Joyce semble se calmer petit à petit. C’est bien, ça me fait plaisir. Enfin, plaisir. Ça me rassure un peu. De me dire que, peut-être, ça ira mieux. Qu’on fera en sorte que ça aille mieux ensemble. Il fallait qu’elle compte sur ses amis, et elle pourrait compter sur moi. Qui est-ce que je serais si je n’étais pas là ? Quel genre de monstre je serais ? J’ai toujours pensé que j’en étais un ; cette année plus que jamais. J’ai vu des choses, j’en ai fait que je regrette. Vraiment. Je regrette tout ce que j’ai fait. Je regrette de ne pas avoir pu être là pour les autres, de n’avoir été qu’un homme, un scientifique, quelqu’un qu’on pourrait mépriser. Je ne suis pas prêt à devenir le souffre-douleur des autres pour leur permettre d’aller mieux. Je veux juste être là pour les autres.

Alors quand elle m’embrasse sur la joue pour me remercier, j’étire un sourire un peu tremblant mais sincère. Très doux. J’aimerais bien être cet ami qu’elle pense que je suis. Ce serait chouette… Puis, peut-être que ça m’aiderait à me faire sentir mieux, aussi ?

La gosse se lève et je la suis, ferme les yeux un instant après un vertige. Pourquoi est-ce que je me sens si… vidé de mon énergie, maintenant ? Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que tout est parti de travers, tout à l’heure ? Un peu comme cette fois, avec Rin… sauf que c’est à moi que c’est arrivé. Pourquoi mes pouvoirs se sont manifestés pile à ce moment-là ? Parce que… j’ai commencé à me sentir à nouveau en contact avec moi-même, avec eux ? A accepter, quelque part, que ce que j’ai fait, ce que j’ai été, puisse aussi être utile dans le futur ? Pour Joyce. Trouver une solution. La soigner. On y arrivera, pas vrai ? J’aimerais tellement pouvoir y croire, et c’est un espoir si fort et si puissant que, si on me le retirait, je ne pourrais que m’effondrer à jamais. Je veux être ce genre d’homme, ce genre d’ami. Pas pour tout le monde, mais au moins pour ceux que j’aime.

Avec un sourire amusé, je passe mon bras autour de ses épaules pour l’entraîner à ma suite.

— Allez, essaie de me battre cette fois moucheronne. Celui qui lance la balle le plus loin, okay ?

Je ris et l’entraîne jusqu’au terrain d’entraînement, où quelques gars se trouvent déjà. En passant dans le couloir des feux, on est aussi passé à ma chambre, et j’ai pris ma batte et un sac à dos. On prend le matos nécessaire et on finit par se prendre un petit coin de terrain. Puis je pose mon sac, en sors une de mes casquettes et la lui mets, avant de la tourner pour que la visière soit en arrière.

— Cadeau, je souris en coin. Comme ça t’as l’air d’une vraie rock star.

Misao se releva à ma suite, sourire aux lèvres. Peut-être était-ce ça le bon choix: sourire. Sourire pour ne pas affoler. Ne pas inquiéter. Pour montrer que malgré tout, on tient encore debout. Pour montrer qu'on résiste. Qu'on se bat. Qu'on abandonne pas. Ni maintenant ni jamais.
Il a posé son bras autour de mes épaules, et je me suis sentie minuscule face à lui... Encore. Misao était plus grand et plus âgé que moi. Parfois, j'oubliais presque ce constat. Inutile.

— Allez, essaie de me battre cette fois moucheronne. Celui qui lance la balle le plus loin, okay ?

Moucheronne? Non mais oh ils avaient quoi tous à critiquer ma taille? J'enrageais. Non pas que je complexe sur ma taille, mais j'avais l'impression d'être le bébé à chaque fois. Vous savez, le petit être chétif que tout le monde protège et tout? Ben ouai. C'était moi. La haine.

J'avis bien vu le fin sourire timide mais sincère sur ses lèvres quand je l'avais remercié. Misao était toujours tiraillé par sa culpabilité et ses doutes. J'avais beaucoup de peine pour lui. Je connaissais ça? Je vivais avec en permanence.

On se dirigea vers les extérieurs, regagnant les terrains en riant. Nous étions passé chez lui pour récupérer deux trois affaires.
S'éloignant un peu du reste des élèves, Misao posa son sac avant d'en sortir une casquette qu'il posa sur ma tête, visière en arrière.

— Cadeau. Comme ça t’as l’air d’une vraie rock star.

J'ai souris et j'ai attrapé une batte. Pourquoi tergiverser pendant des heures. On était là pour frapper non? Un sourire mauvaise au visage, je me suis placée.

- Prêt à te prendre la misère?

Me rappelant des conseils qu'il m'avait apporté la fois, j'attendis, patiente et bien positionnée. Quand la balle a filée sur moi, le bruit claquant du choc avec la batte retentit alors que toute ma colère passait dans mon coup. La balle atterrit bien des mètres plus loin. Le match serait serré.

Le terrain en plein jour est quand même plus sympa qu'en pleine nuit. Bon, il fait plus froid, aussi, j'suis content d'être habillé suffisamment chaudement. Je laisse Joyce s'équiper d'une batte et attrape un lot de balles qu'on puisse lancer. Dans un coin de ma tête, je songe aussi que ce serait marrant d'aller faire du tir, une fois. Mais je suis pas certain qu'y ait de quoi, ici. Faudrait que je demande à ma frangine si elle veut pas nous accompagner, une fois. J'sais que ce genre de sortie est pas celle qu'elle préfère, mais bon, on a pas vraiment le droit de sortir de l'institut sans un Master, alors autant que ce soit avec quelqu'un que je connais. Sinon, je connais pas d'autres Master ; enfin, à part Ryu et Aaron, mais je n'aime ni l'un ni l'autre. Plutôt que d'être une chouette sortie, ça se changerait en véritable calvaire.

On se met en place et Joyce envoie la balle assez loin, ce qui me tire un sourire. Puis on échange les places. On lance les balles, puis les frappe, et le terrain s'emplit bientôt du bruit particulier et un peu sourd qui se produit lors de la rencontre entre la balle et le projectile. Après ce qu'on vient de vivre, de se dire, ça détend ; on a pas besoin de beaucoup parler, on se provoque juste un peu mutuellement. "Vas-y, c'est tout ce que tu peux faire ?" "Attends de voir si je t'attrape, je te ferai regretter ton insolence, sale gosse !" "Wow, bravo, joli tir. Et si tu visais droit, maintenant ?"... Ahah.

Un peu essoufflé, je lui fais un signe et l'entraîne hors du terrain, vers un distributeur, pour nous prendre à boire.

— Tu veux boire quoi ? je fais en sortant quelques pièces de mon porte-monnaie, pour les glisser dans le distributeur de sodas.

Je tourne un regard vers elle, et remarque qu'on est tous les deux en nage. Un sourire.

— Tu t'améliores, c'est bien. On devrait essayer de s'organiser une partie ce printemps avec quelques personnes, faudrait poster des annonces ! Ce serait cool.

Et ça me permettrait enfin de jouer un vrai match. Enfin, un "vrai" match, quoi... Amical, etout. Mais à plusieurs.

— J't'apprendrai les règles si tu veux.

Les critiques allaient bon train, et les rires fusaient, plus vivants que jamais. La bonne humeur de façade, puis la sincérité d'un sourire ou d'une remarque. J'aurais aimé pouvoir partager un moment pareil sans avoir en tête mes nombreux casse-têtes. Mais il me suffisait de voir Misao, qui se donnait tout ce mal pour moi, acceptant même le pire venant de celle que j'étais, pour comprendre que tout cela n'était que détail.

Misao fût parfois cruel avec moi, mais m'amusant, je répliquais sur le même ton. S'amuser. Ne plus penser à la suite. Carpe Diem et advienne que pourra.
On finit par poser un instant l'équipement, reprenant notre souffle, et il me fît signe de le suivre hors du terrain.
Il me proposa à boire, et ayant oublier dans ma chambre mon argent, j'acceptai à contre coeur.

— Tu veux boire quoi ?

- De l'eau s'il te plaît.

J'ai souris, pleine de sueur et essoufflée, mais heureuse d'avoir pu me défouler. Misao... Toujours les bons mots hein? Je retrouvai peu à peu celle que j'étais. Moi même.

— Tu t'améliores, c'est bien. On devrait essayer de s'organiser une partie ce printemps avec quelques personnes, faudrait poster des annonces ! Ce serait cool.

J'ai ris doucement et ais approuvé d'un signe de tête. Oui se serait cool. La vie continuait. Moi aussi je devais poursuivre mes efforts. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir non? Un sourire franc aux lèvres, et j'ai regardé mon ami, heureuse d'avoir pu lui avouer mon lourd secret sans que notre amitié n'en soit affectée.

— J't'apprendrai les règles si tu veux.

- Si ça veut dire que nous continuerons à nous voir j'en serai ravie.

Parce qu'au fond, ma peur, elle était là: les perdre. Ys. Mitsuki. Misao. Liam.... Ma famille. Tous autant qu'ils étaient. Sans eux, je me devais de reconnaître que je n'étais que peu de chose. C'était grâce à eux tous que j'avais grandis, continuant de montrer qui j'étais en vérité.

- Merci Misao.

Merci d'être venue. Merci de m'avoir écouté. Merci d'avoir séché mes larmes. Merci de m'avoir fait jouer. Merci d'être resté. Merci de ne pas m'avoir abandonné.

Et hop ; une bouteille d'eau pour la demoiselle. Je la lui tends avec un sourire engageant et m'appuie contre le mur le plus proche, avant de farfouiller dans mon sac pour en tirer un gel hydroalcoolique et me nettoyer les mains. Puis j'essuie le bord de la cannette avec mon t-shirt et l'ouvre, avant d'hésiter à boire. Allez, on se force. Sinon ça ne fonctionne pas, tu le sais très bien. Puis seulement, en l'entendant reprendre la parole, je hausse un sourcil. Relève les yeux vers elle. Nos regards s'accrochent un instant et je l'interroge brièvement, silencieux, sur le sujet de cette réponse. Puis je comprends, et doucement, je secoue la tête.

— T'es folle, bien sûr qu'on continuera à se voir. Je te l'ai dit, c'est pas qui changera quoi que ce soit entre nous. Ok ?

Je tends mon poing fermé pour un check, avec un large sourire amusé au coin des lèvres.

— Allez, on fait un deal. Tu me laisses t'apprendre à jouer, et tu me remercies plus jamais pour un truc aussi débile. Check ?

Un nouveau clin d’œil, avant que je ne me décolle du mur et ne m'étire longuement. Un coup d’œil sur l'heure, et je grimace. On a joué pas mal longtemps, en fait... On devait avoir besoin de se défouler après tout ça... En même temps, c'est compréhensible. C'était pas rien, ce qu'il s'est passé tout à l'heure. J'ai de nouveau la gorge qui se serre à ce souvenir, et même si j'essaie de faire le dur, j'crois que j'aimerais bien pouvoir me poser un peu au calme pour pouvoir faire le point sur tout ça. Voir comment régler le problème. S'il peut être réglé. Il n'y a pas de raison qu'on n'y arrive pas, hein ?

— Tu voulais encore faire une petite partie avant de rentrer ? J'admets que je rêve d'une bonne douche, là.

Je l'aime bien, mais quand même, la douche désinfectante après une bonne partie de baseball, c'est sacré.

Il me tendit la bouteille, et je le remercie d'un regard pour le geste. Je bus allègrement, amusée de le voir si prévenant sur l'hygiène. Alala je vous jure! C'est pas une bactérie qui nous tuera hein! Ahah. Venant de moi, c'est bas. Très bas. Trop bas.
Voulant lui signifier ma reconnaissance, je me permis de le remercier, ainsi que de lui montrer mon attachement. Mes parents auraient eu du mal à me reconnaître. Je n'étais plus aussi explosive, ni même vraiment certaine de mes choix.

— T'es folle, bien sûr qu'on continuera à se voir. Je te l'ai dit, c'est pas qui changera quoi que ce soit entre nous. Ok ?

J'ai souris, sincèrement reconnaissante pour sa gentillesse et sa franchise. Il était adorable. Je comprenais pas vraiment pourquoi je l'avais rencontré alors qu'il était seul, en pleine nuit, au beau milieu de la cafèt. Il méritait d'être entouré par des gens qui l'aimaient et qu'il aimait en retour.
Il me tendit alors son poings fermé, un sourire amusé aux lèvres.

— Allez, on fait un deal. Tu me laisses t'apprendre à jouer, et tu me remercies plus jamais pour un truc aussi débile. Check ?

- Check!

Et je tapai son poing doucement, amusée moi aussi par la situation. Un clin d’œil plu tard, il jetait un coups d’œil à l'heure, et je me surpris à faire de même. Nous avions profiter longtemps de l’extérieur et il se faisait tard. Mon corps réclamait le repos et une bonne douche bien chaude.
Je le vis s'étirer, puis, son regard revint vers moi.

— Tu voulais encore faire une petite partie avant de rentrer ? J'admets que je rêve d'une bonne douche, là.

- Moi j'aurais bien dis oui, mais mes muscles crient à l'agonie, alors je crois que l'on va remettre ça à une prochaine fois si ça te convient. Après tout, on a tout notre temps non?

Un clin d’œil, et dans ma voix, une promesse muette. La promesse de ne pas abandonner, et de tout faire pour avoir ce temps que je venais d'admettre acquis. Non il ne l'était pas. Mais il le serait, dans un futur plus ou moins proche.

Plus tard dans la soirée, après que j'ai quitté Misao, je me surpris à zoner sur Internet, cherchant le plus d'information possibles sur ma maladie. Trois jours plus tard, j'avais un rendez vous à l'hôpital, non pas pour des examens, mais pour comprendre ce qu'il me restait comme possibilité. Et bien sur, après cela, je me suis appliquée dans chacun de mes entraînement avec Mitsuki.
Je m'évertuais à avoir toutes les chances de mon côté. La maladie n'aurait plus jamais son mot à dire dans ma vie. Il était temps que je me batte.