il faut vraiment que je m'y mette je crois. J'aurai peut-être plus de temps l'année prochaine. Enfin, cette année, quoi. (Mes exams sont finis, je peux mourir heureuse, je vous le jure.)

Le trajet en voiture est un peu pesant. Nous entrons dans le quartier et repérons ladite maison, puis la nôtre, où nous nous garons. Allez, prenons le sourire ; les voisins ne devraient pas tarder à se montrer curieux, ce serait dommage de leur donner une mauvaise image avant même que nous nous rencontrions, pas vrai ? Heureusement pour moi, mes cheveux cachent ma puce traductrice - si j'ai un problème avec la compréhension, au moins, je peux y pallier grâce à ça. Mais il ne faut pas que j'oublie de parler anglais… En espérant que ça ne me fasse pas le même coup qu'à Paris. J'me sens nulle. Je veux pas y penser.

— Allez, au boulot vous deux, on décharge cette voiture ! lancé-je en ouvrant la portière, un sourire aux lèvres.

J'ouvre le coffre de la voiture et attrape un carton pour le sortir. Il est super lourd... Arg. Un petit coup de pouce magique discret ? Je n'ai qu'à y penser pour pouvoir soutenir le carton, légèrement, suffisamment pour ne pas m'écrouler lorsque je le sors pour le poser au sol. Puis je soupire.

— Bon, en fait, je laisse tomber les gros cartons... J'ouvre la maison et je prends vos sacs. Ok ?

Désespoir. Mais bon, ils ont de gros bras, qu'ils assument ma pseudo faiblesse, hein.

J'attrape les sacs à dos et sacs de voyage, traverse le petit bout de pelouse jusqu'à la porte d'entrée. Un sourire lorsque la serrure cède à la clé et que je découvre le minuscule hall.

— Ohhh, c'est trop joli, venez voir ! Je crois qu'on va bien se plaire ici, tous les trois !

Le coin va me plaire, c'est certain. Ouaip. (J'ai l'impression d'être une jeune mariée qui emménage avec son mari et son neveu, est-ce que c'est normal ou je crains vraiment beaucoup ?)



HRP : ... Je n'ai pas encore un mois de retard *tente de se justifier vainement*

Nicolas jette un œil à sa nouvelle identité... Nick. Ouais ça va ils se sont pas foulés quoi. D'un côté, ça pouvait éviter les langues de fourcher... Il faisait confiance à Huo et Aoi, mais on sait jamais. Une bourde dans l'bousin et c'est l'bordel. Sinon, il reste un peu surpris de la façon dont ils sont accueillis... Enfin surtout lui, à la façon dont ils discutent des derniers détails. Il a l'impression d'être adulte, ce qui n'est pas le cas, bien sûr. Ils sont juste dans le même bateau, et il devait autant assurer que les autres...

Ils montent dans la voiture, Nicolas décide de s'immerger dans son rôle... Casque sur une seule oreille, il écoute les derniers tubes des États-Unis, qui valent pas franchement le détour, ieurk, entre une qui dit "bonjour" et l'autre qui s'excuse, et regarde comment Huo se débrouille avec la boîte automatique, s'étant placé derrière Aoi pour justement, le voir faire. Heureusement qu'il avait le permis... Heureusement qu'il était avec eux. Il pousse un gros soupir, l'air lui paraît lourd. Il voit la maison. Leur maison du coup. Son visage affiche les traits d'un grand enfant impressionnable, manipulable, au cas où leurs cibles soient à leur fenêtre, à l'affût, sait-on jamais. En vérité, une énorme pointe de stress vient s'emparer de ses entrailles... Sacré comédien.

Plus encore Aoi qui sort tout juste alors que Huo vient de se garer... Nicolas a pas le temps d'enlever sa ceinture qu'elle a déjà ouvert le coffre. Aller, comme dit Huo... C'est parti.. Il ouvre la portière et lance dans un américain correct et familier. :

-Attends ! C'est lourd ce machin !

Il sourit et rit doucement alors qu'elle pose le gros carton... Il la remercie de prendre les sacs et inspecte le coffre... Bon, un partage des tâches s'impose. Il tapote l'épaule d'Huo et pointe du doigt le carton à terre. :

-Bro, prends celui-là et le petit, je me charge du dernier... Promis je casse rien !

Il l'aide en posant le petit carton par-dessus l'autre et s'empare du sien au moment où Aoi s'exclame. Hmmm... Comédie, comédie. Soupir d'adolescent un peu à bout, genre... une maison c'est une maison. Il traîne un peu, comme s'il peinait avec le carton, sans oublier de jeter un coup d’œil à la façade de leur habitation. En vrai, il s'attendait à une maison type Cape Cod, plein pied, blanche en bardeaux... Mais non, elle était plutôt artisanale, avec un étage et pas de haie séparant la rue de la parcelle d'herbe devant elle. Il ne songea pas un instant qu'il allait, pour la première fois de sa vie, vivre dans une maison, non pas un appartement ou une chambre comme à Terrae. Dans son rôle, Nick avait été adopté par les parents de Huo, dans une maison qu'il avait partagé à peine avec son grand frère avant qu'il n'épouse la femme de sa vie.

Il posa le carton dans un peu plus loin dans l'entrée pour pas gêner le passage vers le salon qu'il zieuta avant d'aller dans l'immense cuisine. Il avait lu, car il s'était bien renseigné avant de partir, que dans certains quartiers, les gens venaient accueillir les nouveaux arrivants et emmenaient parfois de quoi manger ou des cadeaux... Bon, il ne s'attendait pas à ce que leurs cibles sortent de leur grotte, mais pour les autres, il y avait moyen de se rapprocher des autres, d'avoir des liens et de connaître un peu plus le coin... Il va jusqu'au réfrigérateur en cachant sa surprise devant tout le matériel... immense. La vache... On peut tenir à trois dans c'frigo ! Surtout pour le peu qu'il y a dedans...

Comédie totale. J'avoue que je suis presque surpris par l'aptittude de Nico à se fondre dans le personnage. Ado. Ca me fait bizarre aussi de me dire que là c'est Aoi et moi les adultes. Je me considère tellement pas plus agé que lui au fond. Enfin… On a vite tendance à oublier qu'il a seulement 16 ans. A son âge je préfère pas penser à ce que j'étais.

Ils commencent à décharger les cartons et je sors à mon tour de la voiture. J'étire un sourire amusé en voyant Aoi laisser les cartons. Eh ouais Princesse j'imagine que c'est lourd. Et puis autant ne pas paraitre suspect de suite en arrivant à soulever des trucs qui font ton poids.

— Te pête pas le dos non plus.

J'attrape le carton laissé à l'abandon devant l'entrée et le soulève. Ha ouais c'est pas tout léger comme on dit. Je marche un peu en canard sous le poids avant de le déposer dans l'entrée. Aoi qui s'extasie sur la maison. Je ris doucement et la rejoins dans l'entrée.

— J'en suis sûr aussi. On sera bien installés.

Pour la mission, j'entends. J'embrasse Aoi sur la joue avec un sourire en coin avant de rejoindre Nico dans la cuisine. C'est immense… Et je vais tenir Aoi éloignée du four aussi, je tiens pas à devoir rembourser la maison. Même si ce serait intéressant de se faire héberger par les voisins pour cause d'incendie ce serait pas bon pour mes nerfs.

D'ailleurs en parlant de nerfs on va commencer par se détendre mon grand. Pas de raison que ça se passe mal. Bon je dois surement travailler un peu mon accent mais ça se fait. Je serais pas pire que Aoi de toute façon. Je m'apprête à ressortir fermer la voiture mais la sonnette de l'entrée retenti. J'ai pas sursauté c'est juré. Enfin presque pas. J'expire lentement.

— Aoi, ma chérie tu veux bien aller voir qui c'est ?

Je ne suis pas nerveux.

Bon, je n'aurais peut-être pas dû prendre ce gros carton en premier... Je suis plutôt contente que Nicolas saute de la voiture pour m'aider et lui lance un sourire pour le remercier au passage. En prenant les sacs, je me décide à ouvrir la maison et l'inspecter - et autant vous dire qu'ayant toujours vécu dans un petit appartement avec ma mère, j'ai l'impression de revivre. Ça m'a fait le même effet quand on m'a proposé de prendre une petite maison à Terrae, mais je sais pas, là c'est… différent ? je songe en jetant un coup d'oeil derrière moi, pour voir Nico et Huo et s'approcher. Je leur fais un signe ravi, rend son baiser à Huo et sautille jusqu'au salon, où il y a déjà quelques meubles d'installés - le strict minimum pour une maison a priori habitée - et pose les sacs à côté. D'accord, c'est une mission, je sais qu'on n'est pas là pour s'amuser, mais... Quelque part, je n'arrive pas à m'empêcher de suinter le bonheur. Ce n'est pas de ma faute, on ne juge pas !

D'un geste, je remets une mèche de cheveux derrière mon oreille et observe les garçons inspecter la cuisine. Je m'apprête à leur dire que le salon est beaucoup plus grand que ce à quoi je m'attendais quand quelqu'un sonne. Je vois Huo faire un bond à côté de moi et souris doucement, m'approche de lui pour embrasser sa joue.

— Déstresse mon chéri, c'est sûrement les voisins ! J'ai hâte de les rencontrer !

Ahah, comment j'ai pu dire ça avec autant d'aplomb ? L'habitude, peut-être... Enfin peu importe. J'effleure sa main en passant et souris à Nicolas.

— On a encore des affaires dans la voiture ou ça devrait aller ?

Puis je me dirige vers la porte pour ouvrir. Un homme et une femme m'accueillent, un sourire sur les lèvres et le visage enjoué. Je ne suis même pas déçue que ce ne soit pas nos cibles, ce serait trop simple sinon. (Et si c'était aussi simple, on ne serait pas là...)

— Bonjour ? je les salue avec un sourire, sans trop savoir quoi dire.
— Bonjour madame ! Nous sommes vos voisins ! Nous avons vu que vous venez d'arriver, alors nous voulions vous saluer... Je suis Mary, se présente la femme, une blonde aux joues rondelettes et trop maquillées. Et voici mon mari, Ed !

Il me salue à son tour et je leur serre la main brièvement, toujours souriante. Heureusement que j'ai ma puce, sinon je comprendrais rien à leur accent, ils parlent vraiment trop vite.

— Ravie de vous rencontrer, je suis Aoi. Attendez, j'appelle mon mari et mon neveu.

Je me retourne vers l'intérieur de la maison :

— Huo, Nick ! Les voisins sont venus nous saluer !

Puis je me retourne vers eux et, tout en m'écartant, je continue :

— Vous voulez entrer ? On n'a pas encore tout déballé, mais on devrait pouvoir vous servir quelque chose à boire, si vous voulez...

Quand la sonnette retentit, Nicolas voit du coin de l’œil Huo "frémir". Il aurait bien rit s'il n'avait pas sursauté lui-même... Dans sa tête c'était déjà la troisième guerre mondiale en fait. ALARME DANGER TOUS A COUVERT ! Mais ce n'était que la sonnette de l'entrée... Le sourire qu'il veut rendre à Aoi se transforme en grimace malgré lui et il prend une profonde inspiration pour se détendre avant qu'elle n'ouvre la porte. La conversation s'engage avant qu'il n'ait le temps de dépasser sa tête de la cuisine... :

-Bonjour monsieur et madame.

Il est content de maîtriser l'anglais un minimum, ça lui permet d'être poli et de paraître un peu timide, réservé... Cible parfaite pour une secte, en admettant que ses voisins-là connaissent et fréquentent ceux qu'ils cherchent à atteindre. Il leur serre la main et laisse son "oncle/frère" et sa "tante" les accueillir. Il se tourne vers Aoi, toujours dans son rôle de garçon modèle un peu impressionnable... :

-Je vais aller fermer les portières de la voiture.

Même dehors, il ne lâche pas l'affaire... Si habituellement il aurait mis les mains dans les poches, il avait là les bras un peu ballants, comme un enfant qui n'aurait pas vraiment grandi. Son manteau de cuir lui manque un peu... Pourtant, s'il paraît innocent comme ça, ses instincts sont aux aguets et, semblant jeter un regard satisfait au quartier qui lui fait face, il a la même sensation que lorsqu'il était dans son village.

Ici, le voisinage se connaît. De loin ou de prêt. Ici, tout se sait. Il en a la certitude. Alors il devine aussi, que par l'une des fenêtres d'une de ces maisons, peut-être même toutes... des gens les observent. Et rien, pas même les pelouses parfaitement entretenues, pas les façades refaites à neuf, pas les jeux d'enfants qu'il entend de là où il est, ne parvient à faire disparaître cette sensation désagréable... Il est retourné dans son village. ...Version américaine et bien plus propre, certes.

Quand il rentre à nouveau, il se case entre Aoi et Huo, l'air de ne pas savoir où se mettre. En fait, si ce n'était que lui, il irait dans sa chambre pour se caler, mais dans son rôle, ça ne collerait pas... On le taxerait de malpoli sans doute. Alors il attend, sage, les mains derrière le dos, souriant aux remarques des invités. Des deux, c'est Mary la pipelette, Ed se contentant de faire quelques blagues misogynes en clignant de l’œil à Huo... Ahah, qu'est-ce qu'il doit être à l'aise le frangin ! :

-Et il a quel âge ce charmant garçon ?

-J'ai 15 ans madame.

-Ooooh appelle-moi Mary voyons !

-D'accord m-madame Mary. fait-il en baissant la tête.

Elle se met à rire, mi-gênée mi-flattée au vu du rouge de ses joues. Et paf, Mary dans la poche. Nicolas songe sérieusement à se lancer dans le théâtre.

La discussion est faite de banalité : si ils ont un souci pour quoi que ce soit, ils étaient dans la maison d'en face en somme, et toujours prêt à les aider. Ils paraissaient accueillants... et très curieux vu la dose de questions qu'ils ont posé à Huo et Aoi... Nico fut bien ravi d'avoir le rôle du gosse à ce moment. Bref, au bout d'un moment, ils se décidèrent à les laisser s'installer. Nick les remercia pour leur accueil et attendit qu'ils sortent pour sortir son téléphone. Il tapa avec difficulté un sms qu'il n'envoya même pas, il le montra juste à Huo et Aoi.

On.Nous.Observe.Déjà.A.L.Extérieur.

Fallait bien que ça arrive... Il s'attendait juste pas à ce que ce soit si tôt.

Déstresse, elle a de bonnes elle… Enfin c'est surement juste les voisins qui viennent voir ouais. Il parait que ça se fait pas mal ici, apporter des gâteaux, faire connaissance tout ça. Je lui souris un peu en résistant à mon envie de prendre sa main quand elle effleure la mienne. Je secoue la tête pour lui signifier que c'est bon, il n'y a plus de cartons dehors. De toute façon tout ce qui peut être compromettant est dans nos sacs.

Aoi va finalement ouvrir et je l'entends discuter avec nos nouveaux voisins apparemment. Finalement elle nous appelle et je la rejoins dans l'entrée à la suite de Nico. Il a l'air aussi stressé que moi même si il le cache bien et il sort. J'acquiesce quand il parle de fermer les portes de la voiture et me tourne vers nos visiteurs pour engager la conversation.

Hormis leur curiosité ils n'ont rien de dangereux après tout. Mais je suppose que dans une banlieue tranquille comme ici c'est l'événement de l'année dès qu'il se passe un truc. Je retiens un sourire amusé quand Nico fait son petit numéro de charme à la voisine. Il est vraiment doué pour ça.

Finalement ils repartent et je soupire de soulagement. Ca ne m'étonne pas trop qu'ils posent des questions, j'aurais été plus inquiet qu'ils ne le fassent pas mais ça n'aide pas vraiment à rester serein. Mentir ce n'est pas ce que je fais de plus facile. Je suis un bourrin faut pas l'oublier. Je hausse un sourcil en voyant ce que nous montre Nico avant d'acquiescer. Ouais. Tout se sait dans des endroits comme celui là.


Finalement on est pas si mal installés ici. Je me regarde rapidement dans la glace de l'entrée avant de sortir dans le petit jardin. Va bientôt falloir que je demande un coup de main à Aoi pour me refaire cette foutue coloration. On recommence à voir mes racines naturelles un peu. Je me suis mieux habitué que je pensais à cette apparence. J'ai même pris un tic, je fais souvent tourner mon "alliance" autour de mon doigt. La sensation est étrange.

Maintenant que les voisins se sont fait à l'idée que nous sommes là il va falloir amorcer le premier contact. L'idée de la petite fête de bienvenue dans le jardin est toute trouvée. Je commence à installer le petit barbecue à gaz qu'on a trouvé dans le garage. J'espère que nos cibles viendront ce serait l'occasion rêvée. Entendre l'Appel sans pouvoir y répondre est parfois un peu dur quand on est aussi proche. Je jette un oeil à Aoi et Nico qui sont déjà en train d'installer la table à côté. Croisons les doigts.

Les garçons ont beau mourir de stress, ils se débrouillent assez bien au final. Surtout Nicolas, qui fait preuve d'une mise en scène tout à fait adorable devant nos deux voisins. C'est bien s'il peut s'approcher un peu de tout le monde, ne serait-ce que pour détecter de l'animosité chez eux. Nos cibles ont beau être sous la coupe de cette secte, on ne sait pas si les autres voisins le sont aussi. Peut-être sont-ils aussi membres de ce groupe, mais que cela se ressent moins ? Dans tous les cas, Nicolas est notre joker sur ce coup-là : il faut qu'il reste attentif à tous nos interlocuteurs pour déceler les intentions mauvaises. Je ne sais pas s'il peut réellement le faire correctement à son niveau, s'il arrivera à ne pas confondre ça avec éventuellement une simple mauvaise humeur passagère...

Enfin, nous verrons bien. Mary et Ed nous parlent de leurs enfants, actuellement à l'école, et je songe à ces deux enfants qui reçoivent des cours à domicile, à quelques bâtiments à peine de là où nous nous trouvons. Pas de possibilité de les approcher à l'école, ces parents sont vraiment paranos au possible... Je jette un regard à Nicolas. Nous avons convenu de ne pas l'inscrire dans le lycée du coin, aussi nous pouvons tenter d'approcher la famille sous prétexte de vouloir rencontrer leur éducateur.

Tenter de rentrer dans la secte pour pouvoir sortir les jumeaux de là est encore la meilleure chose à faire… Malheureusement.

Le message de Nicolas passe et je retiens un sourire crispé. Eh bien… voilà qui est une chose rassurante.


On ajuste un peu notre tenue, comme des comédiens avant d'entrer en scène. J'ai ressorti une de mes robes à pois - je n'aurais jamais pensé pouvoir la mettre à cette période de l'année, ni pouvoir faire un barbecue ; c'est la magie du sud des US - et ai attaché mes cheveux avec mon pic. Dur dur, le maquillage ; encore plus dur de faire les courses le matin-même et de croiser certains de nos voisins, comme ça, sans qu'on s'y attende. À croire qu'ils nous suivent...

Dehors, nous installons la table avec la nappe en plastique, que nous accrochons solidement à la table pour éviter qu'elle ne s'envole, et disposons les couverts et les assiettes, puis les chaises. Tout le monde n'aura pas une place assise, mais ça devrait bien se passer, hein ? Des enfants vont venir, en espérant que ceux que nous cherchons pointeront le bout de leur nez. Nous sommes allés nous présenter l'autre jour et, à défaut d'avoir l'air anormaux, leurs parents semblaient plutôt stricts. Propres sur eux ? C'est difficile à expliquer. Peut-être qu'on a eu cette impression de malaise uniquement parce que nous savons... Dans tous les cas, ce n'est pas le moment de faire les difficiles.

Les premiers invités arrivent et nous les guidons jusqu'à l'arrière de la maison, là où nous organisons le barbecue. Quelques échanges polis, des éclats de rire ; certains sont très sociables, d'autres plus réservés mais non moins sympathiques. Il y a parfois une légère note de sarcasme à l'entente de mon accent et j'essaie de garder le sourire. C'est dur de se faire juger, mais j'ai l'habitude. Ça fait juste longtemps... Cinq ans, à peu près ?

On sonne une nouvelle fois, et je sens plus que je n'espère que ce sont eux. Ces deux enfants adorables que nous avons vus l'autre jour, déjà, avec leur sourire très calme mais leur Appel qui nous broyait... J'ai le cœur qui se serre en voyant un des garçons se dépêcher de leur ouvrir. Je m'excuse auprès de mes invités et les rejoins dans l'entrée pour saluer leurs parents, mon doux sourire aux lèvres à la fois pour les parents et les enfants, que nous invitons tous quatre à rentrer, puis à se diriger en papotant jusqu'au jardin en les remerciant d'être venus et de leur petit cadeau de bienvenue. Paroles enjouées, mine de circonstance ; encore une remarque sur leurs adorables enfants, avant de leur mettre gentiment Nicolas dans les pattes. (En vrai, je suis désolée de faire ça, mais on n'a pas trop le choix que de le faire supporter la demi douzaine de gosses présents. Et euh, moi, je peux pas. Après, je peux leur servir une grenadine s'ils ont envie. Ils veulent une grenadine ?)

— Si vous avez besoin de quelque chose, n'hésitez pas, d'accord ? Nick ? Tu restes un peu avec eux et les autres enfants ? Je te laisse t'occuper de leur servir à boire !

Ce sont eux, ils sont là. C'est la première approche. C'est tellement compliqué de leur parler sans les inviter directement à partir de chez eux, bon sang... Il faut faire taire ces voix qui s'élèvent dans nos têtes. Sinon on ne va pas y arriver.

Je vois la mère des petits secouer la tête et me sourire. Un sourire froid. À chaque fois que je vois ça, j'ai l'impression qu'elle sait.

— Ne vous en faites pas. Ils peuvent rester avec les grands, ça ne les dérange pas !

Retenir un sourire crispé quand elle cherche à obtenir leur approbation en leur glissant un regard appuyé. Ils ne vont probablement pas les lâcher de la soirée... Ils ne sont là que pour la façade. C'est de pire en pire.

— Nous ne resterons pas vous déranger très longtemps, nous avons un emploi du temps chargé demain matin.
— Ah, oui, bien sûr...

Huo, Nico, de l'aide ? Je sais plus quoi dire, là ?

Le plus dur, en fait, c'est de maintenir un masque constamment. Nico, malgré le fait qu'il en ait porté plusieurs, avait quand même du mal à garder le même. Dans la comédie, on en change comme de chemise, là, tout était une question d'endurance... Ne jamais laisser échapper un regard suspicieux, souvent prendre un air émerveillé quand on lui demandait de faire la plus petite tâche, comme si on lui accordait la plus grande confiance. C'était lourd, à force... Il se lâchait parfois, le soir, les volets fermés et n'ayant plus que Huo et Aoi comme témoins. Du rock dans le casque, avachi sur le canapé, chemise ouverte et cheveux en bataille. Il soufflait... Jamais il n'avait ressenti autant de bien à se lâcher, à être lui-même. Il en comprit l'importance  durant cette Mission... Quand il rentrait chez lui après une journée de comédie, quand il ressentait le tiraillement et la douleur de Huo et Aoi lorsqu'ils croisaient les gosses. L'Appel, il ne le ressentait qu'à travers eux et il se doutait que ce n'était pas un dixième de ce qui devait les traverser à ce moment. Il remarqua aussi que ses talents marchaient beaucoup plus sur les mères que sur les pères... Étaient-ils plus méfiants, moins faciles à persuader ? Qu'en savait-il ?... Il n'avait pas connu le sien. Il ne se souvenait pas l'avoir connu. Il se contentait de ça. Un sur deux, c'est déjà pas mal. Ça exerçait son côté sensitif pour la peine, bien qu'il rebutait toujours autant le faire, il se le devait, pour les gosses.


Nick remonta les manches de son maillot et laissa pendre ses bras de chaque côté de son corps... Deux enfants du voisinage, de six et huit ans, s'y accrochèrent avant qu'il ne fasse son décompte. :

-Une ! Deux ! C'est partiiiii !

Il tournoya sur lui-même, les gamins s'accrochant du mieux qu'ils peuvent. Un petit manège improvisé, pour tenir éloignés les petits curieux du barbecue. Des volutes de senteurs de viandes doucement en train de cuir emplissait le jardin tandis que les adultes flânaient, bières à la main pour beaucoup, laissant leurs enfants avec lui. Les petits et les jeunes avaient accordés leur confiance rapidement, sans doute parce qu'il jouait avec eux, sans limite, sinon les siennes et ceux des grands, qu'il rappelait de temps en temps sans les prendre pour des abrutis. Il était dans cet âge parfait où il pouvait faire l'intermédiaire aux tranches d'âge. Il apprenait des petits secrets qu'on ne peut entendre que de la bouche des enfants ayant traîné une oreille par-ci par-là, les parents ne pensant pas que leur chers petits bambins puissent comprendre la situation.

En bref, il était devenu en grand frère par la force des choses. Les parents de petits hyperactifs comme ceux de grands timides restaient surpris de voir, au fond du jardin, leurs enfants sages, assis en tailleur dans une ronde, en train d'écouter Nick leur raconter des histoires et de les entendre rire aux éclats à chaque grimace, à chaque rebondissements, à chaque final complètement tiré par les cheveux. Et là, c'était une séance de manège improvisée, pas brutale et assez éloignée de tout danger. Nick s'arrêta parce qu'à force, évidemment, il a la tête qui tourne... Une fois qu'il fut sûr que les petits avaient lâchés ses bras, il s'effondra au sol, sur ses fesses, où d'autres vinrent le presser de recommencer. C'est à ce moment qu'il se rendit compte que leurs cibles étaient arrivés... Il expira. :

-Tout à l'heure, quand je serais de nouveau en forme. J'dois accueillir les nouveaux arrivants... Profitez-en pour aller chercher une limonade !

Nick se releva en s'époussetant et en se recoiffant alors qu'une tripotée de mômes se dirigea vers la table des boissons comme un seul homme assoiffé. Il rejoignit en trottant Huo et Aoi pour saluer la famille... Austère. Les parents avaient le visage neutre mais ils ne dégageaient aucune émotion positive... Nicolas renforça le filet mental qui le protégeait du trop pleins d'émotions environnantes pour se concentrer sur eux. Avec le monde qu'il y avait, hors de question de perdre ses moyens. Les gosses souriaient, eux, c'était au moins une bonne chose. Il se plaça près d'Aoi d'où une sensation d'urgence et de malaise le frôla un instant avant qu'il n'arrive à la repousser. Il la traduisit par la hâte qu'elle ressentait de sauver ces petits et malgré tout, il fut un peu emporté par elle ; il faillit faire un mouvement de bras vers les enfants, pour les emmener dans le jardin. Mais la mère secoua la tête...

Et les petits perdirent aussitôt leur sourire... Ils auraient voulu jouer avec les autres. Cela déchira le cœur de Nicolas mais il n'en laissa rien paraître ; c'est Nick qui s'accroupit pour leur parler directement. :

-Oh dans ce cas... Je vais vous chercher ce qui vous fait envie ! Qu'est-ce qui vous plairait ? On a de l'eau et de la grenadine, de la limonade, du jus d'orange et du soda.

Il prit leur commande avec un grand sourire puis se releva pour faire face aux parents. Subtil, il leur envoya une toute petite vague de sérénité tout en leur demandant ce que eux désiraient, pour les détendre simplement, non pas qu'ils leur fassent confiance d'un trait, ce serait trop louche. Poliment, ils le remercièrent mais insistèrent pour ne rien prendre. :

-D'accord, n'hésitez pas à vous installez quand même.

Ils se regardèrent et cette fois, acceptèrent. Nick hocha la tête et laissa le reste à Aoi et Huo avant d'aller chercher ce que les petits avaient demandé. A la table, il fit une pause... Il y avait... du monde... Pas tant d'un point de vue normal, mais dans sa tête... beaucoup trop. Il le sentait... Les émotions des enfants, des adultes et même de Aoi et Huo se pressaient contre son filet mental. Il s'accrocha une demi-seconde à la table, souffla et s'empara de la bouteille la plus proche pour remplir les deux verres. Ça va aller. Armé de son sourire, il évita de nouveau les enfants lui demandant encore de jouer avec lui. :

-Désolé les champions, pas tout de suite, je dois aussi m'occuper des jumeaux là-bas.

-Ah... fit l'un des déçus avant de tourner son regard vers eux. Ceux-là, ils viennent pas jouer avec nous, et ils ne sortent pas souvent de leurs maisons. Ma maman dit qu'il faut pas trop traîner avec eux et que de toute façon ils veulent pas jouer avec nous.

-Moi j'crois pas. Des fois, ils sont à la fenêtre de chez eux et ils nous regardent jouer au ballon. On a voulu les inviter, mais leurs parents ont dit non.

-Ouais ! Du coup, on n'ose plus les voir.

Une info gratuite en plus. Nick secoua la chevelure du gamin le plus proche en souriant... Qu'est-ce qu'on pouvait répondre à ça ? Qu'est-ce ces parents avaient pour eux franchement ?... Jusqu'à empêcher leurs petits de s'amuser... S'amuser ! Nick se pencha vers eux... :

-Quand ils auront fini leurs verres, venez les voir et allez leur demander.

-Mais... les adultes...

-Je m'en occupe.

Clin d'oeil. Petits yeux qui s'illuminent. Peut-être qu'il allait souffrir, mais ça allait valoir le coup, il était certain... Et puis, il va faire une pierre deux coups ; s'il arrive à se concentrer assez longtemps alors qu'il manipule les parents, ils devront rester plus longtemps si les petits jouent ensemble...

Il revint là où s'était installé la famille et donna les verres aux gamins. Il s'installa lui aussi, non loin d'eux pour éviter de perdre trop d'énergie à diriger les vagues d'émotions qu'il allait devoir maîtriser et fit un signe à Huo semblant tout à fait bénin, sa main droite sur son épaule gauche. Il savait, ils en ont parlé. Comme Nico allait devoir se concentrer sur ses pouvoirs, il allait avoir du mal à tenir une conversation... Mais les parents allaient être carrément plus enclin à avoir une conversation avec eux.

Les premières personnes commencent à arriver et j’enchaîne quelques grillades en surveillant l'entrée du coin de l’œil. Nico semble à l'aise avec les petits même si il en a quelques uns à s'occuper. Je sais que ce n'est pas toujours facile pour lui de se retrouver comme ça. Entre son malaise avec le contact et son don de sensitif qu'il ne maîtrise pas toujours ce n'est pas simple à gérer. Aoi a l'air de s'en sortir avec les invités et j'essaye de sociabiliser avec les autres.

Quand la sonnette retenti encore une fois j'ai un pincement au coeur qui me semble un peu trop familier. L'Appel des jumeaux me fait toujours cet effet quand ils sont à proximité. Je tente de l'ignorer autant que possible mais à cette distance c'est compliqué. Si ça ne tenait qu'à moi on les kidnapperait sans avoir besoin de tout ce cirque mais c'est impossible. Je fais taire mon besoin de les rejoindre de suite, attends qu'Aoi engage la conversation avant de m'approcher.

Nico s'occupe de prendre les boissons pour les petits. Il a l'air un peu déphasé parfois. J'essayerai de lui donner un moment au calme un peu après tout ça doit l'épuiser. Il revient et donne leurs verres à tout le monde. Sa main sur mon épaule avant d'aller un peu plus loin. C'est noté mon grand. Son pouvoir est tellement utile pour cette mission honnêtement, je sais qu'on lui en demande beaucoup. Détourner l'attention des parents, leur parler pour pouvoir approcher les petits. Il faut que je trouve quelque chose pour engager la conversation. Je souris doucement à la mère.

— Vos enfants ont l'air bien sage. Ce doit être agréable à la maison.
— Oui.

Ouille, mauvaise approche. On va essayer autre chose.

— Vous nous aviez dit que vous les scolarisiez à domicile ?
— En effet, pourquoi cette question ?

Il a l'air de suite bien plus sur la défensive avec cette question. Reste naturel Huo. Respire lentement, ce n'est pas suspect comme demande. Voilà, un sourire aimable.

— Oh eh bien, comme nous sommes arrivés en cours d'année scolaire Nick n'a pas encore repris l'école. Nous nous sommes posé la question d'un tuteur, au moins jusqu'à la fin de cette année.
— Celui de nos enfant est très bien, ils ont de bons résultats au tests.

Et ce sourire satisfait, froid. Ils n'ont pas le choix bien sûr. Je leur souris, simulant une lueur d'intérêt.

— Ce serait possible de nous le présenter ? S'il fait aussi un niveau scolaire de lycée nous serions intéressés. Et puis, s'il y a possibilité de mutualiser pour partager des cours je suis certain que d'un point de vue économique ce serait avantageux.

La mère semble un peu moins suspicieuse, je sens que l'argument économique a fait mouche chez le père qui a l'air de suite plus intéressé. Je jette un oeil à Nico rapidement, j'espère qu'il ne se fatigue pas trop. Je me tourne vers Aoi.

— Tu en penses quoi chérie ? Je suis sûr que ça ferait plaisir à Nick de ne pas suivre les cours tout seul.

Honnêtement, Nick se débrouille bien... Enfin, je voulais dire Nicolas. J'ai un peu de mal à démêler les choses dans ma tête ; dans tous les cas, j'espère que tout ira bien de son côté. Je pense qu'on peut le laisser se débrouiller un peu avec les enfants, il arrivera peut-être à les faire parler. Savoir quand ils sortent, avec qui, quand ils peuvent être seuls... Peut-être que si nous proposons aux parents de les garder, s'il y a un problème... Un instant, je songe qu'il serait amusant de mettre le feu à leur voiture, dans les prochains jours, pour les obliger à sortir et permettre aux enfants de s'échapper. Mais nous ne sommes pas là, et peut-être que ces enfants n'ont aucune envie de partir avec nous... Il va falloir y aller mollo. (Je crois que le bourrinisme d'Huo déteint trop sur moi...)

Nicolas sert les enfants et je m'efforce d'être aussi ouverte que possible avec leurs parents. Huo est pas très doué pour se sociabiliser, par contre... On dirait que la mère va lui arracher la tête. À moins que ce soit le père. Ou les deux. Ou alors ce n'est qu'une vague d'indifférence et de mépris ?

Il trouve finalement un point sensible ; l'enseignement à domicile. Je souris doucement au couple :

— Oui, ce serait vraiment bien ! Comme nous arrivons en cours d'année... Et puis, Nick est tellement gentil, soupiré-je en faisant mine de jouer avec mes cheveux, prenant le rôle de la mère inquiète. J'ai peur qu'on le juge à cause de ça et de ses bonnes notes, ce serait terrible s'il était pris pour cible des moqueries de tous...

La mère s'adresse à moi directement, en me demandant la raison de notre arrivée soudaine.

— Oh... C'était compliqué de continuer à vivre dans l'Oregon depuis l'accident qui a emporté les parents de Nick et Huo, je souffle en attrapant doucement la main d'Huo, et en la pressant entre les miennes. Nous avons voulu changer d'air. C'était mieux pour tout le monde, et ici tout a l'air plus simple.

Un nouveau sourire, plus vague. J'espère que ce petit numéro pourra attendrir un peu la mère, au moins ; elle ne peut décemment pas ne pas réagir à ce genre de propos, non ? Sinon, c'est qu'elle est vraiment une sociopathe...

— J'espère que ce professeur pourra aider Nick ; il est très doué, alors il mérite d'exploiter son potentiel au maximum.
— Nous pourrons vous donner son numéro, oui. Votre… frère serait entre de bonnes mains. Peut-être pourrions-nous nous arranger avec leur professeur pour faire des cours groupés, comme vous nous l'avez suggéré... Il faudra que nous en discutions avec lui.
— Oh, merci madame ! je lance d'un air reconnaissant. Nick, tu as entendu ? Tu ne seras peut-être pas tout seul pour tes cours !

Je me tourne alors vers Nicolas et lui lance un sourire doux.

— Est-ce que ça te plairait ?

Désolée Nicolas, mais on ne peut pas vraiment faire comme si tu étais un meuble, même si tu es concentré ; dis-moi que tu as suivi la conversation, ou hoche juste la tête... Ce serait bien !

A peine installé que Nicolas tente de se concentrer... Mais ce n'est pas évident. On a beau s'entraîner, être en situation ce n'est pas pareil. Avec le monde et le stress, ce sont des facteurs qu'on ne peut prendre en compte qu'une fois sur le terrain. Et puis Nick devait veiller à son expression faciale... Nicolas lui faisait une sale gueule quand il se concentrait, tandis que Nick devait toujours avoir l'air bienveillant. Alors on ne croise pas les bras, on ne met pas les coudes sur la table et on reste bien droit sur sa chaise... L'I-DÉ-AL ! Mais concentrons-nous sur les parents... Nicolas attend que Huo perce une faille dans leur armure de méfiance pour y glisser des émotions plus positives. Histoire que ce ne soit pas suspect et qu'ils se doutent qu'il y a eu une couille dans le potage en discutant entre eux plus tard. Il ne peut pas suivre la conversation, tout occupé qu'il est dans l'examen des parents...

La mère est froide. Tout simplement. Un glaçon au milieu de la calotte glacière... Il n'y a pas rien au fond d'elle, mais c'est comme emmuré, protégé d'elle-même et des autres pour ne pas souffrir, pour cacher quelque chose de plus chaud au fond d'elle... Le père, c'est une bonne façade d'aversion, saupoudré de colère, il risque d'être plus dur à embobiner. Pourtant c'est chez lui le premier qu'il remarque une faille... Il y a aussi du changement chez la mère mais moindre... Dans les deux cas, une émotion résonne. Intérêt. Nick cligne des paupières et inspire profondément... De la sueur coule le long de sa colonne vertébrale mais il l'ignore, délicatement, il crée une vague aussi précise que possible pour ne pas se tromper. Optimisme. L'étude des émotions lui avait apporté bien plus que n'importe quelle séance d'entraînement au final... Car en voulant mélanger l'intérêt et l'optimisme il ne voulait qu'une chose : mettre le père en confiance... qu'il créait lui-même le mélange subtil.

Mais la mère le surprend. Appréhension. Pourquoi ce revirement soudain ? Mais il en sait rien pardi ! Il ne suit toujours pas la conversation alors forcément. Il croit entendre le prénom de Nick, prononcé par Aoi. Il sourit pour faire bonne mesure, mais c'est tout ce qu'il peut faire... Une migraine magistrale le prend, vive et soudaine. Pourtant il ne grimace pas, au prix d'un effort surhumain certes, mais il s'en sort en serrant discrètement les dents. Il réfléchit un instant en se demandant comment moduler l'appréhension de la mère quand son émotion change à nouveau... Étonnement. Chagrin. Nicolas n'avait aucune idée de ce qu'avait bien pu raconter Aoi mais elle avait fait mouche. Malheureusement, tout allait beaucoup trop vite pour lui et il était à bout de force. Pire ! Du coin de l’œil, il voit Aoi se tourner vers lui. :

-Est-ce que ça te plairait ?

Euuuuuh... Il prend une lente inspiration, tentant d'imaginer qu'elle était la bonne réponse à cette question quand les enfants choisirent pile ce moment pour intervenir. Urgence ! Était-ce son émotion ou bien... ?... Les gosses parlent à toute vitesse. :

-Dis Nick ! Reviens jouer ! On peut jouer avec les jumeaux aussi ? Aller !

Vigilance. Peur. Nick déglutit. :

-Je suis désolé mais... Je ne me sens pas très bien...

Sa voix est faible, comme s'il était sur le point de pleurer... Mais non. Il était bousculé par trop de choses à la fois, au point d'avoir du mal à maintenir le filet qui pourrait le protéger de tout ça. C'est là que le père se lève, d'un coup, serrant fort le poignet de ses enfants. :

-Dans ce cas, nous ne vous dérangerons pas plus longtemps. Nous avons des choses à faire.

Et merde, MERDE ! Nick se lève difficilement. C'est un garçon poli et droit. Alors même dans un sale état, il salue ses voisins. La crainte devient surprise. :

-Merci... d'être venus...

Acceptation. Sérénité. Wouah... J'dois avoir une sale tête pour leur inspirer des émotions pareilles. Sans avoir eu besoin de ses pouvoirs en plus... Quel tombeur. La mère apporta sa main à son torse, elle dégageait un amour maternel, alors qu'elle le remerciait en retour. Ça lui échappa totalement puis soudain il comprit. Ils avaient pitié. Aoi avait du raconter l'histoire de l'accident et ils croient que Nick est encore trop profondément touché par la mort de ses parents pour ne pas retenir sa tristesse même en public... Quel timing ! Il sourit et va chercher le soutien de Huo, de nouveau la main sur son épaule, donnant l'impression qu'il est tout aussi "famille" que peuvent l'être leurs cibles alors que ce n'est qu'un nouveau signal. J'en peux plus sors-moi de là !

Je me sens bien plus à l'aise avec Aoi en soutient. Je ne suis pas très doué pour la comédie, il faut dire : c'est mon côté bourrin. Elle est meilleure que moi pour ça je trouve en tout cas. Son côté mère inquiète est très crédible je trouve. Ca fonctionne bien avec notre petite fable de drame familial. J'acquiesce à destination de la mère quand Aoi mentionne la mort supposée des parents de nos personnage. Ce n'est pas bien difficile d'afficher un sourire faible et une expression fermée.

Nicolas ne participe pas trop même si on parle de lui mais ça reste compliqué de continuer ça sans au moins lui demander son avis. C'est quand même "mon frère". J'espère juste qu'il ne galère pas trop. C'est assez subtil mais je connais assez Nico pour voir quand il en bave même s'il essaye de faire en sorte que ça ne se voit pas. Lire les parents en face alors qu'il y a autant de bruit résiduel autour ce doit être éprouvant vu son niveau d'initié.

Je n'y connais rien au pouvoir des Sensitif mais se retrouver sans savoir si ce qu'on ressent est bien à nous ou pas doit être très perturbant. Je lui ferai un café après avec une bulle de calme, ça lui fera du bien. Les enfants qui reviennent vers nous semblent le déconcentrer brutalement et mettent fin à la conversation. Je suis un peu inquiet, il a l'air au bout du rouleau là.

— Merci. Repassez quand vous voulez pour cette histoire de professeur.

Je me lève et entraîne Nico vers l'intérieur dans un coin plus calme une fois que nos cibles sont parties. J'adresse un sourire d'excuse à Aoi en lui demandant de s'occuper des invités le temps que je revienne. Je prend Nico par les épaules doucement et le fait s'asseoir à l'étage pour nous éloigner de la foule du jardin.

— Nico, respire lentement. Je sais que tu ne peux pas me lire donc concentre toi sur moi, ça t'aidera à faire le vide.

Je suis tellement nul pour ça. Je suis un bourrin moi, pas un prof pour ces trucs là. Tout ce que je peux faire c'est lui interdire l'accès à mes émotions pour l'aider un peu. J'attends qu'il se repose un peu avant de redescendre en lui interdisant de revenir avant qu'il se sente vraiment mieux. Je rassure Aoi d'une mimique pour lui signifier qu'on débriefera après et retourne m'occuper des invités. Le reste de la journée passe bien trop lentement.

Finalement les voisins repassent dans la semaine pour qu'on puisse mettre en place des cours en commun tous les jours. Même si ce n'est que quelques heures au moins Nico pourra avoir un contact avec les enfants.