Je commençai à boire à mon tour, me murant dans un silence que je voulais accusateur. Je la laissai parler, ignorai tout d'abord sa question. Je la toisai un instant, puis soupirai.

- Mitsuki, écoute, je ne suis pas dupe. De plus, je suis sensitif, je sens quand les gens mentent. Juste, ne... N'en fais pas qu'à ta tête, s'il te plaît. Il pourrait t'arriver des... bricoles.

J'avais hésité sur le dernier mot. "Il pourrait t'arriver quelque chose de grave" aurait pu la dissuader, ou alors tout simplement encore plus vouloir aller faire ce qu'elle pensait faire. La poisse.
Je me passai une main sur le visage, las et fatigué.

- Désolé de ne pas faire preuve d'un grand entrain, aujourd'hui.

Je finis mon verre, le posai sur la table et me jetai presque sur le canapé.

- Enfin, pour répondre à ta question précédente...

Je marquai une courte pause.
Devais-je lui dire que j'étais en train, avant de m'endormir sur mes notes, de relire les différentes rumeurs qui couraient au sujet de nouveaux laboratoires sortis de terre ? Que je les comparais avec nos informations véridiques et vérifiées, avec les derniers rapports de mission ? Je suis un collecteur d'information, moi, je l'ai jamais dit ? Ah bah maintenant vous le savez ! Youhou.
Enfin, non, mauvaise idée. Ça ne ferait que l'inquiéter plus, et inutilement (et puis, ce n'était pas comme si elle était concernée). L'inquiéter autant que moi, à vrai dire. Parce que, maintenant, toutes les nations s'unissaient. Toutes les nations s'unissaient dans un seul et unique but, et pas des moindres : Nous étudier pour mieux nous détruire. Ou peut-être même pour nous utiliser comme menace, afin de faire régner la paix ?
N'importe quoi.

- … Je triais le tas immonde de papier qui s'étalait -et s'étale d'ailleurs toujours- sur mon bureau. Comme tu peux le voir, j'ai pas eu l'occasion de faire un brin de ménage depuis... Longtemps. Très longtemps.

Trop longtemps, avais-je même envie de rajouter.
Je haussai les épaules.

- Et c'est pas comme si tu me dérangeais -pas autant que ce chat, du moins-. Je t'aurais déjà virée sinon.

Moi, absolument pas rassurant ? Ouais, je sais !
J'eus un petit sourire.

- On va dire que c'est... Une longue pause après une autre longue pause ?

Ouiiii, voilàààà ! C'était à peu près ça.

Dis donc, j'aimerais bien être Master moi aussi, ça a l'air plutôt cool ! Genre tranquilou et tout, simple, pas trop de boulot, juste traîner dans le canapé et profiter des pauses en faisant genre de travailler. Enfin... Je me trompe ? Haha, trop pas ! Je sais obtenir les informations dont j'ai besoin en général ! Et là, les sous-entendus étaient vachement gros.

Je tournai cependant la tête vers le chat lorsqu'Aaron m'assura que je ne le dérangeais pas, à l'inverse du félin. Un sourire amusé apparut sur mes lèvres.

-Qu'est-ce qui te déplaît tant chez les chats, hein ? Tu t'es déjà fait attaqué quand tu étais petit ?

L'observai avec amusement, j'attendais une réponse, tandis que je réfléchissais à ses autres paroles. Quelque chose qui pourrait m'arriver ? Des bricoles ? C'était le cas de le dire. JUSTE des bricoles. Rien de conséquent... Et puis, je savais faire attention ! Il s'était d'ailleurs excusé après de son manque d'entrain, et cette réflexion m'avait fait sourire. Roh, ça va, à partir du moment où on s'excuse, c'est mauvais signe ! Ca veut dire que la motivation pour retrouver le moral est partie en courant, ou alors joue à cache-cache dans le grenier avec les araignées.

Affichant un sourire d'enfant prêt à faire une bêtise, je me relevai de mon fauteuil alors qu'il me répondait, me dirigeant vers son bureau.

-Tu as de la chance, c'est mon jour de bonté ! lançai-je, comme si je ne portai pas d'intérêt au début d'explication qu'il avait commencé à me donner. Je vais t'aider à ranger.

Je crois que c'était plutôt de mauvaise augure pour ses papiers, mais bon, dans tous les cas, j'avais déjà remonté mes manches ! Alors, la pile des contrôles pour la semaine prochaine, elle est où ? Je veux les trouver et cacher un exemplaire de tous ceux prévu dans l'année plié en quatre dans ma poche !

Je détournai les yeux, irrité devant son amusement. Non, je n'aimais pas les chats, je ne les ai jamais aimés. Que ce soit ce maudit chat dans Alice au Pays des Merveilles, avec son sourire à la con qui ressemblait à s'y méprendre avec celui de ma tendre maternelle -avouez que rien que ça, ça fait sacrément flipper !-, ou bien l'erreur de la nature qui avait été élevé par cette même personne, et qui n'apparaîssait que lorsqu'il était certain qu'une chose allait tourner en bain de sang -et donc généralement très mal pour moi-, je ne les supportais pas. Et maintenant, ayant rapidement fait l'amalgame avec tous les félins pouvant exister sur cette chère planète, je me retrouvais terrorisé rien qu'à la vue de ces choses.
Une phobie ? Oh, non ! À peine plus que ça.
Poussant un soupir agacé, je répondis un peu plus froidement que ce que j'aurais souhaité :

- Non. Je ne les aime pas, c'est tout.

C'était bien une des seules choses qui me faisaient peur depuis ma plus tendre enfance, c'est tout.

- Ce sont des portes-malheur, murmurai-je avant de me lever, prenant le verre et le balançant presque dans l'évier de la cuisine, avant de revenir immédiatement après.

Alors qu'elle s'approchait de mon bureau, je la trouvai un peu trop enthousiaste pour mon propre bien.

- Pas question, lâchai-je. Je m'en occuperai moi-même. Je n'apprécie pas qu'on fouille dans mes affaires, même si c'est pour ranger.

Il n'y avait pas que mes cours d'éparpillés sur cette table. Des dossiers de, peut-être, futurs élèves ; certains que j'avais décidé d'observer plus attentivement, comme Beyond -histoire qu'il ne nous commette pas un meurtre inutilement... ça me retomberait dessus, après !- ; mais aussi des comptes-rendus de missions, le pistage de certains laboratoires, leurs avancées. En plus clair, toutes les informations qu'une gamine de cet âge-là ne devrait pas voir passer sous son nez.
Ah, et puis il y a sans aucun doute mon carnet, qui doit traîner par là. Et si elle tombait dessus par mégarde, ce serait moi l'auteur du meurtre.
La tirant légèrement par le col pour la faire s'éloigner du tas de feuille, je poussai un soupir.

- J'ai dit non.

Lui lançant un regard exaspéré, je repris, haussant les épaules :

- Dis-moi, tu n'as pas des occupations plus attrayantes que ça ? Je veux dire, tu ne préfèrerais pas passer un peu de temps avec tes amis ? Parce que tenter de ranger le bureau en bordel de mon prof, personnellement, c'était pas tellement mon kiff.

Ce n'était pas qu'elle me dérangeait -bon, un petit peu, mais juste parce qu'elle a voulu toucher à mes notes-, mais, à vrai dire, je ne me souvenais déjà plus de la raison de sa venue. Et je suppose qu'une nana de son âge a d'autres occupations que de rester dans l'appart' de son professeur de maths, à comploter je ne sais quoi derrière son sourire.
Foutus gamins !

Visiblement, il était pas d'accord.

Après m'avoir répondu sèchement qu'il n'aimait tout simplement les chats, sans fournir aucun argument, j'avais relever la tête vers lui, arquant un sourcil, persuadé qu'il me cachait quelque chose. Ensuite de quoi j'avais décidé de reprendre ma BA du jour : ranger ses papiers en cherchant les contrôles de maths de l'année.

Je l'entendis presque lancer son verre dans l'évier, et revenir avec un air pas vraiment très joyeux peint sur le visage. Je ne réagis pas lorsqu'il me tira par le col après m'avoir formellement interdit de ranger ses affaires, soupirant, visiblement lassé de me voir traîner entre ses jambes.

Son regard, exaspéré, me perturba un instant, et je lâchai la feuille qui était resté niché dans le creux de mes mains alors qu'il me forçait à me relever. Secouant la tête pour me remettre les idées en place, je l'écoutai me faire comprendre que ma présence ici n'était pas la bienvenue.

- Dis-moi, tu n'as pas des occupations plus attrayantes que ça ? Je veux dire, tu ne préfèrerais pas passer un peu de temps avec tes amis ? Parce que tenter de ranger le bureau en bordel de mon prof, personnellement, c'était pas tellement mon kiff.

Je baissai la tête, me sentant fautive. Passer du temps avec mes amis...? Bien sûr que j'aurais adoré, mais Allen était en cours, et je n'avais aucune idée de ce que faisait Aoi à cet instant. Après, j'avais bien d'autres connaissances, mais bon, j'allais pas les appeler pour leur demander d'être mes bouche-trous...

Car malgré tout, j'avais toujours été assez solitaire.

Je relevai les yeux vers lui, mal à l'aise tout à coup. C'est vrai qu'en réalité, je n'avais rien à faire là : j'étais dans l'appartement de mon professeur, et peu importe les circonstances, il ne devait jamais rien se passer entre un élèves et un prof. Il y avait l'élève, le prof, pas d'amitié, pas d'amour, pas de haine, pas de tout autre relation du genre. Il était là pour m'apprendre et son rôle, dans mon cas, s'arrêtait là.

Alors oui, je n'avais rien à faire là. Oui, je n'avais pas à me mêler de ses affaires, à me proposer pour l'aider à ranger ou autre... Oui, je devais garder mes distances et agir en tant qu'élève. Mais je ne sais pas, c'était plus fort que moi.

Je finis par détourner le regard, fuyant ses yeux. Posant mes prunelles violines sur le chat, je me dirigeai vers lui, me penchai pour le prendre dans mes bras.

-Je vais te... vous laisser alors, dis-je en reprenant la forme officielle de politesse. Passez une bonne journée. Et merci de m'avoir expliqué ce que je n'avais pas compris en maths. J'espère que je vais réussir le prochain contrôle ! Même si les maths, ça n'a jamais été mon fort.

M'inclinant en signe de respect, reprenant traditionnellement les coutumes formellement japonaises, je me relevai ensuite, commençant à me diriger vers la sortie.

-Au revoir Sensei.

Je fermai les yeux, pinçai les lèvres.
Mal à l'aise ; peinée.
Je savais que je n'aurai pas dû réagir de cette manière. Je le savais. Je n'aurais pas dû... Pas comme ça.
Elle me salua, reprenant ces formes de politesse exagérée que je détestai tant. Je n'aimais pas être vouvoyé, comme ça. Pourtant, je savais, tout comme elle, que c'est ce qu'il fallait.
Mon cœur se serra un instant dans ma poitrine, alors qu'elle s'éloignait, puis refermait la porte derrière elle, le chat dans les bras.
Je me passai une main sur le visage, me relaissant tomber sur le canapé.
Pourquoi avais-je agis comme ça, déjà ? Parce qu'un prof et son élève ne devaient pas entretenir des relations autres que celles d'un maître à son apprenti ? Ce que c'était... idiot.
Ce n'était pas comme si discuter de cette manière avec une de mes élèves allait changer quoi que ce soit ! N'est-ce pas ..?
Malgré tout... Le fait de l'avoir blessée me taraudait plus que je ne l'aurais dû. Généralement, j'envoyais paître les autres, mais là... Elle qui semblait être la seule à venir vers moi, si futiles en soient les raisons... Je n'aurais pas dû, n'est-ce pas ? Je n'aurais pas dû faire ça.
La prochaine fois que je la reverrai, je saurais ce que je devrais faire. Et tant pis pour ces idées préconçues à la con...
Ce ne sont pas elles qui me dicteront ma conduite ; pas après en avoir été exclu toute ma vie. Je n'ai rien à devoir à personne.