Il y aura toujours des choses que l'on ne comprendra pas forcément. Des personnes qui resteront des mystère bien que l'on pense les connaître mieux que l'on ne se connait nous-même. C'est la première chose qui me vint à l'esprit quand je vie mon ami se diriger vers le piano.

Le piano. Un bien bel instrument. J'avais quelques bases, mais rien de bien glorieux. Non... Moi, c'était la guitare. Et la basse aussi. Bien que j'aime moins. Je préférais les accords déchirants que pouvaient émettre ma folk.
Les premières notes raisonnèrent sans que j'émette un son. Ys s'était enfermé dans sa bulle, se laissant partir au gré de la musique. Je n'ai pas bougé, me contentant d'observer et d'écouter.

Honnêtement, je pense que seuls les musiciens peuvent comprendre ce que peut produire la musique sur un homme. Les passe-temps sont généralement des moyens de prendre plaisir à être dans la réalité, en la fuyant ou en l'affrontant. Prenez un sportif par exemple. Sauter, courir, frapper... C'est un moyen comme un autre de se défouler, pour oublier. Pour un peintre ou un sculpteur, la mise en œuvre de ses sentiments les plus profonds nous sera toujours abstraite, bien que la mise en forme soit concrète, leur art est donc un exutoire bien mal interprété parfois. Quand aux comédiens, jouer un rôle peut leur permettre d'effacer un instant qui ils sont au bénéfice d'un autre. Ils fuient ainsi une réalité tout en gardant un pied sur Terre. Et les écrivains. S'évader dans uns histoire tragique, comique, romantique ou plein d'action ne doit pas être déplaisant je l'avoues. Mais l'écriture permet surtout de s'évader et d'échapper un instant à une réalité qui nous dépasse. Et puis il y a la musique. C'est un peu le tout à la fois. Elle nous permet de nous défouler. De nous libérer. De nous cacher derrière un masque quand on reproduit sas y mettre notre touche un chef d'œuvre. De s'échapper du monde réel pour rejoindre notre paradis. Et surtout, elle nous permet de devenir qui nous sommes vraiment. Avec elle, il est quasiment impossible de tricher. Nous sommes mis à nu devant tous.

C'est exactement ce que faisait Ys à présent. Il me montrait qui il était. Son visage était emplit de nostalgie, qui montrait combien l'instrument était une plaie encore à vif. Je ne pus que m'interroger sur ce qu'il avait vécu.
Mais l'essentiel, c'était qu'il en était arrivé là. Bien malgré ça, je ne pus m'empêcher de me dire qu'un jour, je devrai une fois de plus me montrer honnête avec lui et lui offrir mon passé pour qu'il puisse juger par lui-même de mes erreurs. Mais pas aujourd'hui. Ni même demain. Juste plus tard. Un jour.
Je me sentis honorée quand je compris que j'étais la première à voir cette facette de lui. Comme pianiste, Ys excellait. Attention, ne vous méprenez pas. Comme guitariste, il est vraiment bon, je ne pourrai jamais le nier, et le premier qui le fait, sachez qu'il est sourd. Ys était excellent. Un vrai passionné, comme il en existe si peu. Mais ça? Le piano? Ys me montrait qui il était et qui il avait aspiré à être. C'était tellement plus sincère! Je ne me lassais pas d'écouter.

La mélodie finie par s'éteindre, me laissant bien mal pour répondre quoi que se soit. J'étais conquise. Que lui dire? Le féliciter aurait été idiot, et le remercier l'aurait été tout autant. De plus, il ne semblait pas vouloir parler actuellement.
Nous laissant le temps d'organiser trois pensées, je pris la peine de réfléchir à ce que je venais de voir. Ys m'avait fais confiance, autant que je l'avais fais le jour où je lui avais dévoilé ma chanson.

"Tu pense pouvoir te coller dessus? Ou ça te semble trop... enfin trop!"

Il me demandait à moi si j'étais partant pour jouer ça? Il avait l'air hésitant, et c'était une première pour moi de le voir ainsi. Nous étions pourtant si vifs l'un avec l'autre d'habitude!
Alors j'ai souris doucement, reconnaissante envers la confiance qu'il m'accordait.

- J'en serai ravie.

Et j'étais sincère. Alors, pour la première fois depuis bien des semaines, mon regard brilla d'une lueur heureuse. Vert émeraude, mon regard reflétait à la fois mon bonheur et ma reconnaissance. Ys était un ami que je ne voulais pas même imaginer perdre. Mon ami. Mon protecteur. Mon coach aussi, quand on y pensait. Mais surtout il était mon frère.

- Tu devrai jouer du piano plus souvent tu sais... Ca te va pas si mal.

Je ne pouvais pas lui dire qu'il m'avait donné le frisson, sinon, ça n'aurait pas été nous. Mais je savais qu'il comprendrait ce que je voulais lui dire. S'il y en avait bien un pour comprendre, c'était bien Ys de toutes façons.

Tout aussi souriant qu'elle ne l'était, malgré son hésitation à s'ouvrir ainsi, Ys remarqua pourtant cette lueur dans son regard. Une lueur bien particulière qui jusqu'à maintenant n'avait pas existé, du moins, il ne l'avait jamais vu. 
Il lui semblait bien, pendant quelques secondes, que Joyce était heureuse, vraiment, depuis fort longtemps. Elle avait déjà beaucoup travailler, sur tous les points. Bien qui lui restait encore du chemin, elle avait déjà beaucoup gagné. Et aujourd'hui, Ys aurait eu cette chance de le voir dans ses yeux. 


Et pour combler le tout, elle accepta sa proposition. Les voilà deux devant des centaines de personnes se mettant à nus, devenant pendant deux ou trois minutes ceux qu'ils auraient du être. Et pour sûr, Ys se douterait bien que cet instant serait magnifiquement beau. Sans rien ajouter, le garçon referma le piano doucement quand la jeune femme interpella son attention. 
Haussant d'un sourcil, il n'hésita pas à répondre immédiatement. 

"N'abuses pas non plus. Faut pas pousser mémé dans les orties!"

Ouais d'accord, c'était un grand pas pour lui. Certes, il était vrai quand il jouait du piano mais delà à s'exposer tous les jours, très peu pour lui. Du moins, ce n'était pas dans ses projets. Petit à petit, l'oiseau fait son nid mais Joyce devait surement se douter de sa réponse puisque c'était ainsi pour elle. Même principe. 
Se relevant, passant une main dans ses cheveux, Ys reprit du poil de la bête, tentant de passer au dessus de ce qu'il venait de se passer. Cette épreuve aura été plus difficile qu'il ne l'aurait pensé.

"Bon... t'avais prévu quelque chose aujourd'hui petit lutin? Parce que là j'ai grave la dalle!" 

Parce qu'ils fonctionnaient surtout comme ça, parce qu'ils se connaissaient avant toute chose de cette manière, qu'ils reprirent bien vite leurs habitudes. Heureux de ne jamais perdre sa petite soeur, Ys préféra reprendre leur petit jeu de chat et chien que de continuer à s'apitoyer sur leur sort. Après tout, ils étaient quittes, ils étaient à armes égales. Et connaissant maintenant ce tragique destin, il ne s'agissait pas là de faire semblant ou d'oublier, mais d'avancer. Et ça, ça se passe main dans la main. 

"N'abuses pas non plus. Faut pas pousser mémé dans les orties!"

La réponse ne se fît pas attendre. Elle ne m'étonna pas, car je comprenais ce qu'il voulait dire par là. Il y a des obstacles et des souvenirs bien trop douloureux à franchir pour qu'ils soient passés en une seule fois. Il vaut parfois mieux se laisser aller, et faire à son rythme les efforts attendus. De plus, Ys n'était jamais bien bavard sur qui il était. Ça ne me surprenait donc pas qu'il me réponde cela. Je ne l'étais pas plus que lui. S'exposer était bien trop dangereux, et bien trop risqué pour que tout le monde en vaille la peine. Il fallait savoir à qui s'ouvrir pour ne jamais avoir à le regretter.
Je n'ai pas relevé, me contentant de sourire. Qu'avais-je dis déjà quand Mitsuki m'avait fait par de son deal avec Ys? Ah oui! Que je le tuerai. Mais il avait assez payé, et d'une certaine manière, je méritai d'avoir été blessée de la sorte. Ys, Liam, Mitsuki, Misao... Je leur avais fais du mal à leur avouant mon malheur. Ils avaient raison de m'en vouloir, et l'esprit de vengeance étant humain, je comprenais. Même si ça faisait mal, Ys ne méritait pas que je lui en veuille pour une chose que j'avais moi-même provoqué.

"Bon... t'avais prévu quelque chose aujourd'hui petit lutin? Parce que là j'ai grave la dalle!"

Je me reconnus dans l'attitude d'Ys. La première fois que j'avais joué ma chanson devant lui, j'avais eu beaucoup de mal. Et puis, quand nous avions posé nos instruments, reprenant notre souffle, j'avais tenté de dissimuler ma gêne et ma douleur derrière un sourire et quelques taquineries. Nous étions les mêmes. Un véritable lien fraternel s'était créé, et je doutai vouloir envisager la possibilité de le briser.
J'ai souris méchamment.

- Appelle moi encore une fois petit lutin et le groupe se passera de sa chanteuse feu-follet!

Bien sur je plaisantai, et nul doute qu'il ne le sache pas. Il me connaissait trop bien pour me croire, ne serait-ce qu'un instant. N'empêche que je n'aimais pas tellement ce surnom. Mais s'il le fallait... Après tout, je l'appelai bien feu-follet quand l'envie m'en prenait! Petit lutin non mais je vous jure! Quel manque d'originalité!

- Sinon, pour en revenir à ta question... Je n'avais rien prévu et j'ai super faim!

J'avais retrouvé le sourire et la joie de vivre qui m'avaient toujours caractérisé. Qu'importait les situations, j'avais toujours refusé de me laisser abattre. Les seules fois où je l'avais fait, c'était quand j'avais appris que j'étais malade et orpheline. Et là, quand j'avais comprit que j'allais perdre la seule famille qui me restait. On pouvait donc aisément comprendre à quel point je tenais à eux tous.
Mais Ys avait prit les devants et était venu s'expliquer, contrairement à moi qui n'avait fait que repousser, ne répondant même plus à ses messages ou ses appels. Et me voilà souriante et heureuse, ayant envie de plus de temps. De plus de temps pour profiter, de plus de temps pour m'amuser, de plus de temps pour partager, de plus de temps pour vivre. Je ne voulais pas partir. Jamais. Et secrètement, que cela soit Ys et Mitsuki ou Misao et ses recherches, j'espérai sincèrement qu'on trouverait une solution.

Quand j'avais tout avoué, Liam m'avait dit que je ne serai plus jamais seule. Ys, que je n'aurai plus à me mordre la lèvre. Misao m'avait dit qu'il serait là, peu importait le reste. Et Mitsuki m'avait avoué que les amis étaient fait pour être là dans les pires moments.
Chacun à leur façon, ils avaient tenté de me faire comprendre à quel point je n'étais pas orpheline. J'avais une famille. Une famille qui serait là, qu'importe la destination vers laquelle je m'avançais. Et par espoir ou folie, j'eus envie de les croire.

- Ys... Tu m'as lancé un défi pour le premier concert tu te souviens? Je dois y chanter ma chanson. En premier. Tu crois que je ne risque pas de cramer quelques rideaux?

C'était dit sur une pointe d'humour, et le ton était léger, mais la crainte était réelle. Liam serait là. Je refusais d'avoir à le blesser une seconde fois. Et pire que tout, je refusais l'idée même de blesser quelqu'un par simple émotion.

Quand nous sortîmes de la pièce ce jour-là, nous étions de nouveau frère et sœur. De nouveau, notre complicité était redevenue celle entre un chien et un chat. Nous étions de nouveau nous-même.

"Ok allez viens, on va se remplir la panse!"

Il y a peu de personnes avec qui l'on peut parler de tout et de rien sans que jamais la complicité ne soit entachée. Si nous avions des disputes, aussi douloureuses et violentes furent-elles, Ys et moi avions ce lien que nous ne pouvions ignorer, bien que notre raison ait pu le vouloir.
Par nos piques, nous nous faisions autant de bien que de mal parfois. Nous savions faire ressortir le pire chez l'autre, tout comme le meilleur. Nous étions capables de brûler des locaux comme de parler comme des personnes civilisés. Nous étions ainsi. Frère et sœur. Qu'on le veuille ou non.
Mains dans les poches, nous sortîmes de la pièce, légers et retrouvés.

"Ouais si t'as raison mais ne t'inquiètes pas pour moi, je sais très bien plongé. J'éviterais!"

J'ai ris, amusée. L'avantage avec Ys, c'est qu'il ne réconfortait jamais comme les autres. Non. Il me poussait plutôt à dédramatiser. A voir le côté positif. C'était aussi pour cela que je me refusais à le perdre. Personne n'arrivait mieux à contrôler mes excès que lui. Il me connaissait. Par cœur.
Un clin d’œil plus tard, j'entendis distinctement son rire nerveux. Avouez il avait peur en fait! Pffff trouillard va!

"Évites en tout cas de cramer le public, tu vas nous faire une mauvaise pub sinon..."

J'ai souris, muette. Que répondre à cela? Je le savais parfaitement. Mais j'assurerai, je n'aurais pas le choix. Parce que si je foutais tout par terre, ce n'était pas seulement moi qui en assumerait les conséquences, mais le groupe. Et ça, ça me foutrait en l'air.
Je vis bien qu'il se retenait d'ajouter quelque chose, et ayant plus ou moins deviné, je lui fus reconnaissante de ne rien dire de plus. Il y a des limites à ne pas franchir, et il me respectait suffisamment pour ne pas dépasser les bornes.
Nous arrivions prés d'une snack et l'ambiance était toujours aussi guillerette. Pour peu, nous avions presque oublié la raison de notre entrevue, et celle pour laquelle nous nous étions disputé.

"De toute manière, vue comme t'es aidée, c'est bon, tu vas t'auto cramer! Hein Jeanne d'Arc?!"

Faussement vexée, je l'ai frappé à l'épaule, riant.

- Eh! Je te permets pas feu-follet! Après tout, t'es aussi dangereux que moi!

Une chose me titillait encore un peu, et je doutai pouvoir vraiment pouvoir poser une quelconque question à ce sujet. Ys avait renoncé à ses entraînements pour moi. Certes, il tirait l'avantage de pouvoir s'exclure de la vie de Mitsuki (qui visiblement allait lui faire subir le châtiment de la chaise électrique s'il continuait de jouer au plus con!), mais il le fait était bel et bien qu'il se privait pour moi d'une chose important pour lui. La culpabilité ne me quitterait donc jamais?
Enjouée, j'ai repris, le sourire aux lèvres malgré mon regard morne.

- De toutes façons, je vais m'entraîner si dur que je deviendrai master. Et on verra qui rira de l'autre ce jour-là!

Je lui tirais la langue. Était-ce trop dur pour nous de se parler normalement? Était-ce si dur de ne pas toujours être dans la confrontation? Décidément oui.  
Bon c'est pas tout, mais j'avais faim moi! Et oui, les filles au gros appétit existent encore, nous ne sommes pas toutes au régime salade et autres aliments sans gluten!

Comme des enfants innocents, ils rirent de bon coeur, enfin. Ne souhaitant pas se demander ce que serait fait le lendemain, si un jour, leurs espoirs trouveront une réponse, si cette maladie aura raison d'eux, ils préfèrent s'éloigner et partager. C'était tellement plus simple de tirer un trait, de voir la vie sous un autre angle. 


Tellement plus agréable de se tenir la main que de se tirer dans les pattes.  D'un étrange sourire, confiant et bien heureux, Ys se contenta d'observer sa petite soeur, et espérant que cet instant ne se termine jamais. D'un éclat de rire, le garçon se frotta l'épaule tandis que la Joyce qu'il avait toujours connu lui revint enfin. Tandis qu'ils s'approchaient d'un snack, la jeune femme lança ce qui aurait pu être en temps normal une provocation. Mais silencieusement, fourrant ses mains dans ses poches, comme une prière, le jeune homme laissa échapper naturellement: 

"Crois pas que je te laisserai gagner aussi facilement gamine!" 

Mais dans le fond, il savait impertinemment qu'elle deviendrait Master avant lui. Et parce que c'es peut être égoïste de penser ainsi, mais c'est mieux ainsi. Parce que Joyce s'était, pour une fois, mise d'accord avec le garçon. Alors oui, qu'elle devienne Master avant lui ne lui poser aucun problème. Bien au contraire, ce serait un poids en moins, une crainte envolée. Et peut être alors qu'il pourrait être d'accord avec la "vie".