Parfois y a des jours où j'ai tellement de motivation que j'ai envie de faire dix choses en même temps. Mais comme j'ai pas encore le don d'ubiquité bah je suis obligé de m'organiser... Et c'est chiant. Bah ouais je dois hiérarchiser les trucs que je veux faire c'trop naze ça. Comment je fais pour choisir moi après ?

Enfin ce matin j'avais envie de photographier le lever du soleil. Ouais comme ça. Des fois ça me prend comme une envie de pisser. La poésie comme toujours. Donc j'ai mis mon réveil à 6h et j'ai enfilé un bon pull et mon écharpe. Enfin la précaution est pas forcément utile vu que je pourrais me balader torse nu en plein hiver maintenant. Mais disons que si ça m'évite de me fatiguer en utilisant mes pouvoirs c'est bien aussi.

J'étais fier de mes photos en vrai. L'exposition était nickel et les couleurs pas dégueulasses du tout. Je pense que je les mettrais dans mon album Terrae celles là. Du coup je suis passé par le village en rentrant. Les gens commençaient à ouvrir les boutiques et j'ai pris des croissants frais qui sortaient du four. Je l'avoue c'était pas innocent. Je suis passé voir ma Princesse avant qu'elle parte à la fac en me disant qu'au pire on pourrait toujours les manger ensembles.

Je suis pas frustré ou quoi que ce soit. Enfin si mais c'est pas le problème. Le problème c'est qu'on se voit plus. Elle est tellement absorbée par ses études que même quand on arrive à se trouver cinq minutes ensembles elle est dans la Lune en train de penser à ses cours. Comme là. Elle m'a presque ouvert la porte dessus en disant qu'elle avait pas le temps, elle m'a pris un croissant, embrassé distraitement et elle s'est envolée.

C'est pas une figure de style hein. Elle va vraiment en cours en volant tous les matins. Et elle revient en volant tous les soirs. Et moi je reste dans mon coin. Quand je la vois elle bosse. J'en ai un peu marre je l'avoue. Ca m'a coupé dans mon élan d'y repenser. Je mâchonne distraitement mon croissant en revenant vers l'institut. Repenser à ça m'a coupé ma bonne humeur. Je crois que frapper un sac me fera du bien.

Je pousse la porte de la salle d'entrainement un peu brutalement et commence à m'échauffer avant d'aller chercher un sac de frappe que j'accroche. Je met quelques coups pour démarrer doucement avant d'accélérer peu à peu. Je décoche coups de poings et de pieds en enchaînant les quelques katas dont je me rappelle. A la fin ça ne ressemble plus à rien je finis juste par me défouler jusqu'à ne plus sentir mes jointures.

Oh bordel de misère... Un monde tout nouveau, un monde tout beau, un monde teeeellement propre. Jamais ô grand jamais Nicolas aurait pensé s'ennuyer loin de son village. Autrefois, il aurait donné n'importe quoi pour ne plus subir la violence, l'injustice et l'indifférence au quotidien... Maintenant, donner des coups lui manquait trop. Peut-être était-ce Terrae, avec ses gens trop gentils toujours prêt à donner un coup de main, au lycée ou ailleurs, quand ils te voient complètement paumé, où tout semblait plus coloré, les bâtiments comme les êtres humains étranges qu'il avait pu croiser, tellement scintillants que tout lui paraissait blanc. Comme si on avait fait un immense effort pour tout aseptiser, comme dans un hôpital. Comme si on avait arracher l'imperfection de ce bout de la Terre... Terrae quoi.

Je suis peut-être bizarre, peut-être que de grandir dans un monde de haine m'a fait péter un boulon... Peut-être est-ce aussi parce que ce n'est pas encore "mon" monde, que ça ira mieux, que je me sentirais moins nostalgique quand je serais mieux posé... Ça me fait peur un peu, et si j'arrivais pas à me débarrasser de mon passé ? Et si je n'arrivais pas à m'habituer à un monde "normal" ?... Et si je devenais comme tous ces gars et toutes ces filles que je haïssais ?... C'est quoi déjà l'expression ?... ...AH OUI ! "On est jamais satisfait de ce qu'on a". Sauf que j'ai déjà pas grand chose, si je devais cracher dessus, je saurais que je serais perdu.

Ce matin, il avait mis ses vêtements de sport pour aller courir dans l'aube. Comme à l'aube de sa vie, pour voir s'il pouvait courir après son temps perdu. Mais si, habituellement, le fait de poser un pied devant l'autre, de se porter toujours un peu plus loin en avant, de sentir l'effort lui tirer ses jambes lui permettait de vider son esprit, il s'arrêta bientôt. Il cracha par terre, un mollard l'empêchant de reprendre son souffle correctement et commença à sortir son tabac de ses poches. Fumée et sport sont incompatibles certes, mais pour rien au monde il arrêterait l'un ou l'autre.

Il s'assit sur les marches d'un escalier, à l'entrée d'un bâtiment qu'il ne connaissait pas et qui se remplissait petit à petit au fur et à mesure que les minutes s'engrainaient lentement. Il alluma sa roulée et en même temps qu'il expira la fumée grise, le temps ralentit. Il avait toujours cette impression lorsqu'il commençait à penser et à réfléchir, totalement concentré sur son problème, son combat, son existence.

A rien. Courir ne servira à rien car ce n'est pas ce que je veux faire. Il faut que je me batte, il faut que je sente la différence entre aujourd'hui à Terrae et hier en France... Que je constate par moi-même que je n'ai plus à craindre pour ma vie, que tout a changé. Mais... j'ai pas envie de frapper par plaisir... Putain ça non, jamais, plutôt crever de devenir comme eux. Je dois trouver un combat, m'y engager et tenir. Tenir et comprendre pourquoi.

Il écrasa son mégot et la vie repartit de plus belle ; les échos des inconscients qui vivent heureux, qui vont travailler de bon matin, les marginaux qui s'enferment pour fuir la lumière, le déluge de larmes des attristés du quotidien, et même le bruit du vent faisant frissonner les feuilles des arbres, les piaillements des moineaux et les bruits de pas, caoutchouc contre goudron. Nicolas se leva et partit dans la direction de la salle d'entrainement.

Il n'y était jamais entré. Il était passé devant de nombreuses fois, tenté. Avant de se rappeler qu'il n'était ici qu'un novice, que l'idée d'engager un combat le rebutait alors, d'autant plus avec quelqu'un qui pouvait éventuellement maîtriser ses pouvoirs... ou pas d'ailleurs. Après tout il y a "entrainement" dans le titre, c'est qu'elle sert à s’entraîner hein, qu'importe le niveau je suppose. Alors quand il poussa la porte, il fit une entrée peu remarquée, tenant timidement la porte avant de se faxer à l'intérieur en faisant le crabe dans un silence de mort.

Il y avait pas grand monde, pour ainsi dire, trois pèlerins tout au plus ; des courageux sportifs en quête de sueur matinale... et quelqu'un, un peu éloigné des autres, qui attira de suite l'attention de Nicolas. Un gars, pas plus grand que lui à ce qui lui semblait, de la distance d'où il se tenait, à la chevelure de feu et aux yeux intensément bleus. C'est possible ça ?! Damn, j'ai vraiment rien vu du monde moi... Quand à savoir si l'intensité de son regard était due à la couleur de l'iris ou à la frustration qui s'échappait de tout ses pores, c'était une autre paire de manche.

Bref, son regard s'était posé sur lui, et il ne le lâchait plus. Il décortiquait chacun de ses mouvements, sombrant, presque avec délice, dans ses plus mauvaises habitudes. De quelqu'un qui se bat, tu apprends beaucoup de choses de ses poings et de ses pieds. Et celui-là... il en avait vécu des choses... peut-être même plus que dans la courte vie de Nicolas. Car même s'il ne présentait aucune cicatrice aussi visible que lui, même s'il reconnaissait les mouvements d'un art martial qu'il n'arrivait à nommer, dans son défoulement de rage sur le pauvre sac qui n'avait rien demandé sinon faire son boulot, il reconnaissait le maintien d'un combattant de la rue... D'un gars qu'avait déjà lutté hors des règles.

Nicolas, toujours le regard fixé sur lui, commença à retirer les bandages de ses bras et arracha la compresse qui cachait son arcade et une cicatrice au dessous. Il jeta tout sur le côté. Pourquoi je fais ça ?... Il y a bien d'autres moyens, débile, pour faire connaissance avec quelqu'un ! Pourquoi il faut que tu dérapes maintenant ?! T'as aucune envie de le frapper ce bougre !... Juste que ce regard, je dois avoir le même. Je dois avoir envie de l'aider quelque part... Il prit une grande inspiration. :

-Hé ! Ca te dit pas un sac de chair plutôt ?

Il plaça ses poings devant son visage, les jambes légèrement écartées... Viens. Street style mon gars. Tu connais ça n'est-ce pas ? :

-...ou bien je viens te chercher ?

Mes gestes deviennent automatiques, j'enchaîne les frappes sur le sac avec un plaisir non dissimulé. Me défouler me fait du bien. Sentir mes muscles qui chauffent sous l'effort, ça tire un peu c'est agréable. Je ne me suis pas donné à fond comme ça depuis un moment. Quelque part je suis rassuré de voir que mon épaule est parfaitement remise depuis la dernière fois. J'avais peur que la blessure laisse des traces.

Au delà de ça, j'en avais besoin. Je ne me bas presque plus comparé à avant, ça me manque quelque part. Ce frisson d'adrénaline des vrais combats. Devoir esquiver, attaquer, faire jouer ses réflexes, il y a quelque chose de jouissif là dedans. Mon souffle se fait plus court mais je mesure ma respiration progressivement. Je retrouve un peu mes vieux réflexes. Le sac tremble sur son support à chaque coup.

La porte s'ouvre une fois, deux fois, je n'y fais pas vraiment attention. Je suis pris dans un combat imaginaire. Chaque frappe, chaque coup est pour un adversaire. J'esquive sur la droite, un kick, une parade, un poing. Je tourbillonne sans mesurer le temps qui passe. Je finis par ralentir un peu, reprend contact avec mon environnement, pas vraiment fatigué mais assoiffé. La porte s'ouvre encore.

Peut-être est-ce parce que j'ai reconnu ce regard. Ou bien j'ai juste été attiré par ses yeux gris. Comme des aimants. Il est jeune, pas plus de 16 ans je pense, mais je connais ce regard. Celui d'un môme qui en a surement un peu trop vécu pour son âge. Il me fixe avant de défaire un pansement sur son visage. Je m'arrête et pose ma main sur le sac de frappe pour qu'il arrête de bouger.

-Je me bas pas contre les gamins, je fais avec un sourire amusé.

C'en est un. Il se tient en position de garde neutre. Habitué à se battre donc, ça se sent dans son périmètre. Il doit pas être ici depuis longtemps pour être encore agressif comme ça. Quelque part pourtant j'ai bien envie. J'ai pas eu de vrai adversaire depuis un moment. Enfin dans un combat sans pouvoir j'entends. Mais je n'aime pas frapper sans raison non plus. Je déteste ça même. Mais ce frisson d'excitation me fait hésiter. Du street. C'est tellement loin. J'effleure la boucle d'oreille sur mon lobe droit. Geste machinal. Jun détestait que je me batte.

-Surtout quand ils ont déjà des bleu, je rajoute en ricanant. Reviens dans cinq ans et on en reparlera.

Je passe à côté de lui pour prendre une bouteille d'eau qui traîne. J'ai soif.

-Je me bats pas contre les gamins,

Nicolas se redresse mais garde ses bras en position défensive tout en haussant les épaules. Il ne pouvait rien ajouter à cette vérité ; il est un gamin. Et il n'allait pas le forcer à se battre avec lui s'il ne voulait pas. Néanmoins, il n'en resta pas moins déçu. Ç'aurait sans doute été un des meilleurs combats de sa vie... Il aurait peut-être appris d'autres coups ou d'autres prises. ...et il en aurait pris plein la poire aussi.

C'est comme ça que j'ai appris, j'aurais du mal à me défaire de cette... instruction violente.

Il passe à côté de lui pour prendre de l'eau. Par habitude, bien qu'il est baissé les bras, convaincu de la bonne foi de son "adversaire", il reste face à lui tout en préservant son périmètre de sécurité... Périmètre de sécurité qui devrait être renommé "espace vital" rien que pour l'utilisation qu'en faisait Nicolas. Il jeta un coup d’œil à ses cicatrices... Impossible de les rater maintenant qu'il avait retiré tout ce qui les cachait. Il haussa encore les épaules.

-Dans cinq ans, je pense qu'elles seront toujours là. dit-il en se retenant d'ajouter un "malheureusement". ...Mais je prends note du rendez-vous.

Faut que je lâche un sourire.

Ce qu'il fit, laissant l'autre boire de tout son soûl. Il semblait l'avoir tiré de sa hargne en le laissant se moquer de son âge et de son apparence, et ça lui convenait. Des questions filaient dans son crâne, car il ne pouvait que tirer de supposition en le voyant taper un sac, il n'y avait aucune certitude. S'il y avait une science exacte du combat, ce serait les matheux les caïds des récrés.

-Dis-moi, j'ai cru reconnaître des mouvements d'arts martiaux. C'est lequel si j'suis pas indiscret ?... puis il ajouta dans un esprit d'échange équivalent. J'ai appris à me battre à la dure, mais j'aimerais un jour... J'sais pas... Peut-être, me battre sans chercher à... détruire, je pense.

Ahah, c'est flippant. Mais c'est tellement ça... C'est dur de mettre des mots sur ce qu'est devenu un instinct de survie. Peut-être qu'il sait, sans doute qu'il s'en fout. Au moins j'aurais posé ma question.

Il se pencha dans un soupir pour ramasser ses pansements. Sa compresse était foutue mais, dans un geste sûr d'habitué à cette tâche, il couvrit ses bras des bandages blancs. C'était dommage ; il aurait vraiment voulu faire taire cette urgence au fond de lui, celle de frapper avant de se faire frapper, pour se convaincre qu'il était sauf à Terrae. Mais même si cette espèce de douleur sourde le travaillait au fond de lui, il était hors de question qu'il s'en prenne injustement à quelqu'un pour son propre bien.

Il baisse les bras et je souris en coin. C'est marrant j'aurais pensé qu'il profiterait que je passe à côté de lui pour m'attaquer. Pas aussi sauvage que je le pensais apparemment. Enfin même sans sa position d'attaque il reste quand même sur la défensive. Je ne sais pas d'où il vient mais c'était surement un endroit pas très accueillant.

Je rigole doucement quand il dit qu'il me prend le rendez-vous. Pourquoi pas après tout. J'ai jamais eu d'élève en soi mais je pense que ça pourrait être intéressant de lui apprendre quelques trucs. C'est toujours instructif de s'entrainer avec un vrai partenaire. Je vide la bouteille presque d'une traite avant de reprendre mon souffle en soupirant de contentement. J'en avais besoin on dirait.

-Tu te bas si souvent que ça ? J'ai rien contre les cicatrices personnellement mais j'aime pas taper sur quelqu'un qui n'est pas en forme totale je trouve ça déséquilibré.

Il enchaine sur les arts martiaux et je hausse un sourcil. En vérité j'ai un style très libre par rapport à ce qu'on a pu m'apprendre sur le kempo. Ça donne une base pour certains mouvements mais le reste je l'ai appris sur le tas.

-C'est du kempo. C'est un art martial japonais je crois mais je l'ai pas pratiqué très longtemps. Ça m'a surtout permis d'avoir une base sur laquelle j'ai dérivé ensuite.

Je l'observe alors qu'il se penche pour ramasser ses bandages. Je fronce les sourcils en apercevant ses cicatrices. Comment un gamin de son âge a pu se faire autant de blessures ? On dirait qu'il a passé son temps à se battre et à prendre des coups. Je frémis en réalisant qu'à 16 ans je devais avoir un peu le même genre d'attitude.

-Si tu veux apprendre à te battre avec une méthode il y a des cours de sport ici. Je pense pas être un bon prof pour ma part.

Ou bien il veut juste se défouler ? Je peux comprendre ça. A vrai dire l'envie d'accepter sa proposition me démange encore. Même en ayant frappé ce sac un moment je me sens encore frustré et énervé. Et puis il a l'air bon. Pas dans le style dont j'ai pris l'habitude mais justement. Avoir un adversaire dont on ne connais rien ça ajoute de la difficulté surtout quand il s'agit de style libre. Les mouvements sont moins formatés, plus imprévisibles.

Je pourrais le relancer se serait facile. Un coup de poing bien placé qu'il puisse parer. J'aimerais enlever mon t-shirt aussi, je me refroidis et la sueur me fait frissonner. Je chasse l'idée avant qu'elle prenne forme. J'ai encore la cicatrice à mon épaule et celle de mon bras qui sont très visibles. Plus toutes les autres un peu partout et mon tatouage. Je n'ai pas envie de lui montrer ça. Finalement je souris en coin avant de bondir en avant vers lui pour avancer un poing vers sa gorge. Pas trop rapide pour qu'il puisse le parer. Il était encore sur ses gardes ça ne devrait pas être difficile pour lui.

-Je me battais... précise-t-il. J'étais le souffre-douleur de mon village, j'ai du apprendre à me défendre, puis à m'imposer pour essayer d'être tranquille... Puis j'ai traîné dans des magouilles pas très saines, on dira, pour pouvoir payer à manger.

Résumé succinct d'une vie bizarre... Mais bon, j'vais pas tout lui dire non plus ; c'pas mon psy et on est pas dans un talk show.

Un jour, Nicolas racontera tout à un adulte ; pour savoir s'il a bien fait, pour savoir s'il avait tort, pour savoir s'il aurait pu faire autrement, pour savoir s'il n'aurait pas du fuir au lieu de subir au quotidien. Mais pas aujourd'hui. Comme l'avait dit l'homme à la chevelure flamboyante, il n'était qu'un gamin, et il préférait encore se persuader pour quelques années encore, qu'il avait fait le bon choix, pour mieux dormir sur ses deux oreilles et ne pas imaginer quelqu'un d'autre, sans cicatrice visibles et invisibles, en se regardant dans le miroir.

Du kempo... Il ne connaissait pas... Il avait déjà croisé quelques kékés faisant du karaté ou du taekwendo pour juste pour se la péter après les cours, en explosant la tête de pauvres petits sixième qui n'avaient rien demandé... ou la sienne aussi, tout dépendait. Il hocha alors doucement la tête, se promettant de regarder à la bibliothèque, ou sur ce qu'ils appellent "l'internet" et ce "gougueule", pour voir de quoi il s'agissait et si cela pouvait éventuellement lui plaire.

Il pourrait se lancer dans des sports de combats, ça l'intéressait grandement. Mais c'est comme demander à quelqu'un qui cuisine extrêmement bien des pâtes de prendre des cours de pâtisserie. ...Pour préciser sa pensée, disons qu'il saurait parfaitement suivre la discipline, se plier aux exigences et apprendre avec plaisir, mais il resterait le gars qui n'a encore aucune conscience du respect de l'art du combat et de son adversaire... Ouais... des pâtes quoi.

-Un jour peut-être que je prendrais des cours... Mais pas tant que je n'assimile pas le fait que ma vie n'est pas en jeu.

Mais une fois qu'il eut fini de répondre et que ses bandages furent bien en place, son vis-à-vis fit un pas en avant. Adieu les belles paroles sur le self-control et la volonté d'apprendre le respect... Tous ses muscles se contractèrent, ses iris devinrent comme de l'argent en fusion et tout ce qui traversait son esprit à cet instant c'était le mot URGENCE périmètre violé, coup de poing imminent. C'en était à un point tel que toutes ses capacités de réflexion s'éteignaient pour mieux répondre à l'attaque ; il ne voyait même pas que le coup était assez lent, beaucoup moins violent que tout ceux qu'il avait pu voir jusque là... Pour son cerveau, un poing était un poing et il n'y avait qu'une seule manière d'y répondre convenablement.

Le regard fixe, il dévia le coup d'un bras puis avec une vivacité terrifiante, s'accroupit pour viser les jambes, pour le forcer à reculer. Les jambes, point faible pour beaucoup de combattants novices, centre d'équilibre mal placé pour beaucoup. Lui, il va éviter, il va reculer, me laissant le temps de mieux me préparer, mieux parer. Puis il se redressa d'un coup tout en reculant, jambes écartées, avant-bras protégeant le haut de son corps, prêt à la contre-attaque, les yeux vides et trop fixés sur l'adversaire du moment, les autres sens aux aguets. Percevoir les bruits de pas d'un ennemis cachés jusque là derrière moi, trouver un point faible, ressentir son cœur battre plus fort, savoir sa limite et la mienne,... Toutes ses habitudes affluèrent en lui comme la marée dévore les côtes. Toutes ses petites phrases qu'il répétait en boucle dans sa tête et qui l'avaient sauvé plus d'une fois, défilaient à toute vitesse, bloquant toute autre réflexion futile...

Puis il posa un autre regard sur son adversaire. Il ne le connaissait pas. Au village, à force de se battre avec les mêmes personnes, on finit pas savoir par cœur où frapper untel et mieux profiter de la situation pour fuir,... Là non. Il prit une gifle mentale. Je suis à Terrae. Je ne vais pas mourir... prendre une branlée peut-être, mais pas mourir alors calme-toi. Il prit une grande inspiration, et pourtant son corps bougea à peine. Et cette fois, avec un nouveau regard, c'est lui qui avança son poing.

Je pince les lèvres dans un rictus agacé. Y a vraiment des gens assez cons pour prendre un gosse comme bouc émissaire ? Décidément le monde est trop pourri. C'est la loi de la rue aussi, mais après en être sorti je vois combien tout ça est cruel et injustifié. Sans vouloir jouer au bisounours les types qui embarquent un jeune de son âge là dedans sont vraiment des salauds.

-Ca peut prendre du temps, je répond avec un sourire amusé.

Pour moi je l'ai assimilé trop vite en sortant de la rue. J'ai relâché ma garde alors que je n'aurais pas du. Avant d'être à Terrae j'aurais du réaliser que ce n'est pas parce que je ne voyais rien qu'il n'y avait rien. Payer ce genre de chose au prix fort c'est douloureux. Alors peut-être que je comprend son attitude.

C'est peut-être pour ça que j'ai envie de l'aider. Ici il n'a pas besoin de se battre pour sa survie. Il peut refuser un combat, même abandonner. Il ne risque rien d'autre que quelques bleu qui se soignent très vite si il va voir un guérisseur. Mais pour le moment il a encore des progrès à faire. Son réflexe est très vif, une habitude tellement répétée qu'elle devient automatique.

Il esquive d'un mouvement souple, s'accroupis dans le mouvement pour viser mes jambes. Je recule d'un pas pour me mettre hors de porté alors qu'il se remet en garde. Un sourire ravi fleurit sur mes lèvres. Il a de très bons réflexes de combattant. Mais c'est là qu'on voit comment il a appris. Il vise les points faibles, cherche à déstabiliser. Son poing ne me surprend pas vraiment et je le pare avec ma paume plutôt que de l'esquiver avant de refermer mes doigts sur les siens pour l'empêcher de bouger. J'encaisse le choc dans mon bras en pinçant les lèvres. Il a de la force mais je suis résistant. Je lui souris en coin, aux anges.

-Première leçon gamin. Pas d'attaque frontale quand tu ne connais pas les limites de ton adversaire. C'est la meilleure façon de te faire latter la gueule quand tu tombe sur plus fort que toi.

Je tourne le poignet et le fais poser un genoux à terre en forçant la torsion sur son bras tendu.

Le choc du poing arrêté par une main le surprend. Il le fixe, un peu outré mais surtout trop étonné. Il savait que c'était possible mais il n'avait jamais osé le faire ; peur de se louper et de prendre le poing en pleine figure dans un excès de zèle. Mais lui non, à l'aise, il avait refermé ses doigts sur son poing, si bien que lorsqu'il voulut le retirer pour reprendre l'assaut, il ne put plus bouger. C'était pas bon... D'autant plus qu'il lui annonce que c'est qu'une première leçon... Là, ça sent le sapin.

What ? fut tout ce qu'il put penser... avant de se faire retourner le bras.

Ce n'est pas un cri qu'il pousse, ni un grognement... Un peu entre les deux, une onomatopée de douleur. Bras plié dans le dos, il est obligé de mettre un genou à terre... Pas moyen de se libérer. Ok, pas d'attaque frontale, donc je dois reculer... Hmrf, j'aime pas faire ça mais j'ai pas le choix. Il vérifia que son adversaire le maintenait bien fort avant d’exécuter son plan.

Nicolas força son bras à se tordre si bien et si fort qu'il le déboîta au niveau de l'épaule. Un horrible claquement se fait entendre, suivi par une grimace. Il eut ainsi assez de manœuvre pour utiliser son deuxième bras, prendre appuie et faire un saut-de-main avec assez d'ampleur pour faire reculer l'adversaire qui le tenait jusque là. Ouh pinaise, j'oubliais que j'étais pas si souple ! Il retomba bruyamment sur ses genoux mais dans un mouvement vif, faisant abstraction des bleus qui allaient apparaître sur ses rotules, il se retourna pour faire de nouveau face à son nouveau professeur et se remboîta l'épaule d'un geste brusque.

Il fit quelques étirements à sa main droite pour constater le retour de ses nerfs et jeta un coup d’œil à son adversaire... Connaître les limites. Pour la première fois de sa vie, Nicolas souriait en pleine baston.

Je ne connais pas les siennes mais maintenant, il connaît un peu mieux les miennes... Ahah, c'est pas une bonne nouvelle habituellement, mais... Mais ça me va si c'est lui.

Il constata qu'il réfléchissait pour une fois, au lieu de foncer bêtement dans les points faibles de l'autre, il essayait d'analyser la situation. Il était temps qu'il essaye autre chose... De nouveau en position défensive, il fit un pas en avant puis un pas de côté, donnant l'impression qu'il comptait s'en prendre à son côté droit... Mais non, il recula encore. Pour tester les réflexes de l'autre, pour voir s'il compter poursuivre l'attaque.

Puis au bout de quelques fausses attaques, il s'arrêta, planta solidement ses deux jambes et concentra un maximum son équilibre... Il avait une idée, pas sûre qu'elle soit bonne, mais il n'avait plus qu'à attendre un assaut. Et pour ça, il allait utiliser un avantage qui l'avait souvent tiré hors de situations périlleuses...

Il semble surpris. C'est sûr que c'est une manœuvre risqué ce que j'ai fait. A vrai dire c'est un truc qu'il vaut mieux éviter quand on est pas sûr de soi. Il faut réussir à bien amortir le coup pour ne pas se faire mal. J'avoue que en général je ne le fais pas. Il suffit de mal calculer son mouvement pour se tordre un doigt ou prendre le coup de plein fouet. Pas très prudent donc.

Un autre truc pas prudent c'est ce qu'il est en train de faire lui. Je le sens qui force sur ma prise pour se dégager jusqu'à- Un claquement sec retentit et j'écarquille les yeux. Ho le petit con. Il s'est déboité l'épaule pour se dégager. J'ai failli relâcher ma prise mais il s'est dégagé tout seul avant de s'éloigner un peu. Je fronce les sourcils. C'était un peu extrême. Certes je voulais lui donner une leçon mais pas... Bah il a l'air d'aller bien. A mon avis il a même l'habitude de ce genre de manœuvre

Le mouvement était bien maitrisé malgré la douleur que devait causer son épaule. J'admire ça je dois dire. Je pense pas que j'en serais capable. Il faut avoir un degré d'abstraction de la douleur que je n'ai pas. Se déboiter une épaule ça m'est déjà arrivé et ça fait affreusement mal. J'imagine que c'est une question de fierté aussi ? Ne pas s'avouer vaincu avant d'avoir essayer. Je respecte ça.

Il me tourne autour un instant, tente une feinte sur le côté avant de reculer. Je suis le mouvement, un peu par réflexe pour garder une distance constante. Il a l'air de vouloir tenter quelque chose. Je me remet en garde et lui fait signe d'avancer avec un sourire. Je l'aime bien. La façon dont il se bat a largement de quoi évoluer si il s'en donne la peine. Vers quelque chose de moins... Désespéré ? Moins dangereux peut-être. Ce qu'il vient de faire c'est un sacrifice d'une partie pour préserver le reste au final. Dans un vrai combat ça se comprend mais c'était pas forcément nécessaire. Il faut qu'il apprenne à ne pas faire confiance qu'à son instinct.

Pourquoi se déboîter un bras alors que sa vie n'était pas en jeu ? Il se surprit à y penser tout en enchaînant les feintes. Il avait agi par habitude, bien qu'il se savait hors de danger... Il comprit qu'il aurait beau assimiler que Terrae était sa nouvelle maison, ses anciens réflexes ne partirait pas de sitôt. Mais d'un autre côté, c'était un avantage de profiter de ce bras... Il s'était habitué à la douleur à force de bastons et de déboîtements... accidentels ou non. Pourtant, il se promit de moins le faire à l'avenir. Il l'aimait son bras droit quand même.

Raaah réfléchir c'est bien mais c'est pas le moment de s'égarer làààà !

Soudain, il change ses appuis ; de droitier, il prit la position d'un gaucher. Des souvenirs affluent... Dans la rue, quand on ne peut pas se servir de sa main forte, il est vital d'apprendre à se servir de l'autre. C'est par la force des choses qu'on en vient à devenir ambidextre. Quand un adversaire te prive de ta main droite pour en laisser un autre te battre à sa guise, évidemment. Apprendre à la dure quoi.

Nicolas s'avance encore, mais cette fois il ne recule pas. Il veut l'atteindre avec son avant-bras gauche mais avant même de recevoir une quelconque parade, sa main droite s'empare du t-shirt de son professeur. Et là, toujours avec rapidité, tout son corps pivote. Ses jambes, son torse, sa tête tout, dans l'unique but de renverser son adversaire, comme lors d'une simple prise de judo.

Si le plan semblait se dérouler sans anicroche jusque là, sa surprise fut totale quand, pour une raison qu'il n'arrivait même pas à comprendre, ce fut lui qui se retrouva face contre terre, l'homme aux cheveux rouge sur lui, le maintenant au sol, bras dans le dos une seconde fois. MAIS WHAAT ?!!

-Aouch ! Aouch ! Aïah ïah !

Cette fois, il ne pouvait pas échapper à la prise... Même en se déboîtant toutes les articulations du haut de son corps, il n'y arriverait pas. De toute façon, tout déboîter, je pourrais pas. Et bien qu'il savait sa situation désespérée, il n'arrivait pas à abandonner... Peut-être qu'au fond de lui, des restes d'instinct de survie hurlait qu'il devait gagner. Hurlements traduits par son corps en de petites secousses nerveuses automatiques et qu'il donnait inconsciemment pour se dégager.

Il continue de tenter quelques feintes. Je l'observe avec attention en esquivant d'avance les quelques coups qu'il tente de me porter. Il me jauge on dirait. Il a l'air d'hésiter un peu. Il change brusquement de poing d'attaque et porte une attaque de biais. Je tente d'esquiver mais il agrippe mon haut pour me faire une prise jetée.

Je me laisse entraîner par dessus son épaule mais au lieu de tomber à plat dos comme c'est souvent le cas je me campe sur mes pieds et poursuit le mouvement. Je referme mes mains sur son épaule et le fait pivoter pour l'immobiliser encore une fois. Je le bloque cette fois totalement pour l'empêcher de recommencer.

Il tente de forcer et de se dégager en forçant mais je le tiens beaucoup plus fermement cette fois. Je l'immobilise un moment en attendant qu'il se calme un peu. Il laisse échapper des aïe qui me tirent un sourire amusé. Je me penche vers lui avec un petit rire.

-Détend toi d'accord ? Tu n'es pas en danger ici. J'ai beau être un peu con je ne compte pas te faire du mal.

Je le laisse partir finalement et m'étire avec un sourire. Il faut qu'il redescende un peu. Moi je commence à fatiguer mine de rien et je tiens pas à me blesser non plus. Mon épaule me lance légèrement et je la fais un peu rouler pour me détendre. Il vaut mieux que je ne force pas. Je tiens pas à me déchirer un muscle.

-Comment tu t'appelles gamin ?

Je reprend ma bouteille et bois une longue gorgée avant de la lui tendre. Je me sens un peu mieux.

En l'entendant lui demander de se calmer, Nicolas ferme ses paupières avec force, tentant de maîtriser ses nerfs. Même s'il est apaisé par ces mots, même s'il prend une grande inspiration, même s'il sait que le combat est terminé, il tremble encore un peu à cause de l'adrénaline qui parcoure son corps. Toutefois, il arrive à contrôler ses mouvements parasites qui voulaient le libérer de la poigne de son adversaire. Quand celui-ci finit par se lever, Nicolas retient, avec l'étonnement qui l'accompagnait, le claquement de dents impromptu.

Ce n'est pas de la peur je pense, à moins que ce soit inconscient... Je pense plutôt que le mélange du soulagement et des restes des émotions intenses du combat. Avant, perdre signifiait une côte fêlée ou un coup dans le pif et la mâchoire, me laissant inconscient dans une ruelle jusqu'à la tombée de la nuit, avec le risque de croiser d'autres gens belliqueux devenant croissant au fil des minutes...

Maintenant je sais, je suis à Terrae. Ce risque n'existe plus... C'est la première fois qu'on me respecte dans une baston.

Il ne tremblait plus déjà ; une vague de reconnaissance envers l'homme à la chevelure flamboyante avait annihilé le reste de ces doutes. Il allait enfin pouvoir vivre en paix et essayer de se construire comme n'importe quel gamin de son âge dans cet environnement étrange certes, mais sain, bien plus sain que l'endroit où il avait vécu. Il se voyait déjà avancer, essayer de "se faire des amis", trouver un futur travail qui lui plaît,...

-Nicolas ! Nicolas Lefebvre ! répondit-il dans un sourire éclatant, prenant la bouteille bienvenue. Et toi ?

Il but quelques gorgées en attendant la réponse, puis il rendit la bouteille. Il regarda ses bandages et poussa un soupir... Ils s'étaient défaits durant la baston, évidement, puisqu'il avait perdu l'habitude d'utiliser des épingles pour les maintenir... pour des raisons plutôt sombres, encore. Il les déroula à moitié avant de les resserrer et remonta son pantalon pour replacer ceux de ses genoux, vérifiant au passage le bleu qu'il avait reçu de cet "entraînement" particulier.

Ahah, c'est bien la première fois que je ne reçois qu'un bleu au cours d'une bataille !

Cette pensée le fit sourire d'autant plus. Seulement alors, il se releva pour s'adresser à l'homme, le regardant dans les yeux. :

-Merci Huo. Ouais, ça peut paraître bizarre de dire ça après la branlée que tu m'as mis mais... Vraiment, ça m'a fait du bien et ça m'a permis de passer à autre chose. Alors merci.

Il semble finalement se calmer et arrêter de trembler. Je lui rend son sourire alors qu'il se présente. Il est vraiment sympa ce garçon. J'ai pas la fibre paternelle ou une autre connerie de ce genre mais j'ai toujours adoré avoir des petits frères. Et lui... Je ne sais pas, il a un truc qui me fait penser à moi quand j'avais son âge.

-Huo Zhang.

Il me rend finalement la bouteille avant de refaire ses bandages aux bras. C'est surement pour cacher des cicatrices maintenant que j'y pense. Il regarde ses genoux aussi et je rit doucement. Je m'affale sur le sol et commence à m'étirer méthodiquement pendant qu'il me remercie. Je hausse les épaules, lui fait signe que ce n'était rien.

-Me remercie pas de t'avoir mis une branlée. Tu le feras quand tu m'auras battu.

Je grimace en sentant mes muscles chauffer avec les étirements. Maintenant que l'adrénaline retombe mon épaule me fait grincer des dents. Je savais que je n'aurai pas dû forcer comme ça. Je l'étire très lentement, testant les limites de mes mouvements.

-Tu devrais aller faire un tour à l'infirmerie quand tu auras le temps, je fais en désignant son arcade. Ils peuvent te soigner ça en deux secondes et tu n'auras pas de cicatrice.

Evidemment ça marche moins bien pour les blessures graves mais bon je suppose que je dois déjà être heureux qu'elles m'aient aussi bien rafistolé. Une balle dans l'épaule comme ça, j'aurais très bien pu perdre mon bras.

-Et donc ? D'où tu viens Nico pour avoir appris à te battre comme ça ?

Son sourire s'étire, sa joie irradie. Il se permet même un petit rire quand Huo refuse son remerciement, pour lui dire finalement de le faire le jour où, éventuellement, il pourrait le battre... Ce dont Nicolas doutait. Il y avait un gouffre d'expériences, il le sentait bien, et surtout beaucoup plus de sang-froid. S'il espérait bien en avoir un de ces quatre, ce qui était moins certain, c'est qu'il en possède assez pour vaincre cet étrange professeur.

Il le regarde s'étirer, des mouvements de connaisseur, d'un homme qui connait son corps... Les muscles qui tirent après l'effort, arrache une grimace,... Nicolas plisse ses paupières ; un point de l'épaule semble plus douloureux que le reste. Il mâchonne alors sa lèvre inférieure. Merde, je savais qu'arrêter un poing d'un bras c'était pas conseillé. Quoi que attends... C'est avec quel bras qu'il a ?... Mais avant qu'il ne puisse se sentir coupable de l'avoir forcé à combattre, Huo désigna son arcade.

Par réflexe, il tenta de cacher la blessure avec les cheveux qu'il pouvait rabattre sur son front et se maudit de s'être montré désinvolte en arrachant sa compresse. Un autre tic lui fit lever l'autre main, pour gratter la cicatrice à sa mâchoire à gauche. Son sourire s'évanouit.

-C'est déjà une cicatrice en fait... Mais comme elle est plus récente que les autres, elle se voit plus.

Si la dernière question aurait pu achever la bonne humeur de n'importe qui, Nicolas haussa simplement les épaules, à la recherche de mots à mettre sur le lieu de son enfance. Contrairement à ses cicatrices qu'il ne pouvait pas changer et devait se coltiner devant un public au quotidien, son passé ne l'atteignait plus autant depuis son arrivée à Terrrae... Comme si sa vie, autrefois, n'avait été qu'un rêve flou, ou en l'occurrence, un cauchemar. :

-Jeee...

Ses joues se gonflèrent d'air sous l'effet de la réflexion, avant qu'il ne soit relâché dans un bruit pas très classe, semblant être un renâclement de cheval. Dire que j'ai "appris" à me battre, c'est un grand mot. D'où je viens... Faire autre chose. Occuper ses mains pour vider ses pensées, et dire franchement les choses. Il plia son genou pour étirer un adducteur.

-Un p'tit village de France, perdu dans la campagne. Dans un endroit où, loin des villes, les plus petits se sentent plus puissants. lâche-t-il avec un sourire d'excuse, ne sachant quoi ajouter de plus en ayant peur d'avoir l'impression de vider un sac trop lourd pour lui. Ils faisaient pas dans la dentelle, j'ai du apprendre à me défendre, puis à rendre les coups malheureusement.

Il savait bien, au fond de lui, que la violence ne résolvait jamais rien... Mais quand on te frappe par plaisir, comme un vulgaire sac de patates, quand lorsque tu fuis on te poursuis jusqu'à chez toi pour t'effrayer, pour tenter au moins de te mettre une petite beigne, quand le fait de sortir pour prendre du pain, aller en cours, poser simplement le pied dehors peut signifier perdre un bras, un œil, une vie... Que reste-t-il ?... Que reste-t-il aux petites gens dont on ne croit pas les mots et les souffrances, même les visibles ?

Nicolas regarda son bras avec dédain, presque du dégoût. Il n'aimait pas son corps, non parce qu'il portait des marques de sa faiblesse, mais celles de leur force de brutes sans cervelle animées de haine. Il fixa une traînée plus blanche que les autres, sur le dos de sa main gauche, les marques de dents d'un chien qu'on avait lâché sur lui. Un peu plus haut, sur son avant-bras, celle d'un couteau qu'il avait voulu arrêter en parant bêtement avec ce membre. Sur son poignet, les traces d'une morsure qu'on lui avait infligé alors qu'il maintenait un gars, un otage, pour mieux s'échapper d'un guet-apens. Sur les poings, des trous la où la peau avait été arrachée à force de rendre les coups... Il changea de jambe, pour étirer l'autre côté. Il retient un soupir. Il ne pouvait rien y changer... Il espérait juste que nul ne souffre à sa place après son départ. Espoir vain, c'est une évidence.

Il relève les yeux vers Huo, empreint d'une tristesse étrange, comme si ce n'était pas la sienne. Comme s'il se refusait un instant de ressentir de la peine pour lui même, pour ces autres avec l'unique but de détruire les moindres qu'eux, pour ceux qui subiront encore cette peur à l'avenir. C'était ainsi. Et s'apitoyer n'allait rien arranger. Changer de sujet. Défense du premier venu, arracher la conversation de soi. :

-Et toi ?... Il n'y a pas que de l'art dans ta façon de te battre. dit-il en tapotant son propre bras, celui qu'il s'était déboîté.

Il semble troublé quand je lui fais une remarque sur sa cicatrice et tente un peu de la cacher. Je retiens un soupire malvenu. Evidemment que ça le gêne. Personne n'a envie d'exposer ses faiblesses. J'en ai aussi un peu, aux mains surtout, mais avec le temps elles ont blanchi on ne les voit presque plus. Je ne m'en plains pas. J'ai toujours eu de la chance de cicatriser assez bien. Et puis se soigner le plus vite possible aide à ne pas garder trop de traces. J'ai toujours été assez précautionneux avec tout ça. Surement parce que je n'aime pas être invalide à cause d'une blessure donc je fais en sorte que ça m'arrive le moins possible.

-Je m'y connais pas bien en guérison mais les infirmières utilisent leurs pouvoirs aussi donc peut-être que faire partir une cicatrice récente c'est dans leurs cordes. Tu devrais demander si ça peut t'éviter une marque.

J'étire encore mes épaules avant de faire craquer mes doigts en retournant mes mains. J'ai beau faire le fier encaisser son coup tout à l'heure n'était pas simple. J'ai encore la paume engourdie. Il semble chercher ses mots et sa petite mimique me tire un sourire. J'ai envie de savoir mais d'un autre côté s'il n'a ps envie d'en parler... Il n'est pas là depuis longtemps. Quand on arrive on a encore le Vide ça peut être difficile d'en parler.

J'acquiesce lentement. La France hein... Comment on peut être aussi cruel au point de blesser sciemment un enfant ? Juste- Pourquoi ? Parce qu'il est différent ? Seul ? Parfois la nature humaine me désespère. Même moi... Je n'avais pas pu tirer sur Anna. Les enfants ont toujours été mon point faible.

Je me rapproche un peu de lui et lui tire doucement le bras pour le faire asseoir. Son épaule... Il se l'est déboîté tout à l'heure. Même si il l'a remise presque immédiatement ce n'est pas sans conséquence. Je commence à passer mes mains vers le haut de son bras à la jointure de l'épaule pour vérifier qu'il n'a rien. Pas de douceur mais pas de brutalité non plus.

-C'est parce que j'ai un peu commencé comme toi. Je me battais pour m'amuser. J'étais un petit kaïd tu vois. Je faisais ça pour me faire remarquer. Puis je suis allé un peu trop loin. J'ai commencé à utiliser d'autres armes, traîner avec d'autres personnes. J'ai du me discipliner un peu pour ne pas me faire écraser à chaque combat. La technique apporte beaucoup quand il s'agit de survie.

Je ne sais plus bien quand j'ai commencé à aller au dojo du vieux. Avant la Triade je crois. Quand les bagarres avec le gang ont commencé à devenir assez dangereuses pour que j'éprouve le besoin d'apprendre à me défendre correctement. C'est vrai que ça m'a servi au final. Même si l'expérience de la rue m'a surement plus appris qu'un quelconque grade en kempo.

-Si ça t'intéresse je veux bien t'apprendre quelques trucs. A commencer par ne pas te blesser toi-même.

J'attrape brutalement son épaule et la tire en arrière d'un coup sec avant de la remettre en place. Un claquement désagréable retentit et je fais la moue. A mon avis je viens de lui faire très mal mais il valait mieux faire ça maintenant avant que ça gonfle.

-Désolé, je dit avec un sourire d'excuse. Tu l'avais mal remise, si je t'avais prévenu tu te serais crispé.

Pour m'être déjà déboîté l'épaule je sais que ça fait un mal de chien. Mais si on la remet mal après c'est encore pire.